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Extrait : "Par une belle matinée du mois d'août, il y a de cela quelques années, un beau navire de France entra à pleines voiles dans le sentier que tant de navires ont frayé entre les charmantes petites îles qui sont comme les sentinelles et les gardes avancées de leur reine de la reine des mers orientales, l'île Maurice. Il y avait grande fête à bord, car la plupart des passagers étaient de jeunes créoles qui revenaient visiter leur pays et leurs familles après dix ans..."
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Seitenzahl: 41
Veröffentlichungsjahr: 2015
EAN : 9782335087369
©Ligaran 2015
Par une belle matinée du mois d’août, il y a de cela quelques années, un beau navire de France entra à pleines voiles dans le sentier que tant de navires ont frayé entre les charmantes petites îles qui sont comme les sentinelles et les gardes avancées de leur reine et de la reine des mers orientales, l’île Maurice. Il y avait grande fête à bord, car la plupart des passagers étaient de jeunes créoles qui revenaient visiter leur pays et leurs familles après dix ans d’absence, passés à Paris, pour leur éducation, dans les cafés, les bals masqués et les salles d’armes. Tous réunis sur le pont, ils vidaient les dernières bouteilles de vin de Champagne dont le capitaine, très bon convive et habile spéculateur, avait approvisionné sa cambuse : c’était à peine si, dans leur ardeur à saluer ainsi à leur manière le pays de leur naissance, ils accordaient de temps en temps un regard au magnifique tableau qui commençait à se dérouler devant eux.
À gauche, l’île aux Serpents, cette première vedette, qui semble là postée pour indiquer la route aux voyageurs vers la principale terre, dont ils cherchent les havres sauveurs et dont ils ont déjà vu, du même côté, les sommets nuageux, les flancs verdoyants et la base resplendissante d’écume ; un peu plus loin, toujours à gauche, l’île Ronde, le second jalon, la seconde borne milliaire sur le chemin du Port-Louis, l’île Ronde qu’on prendrait pour un fragment de prairie découpé avec des ciseaux et dérivé paisiblement de la plaine des Pamplemousses vers la haute mer ; puis, à droite, comme pour enfermer les navires dans une lice, l’île Plate, non moins verte, et qui, baignée de plus près et plus intimement pénétrée des eaux qui jouent autour d’elle, a l’air d’une autre Délos flottant incertaine à la surface de l’Océan ; enfin, et à gauche de nouveau, le Coin de Mire, ce bastion naturel sous la menace duquel il faut passer, ce dernier cap à doubler, avant de toucher au but d’un voyage de plusieurs mille lieues.
Spectacle ravissant, dont les marins jouissent toujours avec un nouveau plaisir ; car ce sont des gens simples et vrais et naturellement joyeux, qui n’ont guère vu les pompes des grandes villes européennes et gardent en eux-mêmes des trésors d’enthousiasme pour les riches ouvrages auxquels Dieu seul a mis la main. Les créoles, passagers de la Bonite, admiraient bien aussi tout cela par saillies ; mais un sentiment d’inquiétude et de vague tristesse venait les saisir : tout cela, c’était leur pays ; mais ils l’avaient quitté dès l’enfance, avant l’âge de raison, ce qui s’appelle, dans le langage des matelots, mettre à la voile en temps de brume. Ils n’y pouvaient donc rien reconnaître : y pourraient-ils beaucoup aimer ? Une famille les y attendait, presque inconnue, presque oubliée, qui sans doute n’aurait plus le pouvoir de leur donner des habitudes nouvelles et de leur imposer la vie étrange des colonies. Car c’est là encore un des malheurs de la civilisation bâtarde des colonies, que les lumières de l’Europe y sont jugées nécessaires et qu’il faut les aller chercher en Europe : c’est pourquoi le fils se sépare du père avant le moment fixé ailleurs pour la dispersion des familles humaines, et le père et son fils deviennent l’un pour l’autre des étrangers vivant sous des cieux différents.
Il y eut néanmoins, dès que la Bonite fut mouillée dans les eaux paisibles du Port-Louis, des scènes assez touchantes de reconnaissance. Presque tous les créoles avaient prévenu leurs familles de leur arrivée ; et depuis quelque temps on ne signalait pas une voile au vent de l’île, sans qu’un certain nombre de vieux colons, toujours les mêmes et toujours pleins d’espoir, accourussent au bord de la mer avec des lunettes marines aussi longues pour le moins que des coulevrines. Cette fois, ils avaient lieu d’être satisfaits ; ils revoyaient leurs garçons bien grandis, parfaitement élevés en apparence et habillés par des tailleurs parisiens de la façon la plus ridicule et la moins convenable à la température chaude des tropiques.
Au milieu des embrassements et des exclamations de l’amour paternel, un seul des créoles nouveaux venus restait inoccupé et solitaire ; c’est qu’il n’avait, lui, prévenu personne de son arrivée prochaine. Un jour, en France, visitant un port de mer, le désir l’avait pris de revoir son vieux père et son pays natal ; il avait cédé à ce désir comme il cédait d’ordinaire à toutes ses fantaisies et même à ses passions ; il avait sur-le-champ arrêté son passage sur la Bonite, qui appareilla huit jours après. Voilà comment il se trouvait sur le quai du Port-Louis, rêvant aux moyens de découvrir la demeure paternelle ; c’était pour lui un véritable voyage de découverte.
Un de ses compagnons, le dernier qui restait sur le quai, remarqua son embarras et ne put s’empêcher d’en rire :