Le symbolisme des animaux au moyen âge - Alfred Maury - E-Book

Le symbolisme des animaux au moyen âge E-Book

Alfred Maury

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Dans cet ouvrage rare, l'érudit Alfred Maury, analyse les représentations culturelles médiévales du Serpent et du Dragon, du Loup et de l'Ours, du Chien et de l'Âne, du Porc, du Cerf ou de la Licorne, comme autant de fenêtres pour la compréhensions des écritures. La symbolique du Lion, du Boeuf et de l'Aigle est aussi décryptée en s'appuyant sur les textes des évangiles. Comme Alfred Maury le rappelle dans son ouvrage, Les quatre évangélistes ont été symbolisés dans les premiers siècles du christianisme, par les images des quatre fleuves qui arrosaient le Paradis. Plus tard les chrétiens vont préférer à ces emblèmes fluviaux les quatre animaux mystérieux de la vision d'Ézéchiel. En adoptant ces symboles nouveaux, les fidèles dénaturaient le sens que ces quatre animaux avaient eu dans la vision du prophète: en effet, dans Ézéchiel, ils sont les emblèmes des quatre vents, des quatre points cardinaux, des quatre génies tutélaires de la nature. Les chrétiens, ignorants du sens véritable de ces animaux symboliques, ne voulurent voir dans ces emblèmes que les figures des quatre évangélistes ; mais, attendu que rien n'indiquait, d'une manière précise, auquel de ces quatre animaux chaque évangéliste devait être rapporté, ce ne fut que plus tard que l'on attribua définitivement l'homme à saint Mathieu, le lion à saint Marc, le boeuf à saint Luc et l'aigle à saint Jean. Ainsi, un premier effet des nouvelles croyances religieuses aura été de transformer en symboles des quatre rédacteurs de la parole divine, les emblèmes du monde animalier.

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Table des matières

Le serpent

Le Lion

Le Loup et l’Ours

Le chien, l’âne

Le Porc

Le Cerf et la Licorne

La Colombe

Le Corbeau

Le Poisson

Les animaux, symboles des quatre évangélistes

LE SERPENT

De tous les symboles que le christianisme a adoptés, il n’en est certainement aucun qui remonte à une plus haute antiquité que celui du serpent. Le plus ancien des livres sacrés des Hébreux adopte, dès ses premières pages, la forme du reptile, pour en revêtir le génie du mal, lorsqu’il tente Ève1.

C’était très probablement en Égypte, qui le tenait à son tour de l’Inde et de la Perse, que Moïse avait puisé cet emblème de la ruse, de l’insinuation et de la perfidie. En effet, nous voyons les Égyptiens peindre sous la figure du serpent, Apophis, la divinité malfaisante, l’adversaire d’Horus. Celui-ci était représenté perçant Apophis d’une lance2, comme on vit plus tard les chrétiens montrer saint Michel triomphant du dragon infernal. Dans la religion indienne, le serpent Secha ou Vasouki, l’arbre Calpavrikcham, jouent le même rôle que le serpent tentateur et l’arbre de la science du bien et du mal, dans la genèse3. Crichna, l’incarnation de la seconde personne de la trinité hindoue, tua le serpent Caliya4, idée qui rappelle trait pour trait celle de Jésus-Christ venant mettre fin au règne du démon ou du serpent. Garuda est placé à l’entrée de l’Éden hindou, dont il défend l’accès aux serpents5. En général le serpent se lie au culte de Çiva, le principe destructeur de la Trimourti, le Satan indien. En Perse, Ahriman, le dieu rival d’Ormuzd, la cause du péché du premier homme, celui qui a introduit le mal dans le monde, était regardé comme ayant la figure d’un serpent ; c’était, sous la forme d’une couleuvre, qu’il avait sauté du ciel sur la terre et les dews ses sujets étaient autant de serpents gardiens de l’or6. Les adorateurs d’Ormuzd, les ennemis d’Ahriman, devaient, par le travail, extirper les serpents, emblèmes maudits7. Dans la mythologie scandinave, le serpent Midgard, que combattait Thor, la seconde personne de la trinité du nord, est fils de Loki. Or, Loki est le démon de la religion odinique, c’est l’opprobre des dieux et des hommes, l’artisan de tromperie et de fraude8.

La Grèce a fait aussi paraître, dans ses fables, le symbole du serpent. Apollon, né de l’Horus égyptien, tue le serpent Pithon9 ; Hercule triomphe de l’Hydre de Lerne10 et du dragon du jardin des Hespérides11. Les Titans, ennemis des dieux et qui, dans la mythologie antique, jouent le rôle des anges rebelles, étaient représentés avec des membres terminés par des serpents12.

Celui de tous les livres canoniques des chrétiens, qui porte empreinte davantage la trace des mythes de la Perse et de l’Inde, l’Apocalypse, transporta dans la religion nouvelle l’antique symbole du serpent. Saint Jean peignit le démon sous les traits d’un grand dragon roux, ayant sept têtes, comme l’hydre, et dix cornes, et sur chacune des têtes, un diadème13. Ce dragon, après avoir séduit tout le monde, fut précipité à terre et l’ange l’enchaîna pour mille ans14.

Conduite par la parole de l’auteur de l’Apocalypse, l’Église accepta donc le serpent comme l’emblème du démon. Satan fut désigné par elle sous les noms de draco15, anguis, serpens, vermis16 ; le serpent devint le symbole du diable et de l’enfer, comme la colombe était celui de l’Esprit Saint. Voulut-on représenter dans les processions ou les cérémonies religieuses, le génie du mal, à l’empire duquel Jésus-Christ avait mis fin, on promena l’image monstrueuse et souvent grotesque d’un serpent, dont la position renversée désignait la défaite17. Voulut-on dans les représentations figurées offrir aux yeux le démon, peindre la victoire que de saints apôtres, de pieux prélats avaient remportée sur cet esprit de ténèbres, on plaça un serpent expirant aux pieds de la statue de ces personnages18, de même que par une allégorie indiquée en termes formels dans la Bible, on peignit la Vierge Marie écrasant le serpent tentateur19. Plus tard, quand l’usage eut prévalu de donner à chaque démon une figure particulière20, pour laquelle l’imagination s’épuisait en figures hideuses et terribles, ce fut l’enfer tout entier qu’on représenta par un dragon, dont le plus souvent on ne peignait que l’énorme gueule21, sorte de gouffre béant et enflammé22 où venaient s’engloutir les malheureux damnés23 et d’où l’on voyait Jésus ressuscité tirer les justes qui attendaient, dans les lieux bas, l’arrivée du Messie24. Néanmoins la forme du serpent ne cessa pas pour cela d’être affectée à certains diables en particulier : ce fut celle sous laquelle apparaissaient fréquemment les puissances infernales, dans les visions, dans les songes, dans les légendes populaires, forme unie souvent à d’autres plus fantastiques et plus extraordinaires. « Dæmones frequenter apparent in figuris bestiarum », dit saint Thomas ; et il ajoute : « quæ designent conditiones eorum, ex providentia et permissione Dei : sicut in figura serpentis, cum esset tamen in dæmone decipiendi cupiditas25 ».

Dans l’évangile de l’enfance du Sauveur, nous voyons le diable sous la forme d’un serpent, entourer le corps d’une femme, puis s’enfuir tout à coup, par l’effet de la présence de la Vierge et de l’Enfant divin26. Le démon prit la figure d’un serpent pour tenter sainte Émilienne27. Dans la vision que sainte Perpétue eut peu de temps avant de souffrir le martyre, elle vit le démon qui, sous la figure d’un dragon effroyable, cherchait à la dévorer, au moment où elle allait monter à l’échelle d’or mystérieuse qui joignait la terre au ciel28. Saint-Cyprien, évêque d’Antioche, raconte les tentatives inutiles de Satan qui, sous la forme d’un dragon, observait une vierge nommée Justine ; mais, au dire de ce prélat, ces dragons diaboliques ne sont que des apparences qui s’évanouissent comme de la fumée29. Dans la légende de Faust, par Widmann, on représente Astaroth comme ayant la forme d’un serpent30. Les dragons et les reptiles figurent à titre d’animaux infernaux, dans presque toutes les conjurations. Plusieurs symbolistes ont pensé que les gargouilles ou figures de dragons, qui servent dans les églises à l’épanchement des eaux pluviales, étaient l’image des démons s’élançant hors de l’église31.

Une union, si intime dans le langage et même dans les croyances des chrétiens, entre les idées de démons et des serpents, dut, de bonne heure, faire naître chez le peuple de grossières erreurs. Celui-ci confondit naturellement le symbole et l’objet qu’il était destiné à représenter et, de même que l’Égyptien, qui transformait par ignorance le chat, le bœuf, l’épervier, en ces divinités mêmes dont ces animaux étaient originairement l’emblème, il ne vit plus dans les serpents que des démons ; et les serpents vaincus qui désignaient allégoriquement la défaite de l’esprit du mal, devinrent à ses yeux des serpents véritables.

Une vieille superstition accrédita cette erreur : depuis longtemps les serpents étaient regardés comme des êtres malfaisants dont la naissance avait suivi l’invasion du mal dans le monde et qui expireraient dès que l’âge d’or refleurirait sur la terre32. Le christianisme, qui était considéré par les fidèles comme venant ouvrir cette ère de bonheur si impatiemment attendue, devait donc voir figurer parmi ses effets celui d’amener la destruction de ces reptiles33. Le Christ lui-même avait annoncé à ses disciples qu’ils pourraient manier les serpents, sans qu’ils éprouvassent aucun mal34. Peut-être, en leur adressant ces paroles, avait-il en vue la réalisation des paroles du psaume : « Super aspidem et basiliscum ambulabis ; et conculcabis leonem et draconem (Ps. XC, I3) ». Peut-être aussi ces paroles étaient-elles inspirées par la croyance encore subsistante aujourd’hui en Orient, qui attribue à certains êtres privilégiés le pouvoir de toucher impunément les reptiles35.

Quoi qu’il en soit, cette tradition païenne inspira chez les chrétiens nombre de légendes, dans lesquelles se révèle toujours la même idée de destruction du serpent, de pouvoir exercé sur lui pour neutraliser les effets de son venin. L’histoire de la morsure de saint Paul, par une vipère, dans l’île de Malte36, ne paraît pas avoir eu d’autre but que de confirmer la prédiction évangélique. En Bretagne, les apôtres qui ont prêché la foi sont regardés comme ayant détruit les serpents qui ravageaient la contrée : tels sont saint Cadon37, saint Maudet et saint Paul de Léon. Dans le pays de Galles, au Ve siècle, sainte Keyna38, vierge, détruisit les serpents qui ravageaient les environs de Keysharm39. Dans la province de Poméranie, près de Lassahn, la tradition rapporte, qu’à l’avènement du christianisme, on chassa du pays des serpents qui vomissaient des flammes40. Saint Patrice en Irlande41, saint Clément à Metz42, saint Armand à Maestricht43, saint Saturnin à Bernay44, étaient regardés comme ayant détruit des serpents qui désolaient les environs de ces différentes villes. Un grand nombre de saints guérirent de morsures de serpents45. L’eau bénite46 et les cloches chassaient les reptiles. Quand les serpents ont sept ans, au dire d’une superstition de la Sologne, il leur pousse des ailes et ils s’envolent à Babylone47. Il est aisé de retrouver, au fond de cette dernière tradition, l’idée symbolique qui faisait du serpent l’emblème du démon et de Babylone la personnification de son royaume. Certains saints furent, à l’exemple de saint Paul, mordus impunément par des serpents, comme saint Paterne48, ou même respectés par eux, comme sainte Christine49, qu’on avait jetée dans une prison remplie de ces reptiles.

Certains trésors étaient confiés à la garde de dragons ou de serpents ; telle est la légende de la Toison d’or. Aujourd’hui encore les mariniers de la mer Noire croient qu’une île, située à l’embouchure du Danube et qu’ils nomment l’île des Serpents, est habitée par un énorme serpent qui garde des trésors et dévore les hommes qui ont la témérité de s’en approcher. Cette île paraît être l’ancienne île de Leucé, consacrée à Achille50.

Nous avons dit que le peuple prenait pour des serpents véritables les images symboliques du démon. En présence des représentations, dans lesquelles on voyait un dragon écrasé par un prélat ou par une vierge, frappé du bâton pastoral, enchaîné par l’étole, le vulgaire, déjà nourri de cette idée que les saints étaient venus détruire les serpents de la contrée, dut s’imaginer avoir devant les yeux le tableau de quelques-unes des luttes que ces animaux monstrueux avaient livrées contre les saints dont ils voyaient la statue. Suppléant par son imagination à son ignorance du détail des faits qu’il croyait s’être réellement passé, il forgeait aussitôt une légende pour expliquer ce sujet, d’un dragon écrasé par un prélat ou par une vierge, qu’il avait cessé de comprendre. Nées toutes de la même erreur, ces légendes durent offrir entre elles la plus grande analogie. Dans toutes, la similitude des objets représentés dut amener la plus grande similitude dans le récit des faits. Et quoique souvent plusieurs de ces monstres imaginaires aient reçu chacun des noms différents51, leur histoire est au fond la même. Dans toutes on voit l’animal expirant sous le signe de la croix52 ou le bâton pastoral53, traîné ensuite par l’étole de l’évêque ou même par un simple ruban54, dans la mer et le désert, qui leur sont assignés comme séjour et qui rappellent le sens primitivement symbolique de ce serpent55. Il serait bien long et bien fastidieux d’énumérer les innombrables vies de saints dans lesquelles se rencontre ce mythe ophique, sous des formes à peu près identiques. Ces saints sont presque tous des prélats dont les statues ont été, comme nous l’avons dit, l’occasion de semblables méprises. 56

Il y a aussi quelques légendes de vierges ou de femmes, telles que celles de sainte Marthe57, sainte Marguerite58, sainte Vénerande, sainte Radegonde59, dans lesquelles on a fait entrer des faits pareils. Enfin, il existe une troisième catégorie de personnages pour la vie desquels les mêmes fables ont été reproduites. Ce sont de pieux guerriers, tels que saint Georges60, saint Second d’Asti61, le conte Aymon62, Struth de Winkelried63, Gozon de Rhodes64, Raimond de Saint-Sulpice65. Il faut également aller chercher l’explication de ces légendes dans la grossièreté de la conception populaire, qui transformait, en combats réels et sensibles, des luttes qui n’avaient été qu’intérieures ou morales et dans lesquelles ces âmes puissantes avaient triomphé des tentations de Satan ; confusion, nous le répétons, dont des images allégoriques étaient, en presque tout temps, l’occasion.

Non seulement les images66 et les armoiries entretenaient le peuple dans la croyance à l’existence de ces dragons symboliques67, mais d’autres causes favorisaient encore son erreur : des ossements d’animaux monstrueux, tels que des baleines, des crocodiles, des caïmans, des serpents, suspendus en ex-voto dans les églises68, étaient pris par lui pour les restes de ces monstres69, que le personnage de la légende avait combattus. La présence de quelque squelette inconnu suffisait pour que la crédulité publique s’imaginât qu’un dragon avait désolé la contrée. Les dragons symboliques portés dans les processions70 devenaient, aux yeux du vulgaire, l’image de quelques-unes de ces bêtes, dont une histoire forgée après coup racontait minutieusement les affreux ravages71.

Ne serait-ce pas par une confusion, née aussi de l’idée diabolique que le peuple rattachait sans cesse au serpent, qu’on aura transformé en images de damnés d’anciennes figures, dont l’origine semble être toute égyptienne ? Je veux parler de ces figures offrant des femmes tétées, sucées dans leurs parties les plus secrètes par des reptiles, de ces représentations de personnages dévorés par des serpents, qui les enlacent et les déchiquètent. Ce sujet n’est pas rare dans les monuments du moyen âge. Un des chapiteaux de l’église de Saint-Michel, à Pavie, représente une femme tétée par deux serpents ; chacun d’eux s’enroule autour des bras et la femme tient une palme à chaque main. Cette église remonte au VIIe siècle72. À l’église Sainte-Croix, de Bordeaux, sur l’une des arcades latérales du portail, on voit une femme vêtue d’une guimpe et d’une robe entrouverte. Deux serpents montent, en forme de spirale, le long de son corps. Leurs têtes arrivent jusqu’aux seins, qu’ils paraissent sucer73. A l’abbaye de Moissac, on voit la figure d’une femme tétée par des crapauds, sucée dans ses parties naturelles ; près d’elle, est un homme de la bouche duquel s’échappe un crapaud et qui porte un diable sur ses épaules74. Aux églises de Montmorillon75, de Saint-Jouin, à Saint-Hilaire de Melle, à Saint-Jacques de Ratisbonne76, on voit, dans des bas-reliefs, des femmes tétées par des serpents qu’elles tiennent ordinairement par le cou, à la hauteur de leur sein. À l’église Saint-Sauveur, de Dinan, on remarque, sur les bas-reliefs du portail une femme tétée par des crapauds et tourmentée par des serpents ; un animal à quatre pattes lui ronge le crâne. Au portail de gauche de la même église, un homme à cornes de bœuf est tiré par deux crocodiles fantastiques. Dans un ancien bâtiment à Beverley, dans le Yorkshire77, sur un bas-relief qui supporte un vieux fronton, on voit un homme tenant à la main deux serpents qui cherchent à le dévorer et touchent à l’extrémité de ses lèvres. Sur un chapiteau de l’abbaye de Tournus, on a représenté un homme accroupi, tenant par le cou deux serpents qu’il approche de sa bouche78. Parmi les statues provenant de Notre-Dame de Caillouville, on voit deux torses nus, de sexe différent, accolés de la plus étrange manière ; deux serpents qui traversent leurs chairs, les enlacent de leurs hideux replis, les mordant aux mamelles et aux parties naturelles79. A Sainte-Foy de Conques, un bas-relief représente un avare auquel un serpent ronge les yeux80. Au porche de l’église de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme), on voit, dans le supplice des réprouvés, un homme que des diables ailés ont enchaîné avec des serpents81. Dans les bas-reliefs de Notre-Dame de Paris, l’artiste a représenté une vaste chaudière dans laquelle le démon fait bouillir les damnés ; un énorme serpent s’échappe de la chaudière, de petits crapauds s’élancent dedans82. Dans les bas-reliefs qui décorent la chaire de la cathédrale d’Orvieto83, on voit des damnés tourmentés par des serpents. Au Campo-Santo, Orcagna, dans son jugement dernier, a représenté le supplice des impudiques par des hommes et des femmes, dont d’horribles serpents dévorent le sein et les parties naturelles84.

Dans les miniatures d’un manuscrit latin exécutées, au XIIe ou XIIIe siècle, par un peintre italien, élève de l’école grecque, on voit une femme tourmentée par des serpents qui l’attaquent par où elle a péché85. Jérôme Drexelius, dans son livre intitulé : De œternitate considerationes, cite une estampe, dans laquelle on a figuré des réprouvés dévorés par des serpents. Langlois, dans son Essai sur la Calligraphie, page →, reproduit une initiale tirée d’un manuscrit du XIe ou XIIe siècle (Bibliothèque de Rouen), qui représente un démon apode, perché sur des échasses et dont les seins sont tétés par des espèces de lézards-serpents.

N’est-il pas permis de croire que tous ces sujets, variés quant aux détails, mais chez lesquels reparaît toujours la même idée du supplice par les reptiles, ont été inspirés par la représentation typique primitive, telle qu’on la voit à Moissac ou à Montmorillon, dans laquelle le peuple aura cru trouver des damnés en proie au supplice infernal ?

C’était d’ailleurs au moyen âge une opinion généralement reçue chez les chrétiens, qu’une des principales peines de l’enfer consistait à devenir la pâture d’horribles reptiles86. On s’imaginait trouver dans une parole d’Esaïe la preuve de cette étrange idée87. Une foule de passages de poètes et d’écrivains ne nous laissent d’ailleurs aucun doute sur l’existence de cette croyance.

Dante nous montre au fond de l’enfer les voleurs dévorés par de hideux serpents88. On lit dans la vision de Tindal : « E per tolz lors membres autres yssian bestias serpentines qui avaient caps ardens et bex aguzats de fer am losquels squissivan aquelas armas tristas las cos (lesquelles) d’aquelas serpens avian aguil-has tortas aissi coma son moscalhas (hameçons)89. » Dans la vision miraculeuse du moine d’Evesham, rapportée par Mathieu Pâris, il est question de damnés déchirés par les dents venimeuses de reptiles monstrueux90. On raconte, dans le roman de Guerino el Meschino, le supplice de malheureux damnés, plongés dans les glaces jusqu’aux mamelles, et celui du géant Machabeus, tourmenté avec sa femme, au fond des enfers, par de semblables animaux91. Nous lisons dans le Voyage au Purgatoire de saint Patrice : « Là avoit hommes et femmes de divers aages qui se gissaient tous nus trestous estandus à terre, le ventre dessoulz, qui avoient des clous ardents fichiés parmy les mains et parmy les piés. Et y avoit de grands dragons toulz ardents qui se sevient sur eulx et leurs fichoient les dentz tous ardentz dedans la chair, et sembloient qui les voulussent mangier … Ailleurs, on voyait encore des damnés mordus par des serpents, aux yeux, aux oreilles, au nez92. »

L’enfer est peuplé de verminiers et de couleuvres puantes, nous dit la légende de Faust93.

Dans le tableau de l’enfer que nous trace un chant populaire de la Bretagne, il est dit des damnés que leur peau sera écorchée et leur chair déchirée par les dents des serpents et des démons94