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Fanon, fervent défenseur de la libération de l’Algérie, affirmait qu’une nation ne peut exister sans une revendication nationale. Lorsqu’elle fait défaut, le risque est de sombrer dans une confusion idéologique façonnée par l’universalisme néo-libéral. C’est dans cette perspective que
Max-Auguste Dufrénot interroge l’œuvre d’Édouard Glissant, entièrement consacrée à la colonisation. Selon lui, la créolisation menant au Tout-monde ne serait qu’un subterfuge masquant l’urgence d’une véritable décolonisation des Antilles.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Martiniquais de cœur et d’esprit,
Max-Auguste Dufrénot conjugue sciences et humanités avec une rare acuité. Professeur en facultés de médecine et de pharmacie en Afrique et en Haïti, puis pharmacien biologiste et chef de service en Martinique et en France, il mène une brillante carrière scientifique tout en restant profondément ancré dans la vie culturelle et politique de son île natale. Observateur privilégié du monde antillais, il enrichit sa réflexion d’un regard éclairé sur les dynamiques postcoloniales, faisant de son engagement intellectuel un prolongement naturel de son attachement aux lettres et aux identités créoles.
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Seitenzahl: 194
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Max-Auguste Dufrénot
Le Tout-monde
Refuge contre la décolonisation
Essai
© Lys Bleu Éditions – Max-Auguste Dufrénot
ISBN : 979-10-422-6239-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Édouard Glissant est l’un de nos plus remarquables écrivains et philosophes. J’ai eu de l’admiration pour le militant qu’il était, quand j’étais étudiant ; bien sûr, il avait terminé ses études quand je débutais les miennes.
Il fut pour plusieurs d’entre nous un exemple au moment où, dans les années 1960, la décolonisation était à l’ordre du jour ; avec Paul Niger, alias Albert Béville, de la Guadeloupe (1) et Cosney Marie-Joseph, il nous faisait parfois l’honneur de venir à nos réunions de l’AGEM (Association Générale des Étudiants Martiniquais).
Il avait fondé avec les mêmes, accompagné de feu maître Manville (2), et les trois associations des étudiants de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, Le front antillo-guyanais pour l’autonomie qui fut interdit par De Gaulle (3).
Au décès des camarades qui périrent dans l’accident d’avion de 1962, à Deshaies en Guadeloupe (4), c’est lui qui fit le discours à la maison de la mutualité à Paris, dans lequel il affirmait qu’il était de notre devoir de poursuivre le combat de nos regrettés camarades, combat évidemment anticolonialiste et de décolonisation.
Les années ont passé, j’ai travaillé sur d’autres continents et quoiqu’étant rentré au pays, j’ai perdu son contact physique, mais nous suivions ses pensées dans ses écrits. Quand il eut le prix Renaudot pour son roman La Lézarde, cela fit notre fierté ; j’appréciai tout particulièrement Le quatrième siècle et Le discours antillais.
Nous savons qu’il a failli obtenir le prix Nobel de littérature, battu d’une voix par Dereck Walcott (5).
Entre-temps, nous étions rentrés participer au combat anticolonialiste au sein d’un mouvement indépendantiste ; nous avons ressenti une gêne quand il proposa sa théorie du Tout-monde. Non pas que nous n’étions pas d’accord avec sa projection dans le futur.
Non, ce que nous ne concevions pas, c’était la nécessité de passer par la créolisation pour parvenir au Tout-monde.
La promotion du concept de la créolisation s’est affirmée en Martinique et en Guadeloupe, c’est-à-dire dans deux îles de la Caraïbe colonisées par la France.
Son promoteur principal, chez nous, îles francophones, Édouard Glissant, paix à son âme. Nous rappelons que c’est un philosophe par les études qu’il a effectuées en France dans sa jeunesse. C’est aussi un grand écrivain, non seulement par le nombre de livres qu’il a publiés, mais aussi par leur qualité intrinsèque (6).
Un groupe de trois auteurs sont venus s’agglutiner sur lui en développant le concept de créolité (7).
Le problème, chez nous, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’intellectuels osant contester des théories, dès lors qu’elles ont trouvé l’aval de la puissance coloniale. Car, complexe d’infériorité inculqué, c’est la parole du blanc qui est parole d’évangile et qui plus est les fameux auteurs se frappent la poitrine, comme King Kong, en insultant haut et fort tous ceux qui osent jeter un œil critique sur leurs travaux. Ils sont adoubés par le colon, donc ils sont, selon leurs critères, les meilleurs.
Aimé Césaire a brillé ; il faut reconnaître que ses lettres de noblesse lui ont été attribuées par un Européen du nom de Breton qui séjournait par hasard aux Antilles (8) ; ensuite sa compagnie avec Senghor, lui aussi adoubé par la France, car bien assimilé en tant qu’agrégé de grammaire française, les a portés aux nues en compagnie du troisième compagnon Damas.
Ce n’est qu’ensuite qu’il a été adopté par ses compatriotes.
Mais personne n’a contesté sa notoriété et la résonnance que ses écrits avaient dans tout le monde noir.
Maintenant nous est servi la créolisation, avec sa petite sœur la créolité ; leur notoriété est venue de l’appui des autorités de la France et des intellectuels fidèles au processus d’assimilation des populations dominées.
Il faut remarquer qu’en tant qu’écrivains, ce sont de bons écrivains (9). Je ne me pose pas en juge ; mais c’est ce que moi personnellement je pense. Je dévore les récits de Raphaël Confiant, je lis Patrick Chamoiseau avec plaisir, quant à feu Jean Bernabé, mon collègue d’internat au lycée Schœlcher, il a écrit des choses plaisantes. En les lisant je me retrouve un peu en Côte d’Ivoire, dans les années 70-80, à lire les aventures de Dago, en bande dessinée dans le quotidien Fraternité matin (10) qui passe partout en s’exprimant en français-banane ivoirien.
La créolité est la plus fragile de la famille, car elle a pointé le bout du nez en tant que phénomène littéraire ; le monde a découvert qu’il s’agissait d’une pure supercherie, car ce style littéraire était l’œuvre d’un Africain de l’ethnie malinké (11) qui avait habité de son imaginaire et de sa langue malinké la langue française, Ahmadou Kourouma. Il était précisément originaire de la Côte d’Ivoire, pays dans lequel ce style littéraire s’étalait tous les matins dans la bande dessinée du quotidien « Fraternité matin », Dago. Dago était « choc en bloc ».
Au point de vue de la théorie philosophique, elle est présentée comme la lecture de la grande sœur créolisation à l’instant t : donc sa notoriété est suspendue à celle de la créolisation (12).
Le gros problème est que l’auteur de la théorisation de ce concept est un grand intellectuel antillais, un gars que nous respectons. Pourtant, sa théorie qui tend vers la venue du Tout-monde, ne correspond pas, selon moi, à ce que nous sommes ; cela c’est notre avis et c’est ce que nous allons démontrer dans cet ouvrage.
Cela n’enlève rien ni à la considération que nous avons pour l’écriture des auteurs de la créolité qui ont su enrichir la langue française de notre « français-banane » antillais comme l’africain l’avait fait avec du « français-banane » malinké ; ce dernier avait enchanté les Québécois qui trouvaient là une occasion de montrer aux Français de France que l’on pouvait parler français différemment que les Français de France ; ils avaient ainsi des compagnons pour faire contrepoids aux puristes de France (13).
Nous avons beaucoup de respect pour Glissant qui a, pour nous, été un vrai guide, dans le militantisme, durant nos années d’étudiants, comme le docteur Rodolphe Désiré, ancien maire du Marin en Martinique ; nous avons traversé ensemble les évènements de mai 68 ; je cite cette date, car elle sera très importante pour comprendre la genèse de la théorie du rhizome.
En tant qu’intellectuel antillais, ou sans prétention aucune, en tant qu’Antillais se permettant d’utiliser son bon sens et ses connaissances pour réfléchir, je réfute la théorie de la créolisation comme moteur de l’identité martiniquaise ou guadeloupéenne, ou guyanaise, et plus largement de l’identité caribéenne.
Glissant a choisi son modèle identitaire en s’inspirant des philosophes français, Deleuze et Guattari ; disons qu’il a mis la barre un peu haut pour le peuple dont les préoccupations ne sont pas dirigées vers ces gymnastiques intellectuelles. Les peuples martiniquais, guadeloupéens et guyanais, colonisés, sont surtout préoccupés par la satisfaction des deux premiers degrés de la pyramide de Maslow, l’alimentaire et le sécuritaire (14).
Il vit son identité au jour le jour ; et il est ce qu’il est et pas ce qui sort de l’imaginaire d’intellectuels. En somme, pour parler vulgairement, le peuple s’en fout qu’on lui dise qui il est puisqu’il vit ce qu’il est. Mais les thèses produites par l’intelligentsia sont habilement relayées par la puissance dominante, qui trouve là l’occasion de perturber davantage ses sujets.
C’est pourquoi, en profond désaccord avec le point de vue d’Édouard Glissant, tout en respectant sa projection dans le Tout monde, nous réfutons son relais par la créolisation ; nous faisons la critique de la créolisation en mettant en avant la priorité qui demeure la décolonisation et nous regardons toutes les îles de la Caraïbe où nous voyons des populations qui ont une identité en majorité afro-caribéenne, sans oublier les indo-caribéens, et ceux des minorités, libano-caribéens, sino-caribéens et eurocaribéens.
Nous allons suivre un plan progressif partant du passé pour aboutir au présent, donc au Tout-monde ; cela nous permettra d’en saisir la genèse.
Nous ne saurions conclure sans expliquer les motivations des auteurs de la créolisation et de la créolité ; leur venue était prévue par Fanon comme résultant de l’échec de la lutte de libération nationale. Impuissants, ils entraîneront le peuple vers un rêve d’universalisme (15).
1-Résistances de l’Afrique aux colonies
Les peuples des Antilles sont le produit de la rencontre et du métissage partiel de colons blancs, de nègres descendants d’Africains mis en esclavage, et d’autres ethnies arrivées plus tard comme les Indiens des Indes, les Chinois et des apports récents de populations relativement restreintes d’Arabes, Libanais, etc.
Il faut toutefois préciser qu’au départ, les colons blancs, après avoir exterminé les populations autochtones, les Amérindiens (21) ont importé de force de la main-d’œuvre africaine (22).
Dans la colonie, il y avait deux races en présence : des Africains réduits en esclavage (AFRES) très nombreux et des colons blancs qui étaient peu nombreux par rapport aux noirs.
Les nègres, en arrivant, subissaient ce que les békés, créoles appelaient une créolisation (23).
Parallèlement, il y avait dans les colonies la résistance permanente et multiforme à l’oppression esclavagiste qui se traduisait en général par des révoltes et des empoisonnements de maîtres (24).
Donc les nègres de toutes les colonies ont vécu la même épopée, résistance à l’esclavage.
Deux forces contraires étaient en présence : la créolisation opérée par les colons et la résistance entretenue par les esclaves et même à leur manière par les noirs dits créoles, potentiellement créolisés.
Il est logique de penser que l’identité que se forgeront les populations issues de l’esclavage sera la résultante de ces deux phénomènes.
Un chercheur formé en France, en français, dans une culture française, utilisant les instruments d’analyse que lui a procurés son formatage à l’européenne, peut donner la plus grosse influence à la créolisation en se basant sur les marques de la culture du colon ; mais si l’on connaît la culture des esclaves africains, et que l’on analyse la culture antillaise avec des yeux et le savoir d’Africains, parlant des langues africaines, on voit l’influence primordiale des survivances africaines.
Évidemment, l’analyse à l’européenne trouvera des relais parmi les intellectuels européens, heureux, et les descendants d’esclaves européanisés seront à leur insu les complices du colonialisme, du moins sous sa forme évoluée et moderne.
Nous allons suivre étape par étape les différents évènements qui ont participé à la formation identitaire des Antillais.
Les récits se trouvent largement répandus dans tous les ouvrages écrits par des « spécialistes » européens de l’esclavage.
Même Glissant, dans son roman La case du commandeur, fait s’insurger son héros contre les Africains qui ont vendu leurs frères ; son héros Odono fait état des trahisons séculaires des siens pendant la traite des esclaves (25).
Il ressort de beaucoup d’écrits, à part de rares auteurs, que les Européens recevaient des esclaves des chefs et rois africains en échange de colifichets ; parfois, ils parlent aussi de razzias effectuées. Au Congo, par exemple, les Portugais avaient organisé la traite avec des agents à chaque niveau, il y avait les chasseurs, les rabatteurs et les vendeurs (26) et ceux qui achetaient.
Il y a aussi un fait qui doit nous amener à nous poser des questions à la vue de tous ces vestiges de forts que l’on rencontre sur la côte africaine ; ou alors on voit des vestiges de baraquements de façon inopinée sur des plages tranquilles ; par exemple, j’en ai vu une sur la plage de la petite ville côtière de Dénu au Ghana (27).
Ces forts sont des témoignages de la résistance des noirs ; car ils étaient construits pour faire face aux assauts inopinés de rebelles africains contre les envahisseurs. Ce n’étaient pas des constructions de fortune, mais de véritables forteresses dotées de pièces d’artillerie. On trouve jusqu’ici les forts d’El Mina, au Ghana (28), d’Arguin, et Saint-Joseph de Galam, au Sénégal (29), de Saint-James et d’Albréda en Gambie (30), dans les rivières du Sud, ceux de Cacheo et de Bissao, sur la côte du Ghana, il y eut plus de quarante forts et loges, comme Takoradi, et Ouidah au Dahomey (31).
On retrouve au Bénin, à Ouidah la même organisation : les métis brésiliens Chacha Ier et Chacha II qui étaient les vendeurs au fort portugais de Ouidah (32).
Et ces lieux où l’on vendait les esclaves ont été érigés par les colons, et les autochtones ont perpétué la coutume après les indépendances, ont érigés en places touristiques : pour Gorée, cela saute aux yeux ; on a fait tellement de propagande pour l’île de Gorée que les Français ont fini par oblitérer le fait que ce n’était pas à Gorée qu’il y avait le plus d’esclaves qui partaient pour le Nouveau Monde, mais plutôt à Saint-Louis.
De même, le fort de Ouidah est très touristique ; quand j’habitais le Togo, tous les parents et amis qui sont venus me voir là-bas ont eu droit à une visite de Ouidah avant la visite à Abomey, au royaume du Dahomey (33).
Quand vous arrivez à Ouidah, il y a d’abord le temple aux serpents sacrés à visiter ; vous mettez des couleuvres autour du cou ; puis vous allez au musée de Ouidah ; vous y découvrez des objets ayant appartenu aux rois du Dahomey et vous apprenez qu’il y avait connivence entre ces vendeurs brésiliens et les rois du Dahomey.
Mais vous êtes passés sur des sites historiques, sans le savoir, qui se trouvent sur la route menant d’Hillacondji (34), frontière bénino-togolaise, à Ouidah.
Et là où les Africains se laissent avoir, c’est qu’ils ont été longtemps incapables d’écrire leur histoire eux-mêmes ; car, en fait, s’il y eut des vendeurs, il y eut également beaucoup de résistance. Et c’est la raison pour laquelle nous disons que l’épopée des noirs d’outre-Atlantique (1) commence sur le sol africain avant de se poursuivre sur les bateaux et dans les colonies.
Pour étayer mes assertions, je vais relater trois faits que j’ai moi-même « découverts » avec l’aide de mes amis et beaux-parents africains, togolais et béninois.
J’ai séjourné un an au Burkina Faso et seize ans au Togo et j’ai sillonné toute la côte d’Afrique de l’Ouest ; je me cantonnerai au Togo et au Bénin.
Eh bien, dans chacun de ces pays, je peux vous relater des faits de résistance à l’esclavage que vous pouvez aller vérifier.
D’abord au Togo. Je suis allé un jour acheter un hectare planté en maïs dans le petit village de Ahôkpê situé pas loin d’un terrain de l’armée togolaise, au sud du village d’Agouvé (35). Étant curieux de nature dès qu’il s’agit de culture et aimant beaucoup apprendre les langues des pays où je séjourne, pour comprendre leur culture, j’avais pris l’habitude de venir le samedi assister aux délibérations du village, dirigées par le chef Do Glikpé, entouré des sages du village avec leur lokpo (36) par-dessus l’épaule. Nous nous liâmes d’amitié et je lui posai la question de la signification de ces jarres retournées que j’observais dans son village. Il me dit que du temps de l’esclavage, il y avait des tribus qui venaient prendre des hommes et des femmes de certains villages pour les vendre aux blancs ; et ces tribus étaient de la même ethnie qu’eux, des éwé (37). Et comme ils se défendaient, ils mettaient en déroute les assaillants et chaque assaillant mort avait sa sépulture recouverte d’une jarre. Et en plus, le village portait à cet effet un nom significatif : « Ahôkpê » signifiait le lieu du combat.
Toujours au Togo, faisons route vers Anécho (38) ; à mi-chemin, nous arrivons dans le petit village de Porto Seguro. Le nom est d’origine portugaise ; mais il se trouve que ma première belle-mère est enterrée dans ce village, dans le cimetière royal ; son nom de jeune fille est Agbodjan ; et Agbodjan (39) est le nom des princes régnants légitimes de ce village qui ont été démis par les Portugais et remplacés par la lignée des Messan dont a fait partie le chef Assiakolé dont je parlerai plus bas. Le village fut rebaptisé en Porto Seguro, port sûr ; car auparavant, il s’appelait Agbodranfô.
C’était un village réfractaire à la traite ; son nom Agbodranfô signifie « le bouc a bloqué avec ses sabots » auquel nom répondait celui des princes régnants « Agbodjan » signifiant le portail est fermé à l’émeri.
Mais ce même village deviendra plus tard un lieu de vente d’esclaves par leur chef de la lignée des Messan, Assiakolé ; jusqu’à ce jour, on peut voir les ruines de la maison Wood, lieu où étaient parqués les esclaves vendus à un trafiquant européen (40).
Poursuivons notre route vers le Bénin ; nous passons la frontière d’Hillacondji ; et avant d’arriver à Grand Popo, nous bifurquons et trouvons sur le petit fleuve Sossoé le village de Dotoénou. Dans ce village se trouvent deux legbas ; ce sont deux généraux fons enterrés jusqu’à la ceinture et recouverts de terre glaise ; ils ont été vaincus quand leurs troupes, composées de guerriers fons, sont venues attaquer des paysans de l’ethnie péda (41) pour les livrer aux marchands d’esclaves ; les fons ont été vaincus et leurs chefs transformés en legbas, statues de terre. Ces chefs s’appelaient Kpessou et Gaou.
Ces faits, je les ai rencontrés sur un espace relativement restreint ; et il est certain que d’autres faits de résistance sont encore dans la mémoire collective qui, en fait, est demeurée dans l’oralité.
Les récits sont nombreux et nous n’allons pas les répéter ; nous renvoyons aux récits. (42)
Là aussi, les récits sont nombreux ; nous renvoyons au livre que nous avons co-écrit avec Lucienne Charles : Résistance épopée de nos peuples publié aux éditions Mon petit éditeur. (43)
Souvent, ces soulèvements s’appelaient des gaoulés.
Il s’agit d’un évènement soigneusement passé sous silence par l’administration coloniale, et des oublis historiques imposés par l’éducation nationale française.
Par la force des choses et devant la réalité de la victoire des Africains réduits en esclaves haïtiens, le monde a vu et sait l’histoire de la grande résistance du peuple haïtien qui a abouti à l’indépendance de leur pays.
Nous n’allons pas développer ce que tout le monde connaît, quoique cela fasse partie d’une partie de l’histoire de France et d’Haïti soigneusement occultée par les gouvernements français depuis Napoléon.
Mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir accès aux annales de la société d’histoire d’Haïti (44) ; vous y trouverez que le 25 décembre 1805, Dessalines a envoyé deux bateaux avec des marins haïtiens ; leur destination : la Martinique et la Guadeloupe ; ils avaient pour mission de tuer les blancs, et de mettre au pouvoir deux rois nègres. Ils ont été trahis par un noir du nom de Labejof ; les navires furent appréhendés ; les nègres jugés, une bonne partie exécutée, d’autres marqués au fer rouge et emprisonnés ; cela se passait sur l’île de Saint-Thomas, appartenant à l’époque au Danemark.
2- L’abolition de l’esclavage
Il y eut deux abolitions ; l’une en 1794 et l’autre en 1802.
Le premier décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises du 4 février 1794 (16 pluviôse an II) a été pris par la Convention nationale.
La Convention nationale est le régime qui va gouverner la France du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1795 après la Révolution française. Ce régime fonde la première République et est élu pour la première fois au suffrage universel masculin afin de donner à la France une nouvelle constitution après la déchéance de Louis XVI lors de la journée du 10 août 1792.
Le décret, à l’acceptation duquel a participé énergiquement Danton, décide l’abolition de l’esclavage des nègres ; mais il n’abolit pas la traite. Il suit et confirme l’initiative des commissaires civils de Saint-Domingue Sonthonax et Polverel et prend valeur de loi générale. Le texte ne prévoit d’indemnisation pour aucune des catégories sociales.
La première abolition de 1794 a été suivie huit ans plus tard le 20 mai 1802, par le décret 1609, qui signe la remise en activité de l’esclavage par Napoléon Bonaparte, premier consul. La Guadeloupe a connu les deux abolitions ; Haïti n’a pas connu la seconde, car elle a pris son indépendance la même année où Napoléon a rétabli l’esclavage.
L’abolition de l’esclavage est très particulière. C’est l’aboutissement des luttes des esclaves, luttes locales, mais aussi la peur des esclavagistes d’une libération totale comme en Haïti.
La seconde abolition fut l’œuvre de la IIe République ; contrairement à la première, elle prévoit l’indemnisation des anciens maîtres.
Donc c’est un peu un leurre ; c’est une manœuvre qui, sous couvert d’humanisme, cache la volonté de la France de ne pas perdre d’autres colonies, après Haïti.
Si l’on réfléchit bien, les grands gagnants de l’abolition sont les anciens maîtres ; en effet, ils reçoivent un dédommagement pour les esclaves qu’ils ont perdus. C’est déjà ne pas considérer ces esclaves comme des êtres humains, mais comme du bétail.
En plus, pour les contraindre à demeurer dans l’habitation, on promulgue la loi sur le vagabondage ; or l’esclave qui n’a pas de revenu et qui se fait arrêter est automatiquement vagabond ; obligé de retourner sir l’habitation, il devient un salarié exploité et la même domination continue. Sa situation est même pire qu’avant, car il est obligé de payer la case qu’il occupait gratuitement, il est obligé de payer son repas et son salaire lui sert juste à régler tout ça.
Donc l’abolition a été une façon de faire perdurer l’exploitation des nègres de façon détournée.
C’est pourquoi, devant la réticence des anciens esclaves à se faire réembaucher par les colons, ces derniers font venir, avec l’aide de l’État français, des immigrés d’Afrique (surtout Congo), de Madère, de l’Inde, et de la Chine.
Le décret du 13 février 1852 (repris par celui du 27 mars) prévoyait une participation financière de l’État ou de la colonie ; il prévoyait que ces contrats seraient suivis à expiration d’un rapatriement ou d’une prime en cas de réengagement au-delà des trois années de travail.
Et cet apport d’Indiens et de chinois aura un impact, moindre par rapport aux africains, sur la culture des antillais.
En ce qui concerne les Chinois, en 1865, une convention entre la Chine d’une part, l’Angleterre et la France d’autre part, régula le recrutement et l’emploi des travailleurs chinois par les puissances européennes.
Leur influence est pratiquement insignifiante, car contrairement aux prévisions, seulement mille Chinois furent embauchés et en 1905, il n’en restait que 37 nés en Chine, et 22 en 1910.
En ce qui concerne les Indiens, le premier convoi arriva en Martinique en 1853 et en Guadeloupe un an plus tard.