Le Voyage d’Urien - André Gide - E-Book

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André Gide

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Beschreibung

Quand l’amère nuit de pensée, d’étude et de théologique extase fut finie, mon âme qui depuis le soir brûlait solitaire et fidèle, sentant enfin venir l’aurore, s’éveilla distraite et lassée. Sans que je m’en fusse aperçu, ma lampe s’était éteinte ; devant l’aube s’était ouverte ma croisée. Je mouillai mon front à la rosée des vitres, et repoussant dans le passé ma rêverie consumée, les yeux dirigés vers l’aurore, je m’aventurai dans le val étroit des métempsychoses.

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André Gide

LE VOYAGE D’URIEN

1893

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782383836728

Dic quibus in terris…

VIRGILE.

PRÉFACEPOUR LA NOUVELLE ÉDITION DUVOYAGE D’URIEN

… Je n’aime pas expliquer un livre ; un livre étant déjà lui-même l’explication d’une pensée ou d’une émotion. Vous n’avez vu dans le mien ni l’une ni l’autre, mais seulement un jeu de style ; – tant pis pour vous, – émotions, idées, elles y étaient ; elles y sont ; je le sais, – puisque je les y ai mises. – Mon émotion ne joue jamais avec le style, par trop grand’peur qu’après le style ne se joue d’elle ; elle a besoin des mots et cherche à se mettre intimement bien avec eux ; il y a même désormais entre eux des affinités réciproques ; l’émotion fluide ne saurait être sans eux contenue, et dans chacun des mots où je la verse, elle reste, et je l’y retrouve. – J’aime les mots enfin comme des confidents dociles : ils ne perdent rien de ce que je leur ai confié. S’ils ne vous ont rien dit de moi-même, c’est que vous n’étiez pas attentifs ; il faut les interroger pour qu’ils parlent ; eux, ils ne demandent qu’à dire.

Cette émotion, donc, parce que je ne l’ai point décrite en elle-même, trop abstraite qu’elle était, ou parce que je ne l’ai point soumise à tels faits qui l’eussent motivée, ainsi que d’autres ont coutume de le faire dans leurs romans, – parce que pour la montrer, je l’ai mise en des paysages, vous n’avez vu là que des descriptions vaniteuses. – Pourtant, il me semble encore juste qu’une émotion que donne un paysage puisse se resservir de lui – comme d’un mot – et s’y reverser tout entière, puisqu’elle en fut à l’origine enveloppée.

Émotion, paysage ne seront plus dès lors liés par rapport de cause à effet, mais bien par cette connexion indéfinissable, où plus de créancier et plus de débiteur, – par cette association du mot et de l’idée ; du corps et de l’âme ; de Dieu et de toute apparence.

*    *    *

… Une émotion naît. Comment ? – peu importe ; il suffit qu’elle soit. L’être chez elle comme chez tous est le besoin même de se manifester. Me comprendrez-vous si je dis que le manifeste vaut l’émotion, intégralement ? Il y a là une sorte d’algèbre esthétique ; émotion et manifeste forment équation ; l’un est l’équivalent de l’autre. Qui dit émotion dira donc paysage ; et qui lit paysage devra donc connaître émotion. (Ou tant pis.)

Une émotion naît… non, elle est. Elle est depuis aussi longtemps que toutes choses qui la manifestent. Sa vie mystique à elle se passe à être consentie par les hommes (au moins par les hommes), – sa vie, dis-je, est le besoin même de se manifester. Elle traversera pour parvenir à nous bien des mondes – et puisque nous la jouons aussi, elle ne s’arrête pas à nous. Issue de Dieu, où irait-elle ? – Sa mort est impossible – donc elle continue. Nous la voyons à travers tous les mondes ; à travers chacun d’eux elle prend une apparence nouvelle, – ici paysage, là geste, plus loin onde, plus loin harmonie, enfin œuvre d’art et poème ; – et partout ailleurs, je suppose, même où nous ne la savourons plus, dans les lois qui régissent les corps, et jusqu’en leur chimisme intime.

Mêmes choses – mêmes choses ; et chaque apparence, chaque geste, chaque manifeste équivaut chaque fois l’émotion intégralement. – Lequel choisirons-nous donc pour la dire ? n’importe, – d’ailleurs, c’est l’émotion qui choisit. Cette fois elle choisit le paysage – pourquoi ? parce que pourquoi ne l’avait-on pas déjà choisi ?

*    *    *

Il n’y a pas d’émotion, si particulière et neuve qu’elle puisse paraître, qui n’ait en la nature tous ses équivalents – la collection complète – un par monde. Mais l’émotion centrale de ce livre n’est point une émotion particulière ; c’est celle même que nous donna le rêve de la vie, depuis la naissance étonnée jusqu’à la mort non convaincue ; et mes marins sans caractères tour à tour deviennent ou l’humanité toute entière, ou se réduisent à moi-même.

Ils ignorent leur destinée et ne gouvernent pas leur navire, mais un désir de volonté les leurre et leur fait prendre pour résolue la route que suivra leur nef hasardeuse. – Devant toutes les voluptés ils se privent, non en vue de récompenses futures qui ne les satisferaient pas, mais en vue d’actions glorieuses où leur force soit éprouvée, de sorte qu’ils la gardent entière. Il se peut qu’ils soient fous – aussi ne dis-je point qu’ils sont sages. – Ce dont ils souffriraient le plus, ce serait de n’avoir pas de lutte où se prendre, de conquêtes à conquérir. Même alors ils ne diraient pas que leur abstinence était vaine, car la force est en eux : ils pourraient conquérir. Peut-être que c’est tenter Dieu, – mais cela repaît leur orgueil…

Tout ce que je pourrais dire encore, Urien le dit ou le raconte. Si nous parlons bien de ces choses, c’est que nous en avons bien souffert – pauvre génération qui voudrait l’héroïsme en un temps qui ne la rassasie pas de beautés ; – en sorte que l’on pourra dire :

Ils demandèrent au roman de remplacer les grands mouvements qu’ils n’avaient point faits ; ils lui demandèrent de satisfaire tant bien que mal le désir vague d’héroïsme que leur imagination gardait et que leur corps ne réalisait point.

Et peut-être qu’on nous donnera tort d’avoir quand même cru la vie de la pensée plus réelle, et de l’avoir à toutes les autres préférée.

PREMIER LIVREVOYAGE SUR L’OCÉAN PATHÉTIQUE

À Henri de Régnier.

PRÉLUDE

Quand l’amère nuit de pensée, d’étude et de théologique extase fut finie, mon âme qui depuis le soir brûlait solitaire et fidèle, sentant enfin venir l’aurore, s’éveilla distraite et lassée. Sans que je m’en fusse aperçu, ma lampe s’était éteinte ; devant l’aube s’était ouverte ma croisée. Je mouillai mon front à la rosée des vitres, et repoussant dans le passé ma rêverie consumée, les yeux dirigés vers l’aurore, je m’aventurai dans le val étroit des métempsychoses.

Aurores ! surprises des mers, lumières orientales, dont le rêve ou le souvenir, la nuit, hantait d’un désir de voyage notre fastidieuse étude, – désirs de brises et de musiques, qui dirait ma joie lorsqu’enfin, après avoir marché longtemps comme en songe dans cette tragique vallée, les hautes roches s’étant ouvertes, une mer azurée s’est montrée.

Sur tes flots ! Sur tes flots, pensai-je voguerons-nous, mer éternelle, vers nos destinées inconnues ? nos âmes excessivement jeunes chercheront-elles leur vaillance ?

Sur la plage, m’attendaient les compagnons de pèlerinage ; je les reconnus tous, bien que ne sachant pas si je les avais vus quelque part. Mais nos vertus étaient pareilles. – Le soleil était déjà haut sur la mer. Ils étaient arrivés dès l’aube et regardaient monter les vagues. Je m’excusai de m’être fait attendre ; eux me pardonnèrent, pensant qu’en chemin m’avaient arrêté encore quelques subtilités dogmatiques et des scrupules, – puis me reprochèrent pourtant de ne m’être pas plus simplement laissé venir. – Comme j’étais le dernier et qu’ils n’en attendaient plus d’autres, nous nous acheminâmes vers la ville au grand port où appareillent les navires. Des clameurs en venaient vers nous sur la plage.