Les Amours mortels - Ligaran - E-Book

Les Amours mortels E-Book

Ligaran

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Extrait : "Georges et ses compagnons de chasse venaient à peine de s'engager dans la forêt, que la comtesse de Ruminghem entra aux Armes de Hanovre. Andrée portait une amazone de drap bleu exactement semblable à celle de la princesse ; une sorte de collet à capuchon, garni de fourrures, couvrait ses épaules et sa tête."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 169

Veröffentlichungsjahr: 2015

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VIIRobert Bilderdyck songe très sérieusement à acheter son moulin

Georges et ses compagnons de chasse venaient à peine de s’engager dans la forêt, que la comtesse de Ruminghem entra aux Armes de Hanovre.

Andrée portait une amazone de drap bleu, exactement semblable à celle de la princesse : une sorte de collet à capuchon, garni de fourrures, couvrait ses épaules et sa tête.

Ce vêtement, coupé sur le modèle des manies de paysannes, était alors très répandu en Allemagne, il remplaçait, l’hiver, le feutre à larges bords, souvent incommode pour la chasse à courre.

Après avoir jeté autour d’elle un regard inquiet, elle posa une main sur son cœur, et alla tomber sur une chaise placée devant la fenêtre, haletante de fatigue et d’émotion.

– C’est bien lui, dit-elle d’une voix altérée ; Philippe, que je n’espérais plus revoir… Mais que vient-il faire ici, car c’est ici qu’il vient.

Andrée disait vrai, le comte de Kœnigsmark arrêtait en ce moment son cheval devant les Armes de Hanovre, et l’attachait sous l’auvent de chaume de la porte de la cour. Dietrich, qui venait aussi de la reconnaître de loin, s’avançait à sa rencontre. Philippe avait quitté son uniforme, pour prendre un costume de cavalier d’une extrême simplicité. Dietrich entra avec lui dans la salle basse.

– Le prince Georges ? demanda Philippe d’une voix brève.

– Il part à l’instant, monsieur le comte.

– Ah ! dit Philippe visiblement contrarié ? et de quel côté s’est-il dirigé ?

– Vers les Étangs.

– Doit-il revenir ici ?

– Dans deux heures.

– Merci, je tenterai alors de le rejoindre dans la forêt.

– Monsieur le comte n’a pas d’autres renseignements à me demander.

– Non, dit Philippe en s’agenouillant pour serrer la boucle d’un de ses porte-éperons.

Andrée, qui jusqu’alors s’était tenue à l’écart, s’approcha de lui, et, après avoir congédié Dietrich du geste, elle posa sa jolie main sur l’épaule du comte.

– Andrée ! s’écria Philippe.

– Il faut donc que le hasard nous réunisse dans une chambre d’auberge, pour que je puisse vous voir et vous parler, Philippe ! dit-elle d’une voix plaintive et douce.

Le comte se releva lentement, le regard fixé vers la terre.

– Je vous ai sauvé la vie à Debreczin, j’ai épargné la honte d’un scandale à celle que vous aimez. Vous donneriez votre sang, à l’ami qui aurait fait cela pour vous, Philippe : est-ce parce que je suis une femme, que vous vous croyez tenu d’être ingrat ?

– Demandez-moi mon sang, Andrée, je vous le donnerai si cela peut m’acquitter envers vous.

– Oui, dit Andrée, ce mot-là répond à tout : le joueur qui a perdu s’acquitte avec de l’or, le général qui récompense le soldat, le roi qui fait une pension à la veuve du serviteur tué en combattant s’acquittent. La reconnaissance n’a plus rien à faire là où ce mot est écrit. Est-ce avec son sang qu’une mère s’acquitterait envers l’enfant qu’elle aurait chassé, et qui viendrait vers elle en lui tendant ses petits bras ? Mais ce que vous m’offrez, Arnheitter le fera demain pour vous ; il vous doit la vie, il s’acquittera. Je vous ai donné, moi, plus que mon sang, Philippe, je vous ai donné ma réputation, ma vie ! mon amour !

– Je n’ai rien oublié, Andrée, dit Philippe avec émotion, et c’est pour cela que je n’ai pas voulu que mon cœur mentît à ma conscience. Que pouvez-vous attendre de moi, après ce que vous avez entendu ?

– Plus rien maintenant, car cette dernière parole est un arrêt pour moi : si vous m’aviez aimée, vous n’auriez pas désespéré de votre pardon ; vous auriez été aussi repentant que j’avais été indulgente. Allez, ce n’est pas votre cœur qui vous conduit maintenant, c’est votre indomptable fierté. J’ai brisé le piège dans lequel vous étiez tombés tous deux, et vous ne me le pardonnez pas, parce que, dans votre amour égoïste, désespéré, vous trouviez une suprême joie à être réunis par la mort ou le déshonneur ; parce que madame de Zell sait maintenant que j’ai été votre maîtresse, et que ces tardifs souvenirs de jeunesse et de bonheur vous les aviez reniés à mes pieds.

– Je courbe la tête et m’humilie devant une douleur légitime dont je m’accuse et me repens. Ne soyez plus jalouse du passé, Andrée, pardonnez-moi comme on pardonne à ceux qui vont chercher le calme et l’oubli dans les murs d’un cloître. Je suis mort pour – ce monde, je vous le jure.

– Oui, dit Andrée avec force, parce que celle que vous aimez est la femme d’un autre ; parce qu’un abîme vous sépare, et que, ne pouvant être à elle, vous voulez me sacrifier à cette passion égoïste. Non, vous n’êtes pas mort pour le monde, Philippe, car les portes d’un cloître ne se sont pas refermées sur elle ou sur vous, et le prince Georges peut mourir ! Non, vous n’êtes pas mort pour le monde, car je suis votre femme devant Dieu ! car je vous ai donné tout ce qu’une créature humaine pouvait donner de dévouement et d’amour. Et vous avez pu croire que j’accepterais comme une consolation cet éternel adieu que vous jetez à l’une et à l’autre ? que ma jalousie serait muette en face d’un semblant de sacrifice ? que moi, qui suis libre, qui n’ai pas voulu cacher un amour dont j’étais frère, que moi, votre maîtresse enfin, j’accepterais un tel marché ? Pourquoi donc, si elle vous aimait tant, a-t-elle mieux aimé devenir princesse de Hanovre que religieuse ?

– Elle a voulu mourir ! répondit le comte dont le regard s’anima à ce souvenir d’une flamme éphémère.

Un soupir douloureux souleva la poitrine de la comtesse, qui couvrit son visage de ses deux mains pour cacher les larmes qui mouillaient ses paupières.

– Pourquoi ne suis-je pas morte, moi, dans la tranchée de Debreczin ! dit-elle d’une voix sourde.

– Pauvre chère âme ! murmura Philippe ému en lui prenant la main. Andrée, que voulez-vous que je vous dise pour vous convaincre et vous consoler ? je souffre autant que vous, croyez-moi, de cette séparation ; et il me faut rappeler à mon aide toute mon énergie, toute ma volonté pour suivre la route que je me suis tracée.

– Non ! s’écria Andrée avec exaltation ; tout cela est un rêve ! Il est impossible que vous ne m’aimiez plus, Philippe ; si belle et si séduisante qu’elle soit, elle ne peut avoir détruit en quelques minutes le souvenir de notre bonheur. Ses paroles vous ont enivré comme le parfum de ces fleurs qui font perdre la mémoire ; mais ce rêve se dissipera, et vos bras s’ouvriront à celle qui n’a pas cessé de vous aimer, d’être digne de vous. Si une parole amère, si un reproche se sont échappés de mes lèvres, pardonnez-les-moi ; le temps, qui efface certaines douleurs, rend les autres plus poignantes : si je vous avais vu plutôt, si ma fierté n’avait pas arrêté l’élan de mon cœur, tout serait oublié déjà. Pardon et bonheur sont dans ce seul mot : Philippe, je vous aime !

Philippe dénoua lentement les deux bras que la jeune femme venait d’enlacer autour de son cou.

– Non, fit-il avec une sombre douleur ; Brauwer s’est trompé ; elle, la maîtresse du prince ! C’est impossible !

– Philippe ! mon bien-aimé Philippe ! répondez-moi, reprit Andrée d’une voix suppliante.

– Andrée ! je ne puis vous entendre ; vous êtes un ange de bonté et de pardon, et je suis le maudit qui doute et désespère. Demandez à Dieu qu’il m’accordé l’oubli ; qu’il éclaire mon âme d’un rayon de sa clémence. Quelque part que ma destinée m’emporte, Andrée, votre souvenir planera toujours sur ma pensée, comme ces phares lumineux, étoiles terrestres qui guident le marin perdu dans la nuit. Adieu ! soyez bénie ! soyez heureuse.

Et après avoir appuyé ses lèvres sur le front glacé de la pauvre enfant, il s’élança sur son cheval et s’éloigna au galop.

– Perdu ! perdu pour jamais ! s’écria Andrée avec désespoir en se voilant le visage de ses deux mains.

Le nouveau propriétaire des Armes de Hanovre, le capitaine Robert Bilderdyck, entra la tête basse, les mains croisées sur le dos, et comme absorbé dans une profonde méditation.

– J’ai trop bonne opinion de l’intelligence de Georges, dit-il en parlant à sa propre personne, pour croire qu’il ait été dupe de mon prodigieux tour de force : non, il sait aussi bien que moi que ce pauvre sanglier a été victime d’un déplorable accident !

– Cette faveur marquée qu’il m’accorde ne laisse pas que de me préoccuper beaucoup. Ce n’est pas un esprit vulgaire que ce Georges ; tout autre que lui aurait eu l’idée de me faire reprendre ! il a préféré me rouler dans le sucre comme une dragée, pour mieux me croquer à l’occasion.

Je ne sais, mais il me semble que le vin aura ici un goût d’arsenic très prononcé, et que les fusils accrochés aux râteliers partiront tout seuls.

Capitaine Bilderdyck, l’instant est venu pour toi de faire flèche du bois que tu sais : la lettre que tu possèdes vaut dix mille ducats pour le moins.

Ami Robert, il faut de suite négocier cette affaire pour retourner dans ta belle patrie.

Quand on a beaucoup travaillé dans sa jeunesse, on trouve plus tôt sa récompense dans le repos, que l’on goûte dans sa maturité !

Madame de Zell est ici, Dietrich me l’a assuré ; la question maintenant est de trouver l’occasion tant…

Le capitaine n’acheva pas, il venait d’apercevoir la comtesse qui, assise devant une table et la tête couchée sur ses deux bras, semblait comme perdue dans une contemplation étrange.

Nous avons dit que madame de Ruminghem portait une amazone en tout semblable à celle de la princesse.

Or Bilderdyck, qui du haut de son arbre n’avait vu passer que madame de Zell, crut reconnaître aussitôt la nuance et les ornements de cette amazone.

Pour mieux cacher ses larmes, Andrée avait ramené sur son visage le petit capuchon de son mantelet : dans la position qu’elle occupait, il était impossible au capitaine de distinguer ses traits.

– Eh ! parbleu, c’est elle ! c’est elle ! fit-il en se frottant les mains ; ô hasard ! voilà de tes… Hasard ! abordons nettement la question, les discours les plus courts sont toujours les meilleurs.

Et, s’approchant doucement de celle qu’il prenait pour Sophie de Brunswick :

– Que Votre Altesse me fasse la grâce de ne pas bouger, de ne pas chercher à connaître mon visage, dit-il à mi-voix, et je pourrai lui apprendre alors en une seule phrase un secret d’où dépend son honneur, sa vie, peut-être ?

Andrée avait reconnu au premier mot la voix de son ancien agent.

– Parlez vite, dit-elle d’une voix si basse que Bilderdyck n’entendit qu’un simple murmure qu’il accepta comme un acquiescement.

– Eh bien ! fit-il, la lettre que vous avez envoyée par Bernard à M. de Kœnigsmark ne lui est pas parvenue ; elle a été interceptée par un des agents du prince Georges. Cette lettre, dont le comte n’a reçu que la copie ; cette lettre que votre mari a été assez maladroit pour marchander, je vous la vends dix mille ducats : donnant, donnant.

Andrée ôta l’agrafe de diamants et de perles fines qui fermait sa mante, et la tendit silencieusement au capitaine. Bilderdyck se connaissait assez en orfèvrerie. L’agrafe valait vingt mille ducats ; il l’estima seize mille : L’affaire était magnifique.

– Donnant, donnant, dit-il en glissant la lettre à la place du joyau.

Andrée poussa un cri de triomphe lorsqu’elle eut jeté les yeux sur la lettre.

– Merci, capitaine, s’écria-t-elle avec force, merci ; mais ceci n’est qu’un acompte, croyez le bien.

– Madame de Ruminghem ! s’exclama Bilderdyck, suffoqué par la surprise et l’émotion du gain.

– Remerciez votre étoile, elle vous fait riche en une heure, quand elle devait vous tuer comme un maladroit que vous êtes, si madame de Brunswick…

– Qui parle ici de la princesse de Hanovre ? dit Sophie en apparaissant sur le seuil de la porte.

– Elle !… murmura Andrée dont le visage se couvrit aussitôt d’un voile de pâleur. Moi aussi j’ai un secret à te confier, Sophie de Zell, et je te le ferai payer cher ; au prix de toutes les larmes que tu m’as fait verser ; au prix de mon amour, de mon bonheur que tu as brisés sous tes pieds.

Et elle s’avança vers sa rivale, le sourire sur les lèvres, la haine dans le cœur.

Bilderdyck avait disparu comme un sylphe d’opéra, pour aller présider le repas des chiens de Son Altesse.

VIIILes deux rivales

Dominant aussitôt son émotion, Andrée continua à s’avancer avec un respectueux empressement vers madame de Zell.

– Cet homme, dit-elle en montrant la porte par laquelle Bilderdyck venait de sortir, m’apprenait à l’instant que Votre Altesse était restée au rendez-vous de chasse, et je comptais m’y rendre pour vous donner quelques explications…

– Des explications, interrompit Sophie avec hauteur ; à quel sujet, je vous prie, madame ?

Andrée attira un fauteuil près de la table.

– Que Votre Altesse daigne m’écouter, dit-elle en le lui offrant.

– Parlez, madame, dit la princesse après qu’elle se fut assise.

– Mon Dieu ! donnez-moi la patience et l’humilité, murmura Andrée en s’approchant avec hésitation de sa rivale. Ma présence chez Karl Brauwer, ma brusque apparition ont dû vous paraître, si étranges, que je crois devoir me justifier à vos yeux d’une indiscrétion coupable.

– L’étiquette n’a pas encore pénétré, que je sache, dans l’atelier de Karl Brauwer, reprit Sophie d’un ton glacial. Vous ignoriez, je n’en doute pas, ma présence chez ce jeune artiste, mon maître de peinture ; et comme il n’y avait pas là de valets pour vous annoncer, vous êtes entrée seule… rien n’était plus simple… le hasard est seul coupable.

– Non, reprit doucement Andrée, le hasard n’était pour rien dans cette rencontre ; car je ne venais pas là pour Karl Brauwer.

– Ah ! et pour qui donc alors ? demanda Sophie.

– Pour M. de Kœnigsmark, que je savais y rencontrer.

– Ah ! Était-ce encore pour lui remettre une dépêche du prince Georges, comme celle que vous êtes allée lui porter au camp de Debreczin ? reprit Sophie avec un sourire si froidement railleur, que madame de Ruminghem ne put se contenir davantage.

– C’était, dit-elle, pour qu’il ne fût pas tué là comme Bernard l’a été sur la route d’Halberstadt.

– Prenez garde, madame, le ton de vos paroles devient menaçant, dit la princesse. Que m’importe que vous soyez venue pour M. de Kœnigsmark ou pour le peintre Brauwer ? je ne vous demande pas vos secrets !

– Vous n’avez que faire aussi, n’est-ce pas, de l’existence d’un homme que le dévouement égare ! du repos, du bonheur d’une femme que vous regardez avec dédain du haut de votre conscience sans reproche, de votre vertu sans tache !

– Vous dites vrai, madame, pour ce qui touche cette femme, du moins ; ma conscience et mon intolérante vertu ne m’inspirent que du mépris pour celle qui, maîtresse aujourd’hui de M. de Kœnigsmark, sera demain la favorite du prince.

– Je suis la maîtresse de M. de Kœnigsmark, dit Andrée avec une exaltation fiévreuse ; je l’aime de toutes les forces de mon cœur et de mon âme ; de cet amour qui vous met au-dessus du mépris du monde ! de cet amour qui, s’il ne commande pas le respect ; gagne peu à peu la compassion et la sympathie des âmes généreuses. Le bonheur me fait assez riche, croyez-moi, pour n’avoir pas besoin de prendre le mari d’une autre. Vous savez bien, madame, qu’il faudrait être aveugle ou insensée pour tomber aussi bas en vivant aussi haut. Oui, je suis la maîtresse de Philippe de Kœnigsmark, et je suis frère d’un titre que vous laissez tomber sur moi comme une honte. Que seriez-vous donc maintenant, madame, aux yeux du monde, si je n’étais venue me jeter entre vous et le déshonneur !

– Madame ! s’écria Sophie frémissante de colère, vous m’insultez quand vous savez que l’amitié et le dévouement étaient mon seul mobile.

– Je ne sais qu’une chose, c’est que vous êtes notre mauvais génie ; c’est que si j’hésite à vous sacrifier, si je n’arrache pas Philippe à vos séductions perfides, Philippe mourra assassiné par Georges de Hanovre, votre mari !

– Vous m’outragez à présent en vous outrageant vous-même, dit Sophie après un silence. Pauvre femme que vous êtes, la passion et la colère vous font oublier jusqu’au respect de votre rang, de votre nom.

– Je vous remercie de m’en faire souvenir, répondit Andrée avec dignité ; la comtesse de Ruminghem se souviendra qu’elle doit être comtesse de Kœnigsmark.

– Eh bien ! tentez de le devenir, madame, et votre jeune frère n’aura plus de motif alors pour rester éloigné de la cour.

– Dieu m’est témoin que je suis venue vers vous en m’humiliant, que je ne cherchais pas à faire saigner la blessure de votre âme. Vous avez été sans pitié pour moi, vous m’avez traitée comme une courtisane. Prenez garde, Sophie de Brunswick, ces femmes-là, ne reculent devant aucun scandale, devant aucune violence, quand il s’agit pour elles de défendre leur amour. Prenez garde ! madame de Stolberg est morte à l’abbaye d’Heidelsheim pour avoir écrit quatre lignes à M. de Wallenstein, son amant. Que Dieu vous éclaire et vous inspire !

– Qu’il vous pardonne vos fautes comme je vous pardonne, dit Sophie en se levant pour la congédier.

La comtesse inclina légèrement la tête devant elle, et sortit rapidement sans ajouter un seul mot. Bilderdyck, qui tenait son cheval au bas du perron, l’aida à se mettre en selle.

– À demain ! capitaine, dit-elle avec autorité. Vous savez que je ne marchande pas vos services…

– À demain ! répéta Robert Bilderdyck ; et comptez sur mon inaltérable…

La comtesse lança son cheval au galop avant qu’il eût achevé sa protestation de dévouement.

– Bast ! fit-il, elle n’a que faire de ma prose ! celle de madame de Brunswick lui suffit ! Eh bien ! nom d’une pivoine ! je suis ravi de m’être débarrassé de cette diable de lettre ; la tache de mon sang me portait malheur.

IXPrince d’Halmstadt !

Ces paroles de madame de Ruminghem : « Madame de Stolberg est morte à l’abbaye d’Heidelsheim » avaient frappé Sophie de Zell au cœur.

Était-ce un avertissement ou une menace ?

Pour la première fois depuis son entrevue avec le comte, Sophie songea qu’elle ne lui avait jamais réclamé sa lettre ; que cette lettre pouvait lui être volée, et qu’alors le dévouement d’Andrée cachait un piège, et devenait une accusation contre elle.

Cette crainte, que les adieux menaçants de la comtesse changeaient presque en certitude, jeta la terreur et l’épouvante dans l’âme de Sophie. Elle comprit quelle faute elle venait de commettre en accablant Andrée de son mépris, en lui inspirant un légitime désir de vengeance.

Un évènement douloureux allait bientôt effacer cette impression.

En se rendant auprès du prince Georges, M. de Kœnigsmark rencontra Karl Brauwer sur sa route.

Karl revenait de Lunebourg à franc étrier, car le vieux duc de Zell était au plus mal, et il voulait embrasser une dernière fois sa fille avant de mourir.

Esclave des volontés de son mari, Sophie avait résisté une fois déjà à l’appel de son père ; mais à cette heure suprême, elle ne pouvait hésiter un instant à braver la défense de Georges.

Karl supplia le comte de l’accompagner pour la décider, au cas où elle viendrait à manquer de courage et de résolution.

La présence d’une fille au lit de mort de son père était un devoir trop sacré pour que Philippe n’acceptât pas aussitôt.

Les deux cavaliers ne s’attendaient pas à rencontrer la princesse aux Armes de Hanovre.

Philippe, qui lui apprit la triste nouvelle, ne chercha pas à affaiblir, par des ménagements inutiles, la situation réelle du duc.