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Edition Intégrale de Trois Tomes 1859
"J’ai trouvé, dans une Encyclopédie chinoise, les Contes et Apologues indiens que j’offre aujourd’hui au public. Cette découverte inattendue, amenée tout à coup par de savantes questions de mon honorable ami, M. Antoine Schiefner (membre de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg), témoigne hautement des richesses de la littérature chinoise, trop négligée aujourd’hui.
Parmi les douze sections des livres bouddhiques, il en est une appelée Pi-yu, « Comparaisons ou Similitudes, » en sanscrit Avadânas. De plus, tous les morceaux qu’on va lire sont tirés, soit de Recueils indiens, qui portent précisément le même nom, soit d’ouvrages bouddhiques, composés en sanscrit, où ils figurent au même titre. C’est pour ce double motif, que je me suis cru autorisé à écrire le mot Avadânas en tête de ma traduction, quoiqu’elle ait été rédigée sur un texte chinois."
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Veröffentlichungsjahr: 2020
LES AVADÂNAS
CONTES ET APOLOGUES INDIENS
inconnus jusqu’à ce jour
suivis
DE FABLES, DE POÉSIES ET DE NOUVELLES CHINOISES
traduits
par m. stanislas julien
TROIS TOMES
First Published in 1859
© 2020 Librorium Editions
Titre
Les Avadânas, contes et apologues indiens inconnus jusqu’à ce jour, suivis de fables, de poésies et de nouvelles chinoises
Préface
I. Le Roi et le grand tambour
II. Le Laboureur qui a perdu son fils
III. Le Brâhmane converti
IV. Le Hibou et le Perroquet
V. Les Corbeaux et les Hiboux
VI. Le Religieux, la Colombe, le Corbeau, le Serpent venimeux et le Cerf
VII. Le Perroquet devenu Roi
VIII. Les Aveugles et l’Éléphant du Roi
IX. Le Roi qui envoie acheter le malheur
X. Le Roi et les Chevaux habitués à tourner la meule
XI. Le Laboureur et le Trésor
XII. Les quatre frères Brâhmanes et la Fatalité
XIII. Le Laboureur et le Perroquet
XIV. La Tortue et les deux Oies
XV. Le Bouddha et le Dompteur d’éléphants
XVI. Le Brâhmane et la Religieuse
XVII. Le Kchattriya ses deux Héritiers
XVIII. Le Sage et le Fou
XIX. Le Chacal et la Cruche de bois
XX. L’Homme et les Serpents venimeux
XXI. Le Lion et le Sanglier
XXII. Le Champ de riz et ses gardiens
XXIII. Le Chacal prudent
XXIV. Le Cotonnier et le Figuier de l’Inde
XXV. La Promesse vaine et le vain son
XXVI. Le Lion, le Tigre et le Chacal
XXVII. Le Roi et l’Éléphant
XXVIII. Le Marchand ruiné dans un naufrage
XXIX. Le Villageois et la Conque marine
XXX. Le Religieux et le Démon
XXXI. Le Marchand et son bâton
XXXII. Les Dangers et les misères de la vie
XXXIII. La Servante et le Bélier
XXXIV. Les Grains et les Épis
XXXV. Le Religieux et la Tortue
XXXVI. L’Homme et le Mortier mêlé de riz
XXXVII. Le Maître de maison et l’acheteur de Mangues
XXXVIII. Le Campagnard et le Sel
XXXIX. Le Fou et les fils de coton
XL. La Tête et la Queue du serpent
XLI. Les Oiseaux et l’Oiseleur
XLII. Le Marchand et le Mirage
XLIII. L’Idiot et sa Femme
XLIV. L’Homme blessé par une flèche empoisonnée
XLV. L’Homme et l’Arbre fruitier
XLVI. Le Fou et l’Ombre de l’or
XLVII. Le Courtisan maladroit
XLVIII. Le Vieillard pauvre et la Hache précieuse
XLIX. La Mère qui veut sacrifier son fils unique
L. Le Chien et l’Os
LI. Le Créancier et son Débiteur
LII. Le Chef des marchands et le Serpent venimeux
LIII. L’Homme exposé à toutes sortes de dangers
LIV. Les Singes et la Montagne d’écume
LV. Le Bouvier et ses deux cents bœufs
LVI. L’Enfant et la Tortue
LVII. De ceux qui ne connaissent pas la vraie nature des choses
LVIII. Le Richi, victime de sa vue divine
LIX. L’Homme aveuglé par le désir de la vengeance
LX. Le Fils du maître de maison qui fait le pilote
LXI. Le Pauvre et les rognures de vils métaux
LXII. Le Brâhmane qui veut éclairer le monde
LXIII. Le Chacal qui veut imiter le lion
LXIV. Le jeune Brâhmane qui s’est sali le doigt
LXV. L’Aveugle et la couleur du lait
LXVI. L’Homme et la moitié du gâteau
LXVII. L’Homme stupide et les grains rôtis
LXVIII. L’Homme qui a trouvé un remède pour guérir les plaies
LXIX. L’Homme qui a perdu une écuelle d’argent
LXX. L’Homme qui a besoin de feu et d’eau froide
LXXI. Le Marchand d’or et le Marchand de soie brochée
LXXII. Les deux planteurs de cannes à sucre
LXXIII. Le Singe et sa poignée de pois
LXXIV. La Dispute des deux démons
LXXV. La Femme et le Renard
LXXVI. Le Chasseur et l’Oie prisonnière
LXXVII. La Perdrix, l’Éléphant et le Singe
LXXVIII. Le Lion et le Vautour
LXXIX. Le Roi et l’Éléphant
LXXX. Le Cerf qui sauve les animaux du naufrage
LXXXI. L’Homme et la Perle
LXXXII. Le Papier parfumé et la Corde infecte
LXXXIII. L’Homme stupide et le Pavillon à trois étages
LXXXIV. L’Homme qui réduit un char en charbon
LXXXV. Le Bouddha et les Œufs d’oiseau
LXXXVI. L’Homme riche et les Vraies perles
LXXXVII. Le Ministre et le Mouton sans graisse
LXXXVIII. Le Voyageur altéré et l’Eau courante
LXXXIX. L’Homme et les six animaux
XC. Le Lion, le Tigre et le Léopard
XCI. L’Âne couvert de la peau d’un lion
XCII. Le Brâhmane et le Mulet rétif
XCIII. L’Âne et les Bœufs
XCIV. Le Mari entre ses deux femmes
XCV. Le Roi et l’Éléphant
XCVI. Le Maître de maison et le Flatteur maladroit
XCVII. Le Comédien déguisé en démon
XCVIII. Le Brâhmane et sa vache laitière
XCIX. La Caille et le Faucon
C. Le Brâhmane et le Feu sacré
CI. Le Danger des richesses
CII. L’Homme et le Rat doré
CIII. Le Roi et l’Homme calomnié
CIV. Le Marchand et la Peau de chameau
CV. L’Oiseau à deux têtes
CVI. L’Homme et le Voleur
CVII. L’Éléphant qui était tombé dans un bourbier
CVIII. L’Étudiant pauvre et les Pierres précieuses
CIX Le Feu et le Bois sec
CX. Les Choses impossibles et les Reliques du Bouddha
CXI. Le Portrait du corps suivant les Bouddhistes
CXII. L’Homme d’un caractère rare
FABLES ET CONTES CHINOIS
CXIII. Le Médecin, la Courtisane et le Voleur
CXIV. Le Rat et la Guêpe
CXV. L’Aveugle et les Odeurs
CXVI. Le Maître d’école et son disciple
CXVII. Le Médecin célèbre
CXVIII. Le Mari qui fait épiler sa barbe
CXIX. Le Lettré et la Tortue
CXX. Le Crabe et la Grenouille verte
CXXI. Le Nouveau dieu du tonnerre
CXXII. Le Vieux Tigre et le Singe
CXXIII. Le Chat et le Rat
CXXIV. Le Rat et le Chat
CXXV. Le Chat et les Souris
CXXVI. Le Phénix et la Chauve-Souris
POÉSIES CHINOISES
Romance. La Fille soldat
Ballade. La Religieuse qui pense au monde
Élégie. Les Regrets d’un époux
Élégie. Le Village de Kiang
Légende. La Visite du Dieu du foyer
NOUVELLES CHINOISES
La Mort de Tong-tcho (Avertissement)
La Mort de Tong-tcho
Hing-lo-tou ou la peinture mystérieuse
Tsé-hiong-hiong-ti ou les deux frères de sexe différent
DU TRADUCTEUR.
J’ai trouvé, dans une Encyclopédie chinoise, les Contes et Apologues indiens que j’offre aujourd’hui au public. Cette découverte inattendue, amenée tout à coup par de savantes questions de mon honorable ami, M. Antoine Schiefner (membre de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg), témoigne hautement des richesses de la littérature chinoise, trop négligée aujourd’hui.
Parmi les douze sections des livres bouddhiques, il en est une appelée Pi-yu, « Comparaisons ou Similitudes, » en sanscrit Avadânas. De plus, tous les morceaux qu’on va lire sont tirés, soit de Recueils indiens, qui portent précisément le même nom, soit d’ouvrages bouddhiques, composés en sanscrit, où ils figurent au même titre. C’est pour ce double motif, que je me suis cru autorisé à écrire le mot Avadânas en tête de ma traduction, quoiqu’elle ait été rédigée sur un texte chinois.
L’ouvrage où j’ai puisé ces fables, allégories et historiettes indiennes, est intitulé Yu-lin, ou la Forêt des Comparaisons.
Suivant le grand catalogue de la bibliothèque impériale de Pé-king[1], « il a été composé par Youen-thaï surnommé Jouhien, qui obtint, en 1565, le grade de docteur, et parvint plus tard au rang de président du ministère de la justice. Il recueillit, dans les livres anciens, tous les passages et les morceaux qui renfermaient des Comparaisons, et en forma un Recueil en vingt-quatre volumes, qu’il divisa en vingt classes ; puis, il subdivisa ces vingt classes en cinq cent quatre-vingts sections, commençant chacune par un axiome de deux mots qui en indique le sujet. L’auteur n’acheva cet ouvrage qu’après vingt ans d’un travail assidu. Il lut et dépouilla environ quatre cents ouvrages. Il a eu constamment le soin de citer, à la fin de chaque extrait, le titre de l’ouvrage d’où il l’a tiré, et en a souvent indiqué le sujet et la section. »
Après ces détails empruntés au grand catalogue de l’empereur Khien-long, je dois ajouter qu’à la suite des livres purement chinois, la table des matières donne les titres de deux cents ouvrages traduits du sanscrit, ou rédigés, d’après des textes indiens, par des religieux bouddhistes.
Dans le nombre de ces deux cents ouvrages, il s’en trouve onze d’où sont tirées la plupart des fables, allégories et historiettes bouddhiques que nous avons traduites.
En voici les titres :
1. Fo-choue-fan-mo-yu-king, le livre des Comparaisons relatives aux brâhmanes et aux démons, expliqué par le Bouddha.
2. Fo-choue-tsien-yu-king, le livre des Comparaisons tirées de la flèche, expliqué par le Bouddha.
3. Fo-choue-kiun-nieou-pi-king, le livre des Comparaisons tirées des bœufs, expliqué par le Bouddha.
4. Fo-choue-pi-yu-king, le livre des Comparaisons, expliqué par le Bouddha.
5. Fo-choue-i-yu-king, le livre des Comparaisons tirées de la médecine, expliqué par le Bouddha.
6. Tsa-pi-yu-king, le livre de mélanges de Comparaisons.
7. Khieou-tsa-yu-pi-king, l’ancien livre de mélanges de Comparaisons.
8. Pe-yu-king, le livre des cent Comparaisons.
9. Tchong-king-siouen-tsi-pi-yu-king, le livre des Comparaisons rédigées d’après les livres sacrés.
10. ’O-yu-wang-pi-king, le livre des Comparaisons du roi Açôka.
11. Fa-kiu-pi-yu-king, le livre des Comparaisons tirées des livres bouddhiques.
Ces onze ouvrages et les cent quatre-vingt-neuf autres, sont conservés dans la grande collection des livres bouddhiques, qui a été imprimée à Péking, en chinois, en mandchou, en mongol et en thibétain. Nos apologues sont d’autant plus précieux qu’il serait peut-être impossible de retrouver aujourd’hui, dans l’Inde, la plupart des originaux sanscrits sur lesquels ils ont été traduits.
L’éminent indianiste, M. Théodore Benfey, dont l’enseignement relevé et les savants travaux font le plus grand honneur à l’Université de Goettingue, publie actuellement une traduction allemande du Recueil de fables appelé le Pantchatantra, et se propose de donner ensuite une multitude de compositions du même genre, empruntées soit à des textes sanscrits inédits, soit aux récits légendaires des peuplades mongoles qui suivent encore la religion bouddhique[2].
Il y a quelques mois, j’ai eu l’honneur de communiquer à M. Th. Benfey une dizaine des fables que j’ai traduites. Ce savant orientaliste les a accueillies avec un intérêt extrême, et il avait l’intention de les incorporer (einverleiben) dans sa prochaine publication. J’aime à penser que le présent volume, qui précédera peut-être la seconde partie de son grand ouvrage, lui fournira l’occasion de faire des rapprochements littéraires d’une haute valeur, et probablement de remonter, par de profondes recherches, à l’origine même de la plupart des morceaux que j’ai traduits, lesquels, à l’exception de trois ou quatre, ne se trouvent point dans les recueils de contes et d’apologues indiens imprimés jusqu’à ce jour en diverses langues.
Malgré les prédictions flatteuses d’indianistes éminents et de littérateurs d’une grande autorité, que j’ai eu l’honneur de consulter, pour recueillir leurs opinions diverses et profiter de leurs conseils éclairés, j’ignore quel sera le sort de cette publication neuve et inattendue, qui fait revivre et remplace dans une certaine mesure, des originaux sanscrits, malheureusement perdus pour toujours. Si elle recevait un favorable accueil, je me sentirais encouragé à donner plus tard un second volume de Contes et d’Apologues indiens tirés d’une Encyclopédie purement bouddhique, intitulée Fa-youen-tchou-lin (La Forêt des perles du Jardin de la loi), et peut-être aussi, par la suite, un volume de Fables chinoises, dont personne jusqu’ici n’avait connu ni soupçonné l’existence dans la littérature du céleste empire.
On trouvera, à la fin de ce volume, plusieurs pièces d’un caractère original qui pourront donner, par avance, quelque idée du goût et du genre d’esprit qui règnent dans les fables purement chinoises[3]. J’y ai ajouté une légende pleine d’intérêt, des poésies et des nouvelles chinoises.
Ces traductions, qui sont pour moi un délassement des travaux difficiles et pénibles qui m’ont occupé depuis plusieurs années, ne retarderaient pas d’une manière sensible la continuation des Voyages des Pèlerins bouddhistes, dont le troisième volume, qui termine les Mémoires de Hiouen-thsang sur l’Inde, a paru le 20 novembre 1858.
Stanislas Julien.
↑
Sse-kou-thsiouen-chou-tsong-mo-ti-yao
, livre CXXXVI, fol. 6.
↑
Voici le titre du grand ouvrage de M. Benfey :
Pantschatantra :
Fünf Bücher indischer Fabeln, Maerchen und Erzaehlungen. Aus dem Sanskrit übersetzt, mit Anmerkungen und Einleitung von Theodor Benfey.
Erster Theil :
Einleitung über das indische Grundwerk und dessen Ausflüsse, so wie über die Quellen und Verbreitung des Inhalts derselben. —
Zweiter-Theil :
Uebersetzungen und Anmerkungen.
↑
Ces fables sont tirées d’un Recueil in-18 en 4 volumes, intitulé
Siao-lin-kouang-ki
« La forêt des contes pour rire. »
Ile roi et le grand tambour.
(De la réputation.)
Un roi dit un jour : « Je veux faire fabriquer un grand tambour dont les sons puissent ébranler les airs au point de s’entendre jusqu’à la distance de cent li (dix lieues). Y a-t-il quelqu’un qui puisse le fabriquer ?
— Nous ne pourrions le fabriquer, » répondirent tous ses ministres.
En ce moment, arriva un grand officier appelé Kandou, qui était dévoué au souverain et aimait à secourir le peuple du royaume. Il s’avança et dit :
« Votre humble sujet peut faire ce tambour, mais il en coûtera de grandes dépenses.
— À merveille ! » s’écria le roi. Et aussitôt il ouvrit son trésor et lui donna toutes les richesses qu’il contenait. Kandou fit transporter à la porte du palais tous ces objets précieux, puis il publia en tous lieux cette proclamation :
« Aujourd’hui, le roi, dont la bonté égale celle des dieux, répand ses bienfaits ; il veut déployer toute son affection pour le peuple, et secourir ceux de ses sujets qui sont pauvres et indigents. Que tous les malheureux accourent à la porte du palais. »
Bientôt, de tous les coins du royaume, les indigents arrivèrent en foule avec un sac sur le dos, en se soutenant les uns les autres. Sur leur passage, ils remplissaient les villes et encombraient les grandes routes. Au bout d’un an, le roi rendit un décret où il disait :
« Le grand tambour est-il achevé ou non ?
— Il est achevé, lui répondit Kandou.
— Pourquoi, demanda le roi, n’en ai-je pas entendu les sons ?
— Sire, repartit Kandou, je désire que Votre Majesté daigne prendre la peine de sortir du palais et de visiter l’intérieur du royaume. Elle entendra le tambour de la loi du Bouddha dont les sons retentissent dans les dix parties du monde. »
Le roi fit apprêter son char, il parcourut son royaume, et vit le peuple qui marchait en rangs pressés. « D’où vient, s’écria-t-il, cette prodigieuse multitude de peuple ?
— Sire, répondit Kandou, l’an passé, vous m’avez ordonné de construire un tambour gigantesque qui pût se faire entendre jusqu’à la distance de cent li (dix lieues), afin de répandre dans tout le royaume la renommée de votre vertu. J’ai pensé qu’un bois desséché et une peau morte ne sauraient propager assez loin l’éloge pompeux de vos bienfaits. Les trésors que j’ai reçus de Votre Majesté, je les ai distribués, sous forme de vivres et de vêtements, aux religieux mendiants et aux brâhmanes, afin de secourir les hommes les plus pauvres et les plus malheureux de votre royaume. Une proclamation générale les a fait venir de tous côtés, et des quatre coins du royaume ils sont accourus à la source des bienfaits, comme des enfants affamés qui volent vers leur tendre mère. »
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Thien-wang-thaï-tseu-pi-lo-king.)
(De ceux qui se sont dépouillés de toute affection.)
Un père et son fils labouraient ensemble. Un serpent venimeux ayant fait mourir le fils, le père continua à labourer comme auparavant. Il ne regarda point son fils et ne pleura point.
« À qui appartient ce jeune homme ? demanda un brâhmane.
— C’est mon fils, répondit le laboureur.
— Puisque c’est votre fils, dit le brâhmane, pourquoi ne pleurez-vous pas ?
— Quand l’homme vient au monde, repartit le laboureur, il fait un premier pas vers la mort ; la force de l’âge est le signal du déclin. L’homme de bien trouve sa récompense et le méchant sa punition. La douleur et les larmes ne servent de rien aux morts. Maintenant, seigneur, entrez en ville. Ma maison est située en tel endroit. Passez-y et dites que mon fils est mort ; puis, prenez mon repas et apportez-le moi.
— Quel est cet homme ? se dit le brâhmane. Son fils est mort, et il ne s’en retourne pas ! Le cadavre gît à terre, et son cœur reste insensible à la douleur ! Il demande froidement de la nourriture ; il n’a pas d’entrailles ; c’est une dureté sans exemple. »
Le brâhmane entra en ville, se rendit dans la maison du laboureur et vit la mère dont le fils était mort. Il lui dit alors :
« Votre fils est mort, et votre mari m’a chargé de lui rapporter son repas. » Le brâhmane ajouta : « Comment ne songez-vous pas à votre fils ? »
La mère du jeune homme répondit au brâhmane par cette comparaison : « Ce fils n’avait reçu qu’une existence passagère ; aussi je ne l’appelais point mon fils. Aujourd’hui il s’en est allé sans moi, et je n’ai pu le retenir. C’est comme un voyageur qui passe dans une hôtellerie, Aujourd’hui, il s’en va de lui-même ; qui pourrait le retenir ? Telle est la situation d’une mère et d’un fils. Que celui-ci s’en aille ou vienne, s’avance ou s’arrête, je n’ai point de pouvoir sur lui ; il a suivi sa destinée primitive et je ne pouvais le sauver. »
Le brâhmane parla ensuite à la sœur aînée du défunt. « Votre jeune frère est mort, lui dit-il ; pourquoi ne pleurez-vous pas ? »
La sœur aînée répondit au brâhmane par cette comparaison. « C’est, lui dit-elle, comme lorsqu’un charpentier est entré dans une forêt. Il coupe des arbres, les lie ensemble et en forme un grand radeau qu’il lance au milieu de la mer ; mais aussitôt survient un vent impétueux qui chasse le radeau et en disperse les débris ; puis les flots entraînent les poutres de l’avant et de l’arrière qui, une fois séparées, ne se rejoignent jamais. Tel a été le sort de mon jeune frère. Réunis ensemble par la destinée, nous sommes nés tous deux dans la même famille. Suivant que notre existence doit être longue ou courte, la vie et la mort n’ont point de temps défini ; on se réunit pour un moment, et l’on se sépare pour toujours ! Mon jeune frère a terminé sa carrière, et chacun de nous suit sa destinée. Je ne pouvais le protéger ni le sauver. »
Le brâhmane parla ensuite à la femme du défunt : « Votre mari est mort, lui dit-il, pourquoi ne pleurez-vous pas. ? »
Cette femme lui répondit par une comparaison. « C’est, lui dit-elle, comme deux oiseaux qui volent et vont se reposer au sommet d’un grand arbre ; ils s’arrêtent et dorment ensemble. Puis, aux premières lueurs du jour, ils se lèvent et s’envolent chacun de leur côté, pour chercher leur nourriture. Ils se réunissent, si la destinée le veut ; sinon, ils se séparent. Mon époux et moi, nous avons eu le sort de ces oiseaux. Quand la mort est venue le trouver, il a suivi sa destinée primitive, et je ne pouvais le sauver. »
Le brâhmane parla encore à son esclave et lui dit : « Votre maître est mort ; pourquoi ne pleurez-vous pas ? »
L’esclave lui répondit par cette comparaison : « Mon maître, par l’effet de la destinée, s’est trouvé uni à moi. J’étais comme le veau qui suit un grand taureau. Si un homme tue ce grand taureau, le veau qui se trouve près de lui ne saurait lui sauver la vie. La douleur et les cris du veau ne serviraient à rien. »
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-youen-tchou-lin, livre LII.)
(De ceux qui sont doués d’une intelligence divine.)
Il y avait jadis un brahmane âgé de vingt ans que la nature avait doué de talents divins. Il n’y avait pas d’affaire, grande ou petite, qu’il ne fût capable d’exécuter en un clin d’œil. Fier de son intelligence, il fit un jour ce serment : « Il faut que je connaisse à fond tous les métiers et toutes les sciences du monde. S’il est un art que je ne possède pas, je me croirai dépourvu d’esprit et de pénétration. »
Là-dessus, il se mit à voyager pour s’instruire ; il n’y eut pas de maître qu’il n’allât trouver. Les six arts libéraux, les différentes sciences, l’astronomie, la géographie, la médecine, la magie qui ébranle la terre et fait crouler les montagnes, le jeu de dés, le jeu d’échecs, la musique, la lutte, la coupe des habits, la broderie, la cuisine, L’art de découper les viandes et d’assaisonner les mets ; il n’y avait rien qu’il ne connût à fond. Il réfléchit alors en lui-même et se dit : « Lorsqu’un homme a tant de talents, qui est-ce qui peut l’égaler ? Je vais essayer de parcourir les royaumes, pour terrasser mes rivaux. J’étendrai ma réputation jusqu’aux quatre mers et j’élèverai jusqu’au ciel la renommée de mes talents. Mes brillants exploits seront inscrits dans l’histoire, et ma gloire parviendra aux générations les plus reculées. »
En achevant ces mots, il se mit en route. Quand il fut arrivé dans un autre royaume, il entra dans un marché et le visita d’un bout à l’autre. Il vit un homme assis qui fabriquait des arcs de corne. Il divisait des nerfs et travaillait la corne avec une telle habileté que ses mains semblaient voler sur son ouvrage. À peine un arc était-il achevé que les acheteurs se le disputaient à l’envi. Le jeune homme songea en lui-même et se dit : « Les sciences que j’avais étudiées me paraissaient complètes, mais, en rencontrant cet homme, je me sens honteux de n’avoir pas appris l’art de faire des arcs. S’il voulait lutter de talent avec moi, je ne saurais lui tenir tête. Il faut que je lui demande des leçons et que j’apprenne son métier. »
Aussitôt, il demanda au fabricant d’arcs la faveur de devenir son disciple. Il travailla avec ardeur, et, dans l’espace d’un mois, il acquit complètement l’art de fabriquer des arcs. Tout ce qu’il faisait était si admirable qu’il effaçait son maître. Il le récompensa généreusement, puis il prit congé de lui et partit. Il arriva dans un autre royaume où il fut obligé de traverser un fleuve. Il y avait un batelier qui faisait mouvoir sa barque avec la vitesse d’un oiseau. Fallait-il tourner, monter ou descendre, il lui imprimait une vitesse sans égale. Le jeune homme songea encore en lui-même et se dit : « Quoique j’aie étudié un grand nombre de métiers, je n’ai pas encore appris celui de batelier. C’est sans doute un métier abject ; mais comme je l’ignore, il faut absolument que je l’apprenne, et que je possède au complet tous les arts du monde. »
Aussitôt, il alla trouver le batelier et exprima le vœu de devenir son disciple. Il lui obéit avec le plus grand respect et fit tous ses efforts pour réussir. Au bout d’un mois, il sut si bien faire tourner son bateau et le diriger, soit au gré des flots, soit contre le courant, qu’il surpassait son maître. Il récompensa largement ce dernier, lui fit ses adieux et partit. Il se rendit dans un autre royaume où le souverain avait fait construire un palais si magnifique qu’il n’en existait pas de pareil au monde. Le jeune homme songea en lui-même et se dit : « Les ouvriers qui ont construit ce palais ont déployé un talent admirable. Depuis que je voyage en secret, je n’ai pas encore étudié l’architecture. Si je voulais lutter de talent avec eux, il est certain que je n’aurais pas l’avantage. Il faut que j’étudie encore, et alors il ne me manquera plus rien. »
Aussitôt il alla trouver un architecte et demanda à devenir son disciple. Il reçut ses leçons avec respect, et mania habilement le ciseau et la hache. Au bout d’un mois, il sut se servir de la toise et du compas, de la règle et de l’équerre, sculpter et ciseler en perfection. Il connaissait à fond tout ce qui concerne le travail du bois. Grâce à ses talents naturels et à sa rare intelligence, il surpassa bientôt son maître ; il le récompensa avec générosité, prit congé de lui et partit. Il continua, à voyager dans le monde, et parcourut seize grands royaumes. Il ordonna à des lutteurs de faire assaut avec lui, mais comme il se disait de première force, personne n’osa répondre à ses défis. Il en conçut de l’orgueil et se dit : « Sur toute la terre, qui est-ce qui pourrait l’emporter sur moi ? »
Dans ce moment, le Bouddha, qui se trouvait à Djètavana, aperçut cet homme, et résolut de le convertir. Par l’effet de sa puissance surnaturelle, il prit la forme d’un religieux, et s’avança vers lui, appuyé sur son bâton et tenant à la main le vase aux aumônes. Or, jusqu’à présent, le brâhmane avait parcouru des royaumes où n’existait pas la doctrine du Bouddha, et il n’avait pas encore vu de religieux samanéens. Il se demanda avec étonnement quel était cet homme, et se proposait de l’interroger dès qu’il serait à sa portée. Peu après, le religieux arriva près de lui. « Dans les nombreux royaumes que j’ai visités, lui dit le brâhmane, je n’ai pas encore vu d’hommes du genre de Votre Seigneurie. Parmi les diverses espèces de vêtements, je n’en ai jamais remarqué de cette forme ; parmi les différents objets des temples, je n’ai jamais vu cette sorte de vase. Dites-moi, seigneur, quel homme vous êtes. Votre extérieur et votre costume sont extraordinaires.
— Je suis, dit le religieux, un homme qui dompte son corps.
— Qu’entendez-vous par là ? » demanda le brâhmane.
Le religieux, faisant allusion aux métiers qu’il avait étudiés, prononça ces vers : « Le fabricant d’arcs dompte la corne, le batelier dompte son bateau, le charpentier dompte le bois, l’homme sage dompte son corps. De même qu’une énorme pierre ne peut être emportée par le vent, le sage, qui a une âme forte, ne peut être ébranlé par les louanges ni les calomnies. De même qu’une eau profonde est limpide et transparente, l’homme éclairé, qui a entendu le langage de la loi, épure et agrandit son cœur. »
Là-dessus, le religieux ayant achevé ces vers, s’éleva dans les airs et fit paraître le corps du Bouddha, orné des trente-deux signes d’un grand homme et des quatre-vingts marques de beauté. Il répandit une splendeur divine qui pénétra en tous lieux et illumina le ciel et la terre. Puis, il descendit du haut des airs et dit au brâhmane : « Si, par ma vertu j’ai opéré ce prodige, je le dois à l’énergie avec laquelle j’ai dompté mon corps. »
Après avoir entendu ces paroles, le jeune homme jeta ses cinq membres à terre, la frappa de son front, et s’écria : « Je désire apprendre les règles les plus essentielles pour dompter le corps. »
Le Bouddha fit connaître au brahmane les cinq défenses[1], les dix vertus[2], les six pâramitas[3], les quatre méditations et les trois voies du salut. « Voilà, lui dit-il, les règles pour dompter le corps. L’art de fabriquer des arcs, de diriger une nacelle et de travailler le bois, les six sciences libérales et les talents extraordinaires, sont des choses spécieuses, qui, tout en flattant la vanité de l’homme, agitent son corps, égarent son esprit, et l’asservissent lui-même aux vicissitudes de la vie et de la mort. »
Le brâhmane fut ému de ces paroles du Bouddha, et éprouva une douce joie. Il ouvrit son cœur à la foi, et demanda à être admis au nombre de ses disciples. Le Bouddha lui expliqua encore le sommaire des quatre vérités sublimes et des huit moyens de délivrance, et aussitôt il obtint la dignité d’Arhat.
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-yu-pi-yu king.)
↑
1° Ne pas tuer ; 2° ne pas voler ; 3° ne pas se livrer à la luxure ; 4° ne pas mentir ; 5° ne pas boire de liqueurs spiritueuses.
↑
1° Ne pas tuer ; 2° ne pas voler ; 3° ne pas se livrer à la luxure ; 4° ne pas mentir ; 5° éviter la duplicité ; 6° ne pas injurier les autres ; 7° ne pas farder ses paroles ; 8° se défendre de la convoitise ; 9° ne pas se mettre en colère ; 10° ne pas regarder autrui d’un mauvais œil.
↑
Les six moyens d’arriver au
Nirvân’a
, savoir : 1° l’aumône ; 2° la conduite morale ; 3° la patience ; 4° le zèle ardent pour le bien ; 5° la méditation ; 6° l’intelligence.
(N’accusez pas les autres des malheurs qui vous arrivent par votre faute.)
Au commencement des Kalpas, il y avait un roi appelé Svaranandi. Une fois, un hibou vint se poser sur le palais. Il aperçut un perroquet qui jouissait seul de l’amitié et de la faveur du roi, et lui demanda d’où lui venait ce bonheur.
« Dans l’origine, répondit-il, lorsque je fus admis dans le palais, je fis entendre une voix plaintive d’une douceur extrême ; le roi me prit en amitié et me combla de bontés. Il me plaçait constamment à ses côtés et me mit un collier de perles de cinq couleurs. »
En entendant ces paroles, le hibou conçut une vive jalousie. « Eh bien ! dit-il après un moment de réflexion, je veux absolument chanter aussi pour plaire encore plus que Votre Seigneurie. Il faudra bien que le roi me comble aussi d’amitié et de faveurs. »
Au moment où le roi venait de se livrer au sommeil, le hibou fit entendre sa voix. Le roi s’éveilla tout effaré, et, par l’effet de la terreur, tous les poils de son corps se hérissèrent. « Quel est ce cri ? demanda-t-il à ses serviteurs ; j’en suis tout ému et bouleversé.
— Sire, répondirent-ils, il vient d’un oiseau dont le cri est odieux ; on l’appelle Ouloûka (un hibou). »
Sur-le-champ, le roi exaspéré envoya de différents côtés une multitude de gens pour chercher l’oiseau. Ses serviteurs eurent bientôt pris et apporté au roi le coupable volatile. Le roi ordonna de plumer le hibou tout vivant, de sorte qu’il éprouva de cuisantes douleurs et se sauva sur ses pattes. Quand il fut revenu dans la plaine, tous les oiseaux lui dirent : « Qui est-ce qui vous a mis dans ce piteux état ? » Le hibou, qui était gonflé de colère, se garda bien de s’accuser lui-même. « Mes amis, dit-il, c’est un perroquet qui est l’unique cause de mon malheur. »
Le Bouddha dit, à cette occasion : « Une belle voix a appelé le bonheur, une vilaine voix a attiré le malheur. Le châtiment du hibou est venu de sa propre sottise ; mais, au lieu de s’en prendre à lui-même, il a tourné sa colère contre le perroquet. »
(Extrait du livre intitulé : Tchang-tche-in-yroueï-king (Svaranandî Grihapati soûtra), IIe partie.)
(Défiez-vous des hypocrites.)
Jadis, il y avait des corbeaux et des hiboux qui étaient constamment en guerre. Les corbeaux attendaient le jour, et, sachant que les hiboux n’y voyaient goutte, écrasaient et tuaient ces oiseaux, et se repaissaient de leur chair. De leur côté, les hiboux sachant que, pendant la nuit, les corbeaux étaient aveugles, les attaquaient à coups de bec, leur ouvraient les entrailles et se repaissaient, à leur tour, de leur chair. De cette manière, les uns craignaient le jour et les autres la nuit ; cela n’avait pas de fin. Dans ce temps-là, au milieu des oiseaux, se rencontra un corbeau plein de prudence. Il parla à ses compagnons, et leur dit : « Notre hostilité mutuelle est vraiment implacable ; nous finirons par nous exterminer complètement les uns les autres ; et il est impossible que les deux partis restent sains et saufs. Il faut employer un moyen habile pour exterminer tous les hiboux, et, après cela, nous pourrons vivre tranquilles et heureux ; autrement, notre perte est certaine.
— À merveille, s’écrièrent les corbeaux ; mais quel beau projet avez-vous conçu pour exterminer nos ennemis ?
— Mes amis, répondit le corbeau prudent, vous n’avez qu’à m’assaillir à coups de bec, m’arracher les plumes et me peler le cou. J’emploierai alors un stratagème qui amènera leur extermination complète. »
Les corbeaux l’ayant traité suivant son désir, il se rendit dans l’état le plus piteux à l’entrée du trou des hiboux, et poussa des cris lamentables. Un hibou ayant entendu ses plaintes, sortit et l’interrogea : « Pourquoi venez-vous vers notre demeure, le crâne meurtri et déchiré, et le corps tout dépouillé de plumes et de duvet ? Vos cris lugubres annoncent de cruelles souffrances. Peut-on en savoir la cause ?
— La multitude des corbeaux, leur répondit-il, a conçu contre moi une haine acharnée. Ne pouvant plus vivre avec eux, je viens me réfugier auprès de vous pour échapper à leur rage. »
Le hibou s’apitoya sur son sort et voulut le nourrir avec bonté, mais tous ses compagnons s’écrièrent : « C’est un ennemi mortel que nous ne devons même pas approcher. Pourquoi le nourrir, et accroître à nos dépens sa haine et son hostilité ?
— Aujourd’hui, reprit le hibou, comme il est accablé de misère et de douleur, il vient nous demander un asile. Il est seul et abandonné, quel mal pourrait-il nous faire ? »
Ils consentirent aussitôt à le nourrir, et lui apportaient constamment les restes de leurs proies. Mais, après un certain nombre de jours et de mois, son duvet revint, et ses ailes se garnirent de plumes comme auparavant. Le corbeau, témoignant une joie feinte, imagina secrètement un habile stratagème. Il ramassa des branches sèches, des herbes et des brins de bois, et les arrangea au milieu du trou, comme pour témoigner aux hiboux sa reconnaissance. « À quoi bon tout cela. lui demandèrent-ils.
— Dans tout votre trou, répondit le corbeau, il n’y a que des pierres froides. Ces herbes et ces branches vous garantiront du vent et du froid. »
Les hiboux le crurent et ne dirent mot. Sur ces entrefaites, le corbeau chercha à devenir le gardien de leur retraite, et feignit d’exécuter leurs ordres, sous prétexte de les remercier de leurs bienfaits.
Dans ce même temps, il tomba une neige violente, accompagnée d’un vent glacial, et tous les hiboux se réfugièrent promptement dans leur trou.
Le corbeau profita avec joie de cette occasion : il s’élança vers un endroit où des bergers avaient allumé du feu, apporta dans son bec une branche enflammée, et incendia la demeure des hiboux, qui, en un instant, furent consumés au milieu de leur trou.
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Tsa-p’ao-thsang-king, livre VIII.)
(Il faut maitriser ses passions.)
Il y avait une fois un religieux nommé Viryabala. Il demeurait au milieu des montagnes, et restait en silence au pied d’un arbre pour obtenir l’intelligence. À la même époque, il y avait quatre animaux qui habitaient tout près de lui et le laissaient constamment en paix. C’étaient une colombe, un corbeau, un serpent venimeux et un cerf. Ces quatre animaux sortaient le jour pour chercher leur nourriture, et rentraient le soir au gîte. Pendant une certaine nuit, ils s’interrogèrent l’un l’autre et se demandèrent quelle était, dans ce monde, la plus grande cause de souffrance. « C’est la faim et la soif, dit le corbeau. Lorsqu’on est tourmenté par la faim et la soif, le corps maigrit, les yeux s’éteignent, l’esprit est agité, on se jette aveuglément dans les filets et l’on ne s’inquiète pas des armes les plus meurtrières. Notre mort prématurée n’a jamais d’autre cause. C’est pourquoi je dis que la faim et la soif sont la plus grande cause de souffrance.
— Je pense, dit la colombe, que l’amour est la plus grande cause de souffrance. Quand l’amour nous enflamme, aucune considération ne nous arrête ; les dangers que nous courons, la mort qui nous atteint n’ont jamais d’autre cause.
— Pour moi, dit le serpent venimeux, je trouve que la colère est la plus grande cause de souffrance. Dès qu’une pensée haineuse s’est élevée dans notre âme, nous immolons même nos parents, et souvent nous poussons la rage jusqu’à nous tuer nous-mêmes.
— C’est l’effroi, dit le cerf, qui est la plus grande cause de souffrance. Quand nous sommes au milieu des bois et des plaines, notre âme est constamment en proie à la crainte ; s’il nous semble entendre la voix des chasseurs ou les cris des loups, nous nous précipitons dans les fossés ou du haut des rochers ; la mère, palpitant d’effroi, abandonne ses petits. Voilà pourquoi je dis que la crainte est la plus grande cause de souffrance. »
Après avoir entendu ces discours, le religieux leur dit : « Vous raisonnez sur les causes accessoires, sans rechercher la cause première de la souffrance. Dans ce monde, le plus grand malheur des créatures est d’avoir un corps. Le corps est la plus grande source de souffrance ; c’est lui seul qui nous cause des craintes et des douleurs sans bornes. »
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-kiu-pi-yu-king, ou Livre des comparaisons tirées des livres sacrés.)
(Estimez la prudence.)
Au pied des montagnes neigeuses, dans le creux d’un ravin, il y avait un endroit exposé au soleil où les oiseaux se réunissaient en foule. Un jour, ils délibérèrent entre eux et dirent : « Il faut maintenant que nous choisissions l’un de nous pour être roi, afin qu’il inspire à la multitude des oiseaux une crainte salutaire et les empêche de faire le mal.
— À merveille ! dirent les oiseaux ; mais qui est-ce qui mérite d’être roi ?
— Il faut prendre la grue, s’écria un oiseau.
— Cela ne convient pas, dit un autre.
— Pourquoi cela ?
— Elle a de hautes jambes et un long cou ; pour la moindre peccadille, elle nous brisera le crâne à coups de bec. Choisissons le cygne pour roi ; son plumage est d’une parfaite blancheur ; il obtiendra les respects de tous les oiseaux.
— Cela ne convient pas, dirent les autres oiseaux. Quoiqu’il soit blanc de toute sa personne, il a un cou long et tortu. Celui dont le cou n’est pas droit, pourrait-il redresser les autres ? Voilà pourquoi cela ne convient pas.
— Il y a le paon, dirent d’autres oiseaux ; sa queue brille des plus riches couleurs, et sa vue seule réjouit les yeux. Il est digne d’être roi.
— Cela ne convient pas, répliquèrent les autres oiseaux.
— Quelle en est la cause ?
— Quoiqu’il ait des plumes charmantes, il est dépourvu de honte. Toutes les fois qu’il fait la roue, il étale impudemment la laideur de son corps. Voilà pourquoi cela ne convient pas. »
Un oiseau dit : « Prenons le hibou pour roi. En voici la raison : le jour il se tient en repos, et la nuit il veille et fait sentinelle. Il pourra nous garder. C’est lui qui mérite d’être roi. »
La multitude des oiseaux approuva cet avis. Il y avait un perroquet rempli de prudence et de perspicacité qui se tenait à l’écart. Après avoir réfléchi, il s’écria : « L’habitude des oiseaux est de dormir la nuit, et de sortir le jour pour chercher leur nourriture. Ce hibou est dans l’usage de veiller la nuit et de dormir le jour. Quand tous les oiseaux l’entoureront pour le servir, ils seront jour et nuit dans les alarmes et ne pourront dormir ; ce sera un sort misérable. Si nous lui adressons des observations, il se mettra en colère et nous plumera impitoyablement. Si nous prenons le parti de nous taire, la famille entière des oiseaux subira toute sorte de cruautés pendant la longueur des nuits. Aimez-vous mieux être dépouillés de vos plumes que d’enfreindre quelque peu les lois de la raison. ? »
En achevant ces mots, il se présenta devant la multitude des oiseaux, s’éleva au-dessus de l’assemblée en agitant ses ailes, et leur dit d’une voix respectueuse : « Je souhaite que vous écoutiez l’humble avis que je viens d’émettre. »
En ce moment, la multitude des oiseaux prononça ces vers : « Un être intelligent connaît la justice et n’a pas besoin d’être mûri par les ans. Quoique vous soyez jeune, vous avez une prudence qui répond aux exigences du temps. »
En ce moment le perroquet, flatté de l’opinion des oiseaux, prononça ces vers : « Si vous m’en croyez, vous ne prendrez pas le hibou pour roi. En effet, quand il sera joyeux, s’il montre sa figure, il terrifiera constamment les oiseaux. À plus forte raison, s’il se met en colère, nul d’entre nous n’osera le regarder en face.
— Ce que vous dites est la vérité même, s’écrièrent les oiseaux. » Ils prirent en conséquence la résolution suivante : « Le perroquet est doué de lumières et d’intelligence ; lui seul est digne d’être notre roi. »
Cela dit, ils le saluèrent tous du nom de roi.
(Extrait de l’Encyclopédie intitulée : Fa-youen-tchou-lin, livre LI.)
(De ceux qui ont des vues étroites.)
Dans le pays de Djamboùli, il y avait un roi nommé Adarçamoukha. Un jour, il dit à un de ses serviteurs : « Parcourez les diverses parties de mes États, ramassez tous les aveugles et amenez-les dans mon palais. »
Après avoir reçu cet ordre royal, le serviteur se mit en route, et ayant amené tous les aveugles qu’il avait rencontrés, il les conduisit dans le palais et alla en informer le roi.
Le roi ordonna à son premier ministre d’emmener ces hommes et de leur montrer (sic) ses éléphants. Le ministre les conduisit dans l’écurie, leur montra, un à un, tous les éléphants, et leur ordonna de les toucher. L’un toucha une jambe, un autre l’extrémité de la queue, d’autres le ventre, les flancs, le dos, l’oreille, la tête, les défenses, le nez (la trompe). Après leur avoir tout montré, il les ramena auprès du roi. Le roi leur demanda : « Avez-vous vu ou non les éléphants ?
— Nous les avons vus complètement, répondirent-ils.
— À quoi ressemblaient-ils ? » demanda le roi.
Celui qui avait touché les jambes, dit : « L’éléphant de notre illustre roi est comme une colonne ; — Comme un balai, dit celui qui avait touché le bout de la queue ; — Comme une branche d’arbre, dit celui qui avait touché le haut de la queue ; — Comme une masse de terre, dit celui qui avait touché le ventre ; — Comme un mur, dit celui qui avait touché les flancs ; — Comme le bord d’une montagne, dit celui qui avait touché le dos ; — Comme un large van, dit celui qui avait touché l’oreille ; — Comme un mortier, dit celui qui avait touché la tête ; — Comme une corne, dit celui qui avait touché une défense ; — Comme une grosse corde, » dit celui qui avait touché la trompe.
Cela dit, tous ceux qui avaient touché l’éléphant se mirent à disputer entre eux[1].
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fo-choue-i-tso-king, livre I.)
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La même histoire se trouve en d’autres termes à la suite de celle-ci. Elle est extraite de
San-hoei-king-tsie
, livre VIII.
(De ceux qui alimentent leur propre malheur.)
Il y avait jadis un royaume où tous les grains mûrissaient à merveille ; le peuple vivait en paix et ne connaissait point les maladies. Jour et nuit, il entendait une musique harmonieuse et n’éprouvait ni chagrins ni tourments.
Le roi interrogea ses ministres et leur parla ainsi : « J’ai entendu dire que le malheur était dans l’empire. À quoi le malheur ressemble-t-il ?
— Nous ne l’avons jamais vu, » répondirent les ministres.
Le roi envoya alors un de ses ministres dans un royaume voisin pour chercher le malheur et l’acheter. En ce moment, un dieu prit la figure d’un homme et alla vendre, au marché, le malheur qui avait la figure d’une truie. Le dieu l’attacha avec une chaîne de fer et le mit en vente. Le ministre demanda quel était le nom de cet animal.
« Il s’appelle la femelle du malheur, » répondit le dieu.
— Est-il à vendre ? demanda le ministre.
— Assurément, repartit le dieu.
— Quel en est le prix ?
— Un million de pièces d’or.
— Que mange-t-il chaque jour ?
— Un litre d’aiguilles. »
Le ministre alla de maison en maison pour trouver des aiguilles. Les hommes du royaume lui en donnaient chacun deux ou trois, de sorte qu’en cherchant des aiguilles dans les villes et les villages, il répandait partout le trouble et l’agitation. C’était une véritable calamité ; le peuple était aux abois et ne savait que devenir.
Le ministre dit au roi : « J’ai bien trouvé la femelle du malheur, mais c’est une cause de trouble parmi le peuple ; les hommes et les femmes se voient à la veille d’être ruinés. Je voudrais la tuer et en débarrasser le pays, Votre Majesté me le permet-elle ? »
Le roi ayant approuvé son projet, on emmena l’animal en dehors de la ville pour le tuer ; mais sa peau était tellement dure que le couteau ne pouvait y entrer et que la hache ne pouvait le blesser ni le tuer. On amassa un monceau de bois pour le brûler. Quand son corps fut devenu rouge comme le feu, il s’échappa, courut à travers le village et l’incendia ; il passa par le marché et le consuma ; il entra dans la ville et la brûla. Il pénétra dans le royaume et mit tout en feu. Le peuple était dans une affreuse confusion ; il mourait de faim et était en proie aux plus cruelles souffrances. Le roi fut ainsi puni pour s’être rassasié de plaisirs et avoir cherché le malheur. On peut le comparer à ceux que brûle le feu de la volupté. Les hommes et les femmes recherchent ardemment le poison de l’amour, et ils arrivent promptement à la mort sans en avoir aperçu l’amertume.
(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-youen-tchou-lin, livre XLVI.)
(De la force des habitudes.)
Dans les contrées occidentales, il y avait un roi qui habituellement n’entretenait point de chevaux, de peur de diminuer les ressources de son royaume. Un jour, il alla en chercher de tous côtés et en acheta cinq cents, afin de se prémunir contre les ennemis du dehors et de procurer la paix à son royaume. Quand il eut nourri longtemps ces chevaux, comme le royaume se trouvait en paix, il se dit en lui-même : « La nourriture de ces cinq cents chevaux n’est pas une petite dépense ; ils demandent des soins pénibles et ne sont d’aucune utilité à mon royaume. »
Il ordonna alors à l’intendant de ses écuries de leur couvrir les yeux et de leur faire tourner des meules de moulin, afin qu’ils pussent gagner leur nourriture et ne diminuassent plus les ressources du royaume. Il y avait déjà longtemps que ces chevaux étaient habitués à marcher en tournant, lorsque tout à coup un roi voisin leva des troupes et envahit les frontières. Le roi ordonna d’équiper ces chevaux, de les couvrir de harnais de guerre et de les faire monter par de braves cavaliers. Ceux-ci, au moment du combat, fouettèrent les chevaux afin de marcher droit à l’ennemi et d’enfoncer ses rangs. Mais les chevaux, ayant senti le fouet, se mirent à tourner en rond, sans avoir nulle envie de se diriger vers l’ennemi.
Les troupes du roi voisin voyant ce manège, reconnurent que cette cavalerie n’était bonne à rien. Ils marchèrent en avant et écrasèrent l’armée du roi.
On voit par là ce que l’homme doit faire pour être bien récompensé de ses œuvres. Lorsque nous touchons à la fin de la vie, si le cheval du cœur n’est pas turbulent, il marchera docilement à notre gré. On ne peut donc se dispenser de le dompter et dresser d’avance. Si le cheval du cœur n’est pas dompté et dressé d’avance, il meurt, et l’ennemi arrive sur-le-champ. Si le cheval du cœur tourne en rond (c’est-à-dire s’abandonne à des mouvements désordonnés, et résiste jusqu’à la fin à l’impulsion de votre volonté), il ressemble aux chevaux du roi qui ne purent écraser les ennemis et sauver son royaume.
C’est pourquoi un religieux ne peut se dispenser de veiller constamment sur son cœur.
(Extrait de Tchou-king-siouen-tsi-pi-yu-king, c’est-à-dire du Livre des comparaisons tirées des livres sacrés.)
(De ceux qui se laissent aveugler par la cupidité.)
Jadis, le Bouddha voyageant avec Ananda dans le royaume de Çrâvasti, à travers une plaine déserte, ils virent sur le bord d’un champ un trésor qu’on y avait déposé. Le Bouddha dit à Ananda : « C’est un grand serpent venimeux.
— C’est, en effet, un méchant serpent venimeux, repartit Ananda. »
Dans ce moment, un laboureur ayant entendu le Bouddha dire à Ananda qu’il y avait là un serpent venimeux, se dit en lui-même : « Il faut que j’aille le voir. Pourquoi le religieux a-t-il dit que c’était un méchant serpent venimeux ? »