Les Aventuriers de la mer - Constant Améro - E-Book

Les Aventuriers de la mer E-Book

Constant Améro

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Beschreibung

La mer a une vie propre ; elle a aussi une histoire. Sa vie est à la fois intérieure, mystérieuse, cachée dans des profondeurs insondables, ou apparente ; et alors elle se confond avec les grands phénomènes météorologiques ; son histoire est tantôt indépendante de l’histoire des continents, et tantôt elle se lie à l’histoire des nations qui se partagent ces continents. Il en est ainsi lorsque la mer devient un champ de bataille immense, sur lequel des hommes en guerre entre eux s’en vont, souvent à plus de mille lieues de leur patrie, vider leurs querelles, vaincre ou mourir pour l’honneur du pavillon. La mer sert mieux encore à unir les hommes ; elle leur offre les plus faciles et les plus courtes voies pour le commerce du monde entier ; grâce à elle, les produits des deux hémisphères s’échangent sans trop de frais.

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Les Aventuriers de la mer

Constant Améro

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385746179

 

TABLE DES MATIÈRES

 

Chapitre I. — La mer, sa vie, son histoire ; son action ; les courants ; les tempêtes ; nouvelle science nautique ; la mer a ses admirateurs ; un sonnet de Edmondo de Amicis ; la vie et le drame

 

 

Chapitre II. — Cyclones de la mer des Antilles ; typhon de l’Océan Indien ; tornadas du littoral africain ; pamperos du sud de l’Amérique. Les plus mémorables ouragans sur les côtes d’Angleterre, aux Antilles, aux États-Unis, au Bengale, dans la Manche, au Japon, sur le littoral de l’Algérie.

 

 

Chapitre III. — Le navire dans l’ouragan. — Le cyclone de l’Eylau ; signes précurseurs ; grains successifs, fréquence et violence des rafales ; le vent, la mer, la pluie se confondent en un seul élément ; la mâture est abattue, « l’oeil de la tempête » ; feux Saint-Elme, passage d’un météore ; voie d’eau ; le vaisseau va couler. Cyclones de l’Amazone, de l’Atalante, de l’Héligoland.

 

 

Chapitre IV. — Le cyclone du golfe d’Aden ; perte du Renard ; l’ouragan s’étend à tout le littoral de la mer Arabique et du golfe du Bengale. Un navire aux prises avec la tempête ; le grain ; le coup de vent ; on cargue les voiles ; un homme à la mer ! la lame rapportant le marin qu’elle a enlevé ; le navire est atteint ; ses canots sont brisés ; une voie d’eau se déclare ; il va sombrer.

 

 

Chapitre V. — Navires qui sombrent ; le brick le Colibri ; la frégate le Captan ; le steamer London ; l’écueil sous la vague ; la galiote Nottingham ; Falconer et son poème du Naufrage ; le trois-mâts Amphitrite ; le vaisseau le Superbe ; le vapeur Ville-de-Malaga ; un vaisseau-école ; le croiseur Reina-Regente ; le steamer Drummond-Castle ; le vapeur le Salier.

 

 

Chapitre VI. — Les voiliers menacés d’aller à la côte ; le vapeur le Papin ; le steamer le Tweed ; tempête dans la mer Noire ; le Henri IV et le Pluton ; la frégate la Sémillante ; naufrages aux îles Auckland ; le Grafton, l’Invercauld, le Général-Grant ; le vapeur le Borysthène ; le steamer le Daniel-Steinmann ; la corvette la Marne et vingt-quatre bâtiments de commerce perdus dans la rade de Stora

 

 

Chapitre VII. — Navires qui échouent par impéritie, par négligence, par erreur de calcul ; le navire talonne ; craquements sinistres ; tout le monde sur le pont ; manœuvre des pompes ; on coupe les mâts ; la mer brise le navire, enlève les embarcations ; la quille se casse ; la terre est éloignée ; brisants ; les vaisseaux le Batavia et le Sussex ; la Blanche-Nef ; le Sant-Iago ; naufrage d’un mandarin siamois ; le Grosvenor ; la Méduse ; le City-of-Colombus ; Atoll de Vanikoro ; l’Astrolabe et la Boussole ; le Sydney, insuffisance des cartes marines : le Sénégal et la Ville-de-Para ; le steamer le Teuton.

 

 

 

Chapitre VIII. — Voies d’eau à la suite de gros temps ; on allège le navire ; insuffisance des pompes ; naufrage de l’Epervier, du Degrave, du vaisseau le Bourbon, de l’Union, de la Junon, de l’Hercule, de la Clio ; rupture d’une hélice ; le Silistria ; simple accident ; le Royal-George

 

 

Chapitre IX. — Collisions ; la nuit ; transatlantiques chargés d’émigrants ; scènes de tumulte et d’horreur ; indiscipline ; le navire va couler ; secours donnés par le navire abordeur ; parfois le navire abordeur se dérobe ; collisions entre le Governor Fenner et le Nottingham, la Favorite et le Hesper, la Joséphine-Willis et le Mangerton, le Général-Abbatucci et le Edward-Evridt, le Northfleet et le Murillo, la Ville-du-Havre et le Loch-Earn, le Libéria et le Barton, l’Avalanche et le Forest, la Princesse-Alice et le Bywel Castle, le Saint-Germain et le Woodburn, le Gijon et le Laxham, le Luke-Bruce et le Durango, l’Onéida et le Bombay ; éclairage électrique ; collisions entre cuirassés ; le Forfait et la Jeanne-d’Arc, le Vanguard et l’Iron-Duke, le Kœnig-Wilhelm et le Grosser-Kurfürst, la Defence et le Valiant, l’Elbe et le Crathie, la Bourgogne et le Cromartyshire

 

 

Chapitre X. — Incendies en mer ; terrible cri : Au feu ! L’eau introduite dans le navire ; brûlé, étouffé ou noyé ; difficulté d’user des moyens de sauvetage ; incendie du Niewe-Hoorn ; incendie du vaisseau le Prince ; il saute en l’air ; les Six-Sœurs ; le Kent ; 344 soldats, à bord avec leurs femmes et leurs enfants ; sauvetage inespéré ; bel exemple de discipline ; l’Amazone, l’Austria ; le Cospatrick, chargé de 429 émigrants, parmi lesquels 254 femmes et enfants ; trois survivants ; incendie et explosion du vaisseau cuirassé le Magenta ; le Sphynx, 600 Circassiens asphyxiés et carbonisés.

 

 

Chapitre XI. — Naufrage au port ; la goélette la Doris, le vaisseau le Saint-Géran ; l’héroïne de Bernardin de Saint Pierre ; le steamer Francis-Depau manquant l’entrée du Havre.

 

 

Chapitre XII. — Accidents divers ; explosions de chaudières ; le brouillard ; la foudre ; rencontre de glaces flottantes dans l’Atlantique ; le brick la Senorine ; navires abandonnés en mer ; le trois-mâts l’Andria ; fraudes et manœuvres coupables dénoncées au parlement anglais par M. Plimsoll ; navires sabordés.

 

 

Chapitre XIII. — Ce qui passionne dans l’histoire des naufrages ; le devoir du capitaine : héroïsme ; courage de Mme de la Barre ; prêtres et ministres protestants ; épisodes des naufrages du Royal-Charter ; du London, du Saint-Géran, du Borysthène, du Birkenhead ; défaillance ; l’Union et le capitaine Neal ; la Méduse et le capitaine Duroy de Chaumareys ; le capitaine Carsin et les Deux Amies ; souffrances de ceux qui échappent au naufrage ; embarcations sans voiles ni rames, sans vivres ni eau ; la faim et la soif ; les cadavres mangés ; longue agonie ; le délire ; la folie ; radeaux : celui de la Junon ; le radeau de la Méduse ; il est abandonné par les embarcations, révoltes ; massacres ; blessés qu’il faut jeter à la mer ; après le naufrage du Neptune ; le matelot Bomet ; le dernier survivant du Speke-Hall.

 

 

Chapitre XIV. — Navires secourus tardivement ; le Deutschland ; service de sauvetage insuffisant ; sauvetage accompli en pleine mer par un bâtiment en péril ; le Jean-Baptiste et la Léonie ; le clipper l’Alert et le Comte d’Eu ; un équipage qui opère son propre sauvetage ; le Durcc ; l’enseigne Magdeleine ; le commandant de la Vaissière, sa femme et leur petite fille ; le canot la Délivrance ; sauvetage mémorable accompli sur la côte d’Irlande, le Kiilarney.

 

 

 

Chapitre XV. — Les sociétés « humaines » ; fondation de la société centrale de sauvetage ; le Life boat anglais ; canots, canons et fusils porte-amarres ; autres engins ; legs reçus par la Société de sauvetage ; bienfaiteurs et fondateurs ; récompenses décernées ; croix de la Légion d’honneur, prix Montyon, médailles ; stations de canots et postes de porte-amarres en France, en Corse, en Algérie, en Tunisie ; ce qu’on appelle le va-et-vient ; fusées ; canots insubmersibles ; origine des Life boats ; ceintures de sauvetage, matelas de hamac en liège.

 

 

Chapitre XVI. — Avant la Société de sauvetage ; une population de sauveteurs ; les habitants de l’île de Sein ; un « brave homme », Jean Bouzard de Dieppe ; son fils, sa famille ; trois pilotes de Dunkerque victimes de leur dévouement ; sauvetage du Yong Thomas ; la Georgette et Miss Grace Vernon Russel ; le Parangon ; la batterie flottante l’Arrogante.

 

 

Chapitre XVII. — Les naufrageurs, le droit de bris et de naufrage ; les lois de Constantin ; les barbares ; la féodalité ; terreur inspirée par les pirates du Nord ; un écueil qui vaut mieux qu’une pierre précieuse ; épaves maritimes ; pillage de navires sur la côte bretonne ; lois anglaises ; naufrageurs punis de mort ; navires mis en péril et pillés après leur naufrage sur le littoral anglais ; les hovellers succèdent aux naufrageurs ; plaintes des armateurs de toutes les nations ; les naufrageurs au Cap et de nos jours encore sur la côte du Labrador.

 

 

Chapitre XVIII. — Les phares, les feux des anciens ; progrès modernes : Borda, Lemoyne, Augustin Fresnel ; nos phares au commencement de ce siècle et aujourd’hui ; la tour de Cordouan, les phares de Barfleur, des Héhaux de Bréhat, d’Ar-Men, d’Eckmühl, etc. ; sur le littoral anglais, le phare d’Eddystone et ses constructeurs successifs : Winstanley, Rudyerd, John Smeaton ; anecdote sur Louis XIV ; les phares « privés » en Angleterre ; leur rachat ; phares en fonte de fer dans diverses parties du monde ; classement des phares et fanaux, une carte de visite rimée ; les phares, selon Michelet ; balises, amers, bouées et « sirènes ».

 

 

Chapitre XIX. — Mutineries d’équipages ; Hudson abandonné par les siens ; la grande rébellion de 1797 en Angleterre et son chef Richard Parker ; lord Howe ; la révolte des matelots de la Bounty ; le commandant Bligh et Fletcher Christian ; une traversée de 1 300 lieues sur une embarcation non pontée ; affaire du Fœderis-Arca, jugement et quatre condamnations à mort ; le capitaine du Wellington ; les deux Malais du Franck-N.-Thayer ; Pavillons-Noirs à bord d’un vapeur chinois.

 

 

Chapitre XX. — Désertions de marins, fréquentes autrefois ; attraction des îles de la Polynésie ; le Rambler et le capitaine Powell aux îles Tonga ; un Robinson peu sympathique : l’Irlandais Patrick Watkins ; les rebelles de la Bounty à l’île Pitcairn ; l’île Juan-Fernandez : les Robinsons vrais ; Alexandre Selkirk, modèle du roman de Daniel de Foë ; les solitaires de l’île Pell découverts par le capitaine Lütke ; un autre Robinson : le mousse Narcisse Pelletier ; le petit Gisles Couture chez les Peaux-Rouges ; le capitaine Barnard aux îles Malouines.

 

 

Chapitre XXI. — Aventures de terre et de mer ; le P. Crespel et ses compagnons d’infortune ; les nègres délaissés à l’île de Sable après le naufrage de l’Utile ; les marins de l’Heureuse sur un banc de corail ; Lesquin de Roscoff et l’Aventure ; le Jan-Hendrik au Penedo ; naufragés tombés en captivité : M. Saugnier, M. de Brisson, le Commerce, l’Aventure, le Silène, l’Epervier, le Degrave.

 

 

 

Chapitre XXII. — Marins massacrés ; missions de la Malaisie ; massacres à Balambang, en rade de Varouni, à Kotti ; les équipages de l’Argo et du Duke-of-Portland ; l’Anglais Mariner aux îles Tonga et le roi Finau ; le capitaine Bureau, de Nantes, et l’Aimable-Joséphine aux îles Viti.

 

 

Chapitre XXIII. — Les anthropophages de la Nouvelle-Zélande ; les marins hollandais ; massacre du capitaine Marion du Fresne dans la Baie des Îles ; Takouri ; le capitaine Crozet ; le canot de l’Aventure ; l’Agnès et le matelot Rutherford ; les Canaques de la Nouvelle-Calédonie ; massacre des marins de l’Alcmène ; aux îles Tonga : l’Union et Elisa Mosey ; John Williams aux Nouvelles-Hébrides ; le détroit de Torrès et la Nouvelle-Guinée ; le Northumberland ; le capitaine Morrell aux îles Salomon ; le Saint-Paul dans l’archipel de la Louisiade ; trois cent quatorze Chinois tués et mangés en 1858 ; encore le mousse Narcisse Pelletier.

 

 

Chapitre XXIV. — Les régions polaires ; naufrages ; navires abandonnés ; les marins sur la banquise ; hivernages, traversées au milieu des glaçons ; le lieutenant Bellot ; les tombes de l’île Beechey ; hivernage de Guillaume Barensz à la Nouvelle-Zemble ; les Hollandais hivernant à Jean-de-Mayen et au Spitzberg ; le lieutenant Krusenstern à la recherche de l’embouchure du Yénisséi ; les Karachins possesseurs de rennes ; l’expédition allemande et la Hansa ; le Polaris ; six mois et demi sur un glaçon ; le lieutenant Tyson ; désastre de la Jeannette ; triste fin du capitaine de Long et de ses compagnons ; les passages cherchés au nord et le capitaine Mac Clure.

 

 

Chapitre XXV. — La mission Greeley au cap Sabine ; le Proteus ne parvient pas à le ravitailler ; manque absolu de vivres ; on mange les morts ; un jeune soldat fusillé pour avoir dérobé un morceau de cadavre ; retour en Amérique du lieutenant Greeley et des cinq autres survivants ; faits anciens du même ordre : le Mignon et la Trinité ; tristes suites du naufrage de la Mignonnette ; le mousse Packer égorgé par le capitaine Dudley et deux matelots ; condamnation à mort ; amnistie royale.

 

 

CHAPITRE I

la mer, sa vie, son histoire ; son action ; les courants ; les tempêtes ; nouvelle science nautique ; la mer a ses admirateurs ; un sonnet de edmondo de amicis ; la vie et le drame.

La mer a une vie propre ; elle a aussi une histoire. Sa vie est à la fois intérieure, mystérieuse, cachée dans des profondeurs insondables, ou apparente ; et alors elle se confond avec les grands phénomènes météorologiques ; son histoire est tantôt indépendante de l’histoire des continents, et tantôt elle se lie à l’histoire des nations qui se partagent ces continents. Il en est ainsi lorsque la mer devient un champ de bataille immense, sur lequel des hommes en guerre entre eux s’en vont, souvent à plus de mille lieues de leur patrie, vider leurs querelles, vaincre ou mourir pour l’honneur du pavillon. La mer sert mieux encore à unir les hommes ; elle leur offre les plus faciles et les plus courtes voies pour le commerce du monde entier ; grâce à elle, les produits des deux hémisphères s’échangent sans trop de frais.

Mais le rôle actif de la mer dans ses relations avec les plus importantes lois physiques est bien autrement considérable ! Les montagnes et les plaines, malgré des bouleversements périodiques produits par le feu intérieur de la Terre, apparaissent calmes sous leurs forêts épaisses, sous leurs moissons dorées, et, malgré un incessant travail souterrain, semblent sommeiller paisiblement, et n’avoir d’autre souci que de porter aux ondes amères le tribut de leurs eaux douces. Mais la mer est toujours en mouvement ; c’est une source de vie d’une fécondité intarissable, créant de nouveaux mondes par le labeur sous-marin de myriades de madrépores ; assaillant sans trêve, bouleversant parfois les contours des terres du globe, ou les remaniant peut-être pour leur donner leur forme définitive. De son sein, s’élèvent aussi les nuées qui répandent sur le globe entier la chaleur et la fertilité ; ses courants tièdes s’en vont désagréger les immenses glacières des pôles et empêchent ou, tout au moins, retardent de quelque dix mille ans la perturbation qui, déplaçant l’axe de la Terre, produirait un nouveau déluge universel.

Grâce à ces mêmes courants, s’échappant des mers surchauffées de l’Équateur, il est possible à l’homme de vivre, de s’épanouir au milieu d’heureux climats, dans des régions qui seraient difficilement habitables ; le courant qui sous la pression des eaux salées de surfaces, rendues plus denses par l’évaporation qu’opère le soleil, sort du golfe du Mexique pour s’élancer vers le Nord, et que l’on désigne techniquement par son appellation anglaise de Gulf Stream, donne des palmiers et les splendeurs d’une végétation tropicale à certaines terres placées presque sous des latitudes hyperboréennes, et Früholm, à l’extrémité de la pointe la plus septentrionale de l’Europe, jouit en hiver du climat de Toulouse. Si la loi qui régit ce courant n’existait pas, la Norvège, les îles britanniques seraient perdues dans des glaces éternelles ; les bras de mer qui séparent ces îles seraient obstrués par des « icebergs » ; la France elle-même, notre belle France deviendrait vite un triste et froid séjour.

La mer prend encore un rôle actif dans la plupart des conflagrations terrestres ; elle envahit, elle détruit, elle frange de ses vagues irritées les rivages, se creusant sans répit ni trêve des golfes et des détroits ; elle sert de véhicule aux cyclones qui portent leurs ravages également et sur les eaux et sur les terres ; elle attaque les vaisseaux et se fait un jeu de la science et du courage des marins — qui l’aiment bien pourtant, la mer ! Oui, on l’aime autant qu’on la redoute !

« Perfide comme l’onde », a pu dire le poète anglais. L’onde, si ce mot perfide est sévère, se montre au moins changeante. Le flot bleu de notre littoral méditerranéen fait oublier au navigateur, toujours confiant, les vagues courroucées de quelque océan ténébreux qu’il s’en va affronter ; on embarque avec le soleil, on arrive avec la tempête, brisé sur un écueil.

Mais la science nautique est en ce siècle en progrès comme toutes les sciences. La mer sera de moins en moins « perfide ». On a cru, on croit peut-être encore sur les bords de la Baltique qu’il y a des sorciers, qui, par la force de leurs enchantements, attirent l’ouragan, soulèvent les flots et font chavirer barques de pêcheurs et grands navires. Nous n’en sommes plus là, depuis longtemps, nous autres. Bien mieux, les marins savent, aujourd’hui, que le vent des rafales ne naît pas de lui-même, ou par un conflit de brises légères et agitées à l’extrême. Les plus horribles perturbations, quelque douloureuses qu’en puissent être leurs conséquences pour ceux qui naviguent, ne sont autre chose que l’accomplissement régulier des décrets qui régissent les mondes dans une admirable harmonie.

La mer si féconde, si changeante, si terrible et si douce, nourrice qui berce et furie qui déchire, devait avoir et a eu ses fervents et ses détracteurs, mais surtout ses admirateurs passionnés, ses poètes, ses historiens, ses naturalistes, ses peintres ; elle a donné la gloire aux Colomb, aux Magellan, aux Jacques Cartier, aux Cook et aux Dumont d’Urville, elle a enfanté des héros tels que Duquesne, Tromp, Ruyter, Jean Bart, Duguay-Trouin, Nelson, l’amiral Courbet.

Saluons-la donc aux premières pages de ce livre qui lui est consacré, et associons-nous à l’enthousiasme du poète italien Amicis, lorsqu’il s’écrie avec une si large inspiration :

« Salut, ô grande mer ! Comme un avril éternel ton sourire m’invite toujours à chanter, — et fait dans mon corps auquel il rend la vigueur, — bouillir les flots de mon sang juvénile.

« Salut, mer adorée ! épouvante du lâche, joie du brave, santé du malade, — mystère immense, jeunesse infinie, — beauté formidable et charmante.

« Je t’aime lorsque tes colères se brisent sur le rivage, — à la lueur funèbre des éclairs, — j’aime tes flots énormes et leurs mugissements. Mais plus encore j’aime ton murmure — lent et solennel qui berce le cœur, — ô cimetière d’azur sans limites ! »

Résumons-nous.

Il y a la vie, il y a les drames de la mer. La vie, c’est son action sans cesse présente et renouvelée ; c’est le monde d’êtres qu’elle nourrit. Quant au drame, il se meut sur une vaste scène, ayant pour décors la tempête, l’ouragan, les rochers sur lesquels s’échouent les navires, la nuit noire des collisions qui les font sombrer, les ciels qui s’empourprent de la lueur des incendies, les navires écrasés dans les blocs de glaces des mers polaires — vagues devenues montagnes ! — au milieu d’hivers qui ne sont qu’une nuit froide de plusieurs mois.

Navires à rames des Romains.

Le drame ce n’est pas seulement le naufrage ; c’est encore le combat sur le liquide élément : le duel entre deux vaisseaux, qui ne veulent ni l’un ni l’autre amener leur pavillon, l’abordage sanglant, les batailles rangées, escadre contre escadre, la poursuite du corsaire, l’abordage du flibustier, du pirate barbaresque ou malais. Le drame c’est Xercès faisant fouetter de verges les flots de la mer qui avaient englouti les navires montés d’une multitude armée qu’il conduisait à l’asservissement de la Grèce, c’est Salamine, ce sont les navires à rames des Romains et des Carthaginois aux prises pour une guerre d’extermination, c’est Actium, ce sont les légères barques servant aux incursions des Sarrasins, les drakkars amenant les Normands jusque sous les murs de Rouen, ce sont ces mômes Normands faisant la conquête de l’Angleterre, puis les galères de Gênes transportant les croisés en Orient, les caravelles des hardis navigateurs lancées à la découverte du Nouveau Monde, les vaisseaux de haut-bord qui se sont mesurés, sans épuiser des haines séculaires, sous les pavillons espagnols, français, anglais, hollandais, les fastueuses galères de la marine de Louis XIV, les flottes nombreuses qui se heurtèrent au cap Bévésier, à la Hogue… Le drame, c’est le vaisseau le Vengeur sombrant aux cris de vive la République ! dans le glorieux combat du 13 prairial, c’est Aboukir, c’est Trafalgar, c’est Navarin, c’est le bombardement d’Alger, c’est la guerre de Crimée, ce sont les exploits des monitors américains, la poursuite de la conquête du pôle nord par Franklin et ses émules, les expéditions en extrême Orient ; c’est le navire à vapeur venant prendre la place du navire à voile, le vaisseau de fer remplaçant le vaisseau de bois, les torpilleurs menaçant à leur tour d’amener la suppression des cuirassés. Voilà le drame, avec ses acteurs, ses décors et ses accessoires ; la tempête et la bataille ; les voyages aventureux autour du monde et les hivernages funèbres dans les glaces, le bateau de sauvetage et la barque du pêcheur.

C’est l’histoire d’une sorte de prise de possession de la mer, de la conquête par l’homme du redoutable élément, récit attrayant, certes ! mais que le cadre plus modeste de ce livre ne saurait contenir dans tous ses développements.

CHAPITRE II

cyclones de la mer des antilles ; typhons de l’océan indien ; tornadas du littoral africain ; pamperos du sud de l’amérique. les plus mémorables ouragans sur les côtes d’angleterre, aux antilles, aux états-unis, au bengale, dans la manche, au japon, sur le littoral de l’algérie.

Au sein des mers, sous l’Équateur, dans cette immense courbe, formée d’isthmes, qui soude l’Amérique septentrionale à l’Amérique du Sud, il y a une sorte de mer intérieure séparée des grandes eaux de l’Atlantique par une chaîne d’îles : c’est la mer des Antilles. Elle est comme le cœur du vaste Océan. Là, s’active la circulation sous-marine, et des courants s’en échappent d’un jet puissant, ainsi que du cœur s’élance le sang dans les artères.

Le même phénomène se reproduit, avec moins d’intensité toutefois, dans l’océan Indien et, sous la même latitude, dans le Grand Océan, — d’un bassin si large que la circulation s’y produit librement. Partout ces courants ont pour cause la densité de la mer, rendue plus lourde, plus salée par l’évaporation de l’eau sous l’action très active et permanente du soleil.

C’est dans ces régions du globe que, sous l’influence de phénomènes électriques, se forment ces ouragans dévastateurs, ces cyclones, ces typhons qui s’en vont tournoyer et se perdre jusqu’au plus profond des continents. Les cyclones partis de la mer des Antilles montent souvent à l’extrême nord de l’Europe, pour aller expirer parfois dans la mer Noire. Ces ouragans présentent cette particularité qu’ils se déplacent en tournant sur eux-mêmes, entraînés irrésistiblement de l’Équateur vers les pôles. Leur approche est signalée par divers signes que connaissent les marins et aussi par les oscillations du baromètre.

Lorsque le cyclone développe ses fureurs, la mer s’élève en hautes lames qui retombent avec une force capable de briser la membrure des plus solides vaisseaux. Les navires sont particulièrement menacés par ces perturbations, et ce sont eux qui ont le plus à craindre ; mais les îles et les archipels éparpillés au milieu des océans se trouvent dans les mêmes conditions défavorables que des vaisseaux ou des flottes sous le passage d’un cyclone ; les lames déferlent sur leur littoral, comme elles déferlent sur le pont des navires ; elles enlèvent et engloutissent des populations entières, comme elles le feraient d’un équipage.

Aussi redoutables que dans l’Atlantique, — disons mieux : que dans la mer des Antilles, — se montrent les ouragans des mers des Indes et de la Chine. Sur le littoral africain de l’Atlantique, ils prennent le nom de tornadas. Un point noir apparaît à l’horizon. Ce point s’étend. Bientôt tout disparaît ; tout tourne comme avec une hâte d’en finir. Quelle résistance le navire peut-il opposer ? Le long de la côte orientale de l’Amérique du Sud, vis-à-vis des Pampas — vastes plaines qui s’étendent entre l’Atlantique et la Cordillère — ces tempêtes, accompagnées de grains violents, sont appelées pamperos.

Aux tourbillons, aux ouragans, se joignent parfois, s’associent des trombes, des typhons. Souvent, pour le navigateur, elles sont difficiles à distinguer. À vrai dire, on ne se préoccupait guère d’établir de classement rigoureux avant les premiers essais de codification de la loi des tempêtes, entrepris avec succès dans notre siècle, et qui marqueront une ère nouvelle dans la navigation. Sans espoir de s’y soustraire jamais, les marins, les populations éprouvées se bornaient à déplorer les effets de ces perturbations et le souvenir des plus désastreuses se conservait de mémoire d’homme, du moins pendant un temps : les récentes catastrophes font oublier les anciennes ; et pour l’enseignement du marin, les exemples les plus rapprochés de lui sont les plus précieux, car rien ne l’assure que depuis les siècles écoulés certaines conditions météorologiques n’ont pas subi de profonds changements.

Nous ferons donc sagement, nous aussi, en ne remontant pas trop haut dans le passé, pour rappeler le souvenir des ravages exercés sur des points du globe plus particulièrement exposés aux fureurs de la mer.

Les Anglais ont noté dans leur histoire maritime l’ouragan de 1703, qui couvrit leurs côtes de débris et de ruines et dans lequel périrent treize vaisseaux de la marine royale et plus de huit mille marins. Les effets de la tempête se firent sentir fort avant sur la Tamise.

Un autre ouragan est demeuré tristement célèbre, celui de 1772, aux Antilles, où la mer monta de soixante-dix pieds, au milieu d’une nuit éclairée par des lueurs électriques.

Un autre ouragan, celui du 10 octobre 1780, appelé le grand ouragan, s’étendit sur toutes les Antilles et jusque dans le nord de l’Atlantique. Sur le littoral, les lames renversèrent des maisons, et des navires furent portés assez loin au milieu des terres pour qu’il fût impossible de les remettre à flot.

Cet ouragan embrassait dès son origine les points extrêmes des îles Sous-le-Vent, sur la côte du Vénézuéla, se dirigeant vers les îles de la Barbade et Sainte-Lucie, qui furent complètement ravagées.

À Sainte-Lucie, six mille personnes restèrent écrasées sous les décombres des édifices et des maisons ; la flotte anglaise, qui s’y trouvait au mouillage, fut presque entièrement désemparée. « Il est impossible, dit dans un rapport sir George Rodney, de décrire l’horreur des scènes qui eurent lieu à la Barbade, et la misère de ses malheureux habitants. Je n’aurais jamais pu croire, si je ne l’avais vu moi-même, que le vent seul pouvait détruire aussi complètement tant d’habitations solides ; et je suis convaincu que sa violence seule a empêché les habitants de ressentir les secousses du tremblement de terre qui a certainement accompagné l’ouragan. Quand le jour se fit, la contrée, si fertile et si florissante, ne présentait plus que le triste aspect de l’hiver : pas une seule feuille ne restait aux arbres que l’ouragan avait laissés debout. »

Le cyclone atteignit presque aussitôt la Martinique, où il enveloppa un convoi français de cinquante bâtiments, à bord desquels se trouvaient cinq mille hommes de troupes ; quelques marins seulement échappèrent au désastre. Plusieurs vaisseaux de guerre anglais qui venaient de quitter ces eaux en route pour l’Europe, disparurent dans la tourmente, sans qu’on eût jamais d’eux aucune nouvelle. Dans l’île même, le cyclone atteignit les proportions d’une épouvantable catastrophe : on dit que neuf mille hommes périrent. À Saint-Pierre, cent cinquante habitations disparurent dès la première invasion du raz de marée. À Fort-de-France, la cathédrale, sept églises et cent quarante maisons furent renversées ; plus de quinze cents malades et blessés demeurèrent ensevelis sous les ruines de l’hôpital. Les bancs de corail furent arrachés du fond de la mer et transportés près du rivage, où on les vit ensuite apparaître. Dans les batteries, des canons furent déplacés par la force du vent, qui transporta l’un d’eux à une distance de plus de cent mètres.

Moins de deux ans après, le 16 septembre 1782, l’escadre anglaise, Vue de Fort-de-France

.commandée par l’amiral Graves et composée de plusieurs vaisseaux de guerre et d’un grand convoi de navires marchands, fut rencontrée par un cyclone dans l’Atlantique. La plupart des vaisseaux sombrèrent, excepté le Canada. Ceux qui virent la fin du passage du cyclone demeurèrent désemparés. Un grand nombre de bâtiments de commerce périrent, et la perte de la marine anglaise fut de plus de trois mille hommes.

Ces redoutables tourbillons se précipitent parfois à raison de quarante milles à l’heure, vitesse qui ne peut qu’accroître leur fureur. En 1789, il suffit d’une lame pour briser dans le port de Coringa tous les vaisseaux, et les lancer sur la terre ; une seconde lame submergea la ville ; la troisième acheva la ruine de la malheureuse ville, et fit périr vingt mille de ses habitants.

Un autre ouragan ravagea la mer des Antilles et atteignit la Barbade, le 10 août 1831. La foudre éclata dans toutes les directions. D’après un témoin oculaire, pendant l’obscurité, où une interruption momentanée des éclairs plongea Bridgetown, on vit « plusieurs météores tomber du ciel ; un surtout, d’une forme sphérique et d’un rouge foncé, sembla descendre verticalement d’une grande hauteur… En approchant de terre avec un mouvement accéléré, il devint d’une blancheur éblouissante, prit une forme allongée, et aux approches du sol il éclata en mille morceaux comme du métal en fusion et s’éteignit immédiatement.

Quelques minutes après l’apparition de ce phénomène, le bruit assourdissant du vent se changea en un murmure solennel, ou plus exactement en un mugissement lointain, et les éclairs prenant un effrayant développement, une vivacité et un éclat extraordinaires, couvrirent tout l’espace entre les nuages et la terre pendant près d’une demi-minute. Cette masse, immense de vapeurs semblait toucher les maisons, et elle lançait vers la terre des flammes que celle-ci lui renvoyait aussitôt.

« Immédiatement après cette prodigieuse succession d’éclairs, l’ouragan éclata de nouveau de l’ouest avec une violence terrible et indescriptible, chassant devant lui des milliers de débris de toute nature. Les maisons les plus solides furent ébranlées dans leurs fondements, et toute la surface de la terre trembla sous la force de cet effrayant fléau destructeur. Pendant toute la durée de l’ouragan, on n’entendit pas distinctement le tonnerre. Le hurlement horrible du vent, le grondement de l’océan dont les lames monstrueuses menaçaient d’engloutir tout ce que l’ouragan laissait debout, le bruit mat des tuiles, la chute des toits et des murs ; mille autres bruits formaient un fracas épouvantable. Ceux qui ont assisté à une pareille scène d’horreur peuvent seuls se faire une idée de l’effroi et de l’immense découragement que l’homme éprouve en présence de cette rage de destruction de la nature. »

On se rappelle aussi la tempête tourbillonnante des États-Unis en 1815.

L’année 1822 fut marquée par un épouvantable cataclysme. Un cyclone assaillit le Bengale. Pendant vingt-quatre heures on vit les trombes d’eau monter dans l’air ; cinquante mille hommes périrent, engloutis dans la tourmente : ce fut pour eux comme un nouveau déluge.

La Barbade figure de nouveau dans cette liste funèbre pour le cyclone de 1838.

L’ouragan d’octobre 1859 sévit sur nos côtes de l’Ouest, le 24 et le 25 ; il reprit avec plus de fureur le 28, et dura encore quatre jours et quatre nuits, semant de naufrages tout notre littoral.

Le 5 octobre 1864, la ville de Calcutta fut éprouvée cruellement par un sinistre de même nature. L’ouragan remonta le Gange jusqu’à seize milles au-dessus de Calcutta. Cent vingt navires périrent brisés ; soixante mille personnes furent noyées ou écrasées ; des villages entiers disparurent. On évalua les pertes matérielles à 400 millions de francs. Calcutta devait être éprouvée encore trois ans plus tard. L’ouragan de 1864 atteignit aussi la ville et le territoire de Chandernagqr et y causa de grands ravages.

En 1866, un cyclone qui se déchaîna sur l’île de la Nouvelle-Providence (l’une des îles Lucayes) détruisit plus de six cents maisons et jeta à la côte tous les navires qui se trouvaient dans le port.

Un ouragan de même violence ravagea l’île de Saint-Thomas (Antilles) l’année d’après. En moins de quatre heures, le cyclone fit périr de six à sept cents personnes, détruisit les deux tiers de la ville et soixante-quatorze navires sombrèrent, ou se brisèrent sur le rivage.

Le 9 septembre 1872, la Martinique subit les atteintes d’un terrible ouragan ; une trentaine de navires périrent. Les îles voisines eurent aussi beaucoup à souffrir.

Une tempête affreuse se déchaîna pendant plusieurs jours sur notre littoral de la Manche à la fin d’octobre 1882. À Calais, la marée monta à la hauteur des quais et des portes des écluses, les jetées furent submergées, surtout celle de l’Est qui éprouva des dégâts considérables. À l’extrémité de cette dernière se trouve une construction en fer, qui sert pour les feux de marée ; cette construction fut déplacée par la force des lames qui venaient s’abattre dessus avec fracas. À Grand-Camp (Calvados), au Tréport, à Dieppe, de nombreuses barques de pêcheurs ne rentrèrent jamais au port…

Le 4 septembre 1883, la plupart des navires qui se trouvaient dans le port de Saint-Pierre (Martinique) subirent les assauts d’un formidable cyclone. L’ouragan survint dans la nuit. À huit heures du soir, le baromètre était haut de 758 mm. et le temps fort beau. Peu à peu, la baisse s’accentua, le vent sauta du sud-ouest au nord-ouest, le baromètre baissa, et à onze heures, le vent se mit à souffler avec une violence inouïe, accompagné d’averses diluviennes.

Dans la ville de Saint-Pierre, un grand nombre de maisons eurent leur toiture enlevée. Les dégâts de ce genre durent être évalués à plus de deux millions. Mais c’est la rade ouverte et toujours si animée de cette charmante ville qui fut le théâtre des scènes les plus émouvantes. Les navires chassaient sur leurs ancres, et, s’entraînant les uns les autres, se brisaient à la côte. Les caboteurs disparurent, ainsi que les chalands et toutes les embarcations. Les longs courriers français Lemnos, Tapageur, P.-A.-J., Bayadère et Mysore et le brick anglais Clio furent complètement perdus. Le petit steamer la Perle, qui faisait le service de Saint-Pierre, la ville commerciale de l’île, à Fort-de-France, siège du gouvernement, sombra, entraîné par le P.-A.-J. Un brick anglais, le Ruby, parti de Saint-Pierre quelques heures avant la tourmente, fut ramené à la côte où il se brisa. Le croiseur de l’État, le Rigault-de-Genouilly, reçut l’ouragan dans toute sa force dans la mer des Antilles. Par deux fois, il traversa le cyclone. Sur le rivage, toute la population s’était portée au secours des naufragés, et, à force de dévouement, on parvint à arracher à une mort certaine l’équipage des navires en perdition.

Un ouragan qui, dans les derniers jours de janvier 1884, traversa la Manche, occasionna aussi de nombreux naufrages de bâtiments de commerce.

Au mois de décembre de la même année, un terrible typhon causa des dommages considérables sur les côtes occidentales du Japon. Plus de deux mille personnes perdirent la vie ; une centaine de jonques coulèrent bas, et les rafales démolirent un millier de maisons.

Un ouragan souffla, le 9 février 1886, sur le littoral de l’Algérie. À Oran, sous l’assaut des lames, la jetée du nord fut défoncée en quatre endroits, et la mer, qui déjà passait par-dessus la jetée, s’engouffra alors par les brèches, mettant presque tous les bâtiments en danger. Quelques grands navires eurent de sérieuses avaries, à la suite des abordages causés par la rupture de leurs amarres. Quant aux chalands et bateaux de pêche, la plupart d’entre eux disparurent. À Arzew, le phare de l’entrée du port fut emporté dans la nuit ; les vagues furieuses avaient envahi les quais et inondé le rez-de-chaussée de deux hôtels. Une goélette mouillée au large et qui chassait sur ses ancres, tenta une manœuvre qui ne réussit pas, afin de tâcher d’entrer dans le port. Peu après, elle était jetée à la côte entre Arzew et Damesme.

Le 18 août 1891, un cyclone d’une extrême violence traversa la Martinique dans toute la longueur de l’île, tuant trois cent soixante-dix-huit habitants, détruisant les édifices et les maisons, ravageant les récoltes.

Les pertes furent évaluées à 88 millions.

Bateau de pêche par un gros temps.

Le 25 mai 1896, un cyclone couvrait de ruines l’une des plus riches cités des États-Unis, Saint-Louis sur le Missouri, causant d’affreux ravages, des pertes énormes dépassant peut-être 30 millions de dollars. Les digues du fleuve furent rompues, plusieurs milliers de personnes trouvèrent la mort dans la catastrophe, la terreur mit en fuite la population…

Que dire des raz de marée, si ce n’est que leurs effets sont peut-être encore plus soudains et plus terrifiants que les désastres venus de la mer sur les ailes de la tempête. Le dernier en date, qui eut lieu au Japon le 15 juin (5 mai) 1896, fit un très grand nombre de victimes.

La catastrophe arriva un soir de fête, alors que les jeunes garçons et les jeunes filles, suivant la vieille coutume de leur pays, célébraient les réjouissances de mai, le joli mois des fleurs. Elle surprit les populations maritimes des trois préfectures de Miyagi, d’Iwocté et d’Aomori, apportant partout en ce charmant pays la ruine et la mort.

Il y eut, à sept heures un quart du soir, un soulèvement du sol au fond de la mer, à quelque distance des côtes, marqué par un sourde détonation. Presque aussitôt une énorme masse d’eau fut projetée sur le littoral, envahissant une étendue de cent cinquante kilomètres de côtes. Une épouvantable vague, haute de trente mètres, se répandit dans le pays, s’avançant avec fracas, brisant et balayant sur son passage tout ce qui se trouvait dans les plaines, dans les vallées, roulant avec elle les débris des maisons et les cadavres des habitants.

La montagne d’eau fit de la sorte cinq kilomètres dans l’intérieur, puis se retira : quelques minutes après, la mer rentrait dans son lit. Mais ces quelques minutes avaient suffi pour anéantir et emporter tout ce que le raz de marée avait pu atteindre.

La mer avait tué vingt-neuf mille personnes, elle en avait blessé huit mille, elle avait détruit huit mille maisons, elle avait brisé ou englouti dix mille navires et barques de pêcheurs… D’une région peuplée, fertile et laborieuse, elle avait fait un désert.

Dans la ville de Kamaïshi, où il y avait huit mille habitants, on compta cinq mille morts ; trois maisons seulement résistèrent au cataclysme ! Des scènes d’horreur ont été rapportées par les survivants qui, placés ou réfugiés sur les hauteurs, ont pu assister à cette œuvre effroyable de destruction.

Comme toujours en pareil cas, il y eut des sauvetages véritablement miraculeux. On raconte qu’un berceau fut retrouvé sur les branches d’un arbre, un berceau dans lequel souriait une petite fille de trois ans, seule survivante d’un village de plusieurs centaines d’habitants…

Des pêcheurs qui se trouvaient au large lorsque le cataclysme se produisit, ne s’en doutèrent pas ; ils entendirent seulement au loin, vers la terre, un bruit inusité ; mais lorsqu’ils rentrèrent au port, ils ne retrouvèrent ni port, ni maison, ni famille, rien… D’autres pêcheurs, en revenant, pêchèrent des corps entraînés au large par la vague. L’un de ces hommes retrouva ainsi, dit-on, le cadavre de son enfant.

CHAPITRE III

le navire dans l’ouragan. le cyclone de l’Eylau ; signes précurseurs ; grains succesifs ; fréquence et violence des rafales ; le vent, la mer, la pluie se confondent en un seul élément ; la mâture est abattue ; « l’œil de la tempête » ; feux saint-elme ; passage d’un météore ; voie d’eau : le vaisseau va couler. cyclones de l’Amazone, de l’Atalante, de l’Héligoland.

Ces ravages effrayants occasionnés par les cyclones, trombes et typhons dans des rades, sur le littoral des côtes, au milieu de villes maritimes, peuvent donner une idée des émotions qui attendent le marin en pleine mer sous la menace de semblables ouragans et quand c’est la nuit !

Qu’on se figure cette nuit profonde, avec une atmosphère lourde, qu’aucun souffle d’air ne traverse… Un morne silence n’est interrompu que par les craquements du navire, dont toutes les voiles sont carguées, — c’est-à-dire qu’elles sont relevées, troussées de façon à donner le moins de prise possible au vent : car tout annonce une tempête. Le navire est tourmenté par une houle énorme et phosphorescente.

Tout à coup, l’espace s’embrase de toutes parts, sillonné par des éclairs, dont la vive lumière rend plus affreuse l’obscurité qui les suit ; puis éclatent avec fracas les coups répétés de la foudre ; ils se prolongent au loin ; c’est à faire croire à une conflagration universelle. Pour témoins de cette épouvantable perturbation des éléments, et pour victimes assurées, semble-t-il, une poignée d’hommes cramponnés à la planche qui les sépare de l’abîme, aveuglés par l’éclair, assourdis par le tonnerre, et pourtant impassibles et confiants dans l’habileté du chef dont la voix s’élève de temps en temps calme et solennelle.

Tout cela n’est encore que le prélude de ce qui se prépare. De larges gouttes de pluie annoncent le danger réel ; des mugissements lointains se font entendre : c’est la mer qui, de l’un des points de l’horizon, s’avance en écumant, fouettée par un vent forcené, battue par la grêle ou la pluie.

Marin, laisse arriver ! fuis devant la tempête, car si le navire est pris par le travers, c’en est fait : il s’incline sur le flanc, il est engagé, submergé, peut-être il va sombrer ; mais non, il se relève… avec ses mâts brisés, sa muraille défoncée, son pont balayé de tout ce qui s’y trouvait. Alors, même fuir devant le temps, n’est pas toujours le moyen le plus sûr, car, si le navire est de faible dimension ou trop lourd, la mer va le couvrir d’un bout à l’autre, défoncer son arrière et noyer ses entreponts…

Mais la tempête redouble : « Rugissements sauvages, hurlements plaintifs, râles et cris de noyade, gémissements du malheureux vaisseau, qui redevient vivant, comme dans sa forêt, se lamente avant de mourir, tout cet affreux concert n’empêche pas d’entendre aux cordages d’aigres sifflements de serpents. Tout à coup un silence… Le noyau de la trombe passe alors dans l’horrible foudre, qui rend sourd, presque aveugle… Vous revenez à vous, dit Michelet dans son beau livre sur la Mer. Elle a rompu les mâts sans qu’on ait rien entendu.

« L’équipage parfois en garde longtemps les ongles noirs et la vue affaiblie. On se souvient alors avec horreur qu’au moment du passage la trombe, aspirant l’eau, aspirait aussi le navire, voulait le boire, le tenait suspendu dans l’air et hors de l’eau, puis elle le lâchait, le faisait plonger dans l’abîme.

« En la voyant ainsi se gorger et s’enfler, absorber et vagues et vaisseau, les Chinois l’ont conçue comme une horrible femme, la mère Typhon, qui, en planant au ciel, choisissant ses victimes, conçoit, s’emplit et se fait grosse, pleine d’enfants de mort, les tourbillons de fer. »

Précisons, avec des détails moins généraux, l’assaut en pleine mer d’un navire enveloppé d’un cyclone. Nous avons justement sous les yeux des documents pouvant nous permettre de ne rien sacrifier à la vérité.

Le vaisseau l’Eylau, parti de la Vera-Cruz, ramenait du Mexique une centaine de malades. Il avait touché à la Havane le 5 octobre 1862, pour y faire des vivres frais et y prendre du charbon. Son équipage comptait seulement deux cent quarante hommes, nombre très insuffisant. Mais

Une trombe.

le navire avait pour commandant M. le capitaine de frégate Pagel, l’un des officiers les plus distingués de notre marine.

Le 10 octobre, l’Eylau se trouvait hors du canal de la Floride ; sa route le conduisait un peu au nord des îles Bermudes, lorsqu’un cyclone d’une violence extrême vint l’envelopper. Dès le 15, vers une heure du soir, la brise avait paru fraîchir ; deux heures plus tard, l’horizon se rembrunissait, puis survenaient des grains successifs, et le commandant dut faire diminuer la voilure ; divers ris furent pris aux huniers, à la misaine ; enfin, il fallut serrer la misaine et la grand’ voile. Ces manœuvres s’accomplissaient péniblement faute de bras : cent vingt-trois hommes manquaient à l’effectif de l’équipage.

La brise fraîchissait de plus en plus, les grains arrivaient à de plus courts intervalles, la mer grossissait sensiblement, le baromètre baissait d’une façon inquiétante : tout annonçait l’approche d’un cyclone : la baisse continue du baromètre et la nature du vent, soufflant toujours par rafales, ne pouvaient se concilier avec les signes précurseurs d’une de ces tempêtes que les marins qualifient de « rectilignes ».

Bientôt la fréquence et la violence des bouffées de vent allèrent en augmentant, déchirant l’air de violents coups de fouet ; le tourbillon approchait, rugissant et furieux. Le commandant de l’Eylau ne conserva guère que le petit hunier comme voile de manœuvre, pour la lutte qu’il se préparait à livrer. « L’idée fixe en présence d’un ouragan, dit le capitaine Pagel dans son rapport, c’est de fuir son centre, et pour l’éviter, il n’y a pas à hésiter devant un sacrifice quelconque ; on doit à tout prix chercher à s’en éloigner, et quand même les voiles de l’avant n’éloigneraient de ce point redoutable que de quelques milles, elles peuvent être emportées après, elles ont rendu peut-être au navire le plus grand de tous les services. — Ce serait une bien grande imprudence d’attendre un ouragan à sec de voiles. »

À six heures du soir, le vaisseau se trouvait dans le demi-cercle « dangereux » du cyclone — l’autre demi-cercle est appelé par les marins « maniable ». Trois quarts d’heure après, les deux embarcations de tribord étaient emportées. Pour mieux tenir la mer, à défaut de voiles, le capitaine Pagel fit allumer les feux de cinq chaudières.

Le cyclone apparaissait dans sa redoutable énergie. L’air se précipitait en ouragan comme du haut de pentes rapides. Le vent, avec des mugissements étourdissants, des sifflements aigus, renversait tout à bord, arrachait tout, dispersait tout. Sous sa violence, la voile de misaine, bien que serrée, fut déferlée et déchirée. Un moment plus tard, la grande voile et la voile du grand hunier n’offraient pas une plus grande résistance.

Un des petits mâts tombe : c’est un avertissement sinistre. À huit heures trente minutes, les grondements de la tempête rendaient absolument inutiles les efforts les plus extraordinaires de la voix humaine pour se faire entendre ; les rafales, comme des décharges successives et formidables d’artillerie, déchiraient l’atmosphère ; les rugissements de l’ouragan dominaient le bruit clair des voiles, fouettant déchirées, et s’en allant en lambeaux. La mer devenait horrible. À un moment, le vaisseau se trouva couché sur son flanc gauche, mais couché à donner le vertige ; les deux canots de bâbord s’emplissent, l’un d’eux est emporté ; l’eau entre par les sabords des gaillards ; sous une épouvantable rafale le grand mât de hune cède et casse ; mais le bruit de la tempête ne permet pas d’entendre le craquement qui a dû se produire : on a la surprise terrifiante de voir, tout à coup, ce mât suspendu par son gréement, ayant brisé plus d’une vergue…

D’un sombre nuage qui, dans la nuit noire, s’étend constamment au-dessus de la mer, s’échappent des torrents d’eau, pluie torrentielle, salée par son mélange avec les embruns, — poudre, des vagues que le vent emporte. C’est de ce nuage d’un si lugubre aspect que parfois se dégage cette ouverture circulaire qui laisse apercevoir au centre des cyclones le bleu du ciel ou les étoiles, et que les marins ont nommée « l’œil de la tempête ». Sous ce dôme suspendu à une grande hauteur, flottaient des masses nuageuses, déchiquetées, tordues…

Maintenant, le vent, la mer, la pluie se confondent en un seul élément destructeur, implacable, infatigable, qui s’abat sur le vaisseau comme pour l’écraser. L’Eylau était emporté dans un tourbillon d’écume ; la mer blanchissait sur le fond noir de l’horizon ; les vagues poussées dans diverses directions se heurtaient en acquérant de prodigieuses forces d’ascension, s’élevaient à des hauteurs énormes, retombaient lourdement et brisaient avec une écume phosphorescente, seule lumière dans la profonde obscurité. Rien ne changeait dans l’horrible.

Après la chute de son grand mât de hune, l’Eylau s’était relevé ; sous la main qui le dirige, le vaillant navire se comporte bien. Malheureusement, peu après, le petit mât de hune tombe à son tour : sans qu’il ait

fait plus de bruit que l’autre mât de hune, on l’aperçoit, aussi suspendu de la même manière.

Le vaisseau l’Eylau.

C’était un peu avant que l’ouragan fût dans son plus fort. Ce moment d’épreuve arriva : les ponts se soulevèrent sous l’inclinaison du vaisseau, les épontilles partirent, la membrure craquait, les bas mâts paraissaient fatiguer beaucoup. À tribord, à bâbord, derrière, devant, la plus grande partie des bastingages avait volé à la mer ou s’était abattue sur le pont.

Toutefois, si grosse que fût cette mer démontée, elle eût pu l’être bien davantage, en raison de la violence du vent. De minute en minute, des lames plus fortes venaient déferler avec bruit le long du bord. Au plus terrible moment de la tourmente, le feu Saint-Elme, effroi des matelots superstitieux, parut plusieurs fois tout au haut de ce qui restait de la mâture.

Enfin, à dix heures du soir, la tempête mollit. L’intensité du vent diminua d’une manière très appréciable. Le baromètre commença à remonter rapidement. Une demi-heure après, on pouvait prévoir la cessation de l’ouragan. Un éclatant météore traversait le ciel, et son large disque lumineux fixait tous les regards surpris…

Mais l’eau qui avait pénétré dans la cale et gagné le parquet de la machine, empêchait la machine de fonctionner. On dut gouverner à la lame avec des lambeaux de voiles. Une voie d’eau était-elle ouverte ? On n’y songea pas d’abord : tant de lames avaient passé par-dessus bord, qu’il en devait bien rester dans la cale ! Ce ne fut qu’au matin, par une mer très houleuse, que l’on constata que le vaisseau menaçait de couler. Toutes les pompes furent mises en jeu, l’équipage entier forma des chaînes d’épuisement. Ces efforts eussent été vains, si le capitaine Pagel n’eût enfin soupçonné que la coulisse fermant à bâbord le tuyau d’évacuation des eaux de condensation, avait été emportée par le grand mât de hune dans sa chute, et que la mer entrait dans la cale par là. Cela pouvait constituer une ouverture d’un mètre carré environ.

Il ne se trompait pas, et son inspiration fut le salut du vaisseau ; Le charpentier construisit à la hâte une coulisse en bois, lestée de gueuses de fer, et, pour la mettre en place, un marin, — un noir de nos colonies — fit preuve d’une rare énergie et d’un courage à toute épreuve ; il fallut le descendre, attaché par des cordes, le long des flancs du vaisseau. Cette opération périlleuse réussit au-delà de toute espérance.

L’Eylau fut ramené en France par son habile commandant, moins glorieux peut-être d’avoir conservé à l’État l’un de ses grands navires, et d’avoir sauvé ses passagers malades et son équipage, que de rapporter de précieuses observations sur le genre d’ouragan avec lequel il s’était trouvé aux prises. M. Louis Pagel a publié, depuis, les savantes remarques faites par lui sur les cyclones. Elles ont pris place à côté des remarquables travaux de Peltier, du lieutenant Maury, de Piddington, de Redfield, de Reid, qui ont étudié la loi des tempêtes.

D’autres cyclones n’ont pas entraîné non plus la perte des navires atteints dans leurs tourbillons ; tel est le cyclone essuyé le 10 octobre 1871 par l’Amazone, commandé par M. Riondet, capitaine de frégate ; ce vaisseau-transport venait de la Martinique quand il fut assailli dans le nord-est de la Désirade, — l’une des îles du groupe de la Guadeloupe ; — tel est encore le cyclone rencontré dans les parages du cap Vert — qui est, on le sait, le point le plus avancé du littoral dans l’Afrique occidentale, par la corvette cuirassée l’Atalante, montée par l’amiral baron Roussin (7 septembre 1872) ; — le cyclone de l’Héligoland, corvette de guerre autrichienne ayant quitté l’île de Sainte-Hélène pour se rendre à Gibraltar (17 octobre 1874).

 

CHAPITRE IV

 

le cyclone du golfe d’aden ; perte du Renard ; l’ouragan s’étend à tout le littoral de la mer arabique et du golfe du bengale. Un navire aux prises avec la tempête ; le grain ; le coup de vent ; on cargue les voiles ; un homme à la mer ! la lame rapportant le marin qu’elle a enlevé ; le navire est atteint ; ses canots sont brisés ; une voie d’eau se déclare ; il va sombrer.

 

Après plus de cent ans qu’aucun cyclone n’avait fait son apparition dans le golfe d’Aden, un ouragan de cette nature vint causer la perte de l’aviso le Renard, le 3 juin 1885. C’était un navire à hélice et en bois construit en 1866, sur un plan quelque peu bizarre, et plusieurs marins expérimentés refusaient au Renard les qualités nautiques nécessaires pour affronter une navigation difficile.

Le Renard était parti d’Obock à destination d’Aden, avec des vents variables du sud-ouest à l’ouest, permettant d’établir toute la voilure ; à environ cinquante milles (le mille est de 1,852 mètres) de son point de départ, il aura eu une renverse de vent de l’est-nord-est probablement après un intervalle de calme. La brise était modérée à Obock, au moment de l’appareillage du Renard. Le centre du météore devait en être bien rapproché (quelque rapide que fût son mouvement de translation), puisque l’infortuné navire l’aurait rencontré après avoir parcouru seulement une distance de moins de vingt lieues marines.

Les cyclones montent bien rarement dans ces parages. Le Renard eut cette mauvaise fortune d’en rencontrer un. Il a dû se trouver dans une de ces situations qui dominent les forces humaines et mettent à une suprême épreuve ces vertus essentielles de la noble profession maritime : « Abnégation, dévouement, sacrifice de la vie, Honneur et Patrie ». Telle est, en effet, la devise que le marin a constamment sous les yeux, depuis le jour où il quitte le port jusqu’à celui où le vaisseau désarme. Elle est gravée en lettres d’or sur le fronton des dunettes, et mieux encore, au fond du cœur de chaque homme de l’équipage.

L’idée de la proximité d’une tempête tournante n’a dû entrer qu’en dernier lieu dans l’esprit du capitaine du Renard, pour deux raisons : d’abord l’absence de tout indice de perturbation avant son départ d’Obock, ensuite l’excessive rareté des cyclones dans la mer Rouge.

Le Renard appartenait au port de Toulon ; mais la plus grande partie de l’équipage était composée de marins bretons ; le commandant, M. le capitaine de frégate Peyrouton Laffon de Ladebat, et le second, M. le lieutenant de vaisseau de Rotrou, étaient nés à Paris. L’enseigne de vaisseau Marcadé était du Havre, l’enseigne de vaisseau Lambinet et l’aspirant de première classe Iléliès, étaient bretons. L’aide-commissaire, M. Baratte, était né en Belgique, à Bruges, et le médecin, M. Saint-Pierre, à Lanches (Cantal). D’après le rôle d’équipage, le personnel se décomposait ainsi qu’il suit : commandant et état-major, 7 personnes ; personnel de la machine, 9 ; officiers mariniers, 10 ; matelots, 58 ; agents civils, 3 ; chauffeurs arabes, 21 ; total, 117 hommes.

L’ouragan dans lequel le Renard disparut fut suivi d’une autre tempête qui a fait sentir ses effets sur tout le littoral de la mer Arabique et du golfe du Bengale. La liste des navires de tout tonnage perdus ou ayant reçu des avaries considérables permit seule de mesurer l’étendue du sinistre.