Les ballons et les voyages aériens - Ligaran - E-Book

Les ballons et les voyages aériens E-Book

Ligaran

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "La Conquête du ciel: ce titre d'une introduction aux merveilles de l'art aérostatique peut paraître ambitieux aux astronomes et à ceux qui savent que le véritable ciel, l'espace infini, est à jamais inaccessible aux voyages de l'habitant de la terre. Cette inscription, brodée en lettres flamboyantes sur l'étendard de l'aérostation, n'a pas paru exagérée à ceux qui ont assisté à l'enthousiasme allumé par l'ascension de la première montgolfière..."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. 

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EAN : 9782335047844

©Ligaran 2015

PREMIÈRE PARTIELa conquête du ciel
CHAPITRE PREMIERLa fanfare de 1783

Où donc s’arrêtera l’homme séditieux ?

L’espace voit, d’un œil par moment soucieux,

L’empreinte du talon de l’homme dans les nues ;

Le voilà maintenant marcheur de l’infini.

Où s’arrêtera-t-il, le puissant réfractaire ?

Jusqu’à quelle distance ira-t-il de la terre ?

Jusqu’à quelle distance ira-t-il du destin ?

Toute l’antique histoire affreuse et déformée

Sur l’horizon nouveau fuit comme une fumée.

VICTOR HUGO.

La Conquête du ciel : ce titre d’une introduction aux merveilles de l’art aérostatique peut paraître ambitieux aux astronomes et à ceux qui savent que le véritable ciel, l’espace infini, est à jamais inaccessible aux voyages de l’habitant de la terre. Cette inscription, brodée en lettres flamboyantes sur l’étendard de l’aérostation, n’a pas paru exagérée à ceux qui ont assisté à l’enthousiasme allumé par l’ascension de la première montgolfière. Dans l’histoire entière de l’humanité, jamais découverte n’excita pareil applaudissement. Jamais le génie de l’homme n’avait remporté un triomphe à l’apparence plus éclatante. Les sciences mathématiques et physiques recevaient le plus magnifique des témoignages, et déjà on saluait l’aurore d’une ère inattendue. Désormais l’homme régnait en maître sur la nature. Après avoir asservi le sol à sa puissance, après avoir fait courber la tête des vagues liquides sous la carène de ses navires, après avoir arraché la foudre au ciel, il allait, triomphateur sublime, prendre possession des célestes domaines. L’imagination à la fois orgueilleuse et confondue ne distinguait plus aucune limite à cette puissance, les portes de l’infini s’étaient écroulées sous le dernier coup de pied de la témérité humaine : la plus grande des révolutions venait de sonner au cadran séculaire des destinées.

Il faudrait avoir assisté à la frénésie de cet enthousiasme pour s’en rendre compte. Il faudrait avoir vu Montgolfier à Versailles, le 19 septembre 1783, sous les yeux de Louis XVI, ou bien les premiers aéronautes aux Tuileries. Paris n’avait qu’une voix pour acclamer les conquérants de l’espace céleste, et alors comme aujourd’hui la voix de Paris donnait le signal à la France, et la France le donnait au monde. Nobles et roturiers, savants et ignorants, grands et petits, le cœur battait d’un seul battement. Les rues débordaient de chansons, les librairies débordaient d’images et d’estampes, les salons ne s’entretenaient que de la nouvelle machine ; le poète se délectait déjà dans la contemplation supérieure des vastes scènes de la création, le prisonnier songeait à son évasion nocturne, le physicien visitait le laboratoire de la foudre et des météores, le géomètre dressait le plan des villes et des royaumes, le général observait la disposition du camp ennemi en faisant pleuvoir des obus sur la ville assiégée ; le gouvernement occulte donnait un nouveau service aux agents de la maréchaussée, le jeune garde-française s’envolait au ravissement de la fleur du castel, l’esprit fort proclamait un nouvel empiétement sur le domaine de Dieu, la piété craintive tremblait à l’approche des temps, le savant enregistrait un nouveau chapitre aux annales des connaissances humaines. Nul ne restait indifférent. Revoyez sous un coup d’œil général la marche progressive de l’esprit humain depuis les périodes les plus reculées jusqu’à nos jours : ni les chefs-d’œuvre de l’art et de l’éloquence, ni les législations souveraines, ni les conquêtes du sabre, ni la locomotive, ni le télégraphe, ne suscitèrent mouvement comparable à celui-là. C’était l’audace humaine, altière et victorieuse, brillant au rang d’étoile dans l’immense étonnement des cieux !

Dans l’histoire des progrès de l’esprit humain, il est donc peu d’évènements qui aient suscité un enthousiasme pareil à celui qu’éveilla dans tous les esprits l’ascension du premier ballon. En général, les découvertes scientifiques, dit Arago, celles même dont les hommes pouvaient espérer le plus d’avantage, les découvertes, par exemple, de la boussole et de la machine à vapeur, furent reçues, à leur apparition, avec une dédaigneuse indifférence. Les évènements politiques, les hauts faits militaires, jouissent exclusivement du privilège d’émouvoir la niasse du public. Il y a eu cependant deux exceptions à cette règle. Sur cette seule indication, chacun de vous a déjà nommé l’Amirique et les aérostats, Christophe Colomb et Montgolfier. Les découvertes de ces deux hommes de génie, si différentes, jusqu’ici, dans leurs résultats, eurent, en naissant, des fortunes pareilles. Recueillez, en effet, les marques de l’enthousiasme général que la découverte de quelques îles excita chez l’Andalou, le Catalan, l’Aragonais, le Castillan ; lisez le récit des honneurs inouïs qu’on s’empressait de rendre, depuis les plus grandes villes jusqu’aux plus petits hameaux, non seulement au chef de l’entreprise, mais encore aux simples matelots, et dispensez-vous ensuite de chercher dans les écrits de l’époque quelle sensation les aérostats produisirent parmi nos compatriotes. Les processions de Séville et de Barcelone sont l’image fidèle des fêtes de Lyon et de Paris. En 1783, comme deux siècles auparavant, les imaginations exaltées n’eurent garde de se renfermer dans les limites des faits et des probabilités. Là, il n’était pas d’Espagnol qui, sur les traces de Colomb, ne voulût, lui aussi, aller fouler de ses pieds ces contrées où, dans l’espace de quelques jours, il devait recueillir autant d’or et de pierreries qu’en possédaient jadis les plus riches potentats. En France, chacun, suivant la direction habituelle de ses idées, faisait une application différente, mais séduisante, de la nouvelle faculté, j’ai presque dit des nouveaux organes que l’homme venait de recevoir des mains de Montgolfier. De tels projets, qu’on dirait empruntés à l’Arioste, semblaient assurément devoir satisfaire les esprits les plus aventureux, les plus enthousiastes ; il n’en fut pas ainsi cependant : la découverte des aérostats, malgré le brillant cortège dont chacun l’entourait à l’envi, ne parut que l’avant-coureur de découvertes plus grandes encore ; rien désormais ne devait être impossible à qui venait de conquérir l’atmosphère ; cette pensée se reproduit sans cesse, elle revêt toutes les formes ; la jeunesse s’en empare avec bonheur, la vieillesse en fait le texte de mille regrets amers. Voyez la maréchale de Villeroi : octogénaire et malade, on la conduit presque de force à une des fenêtres des Tuileries, car elle ne croit pas aux ballons. Le ballon, toutefois, se détache de ses amarres ; le physicien Charles, assis dans la nacelle, salue gaiement le public, et s’élance ensuite majestueusement dans les airs. Oh ! pour le coup, passant, et sans transition, de la plus complète incrédulité à une confiance sans bornes dans la puissance de l’esprit humain, la vieille maréchale tombe à genoux, et, les yeux baignés de larmes, laisse échapper ces tristes paroles : « Oui, c’est décidé maintenant, c’est certain, ils trouveront le secret de ne plus mourir, et c’est quand je serai morte ! »

Et que serait-ce si nous rappelions les idées populaires écloses à la première fécondité de cette découverte ? Dans les imaginations moins tempérées, chez les esprits moins éclairés, parmi les rangs du peuple causeur, ce n’était pas seulement le ciel bleu, l’atmosphère terrestre qui devenait le domaine de l’homme ; c’était le vaste ciel des mondes. La lune, mystérieux séjour d’habitants inconnus, ne serait plus inaccessible ; l’espace n’avait plus d’abimes que le génie ne pût franchir. Bientôt des expéditions tenteraient le céleste voyage et nous rapporteraient des nouvelles de ce monde voisin. Christophe Colomb et sa renommée s’évanouissaient à l’éclat de cette conquête sans précédent. Les planètes qui voguent autour du soleil en compagnie de la terre, les comètes aventureuses, jadis objets de terreur, les étoiles lointaines, c’était là désormais le champ ouvert aux investigations du roi de la terre. On se demandait avec terreur où l’homme s’arrêterait dans son ambition, et l’on entendait dans l’espace une voix qui répondait : Nulle part !

La Providence de Bossuet a dit à la société : Marche ! Le nouvel essor qui faisait palpiter les ailes de l’humanité dépassait l’ordre de cette Providence, et l’ancien monde mourait en donnant naissance au phénix de la « Liberté dans la lumière. »

On comprend cet enthousiasme. Il y a dans le seul fait d’une ascension dans les airs quelque chose de si grand, de si hardi, de si surprenant, que l’âme se sent profondément touchée. Et s’il nous arrive encore, même aujourd’hui que nous sommes témoins de ces faits depuis quatre-vingts ans, d’être émus par le départ des hommes qui se confient sur une nacelle tremblante à l’abîme de l’immensité aérienne, quel dut être l’étonnement de ceux qui, pour la première fois depuis le commencement du monde, virent un de leurs frères s’envoler dans le vide, sans autre assurance que la témérité d’une foi rayonnante ?

Pourquoi sommes-nous obligé de constater ici que l’immense retentissement qui remua les esprits d’un bout de l’Europe à l’autre et qui annonçait de si vastes espérances à la découverte nouvelle, s’éteignit insensiblement sans se réveiller pour aucune réalisation des prévisions qui paraissaient si légitimes ? Il y a bientôt cent ans que le premier voyage aérien étonna le monde, et nous ne sommes pas plus avancés qu’en 1783. Notre siècle est le plus brillant d’entre tous par ses découvertes. L’homme se fait porter par le feu ; mieux que le poisson, il traverse les océans ; mieux que la taupe et les animaux souterrains, il traverse les montagnes ; mieux que la parole, il transmet instantanément sa pensée de Paris à New-York ; mieux que l’œil, il fixe les images impalpables : le soleil est son esclave. L’air seul lui est resté insoumis. La direction des ballons n’est pas trouvée ; moins que cela, les ballons ne paraissent pas dirigeables, et c’est à des constructions plus conformes à la structure des oiseaux que l’on devra demander le secret de la navigation aérienne. Aujourd’hui comme autrefois, on est à la discrétion des ballons, globes plus légers que l’air, qui sont la proie des courants et des tempêtes. Et les aérostats sont descendus au discrédit de la curiosité frivole et du couronnement ordinaire des fêtes publiques.

Nous aimons à espérer que l’aurore si joyeuse et si éclatante qui est apparue à l’horizon de ce siècle, aux yeux surpris de nos ancêtres, n’attendra pas un autre siècle pour annoncer le jour si impatiemment attendu de la véritable conquête des airs. Le dix-neuvième siècle nous a déjà donné tant de choses, que sa générosité ne nous refusera pas la plus précieuse. Lorsque l’homme aura pris possession du ciel aérien, comme il a pris possession de l’élément liquide, les barrières qui séparent les peuples tomberont d’elles-mêmes, et, de l’équateur aux pôles, le globe terrestre deviendra le séjour d’une seule famille. Le philosophe, qui suit silencieusement la marche corrélative du progrès dans le sein de l’humanité entière, reconnaît, il est vrai, que les distinctions rivales des peuples ne peuvent pas encore s’effacer, et que peut-être l’heure que nous espérons est retardée sur le livre du destin. Mais puisque c’est l’humanité qui se perfectionne elle-même par son incessant travail, que tous ceux dont le cœur palpite aux grandes questions du progrès, que tous ceux dont l’esprit s’exalte pour la cause universelle, travaillent chacun selon son impulsion intime ! Conquérons par notre ardeur studieuse le vaste domaine de la nature.

CHAPITRE IITentatives anciennes imaginées à diverses époques pour s’élever dans les airs

… Cœlum certe patet. Ibimus illac.

OVIDE.

Avant de contempler dans son expression absolue, triomphalement proclamée à la fin du siècle dernier, la conquête soudaine du royaume aérien, il est à la fois curieux et instructif de jeter un regard en arrière et de saisir, à la lueur des traditions antiques, les tentatives qui peuvent avoir été faites ou imaginées par l’homme pour s’affranchir du boulet de l’attraction terrestre.

La plupart des arts et des sujets de science peuvent remonter une échelle chronologique fort longue, et quelques-uns se perdent dans la nuit des temps, pour parler comme les historiens. L’art de s’élever dans les airs ne rencontre pas d’ancêtres sérieux dans l’histoire, et la découverte des Montgolfier s’est élevée spontanément sans que les inventeurs aient pu, comme Copernic ou Colomb, trouver dans la lecture des ouvrages anciens l’indice du principe sur lequel est construit le ballon. Du moins n’avons-nous aucune preuve que les peuples anciens aient rien mis en pratique dans l’art de la navigation aérienne. Les essais que nous allons signaler n’appartiennent pas rigoureusement à l’histoire de l’aérostation.

Si nous commencions notre revue rétrospective au déluge, ou aux temps héroïques, nous remarquerions d’abord dans le ciel mythologique Mercure aux pieds ailés et les fréquentes visites des divinités de l’Olympe aux habitants de la terre, et dans le ciel biblique, les voyages des anges. Mais ce serait abuser de l’analogie. Un peu plus tard, nous apercevons dans l’île de Crète Dédale fuyant la colère de Minos et se sauvant avec son fils Icare à l’aide d’ailes de sa construction qui lui permirent de traverser les airs. Les ailes étaient, paraît-il, soudées par de la cire ; l’imprudent Icare s’étant élevé trop haut, fut atteint par un rayon de soleil qui fondit cette cire et le précipita dans la mer, auprès d’une petite île qui depuis se nomma Icarie. Il y a peut-être sous ce symbole l’invention des voiles de navire.

En descendant le labyrinthe de l’histoire antique, nous rencontrons, au quatrième siècle avant Jésus-Christ, Archytas de Tarente, ami et contemporain de Platon, qui passe pour avoir lancé dans les airs le premier cerf-volant, et qui, d’après les auteurs grecs, « fit une colombe de bois qui volait, mais qui ne se relevait plus si elle venait à tomber. » Son vol, est-il dit, s’effectuait « par le moyen d’un artifice mécanique et se soutenait par des vibrations. »

En l’an 66 de l’ère chrétienne, au temps de Néron, Simon le Magicien, – qui s’appelait le Mécanicien, – fit à Rome des expériences de vol à une certaine hauteur. On sait qu’aux yeux des premiers chrétiens, cette puissance, ainsi que celle de plusieurs autres personnages, était attribuée au démon, et que l’adversaire de notre homme volant, saint Pierre, se mit en prière pendant que Simon planait dans l’espace, et obtint de la charité divine que ce renégat tombât sur le Forum et se brisât le crâne sur place.

Du haut de la tour de l’hippodrome de Constantinople, au temps de l’empereur Emmanuel Comnène, un Sarrasin eut le même sort que Simon. Ses expériences étaient fondées sur le principe du plan incliné : il descendait suivant une route oblique en se servant de la résistance de l’air. « Sa robe, fort longue et fort large, dont les pans étaient retroussés avec de l’osier, devait lui servir de point d’appui. »

Le plan incliné a également servi à l’ange Uriel, du Paradis perdu, lequel descendait le matin du ciel sur la terre par un rayon de soleil, et remontait le soir de la terre au ciel par la même obliquité. Mais ne donnons pas droit de cité ici aux fantaisies de la pure imagination, et ne parlons pas non plus de Médée la magicienne, de l’enchanteresse Armide, des sorcières du Brocken, de l’Hippogriffe, neveu de Pégase, du Zéphyr aux ailes roses, et des inventions diaboliques du Moyen Âge, pour lesquelles bien des bûchers s’allumèrent.

Roger Bacon, du treizième siècle, inaugure une ère plus scientifique. Dans son Traité de l’admirable puissance de l’art et de la nature, il émet l’idée que l’on « peut faire des machines pour voler, dans lesquelles l’homme, étant assis ou suspendu au centre, tournerait quelque manivelle qui mettrait en mouvement les ailes faites pour battre l’air, à l’instar de celles des oiseaux. » Dans ce même traité il donne la description d’une machine volante avec laquelle celle de Blanchard, que nous retrouverons au dix-huitième siècle, offre certains rapports. Le moine Roger Bacon était digne de précéder au Panthéon des grands hommes le chancelier Bacon, qui devait, au dix-septième siècle, annoncer l’ère de la méthode expérimentale.

L’homonyme d’un nom illustre à d’autres titres, Jean-Baptiste Dante, mathématicien de Pérouse, à la fin du quinzième siècle, construisit des ailes artificielles qui, appliquées au corps de l’homme, lui permettaient de s’élever dans les airs. On rapporte qu’il fit plusieurs fois l’essai de son appareil sur le lac de Trasimène. J.-B. Dante ne doit pas être confondu avec celui qui traça la méridienne de Bologne. Ses expériences sur le vol aérien eurent une triste fin. Dans une fête donnée pour la célébration du mariage de Barthélémy d’Alviane, Dante voulut offrir ce spectacle à la ville de Pérouse, – prélude des ballons qui couronnent aujourd’hui nos fêtes publiques. – Il s’éleva très haut et vola par-dessus la place ; mais le fer avec lequel il dirigeait l’une de ses ailes s’étant brisé, il tomba sur l’église de Notre-Dame et se cassa la cuisse.

Un accident semblable arriva à un savant bénédictin anglais, Olivier de Malmesbury. Ce bénédictin passait pour fort habile dans l’art de prédire l’avenir ; cependant il ne sut point deviner le sort qui l’attendait. Il fabriqua des ailes, d’après la description qu’Ovide nous a laissée de celles de Dédale, les attacha à ses bras et à ses pieds, et s’élança du haut d’une tour. Mais ses ailes le soutinrent à peine l’espace de cent vingt pas ; il tomba au pied de la tour, se cassa les jambes, et traîna depuis ce temps une vie languissante. Il se consolait néanmoins de sa disgrâce en affirmant que son entreprise aurait certainement réussi s’il avait eu la précaution de se munir d’une queue.

Avant d’aller plus loin, observons que le dix-septième siècle est l’époque par excellence des voyages imaginaires. L’astronomie venait d’ouvrir avec éclat son monde de merveilles ; une nouvelle vue venait d’être donnée à l’homme, et lui permettait de distinguer la surface de la lune et des autres terres. C’était comme un immense réveil de la pensée humaine. Notre globe, relégué loin du centre de l’univers au sein duquel il avait trôné jusque-là, n’était plus qu’un atome perdu dans un nombre incalculable d’autres globes. Les révélations du télescope plongeaient les esprits avides dans l’inquiète curiosité de l’inconnu. C’est alors qu’apparaissent ces excursions bizarres de l’imagination dans le ciel, ces voyages dans la lune et dans les planètes, ces romans scientifiques où quelques connaissances élémentaires sont la base des édifices les plus exagérés. Et pour voyager dans les étoiles, il fallait inventer quelque moyen de transport. Au temps passé, Lucien s’était contenté d’un navire soulevé par une trombe vers la lune levant ; c’était là un moyen trop primitif. L’un des premiers voyageurs à la lune des temps modernes, Godwin (1638), apprivoise des gansas ou cygnes sauvages de l’île Sainte-Hélène en leur montrant constamment un objet blanc pour direction. Une belle nuit il s’envole du pic de Ténériffe à cheval sur un bâton trainé par un attelage de ces oies colossales. Au bout de douze jours, il aborde à la lune. Plus tard l’Anglais Wilkins opéra la même ascension, porté sur un aigle. Alexandre Dumas, qui a écrit un petit roman sur le même sujet, n’a fait que traduire une composition de nos voisins. Après Godwin, nous trouvons Wilkins, auteur d’un ouvrage plus curieux encore que le précédent : A discourse concerning a new World, etc., ou, dans l’édition française de la Montagne : le Monde dans la lime. Ce penseur peut être regardé comme le précurseur de Montgolfier et des esprits enthousiastes qui saluèrent sa découverte et l’appliquèrent aux découvertes astronomiques. Dans un chapitre de son grand ouvrage intitulé : Qu’il n’est pas impossible que quelqu’un de la postérité puisse découvrir ou inventer quelque moyen pour nous transporter en ce monde de la Lune, et, s’il y a des habitants, d’avoir commerce avec eux, il expose d’abord des doutes qui font paraître son idée irréalisable. Puis, c’est ainsi qu’il raisonne :

« Nonobstant tous lesquels doutes, ie soustiendray cette thèse :

Que posé qu’un homme peust voler, ou par quelque autre moyen s’eslever jusqu’à vingt milles ou dix lieues de hauteur ou environ, il luy seroit possible d’aller jusques à la lune.

Pour plus grande illustration de cecy : Vous devez sçavoir que la pesanteur d’un corps, ou (comme le définit Aristote) l’inclination qu’il a à tendre en bas vers quelque centre, n’est pas une qualité absolue qui lui soit intrinsèque, comme si partout où le corps retenoit son essence, il devoit aussi retenir cette qualité : or, comme si la nature avoit planté en tout corps massif, appetitionem centri, et fugam extremitatis, l’inclination vers le centre et l’aversion de l’extrémité, et l’autre n’estant pas rien davantage, ne peuvent avoir en eux aucun pouvoir d’attraction ou d’expulsion. Suivant ce commun principe : Quantitatis nulla est efficacia.

Ce que nous pouvons aussi conduire du mouvement des oyseaux, lesquels ne s’eslévent de la terre que pesamment, quoy qu’avec beaucoup de peine et de travail. Là où estant haut eslevez, ils se peuvent tenir en l’air et s’essorer tout à l’entour par la simple estendue de leurs ailes. Or la raison de cette différence n’est pas, comme aucuns se l’imaginent faussement, l’espesseur de l’air qui est sous eux : car un oyseau n’est pas plus pesant quand il n’y a que un pied d’air sous luy, que quand il y en a six cens. Comme il appert d’un navire dans l’eau (exemple de cette mesme nature), lequel n’enfonce pas d’avantage, et par conséquent, n’est pas plus pesant, quand il n’a que cinq brasses d’eau, que quand il en a cinquante.

C’est une notion assez gentille à ce propos, dont Albert de Saxe fait mention, et après lui François Mendoce, que l’air, en quelque partie d’iceluy, est navigable. Et sur ce principe statique, qui est que tout vaisseau d’airain ou de fer (comme par exemple un chauderon) duquel bien que la substance soit beaucoup plus massive que non pas celle de l’eau, néantmoins estant plein d’air plus léger, il flottera sur l’eau et n’enfoncera point. De mesme supposez qu’un vaisseau ou une escuelle de bois fust posée sur les bords extérieurs de cet air élémentaire, sa cavité estant pleine de feu, ou plustost d’air éthéré, il faudroit nécessairement sur ce mesme fondement ou principe, qu’elle y demeurast flottante, et d’elle-mesme ne pourroit pas tomber en bas, non plus qu’un navire vuide couler à fond.

C’est ce dont on demeure généralement d’accord, que si la terre estoit percée d’outre en outre, et que le trou allast justement passer par le rentre, et qu’on y laissast choir quelque corps pesant, votre fust-ce une meule de moulin ; si est-ce que lors qu’elle viendroit à l’endroit du centre, elle s’y arresteroit tout court suspendue en l’air.

La vigueur naturelle par laquelle la terre attire à soy les corps denses est moins efficacieuse à quelque distance ou esloignement : et partant un corps de moindre densité qui est plus proche d’elle comme est, par exemple, cet air rare dans lequel nous respirons, peut néanmoins naturellement estre plus bas en sa situation, qu’un autre de plus grande densité qui est plus esloigné : comme, par exemple, les nuées dans la seconde région. Et bien que l’un soit absolument et de soy-mesme plus propre à ce mouvement de descente ; si est-ce qu’à cause de son esloignement, la vertu magnétique de la terre ne peut pas si puissamment agir sur lui.

Mais si on demande icy quels moyens on se pourroit imaginer pour nous eslever au-delà de la sphère de cette vigueur magnétique de la terre ? le réponds :

1. Que peut-estre il n’est pas impossible qu’un homme puisse estre capable de voler en l’air par l’application de certaines ailes à son corps, ainsi qu’on dépeint les Anges, ou comme on peint Mercure et Dédale, et comme cela a esté attenté et entrepris par divers personnes, et particulièrement par un Turc à Constantinople, ainsi que le raconte Rusbequius.

2. S’il y a un si grand oiseau en Madagascar, ainsi que le raconte Paulus Venetus, dont les plumes des ailes sont de douze pas de longueur et qui peut enlever en l’air un cheval et son chevaucheur, avec autant de facilité que feroit un de nos milans une petite souris ; il ne faudroit donc qu’instruire un de ces oyseaux à porter un homme, et l’on pourroit chevaucher iusque-là sur son dos, comme Ganimede sur un aigle.

3. Ou si l’un ou l’autre de ces moyens-là n’est pas suffisant, si puis-je affirmer sérieusement et sur de très bons fondements, qu’il seroit possible de faire un chariot volant dans lequel un homme pourroit estre assis et luy donner tel mouvement, qu’il pourroit estre porté et pourroit passer au travers de l’air. Et mesme on le pourroit faire assez grand pour y mettre plusieurs personnes à la fois, avec des viures pour leur voyage, et autres danrées pour le commerce. Ce n’est pas la grandeur d’une chose en ce genre de machines, qui puisse en empescher le mouvement, pourveu que la faculté mouvante s’y rapporte et y responde. Nous voyons un grand navire flotter aussi bien sur l’eau qu’un petit morceau de liège : et un aigle voler en l’air aussi bien que le moindre moucheron.

Cette machine se pourroit inventer des mesmes principes, par lesquels Archytas fit voler un pigeon de bois, et Regiomontanus un aigle.

Ie m’imagine qu’il ne seroit pas bien difficile (à qui en auroit le loisir) de montrer plus particulièrement le moyen de la composer.

L’accomplissement d’une telle invention seroit d’un si excellent usage, qu’elle suffiroit non seulement à rendre un homme fameux, mais aussi le siècle dans lequel il auroit vescu. Car outre les estranges descouvertes, qui par le moyen d’icelle se pourraient faire en cet autre monde-là, elle seroit encore d’un advantage inconcevable pour voyager icy-bas, au-delà de toute autre commodité qui soit maintenant en usage.

De manière que nonobstant toutes ces impossibilitez apparentes, il est assez vraisemblable qu’il se pourra inventer quelque moyen pour voyager à la Lune. Et combien seront heureux ceux qui réussiront les premiers en cette entreprise !

Ô bien heureux esprits qu’une viue estincelle
Du divin Prométhée a portés jusqu’aux cieux,
Bien loin de ces brouillards que la terre recelle,
Qui suffoquent notre âme et nous crevent les yeux. »

Vient ensuite Cyrano de Bergerac, qui édite cinq moyens différents de voyager dans les airs : 1° par des fioles remplies de rosée que le soleil aspire et fait monter ; 2° par un grand oiseau de bois dont les ailes sont mises en mouvement ; 3° par des fusées d’artifice qui partent successivement et élèvent chaque fois le char aérien de leur force de projection ; 4° par un octaèdre de verre chauffé par le soleil, dont la partie inférieure laisse pénétrer l’air froid plus dense qui élève le ballon ; 5° par un char de fer et un boulet d’aimant que le voyageur lance successivement en l’air et qui attire constamment le char. Ce dernier moyen lui avait été indiqué, disait-il, par un habitant de la lune.

Bien d’autres romanciers ont laissé leur imagination s’égarer dans cette voie, et nous aurions de longs chapitres à écrire, si nous embrassions leurs excursions, de l’île volante de Gulliver à la découverte australe de Rétif de la Bretonne. Mais il est prudent de ne pas nous aventurer dans ce vol sans issue et de continuer la revue historique des tentatives faites pour s’élever dans les airs, en signalant les faits dignes de décorer le port de la navigation aérienne.

En 1670, François Lana construisit l’appareil que notre gravure représente page 17. La légèreté spécifique de l’air échauffé et du gaz hydrogène n’étant pas encore découverte, il n’eut d’autre idée, pour faire élever ses ballons, que de les vider complètement d’air. Mais en supposant même que ces quatre ballons qui surmontent sa nacelle eussent été assez légers pour l’enlever, il est de toute évidence que la pression atmosphérique extérieure eût suffi pour les détruire.

Quant à l’idée de se servir d’une voile pour diriger le ballon comme on dirige un navire, c’était aussi une illusion ; car la nacelle aérostatique et les quatre globes de la voile, étant tous plongés entièrement dans l’air, auraient toujours dû suivre la direction du courant atmosphérique, quel qu’il, fût. Lorsqu’un navire est plongé dans la mer et que ses voiles reçoivent l’impulsion du vent, il faut considérer qu’il y a réellement deux forces : la force active du vent et la force passive de la résistance de l’eau ; en corrigeant ces deux forces l’une par l’autre, on peut être jusqu’à un certain point maître de suivre la direction qu’on veut ; on finit même, en louvoyant, par remonter dans le lit du vent ; mais lorsqu’on n’est soumis qu’à une seule force il faut lui obéir entièrement.

L’invention de Lana est décrite dans son livre intitulé : Prodrome dell’arte maestra. Brescia, 1670.

Le germe des découvertes successives dont les hommes de génie sont, de siècle en siècle, les révélateurs, et que les générations développent, existait dès l’origine des temps, écrivait en 1853 un chroniqueur du Magasin pittoresque. Lorsque le voile qui les couvre est écarté par la main habile ou heureuse d’un élu de la Providence, nombre de jaloux, pressés d’obscurcir cette gloire naissante, fouillent dans les rêves du passé, qui sont parfois la prophétie, le mirage de l’avenir. Ils y cherchent des preuves que l’idée qui vient de surgir n’est pas neuve, que le progrès est illusoire. L’homme que l’on admirait tout à l’heure, loin, à leur avis, de mériter la reconnaissance universelle, n’a fait que s’attribuer lâchement le mérite d’un autre, en exhumant l’invention enfouie, par un savant ignoré, dans quelque bouquin vermoulu. Ces efforts, ces luttes pour enlever à l’inventeur sa légitime récompense, sa gloire, peuvent obscurcir et désenchanter sa vie, mais non arrêter le retentissement de la divine parole dont l’homme de génie n’est que l’organe ; et, en dépit des envieux, l’avenir saluera le nom de chaque révélateur.

Le premier aérostat, s’élançant par-delà des nues, avait à peine imposé silence à ceux qui, niant la possibilité de s’élever et de naviguer dans l’air, taxaient de folie les tentatives faites dans ce but, que ces mêmes gens s’empressèrent d’affirmer que la découverte n’était point nouvelle. Le secret de voler à travers l’espace était connu des anciens, disaient-ils ; Icare, les magiciennes de la Thrace, les prophètes ravis au ciel, Simon le Sorcier, la fable et l’histoire, jusqu’à Cyrano de Bergerac et ses ingénieuses rêveries pour voyager à travers la lune et le soleil, furent mis en avant et opposés aux jeunes aéronautes. Ces précurseurs cependant étaient d’étranges rivaux ; l’envie ne pouvait s’en contenter, et mit en lumière l’ouvrage rare et ignoré du P. Lana. Ce jésuite parlait de navigation aérienne comme d’un divertissement scientifique ; la barque volante, dont il donnait la gravure, était surmontée de quatre sphères d’un cuivre tellement mince (il en spécifiait l’épaisseur), que jamais ou n’en avait vu de pareil. Pour produire le vide qui devait alléger l’esquif, le bon père conseillait de les remplir d’eau, que l’on écoulerait en ouvrant des robinets promptement refermés. Le moyen, comme on voit, était naïf. Cette plaisanterie fut sérieusement présentée comme la source de l’invention des aérostats.

Globe volant. – Ballon de Lana (1670).

Après la barque dirigeable de Latia, il convient de placer le navire moins chimérique au point de vue des conditions de la navigation atmosphérique, mais plus invraisemblable et surtout plus extraordinairement bizarre, qu’un autre religieux, le P. Galien, décrivit en 1755, dans son petit livre intitulé : l’Art de naviguer dans les airs, amusement physique et géométrique. Ce projet de navigation aérienne est colossal, et sa hardiesse n’a d’égal que le sérieux du narrateur. Selon lui, l’atmosphère est partagée en deux couches superposées, la couche supérieure étant plus légère que la première. « Or, dit-il, un bateau se maintient sur l’eau, parce qu’il est plein d’air, et que l’air est plus léger que l’eau. Supposons donc qu’il y ait la même différence de poids entre les couches supérieures de l’air et les inférieures qu’entre l’air et l’eau ; supposons aussi un bateau qui aurait sa quille dans l’air supérieur, et ses fonds dans une autre couche plus légère, il arrivera à ce bateau la même chose qu’à celui qui plonge dans l’eau. »

Le P. Galien ajoute qu’à la région de la grêle, il y a dans l’air une séparation en deux couches, dont l’une pèse 1 quand l’autre pèse 2. « Donc, dit-il, en mettant un vaisseau dans la région de la grêle, et en élevant ses bords de quatre-vingt-trois toises au-dessus, dans la région supérieure, qui est moitié plus légère, on naviguerait parfaitement. »

Si les flancs du navire ne mesuraient pas juste 83 toises, le vaisseau sombrerait au moindre mouvement !… Comment le transportera-t-on dans la région de la grêle ? C’est un léger détail sur lequel Galien ne s’explique pas. Quelle est la construction et la taille de ce fameux navire ? Oh ! ici, nous avons plus de détails qu’il ne nous en faut.

« Nous voici donc arrivés, dit le P. Galien, au moment de la construction de notre vaisseau pour naviguer dans les airs et transporter, si nous le voulons, une nombreuse armée avec tous ses attirails de guerre et ses provisions de bouche, jusqu’au milieu de l’Afrique ou dans d’autres pays non moins inconnus. Pour cela, il faut lui donner une vaste capacité.

Plus il sera grand, plus sa pesanteur en sera absolument plus grande, mais aussi elle sera moindre respectivement à son énorme grandeur, comme peuvent le comprendre ceux qui ont quelque teinture de géométrie, et qui savent que plus un corps est grand, moins il a à proportion de superficie, quoiqu’il en ait absolument davantage.

Nous construirons ce vaisseau de bonne et forte toile doublée, bien arée ou goudronnée, couverte de peau et fortifiée de distance en distance de bonnes cordes, ou même de câbles dans les endroits qui en auront besoin.

Quant à la forme qu’il faudra donner à ce vaisseau, on aura assez de loisir d’y penser avant que de mettre la main à l’œuvre ; contentons-nous pour le présent d’examiner si un vaisseau de figure cubique, ayant, par exemple, 1 000 toises de diamètre, dont le seul corps, indépendamment de sa charge, pèserait 200 livres ou 2 quintaux par toise carrée, pourrait se soutenir dans l’air à la région de la grêle, supposé que la pesanteur de l’air de cette région soit à celle de l’eau comme 1 est à 1 000, et que la pesanteur de l’air de la région immédiatement au-dessus, ne soit à celle de l’eau que comme 1 est à 2 000.

Le vaisseau serait plus long et plus large que la ville d’Avignon, et sa hauteur ressemblerait à celle d’une montagne bien considérable. Un seul de ses côtés contiendrait un million de toises carrées ; car 1 000 est la racine carrée d’un million. Il aurait six côtés égaux, puisque nous lui donnons une figure cubique. Nous supposons aussi qu’il serait couvert ; car, s’il ne l’était pas, il ne faudrait avoir égard qu’à cinq de ses côtés, pour mesurer combien pèserait le corps de ce vaisseau, indépendamment de sa cargaison, en lui donnant 2 quintaux de pesanteur par toise carrée. Ayant donc six côtés égaux, et chaque côté étant d’un million de toises carrées, dont chacune pesant 2 quintaux, il s’ensuit que le seul corps de ce vaisseau pèserait 12 millions de quintaux, pesanteur énorme au-delà de six fois plus grande que n’était celle de l’arche de Noé, avec tous les animaux et toutes les provisions qu’elle renfermait.

Nous voilà donc embarqués dans l’air avec un vaisseau d’une horrible pesanteur. Comment pourra-t-on s’y soutenir et transporter avec cela une nombreuse armée, tout son attirail de guerre et ses provisions de bouche, jusqu’au pays le plus éloigné ? C’est ce que nous allons examiner… »

Nous ferons grâce à nos lecteurs des immenses calculs du bon père. Le résultat est qu’il reste encore pour sa cargaison 58 millions de quintaux ; ce qui irait cinquante-quatre fois au-delà de ce que pouvait peser l’arche de Noé avec tout ce qu’elle contenait d’animaux et de provisions pour un an que dura le déluge. « Quand bien même il entrerait dans notre vaisseau quatre millions de personnes pesant chacune 3 quintaux, ce qui est un poids au-dessus de ce que pèse le commun des hommes, et que nous permettrions à chacune de ces personnes d’avoir avec elle 9 quintaux en provisions ou en marchandises, tout cela ne ferait qu’une charge de 48 millions de quintaux. Il en manquerait donc encore 10 millions pour son entière cargaison.

Quant à la forme qu’il faudrait donner à ces vaisseaux, elle serait sans doute bien différente de celle dont nous venons de parler. Il y aurait beaucoup de choses à ajouter ou à réformer pour les rendre commodes, et bien des précautions à prendre pour obvier aux inconvénients ; mais ce sont des choses que nous laissons aux sages réflexions de nos habiles machinistes… »

Galien a soin de nous avertir que cette navigation ne serait pas si dangereuse que celle de mer ; le vaisseau, en descendant ici-bas, irait avec une lenteur à ne rien faire craindre de funeste pour les gens de dedans, la vaste étendue de la colonne d’air de dessous s’opposant à la vitesse de sa chute. D’ailleurs, ce vaisseau, après même s’être submergé et rempli d’air grossier, ne pèserait jamais un tiers de plus qu’un pareil volume de cet air. Il viendrait donc à terre beaucoup plus lentement que ne peut faire la plume légère, puisque cette plume, malgré sa légèreté, pèse grand nombre de fois plus que l’air en pareil volume, et, par conséquent, beaucoup plus, à proportion des masses, que ne ferait notre vaisseau submergé !

Ce n’étaient pas ces précédents qui pouvaient enlever quelques rayons à la gloire de Montgolfier et mettre en doute la spontanéité de sa découverte. On lui chercha d’autres rivaux, et alors vint l’histoire de l’ovoador ou homme volant, légende assez confuse et dont les versions variaient. Selon tes uns, un certain Laurent de Guzman, moine de Rio-Janeiro, ayant vu flotter devant la fenêtre de sa cellule une coquille d’œuf ou une écorce d’orange, avait, en 1720, lancé un ballon devant ses compagnons ébahis ; suivant les autres, ce moine s’était élevé à Lisbonne, en 1730, dans un panier d’osier, devant le roi Jean V, jusqu’à la corniche du palais, d’où il était retombé. Les dates s’accordaient peu ; car d’autres récits placent la prétendue ascension de Guzman eu 1709. La gravure ci-jointe, extraite de la Bibliothèque de la rue Richelieu, est l’unique trace rencontrée de la soi-disant invention de Guzman ; nous la reproduisons dans toute sa bizarrerie.

Ballon de Laurent Guzman (1709).

Ce rêve semble plus fantastique encore que ceux de Lana et de Galien.

Suivons notre revue rétrospective. En 1678, un mécanicien de Sablé, dans le Maine, nommé Besnier, inventa une machine à voler. Cet instrument consistait en quatre ailes ou grandes pales convenablement inclinées, montées à l’extrémité de leviers qui portaient sur les épaules de l’homme, et qu’on faisait mouvoir alternativement au moyen des pieds et des mains ; voici la description qu’en donne dans le Journal des Savants, Paris, 12 septembre 1678, un témoin oculaire :

« Les ailes sont chacune un châssis oblong de taffetas, attachées à chaque bout de deux bâtons, que l’on ajustait sur les épaules. Ces châssis se pliaient du haut en bas comme des battants de volets brisés. Ceux de devant étaient remués par les mains et ceux de derrière par les pieds, en tirant chacun une ficelle qui leur était attachée.

L’ordre du mouvement était tel, que quand la main droite faisait baisser l’aile droite de devant, le pied gauche faisait remuer l’aile gauche de derrière, ensuite la main gauche et le pied droit faisaient baisser l’aile gauche de devant et la droite de derrière.

Ce mouvement en diagonale paraissait très bien imaginé, parce que c’est celui qui est naturel aux quadrupèdes et aux hommes quand ils marchent ou lorsqu’ils nagent. On trouvait néanmoins qu’il manquait deux choses à cette machine pour la rendre d’une plus grande usage : la première, qu’il faudrait y ajouter une grande pièce très légère, qui, étant appliquée à quelque partie choisie du corps, pût contrebalancer dans l’air le poids de l’homme ; la seconde, que l’on ajustât une queue qui servit à soutenir et à conduire celui qui volerait ; mais on trouvait bien de la difficulté à donner le mouvement et la direction à cette espèce de gouvernail, après les expériences qui avaient été inutilement faites autrefois par plusieurs personnes.

L’inventeur commença d’abord par s’élever de dessus un escabeau, ensuite de dessus une table, après d’une fenêtre médiocrement haute, puis d’un second étage, et ensuite d’un grenier, d’où il passa par-dessus les maisons de son voisinage ; et, s’exerçant ainsi peu à peu, il mit sa machine dans l’état où elle était alors. »

La tradition, dit Dupuis-Delcourt, rapporte que sous Louis XIV, un nommé Allard, danseur de corde, personnage historique d’ailleurs, annonça qu’il ferait un certain jour, devant le roi, à Saint-Germain, une expérience de vol. Il devait partir de la terrasse, au bord de la forêt, et se rendre par la voie de l’air jusque dans le bois du Vésinet, au lieu à peu près où se trouve aujourd’hui le débarcadère du chemin de fer. On ne possède aucune description de ses ailes, mais tout porte à croire qu’il s’agissait bien moins de voler, c’est-à-dire de se translater, de voyager dans l’air par le moyen d’un agent mécanique, que d’une simple expérience sur la résistance de l’air, d’une sorte de plan incliné à l’aide duquel l’opérateur comptait s’abaisser sans danger du haut de la terrasse et traverser la rivière. Il partit ; mais, les conditions d’équilibre n’étant pas remplies, il tomba au pied même de la terrasse et se blessa dangereusement.

Léonard de Vinci, le célèbre peintre, aurait connu l’art de voler dans les airs, et l’aurait pratiqué. Cuper, dans son Traité de l’excellence de l’homme, l’affirme. Quelques historiens l’ont écrit, d’autres l’ont répété ; mais nous n’avons aucune garantie, aucune certitude de la sincérité de leur affirmation. Nous manquons d’ailleurs entièrement de détails sur la manière dont ce fait se serait produit.

L’abbé Desforges, chanoine de Sainte-Croix, à Étampes, annonça en 1772, par la voie des journaux, l’expérience d’une voiture volante. Des curieux en grand nombre se rendirent à Étampes le jour indiqué ; c’était dans le courant de l’été, et là on vit, en effet, le chanoine installé avec sa machine à ailes sur la tour de Guitel, déjà en ruine à cette époque.

La machine du chanoine était une sorte de nacelle ou gondole longue de 7 pieds et large de 2 1/2 ; les ailes étaient à charnières, fort larges, dit-on ; la gondole pouvait au besoin servir de bateau ; elle pesait avec les ailes 48 livres, le conducteur et son bagage 150 livres, en tout 213 livres que la voiture devait porter. Tout avait été prévu selon le chanoine, et ni l’orage, ni la pluie, ni les vents, ne pouvaient l’arrêter ni la culbuter. La machine devait faire 30 lieues à l’heure.

Le jour de l’expérience. M. Desforges entra dans sa nacelle, et, le moment du départ venu, il déploya et fit mouvoir ses ailes avec une grande vitesse. « Mais, dit un témoin, plus il les agitait, et plus sa machine semblait presser la terre et voulait s’identifier avec elle. »

Ajoutons à ces essais les fantaisies imaginaires de Gulliver, de Wikins (Pierre) dans les Hommes volants, et de Rétif de la Bretonne dans sa Découverte australe, et nous aurons la liste des noms que l’on a inscrits, la plupart du temps à tort, sur les marges de l’œuvre de Montgolfier. Un dernier ouvrage, fort curieux, du reste, que l’on a réuni aux précédents, est le Philosophe sans prétention, ou l’Homme rare (1775), d’un M. de la Folie, de Rouen. Sur le livre de Rétif de la Bretonne, on voit un homme volant muni d’ailes fort artistement dessinées qui s’appliquent exactement aux épaules, – coiffé d’une sorte de parachute, – et chargé d’un panier de provisions suspendu à sa ceinture. Au frontispice du dernier ouvrage, on voit, non un homme, mais une machine à voler.

Un roman de Rétif de la Bretonne.

Au milieu d’un châssis de bois léger, l’opérateur est assis sur un siège ; d’une main il se tient à l’un des montants, de l’autre il tourne une crémaillère qui parait donner un mouvement de rotation très vif à deux globes de verre roulant sur un axe vertical. Ces globes se frottent légèrement, une auréole les enveloppe ; de l’électricité est développée, et c’est à ce fluide que l’on doit le mouvement d’ascension.

De temps en temps cependant, on revenait aux ailes ; le marquis de Bacqueville s’envola d’une fenêtre de son hôtel sur le quai, et alla tomber dans la rivière sur un bateau de blanchisseuses. Tous ces essais furent chansonnés : les vaudevilles et la moquerie poursuivirent les tentatives malheureuses, comme pour décourager l’imagination, cette avant-courrière du génie. Blanchard, qui lit plus tard admirer son intrépidité comme voyageur aérien, tourné en ridicule pour d’infructueux efforts, avait été recueilli par l’abbé Viennoy, dans son hôtel de la rue Taranne, aujourd’hui maison des bains. Il y exposa en public ce qu’il appelait son Vaisseau volant. Il en demeura au projet, et l’on se moqua de lui. En l’honneur du chanoine d’Étampes, on fit jouer le Cabriolet volant ; on railla Blanchard dans un autre mauvais vaudeville intitulé : Cassandre mécanicien. Nous retrouverons Blanchard après la découverte des Montgolfier.

Si la plupart de ces inventions échouèrent, c’est qu’elles tentaient le vol dans l’espace, non d’après le principe des aérostats (plus légers que l’air), mais au moyen de la direction d’appareils plus lourds que l’air. Ces tentatives ont été renouvelées en ces dernières années sur la foi de principes mathématiques plus rationnels. Aux époques antérieures à l’histoire de l’aérostation, nous trouvons tantôt la conception d’appareils plus lourds que l’air, tantôt celle des aérostats. Ainsi, en 1707, nous voyons Black, professeur de physique à Edimbourg, annoncer dans ses cours qu’une vessie remplie d’hydrogène s’élèverait naturellement dans l’atmosphère ; mais il ne fit jamais l’expérience, la regardant comme purement amusante. Enfin Cavallo, en 1782, avait communiqué à la Société royale de Londres des expériences qu’il avait faites et qui consistaient à remplir d’hydrogène des bulles de savon qui s’élevaient d’elles-mêmes dans l’atmosphère, le gaz qui les remplissait étant plus léger que l’air.

Aucun de ces travaux scientifiques ou romanesques n’enlève à Joseph Montgolfier la gloire d’avoir imaginé et construit le premier aérostat.