Les bases de l’histoire d’Yamachiche 1703-1903 - Raphaël Bellemare - E-Book

Les bases de l’histoire d’Yamachiche 1703-1903 E-Book

Raphaël Bellemare

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Beschreibung

Comment écrire une histoire utile, même celle d’une paroisse, avec quelques documents isolés, d’une époque à l’autre ? On aurait beau remplir les lacunes par une suite de faits et d’événements traditionnels que l’imagination embellirait et enchaînerait logiquement, leur donnant toutes les apparences de la vérité, si on recourt aux sources anciennes oubliées dans la poussière des vieilles archives, ce bel enchaînement et les conclusions naturellement exposées et développées, prennent, sous cette lumière, le caractère choquant d’une fiction.
Après une expérience de cette nature, un de nos écrivains concluait que toute notre histoire était à refaire. Cette expression exagère sans doute le mal. Il est cependant prouvé depuis longtemps qu’il est très grand, puisque, de nos jours, on exige des preuves documentaires pour ajouter foi. Il est passé le temps où les romans historiques avaient autant d’autorité sur certains esprits que les histoires vraies, même aux yeux de très honnêtes lecteurs.
Les vieux documents, avec leurs dates et leurs expressions surannées, semblent jurer avec le vernis littéraire du jour et avec les traits piquants d’une belle imagination toujours agréables à lire : mais en revanche ils offrent la certitude de la stricte vérité des faits dans les termes de leur époque. Cette compensation est de beaucoup préférable pour les esprits sérieux.
Le principal mérite de cet ouvrage est dans la collection de ces vieux documents qui servent de preuve à ce que nous écrivons nous-même.

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LES

BASES DE L’HISTOIRE D’YAMACHICHE

1703 — 1903.

PAR

R. BELLEMARE

ancien journaliste, avocat, ex-inspecteur du revenu public pour la province de Québec et pour le gouvernement fédéral du Canada, secrétaire de la Société historique de Montréal, etc., etc.

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385744281

DÉDICACE

CETTE PUBLICATION EST DÉDIÉE

AUX

HABITANTS D’YAMACHICHE

À L’OCCASION DU

DEUXIÈME CENTENAIRE

DEPUIS L’ARRIVÉE DES PREMIERS COLONS DANS CETTE PAROISSE.

À titre de descendants ou de successeurs des pionniers de 1700, ils ont droit à cette considération, et aussi comme les plus intéressés à bien connaître les événements du passé concernant leur paroisse. Étant sur les lieux, ils sont de plus les mieux placés pour s’en rendre parfaitement compte.

Nous les invitons donc tout spécialement à bien examiner nos preuves démontrant que les trois frères Gelinas ont bien été, de fait, les premiers habitants d’Yamachiche. Ces preuves ressortent principalement de l’histoire du fief de Grosbois, du mouvement de la population sur ce fief, et des premiers baptêmes conférés à leurs enfants, à Yamachiche, dans leurs maisons, en 1704 et 1705.

PRÉFACE

Comment écrire une histoire utile, même celle d’une paroisse, avec quelques documents isolés, d’une époque à l’autre ? On aurait beau remplir les lacunes par une suite de faits et d’événements traditionnels que l’imagination embellirait et enchaînerait logiquement, leur donnant toutes les apparences de la vérité, si on recourt aux sources anciennes oubliées dans la poussière des vieilles archives, ce bel enchaînement et les conclusions naturellement exposées et développées, prennent, sous cette lumière, le caractère choquant d’une fiction.

Après une expérience de cette nature, un de nos écrivains concluait que toute notre histoire était à refaire. Cette expression exagère sans doute le mal. Il est cependantprouvé depuis longtemps qu’il est très grand, puisque, de nos jours, on exige des preuves documentaires pour ajouter foi. Il est passé le temps où les romans historiques avaient autant d’autorité sur certains esprits que les histoires vraies, même aux yeux de très honnêtes lecteurs.

Les vieux documents, avec leurs dates et leurs expressions surannées, semblent jurer avec le vernis littéraire du jour et avec les traits piquants d’une belle imagination toujours agréables à lire : mais en revanche ils offrent la certitude de la stricte vérité des faits dans les termes de leur époque. Cette compensation est de beaucoup préférable pour les esprits sérieux.

Le principal mérite de cet ouvrage est dans la collection de ces vieux documents qui servent de preuve à ce que nous écrivons nous-même.

Avant nous, M. l’abbé (aujourd’hui chanoine) Caron a traité surtout de l’histoirereligieuse d’Yamachiche, avec une parfaite compétence, ayant en main les archives de cette paroisse. M. F. L. Desaulniers a publié les généalogies des familles tirées des registres ecclésiastiques et de l’état civil, signalant en même temps les hommes distingués qui, par leurs talents, ont brillé dans le monde et dans l’Église, donnant du relief à leurs noms, à leurs familles, à leur paroisse.

Il nous restait le sol, ses possesseurs primitifs et successifs et ses premiers défricheurs. Nos recherches ne devaient guère dépasser cette limite, et nous avons cru juste de donner pour titre à cette publication, « les Bases de l’histoire d’Yamachiche. »

L’Hon, juge L.-O. Loranger nous avait dit un jour : « L’histoire des commencements d’Yamachiche, de ses fiefs et seigneuries, serait un utile travail à faire ; quelqu’un devrait l’entreprendre ; et ce quelqu’un, c’est vous ; vous avez le goût des recherches ; vous avez l’habitude des études sérieuses, et votreretraite du service public vous laisse des loisirs. Si vous ne le faites pas, personne ne le fera plus tard. C’est aujourd’hui le temps »

Nous acceptâmes ce jugement de notre honorable ami, comme une condamnation au travail forcé, avec la résolution de la subir consciencieusement.

Nous avions déjà recueilli des documents suffisants pour démontrer, d’une manière certaine, quels ont été les premiers habitants établis sur le territoire arrosé par les rivières d’Yamachiche, et sur quel point de la paroisse ils s’étaient d’abord groupés.

En retraçant l’histoire des fiefs dont était composée la paroisse d’Yamachiche, notre démonstration n’en devient que plus complète. Les faits principaux s’en dégagent tout naturellement. Ce travail n’a pas été pour nous une pénitence sans compensation. Quand on remue les vieux papiers on ne trouve pas tout de suite ce que l’on cherche, mais que de choses instructives sur les événements dupassé s’offrent à nos yeux, piquent notre curiosité et demandent une note, agrandissant l’horizon de nos recherches. Dès que le document désiré se découvre, jetant une lumière éclatante sur des faits, des points d’histoire embrouillés ou faussés, le plaisir et la satisfaction qu’on en éprouve reposent l’esprit de toute fatigue. Nous n’avons donc pas eu l’occasion ni la tentation de maudire notre juge, durant le temps alloué par la coutume, après la sentence. Au contraire, nous l’en avons loué et remercié, sachant qu’il n’avait en vue que l’intérêt d’Yamachiche et qu’il aime, autant que nous, notre commune paroisse natale. Nous livrons aujourd’hui ce travail à l’examen des lecteurs patients et bienveillants.

Tout le terrain compris dans les limites de la paroisse d’Yamachiche, à l’époque de son érection civile, étant divisé en trois fiefs ou seigneuries, il nous a paru utile d’étudier et de faire connaître exactement ces fiefs surlesquels on retrouve les berceaux des premiers enfants de cette grande et belle paroisse.

Cette étude, au moyen d’écrits authentiques trouvés aux vieilles archives des Trois-Rivières. de Montréal et d’Ottawa, nous permet de faire remonter l’histoire du fief de Grosbois à près de cinquante ans avant l’arrivée des premiers colons à Yamachiche, et de révéler des faits et des actes dont le souvenir avait été perdu.

Il n’y a pas longtemps encore, les anciennes archives étaient considérées comme du vieux papier bien inutile, comme des bagatelles encombrantes qu’on aurait dû brûler. De nos jours, ils sont nombreux les amateurs de la vérité qui les recherchent et s’en servent utilement pour élucider des faits historiques mal interprétés.

Nous avons suivi ce bon exemple, et nos découvertes nous imposent la nécessité de modifier beaucoup de nos impressions anté-rieures, et en même temps, celles d’autres publicistes qui, dans un esprit très louable, ont bien voulu contribuer à l’étude de l’histoire locale d’Yamachiche.

Tous les faits et renseignements que nous allons donner sont appuyés sur ces documents. Nous les citerons dans notre texte au lieu de faire des renvois au bas des pages.

Nous avions, à Yamachiche, une ancienne tradition disant que « trois frères venus du Cap-de-la-Magdeleine ou des Trois-Rivières s’étaient établis les premiers à Yamachiche, s’étaient logés sur la petite Rivière, et que d’autres étaient venus plus tard se joindre à eux, assez nombreux en quelques années pour former une paroisse. Gelinas était le nom de ces trois frères. Un seul conserva le nom de Gelinas, l’autre prit le nom de Bellemare, le troisième prit celui de Lacourse. Ils furent les souches des trois familles portant ces noms. »

Cette tradition constante et uniforme ne fixait pas la date du premier établissement. Cette date était perdue dans la nuit des temps, comme tout ce qu’on ignore du passé.

En 1897, 23 février, M. Francis Bellemare, citoyen marquant d’Yamachiche, étant mort, nous avons dit de lui, dans une notice nécrologique :

« Il descendait en ligne directe de l’un des trois frères premiers colons de cette paroisse du Cap-de-la-Magdeleine, en 1703, pour y défricher des terres en pleine forêt, sur la rivière d’Yamachiche. La première terre mise en culture par ce vaillant pionnier, ayant passé de père en fils, est maintenant encore en la possession de sa descendance ; et c’est sur ce domaine patrimonial que M. Francis Bellemare est venu au monde en 1814. Ce premier colon, son ancêtre, était Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare, et son épouse Jeanne Boissonneau dit St-Onge, souche première de tous les Bellemare du Canada. »

Tout cela était bien conforme à la tradition, si ce n’est que nous avions accepté la date de 1703 sans vérification.

À notre époque on regarde les traditions avec défiance ; et on a raison ; elles peuvent être si facilement changées, altérées et faussées. Il n’est donc pas étrange qu’on ait mis en doute partie des affirmations contenues dans cette notice nécrologique.

Comme une tradition ne vaut qu’aussi longtemps qu’elle n’est pas contestée, à moins qu’on ne puisse l’appuyer sur des faits ou des preuves écrites, nous avons compris que le temps était venu de remonter aux sources de l’histoire d’Yamachiche, afin de voir si la nôtre était susceptible de preuve.

Nous prétendons avoir fait cette preuve amplement.

Les lecteurs qui se donneront la peine de lire ce travail pourront dire si elle est complète et satisfaisante.

Nous déclarons erroné tout ce qui, dans nos écrits antérieurs, n’est pas d’accord avec le contenu de la présente publication.

R. B.

DESCENDANCEDESTROIS FRÈRES GELINAS

PREMIERS COLONS D’YAMACHICHE.

Étienne Gelineau, marié à Huguette Robert, à Saintes, ville épiscopale de la Saintonge, eut un fils, né vers 1646, et nommé au baptême Jean Gelineau.

Devenu veuf, quand le fils eut grandi, il décida de venir avec lui s’établir au Canada, et ils arrivèrent aux Trois-Rivières vers 1660.

Il serait probablement inutile de poursuivre des recherches généalogiques en France, pour remonter plus haut vers l’origine de cette famille. Les vieilles archives de Saintes ayant été brûlées par un incendie, au milieu du siècle dernier, il faut nous contenter de ce que nous connaissons d’eux depuis leur arrivée aux Trois-Rivières.

Nous avons au moins la satisfaction de savoir, qu’à cette époque, en France, on n’admettait pour émigrer au Canada que des sujets de bonne réputation et de conduite irréprochable.

Si nous ne connaissons pas quelle industrie notre ancêtre, Étienne Gelineau, exerçait en France, nous savons au moins qu’en arrivant au Canada, il se fit défricheur et agriculteur. Voici comment cette connaissance nous fut communiquée en 1856. Notre savant et estimable historien, M. l’abbé J.-B.-A. Ferland, n’avait pas oublié son très humble élève et servant de messe au collège de Nicolet ; même au milieu de ses grands travaux, en poursuivant ses recherches historiques à Québec, il pensait à nous ; et, s’il trouvait quelques faits pouvant nous intéresser personnellement, il daignait s’interrompre pour nous les transmettre. Nous lui devons, entre autres, la lettre suivante au sujet de notre aïeul :

Québec, 4 février 1856.

Mon cher Raphaël,

Parmi une masse de vieux papiers déposés aux archives de la province, je viens de trouver quelque viellerie qui t’intéresse ; j’en ai fait un extrait que je t’envoie.

« Le treizième jour de septembre 1662, en cour et jurisdiction du Cap-de-la-Magdeleine, par devant nous, notaires, s’est présenté personnellement… le R. P. Claude d’Allouez de la Compagnie de Jésus, supérieur des missions Ez Trois-Rivières et de la Seigneurie du Cap… lequel a recognu et confessé… avoir donné et conceddé à titre de cens et rentes nobles, foncières et féodalles, payables par chacun an, au jour et feste de St. Martin d’hyver, à Etienne Gelinat demeurant de présent en ce lieu, pour luy, ses hoirs et ayans cause, la consistance d’un arpent sept perches de terre de front sur la route généralle qui sera faite de proffondeur, scituée sur la dite Seigneurie du Cap par une ligne qui court nor ouest, laquelle ligne fait la séparation d’entre les terres d’Etienne de Lafond et celle de la présente concession, d’un autre costé à Réné Houray (dit Granmont), d’un bout au dernier chenail des 3 Rivières, et de l’autre bout aux terres non conceddées appartenant aux P. P. de la Compagnie de Jésus ; …moyennant le nombre de deux boisseaux de bled froment et d’un chapon et de deux deniers de cens et rentes nobles, foncières et féodalles… le dit Gelinat acquéreur… personnellement étably et demeurant soubmis en la dite cour a promis et s’est obligé payer lequel debvoir par chacun an… fait et passé… présence de Guillaume De La Rue et Pierre Bourguignolle, tesmoins qui ont signé avec… et le Père… »

(Signé) D’Allouez,

Estienne Gelineau.

« Dans la même année 1662 eut lieu aux Trois-Rivières un procès dans lequel paraît comme témoin Jean Gelineau, âgé de 16 ans et natif de la ville de Xaintes (ou Saintes). J’ai tout lieu de croire que ce Jean était fils d’Estienne ; l’orthographe du nom n’y fait rien, car alors on y regardait peu. La conclusion à tirer est que ce dernier venait de la ville de Saintes ; et que tu es Saintongeois par tes ancêtres.

Tout à toi,

J.-B.-A. Ferland, ptre,

Plus tard, ce grand ami des lettres et des connaissances historiques, nous communiquait la découverte du mariage fait à Québec, en 1682, entre Estienne Gelineau, veuf d’Huguette Robert, et Marie Beauregard, veuve de Sébastien Langelier, demeurant à la Pointe-aux-Trembles, près Québec.

Notons ici que Étienne de Lafond, voisin de la concession du père Étienne Gelineau, au Cap, était aussi de la Saintonge, et beau-frère de M. P. Boucher, gouverneur des Trois-Rivières. Il est l’ancêtre des LeSieur du Canada, par sa fille, Françoise de Lafond.

Dans l’acte de concession cité par M. Ferland, le notaire écrivait Étienne Gelinat, et le concessionnaire signait au bas de cet acte, Estienne Gelineau, très lisiblement.

Autre preuve qu’on faisait peu de cas de l’orthographe des noms, dans ce temps-là : dans le recensement des Trois-Rivières, en 1666, le père et le fils sont entrés sur la liste comme suit :

Estienne Gelineau, père, 40 ans ; Jean Gelineau, fils, 20 ans ;

en 1667, au Cap-de-la-Magdeleine, ils sont nommés :

Estienne Gellyna, père, 40 ans ; Jean Gellyna, fils, 20 ans.

C’est ainsi qu’a commencé le changement de nom. La signature du père a prévalu pour lui-même, mais son fils n’a plus eu d’autre nom que Jean Gelina ou Gelinas. Remarié et demeurant à la Pointe-aux-Trembles, le père fit souche de Gelineau.

Son fils Jean, resté sur sa terre du Cap, se maria à Françoise de Charmenil et fut la souche d’une nombreuse postérité de Gélinas, Gelinas-Bellemare et Gelinas-Lacourse. Les notaires dans leurs actes, et les missionnaires dans les registres paroissiaux sont responsables de ces altérations de noms.

Nous sommes donc en présence de deux ancêtres nés en France, le grand-père et le père des Gelinas d’Yamachiche.

Nos ancêtres canadiens, Étienne Gelinas et Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare, étaient les fils de Jean Gelinas et de Françoise de Charmenil, de Trois-Rivières d’abord et du Cap-de-la-Magdeleine ensuite. Ils ont été, avec leur frère Pierre, les premiers habitants, premiers concessionnaires de terres à Yamachiche, et pères des premiers enfants nés dans cette paroisse, il y a tout près de deux siècles. Voir pour leur postérité les généalogies de M. F. L. Desaulniers.

Un monument commémoratif du deuxième centenaire d’Yamachiche, sera bientôt érigé en l’honneur de sainte Anne, sur la terre défrichée par Jean-Baptiste Gelinas dit Bellemare.

Note. — Jean Gelinas et Françoise de Charmenil vécurent assez longtemps pour voir tous leurs enfants établis. Restés seuls, ils avaient acquis une terre au sud du fleuve, dans la seigneurie de Bécancour, vis-à-vis des Trois-Rivières, surlaquelle ils vivaient. En 1717, « vu leur grand âge, dit le notaire, et de consentement mutuel, » ils vendirent leur propriété à leur gendre Pierre Rocheleau dit Monruisseau ; et la mère, Françoise de Charmenil, donna sa moitié du produit au dit Monruisseau, afin de passer le reste de ses jours avec sa fille aînée, Marie-Anne, épouse de ce dernier ; et le père Jean Gelinas se donna, avec l’autre moitié de ses biens, à son fils aîné Étienne Gelinas, à la condition de demeurer avec lui à Yamachiche, aussi longtemps qu’il plairait à Dieu de lui conserver la vie. Ces actes de donation se trouvent au greffe de maître Poulin, notaire aux Trois-Rivières. Il est donc probable que leurs restes reposent dans deux cimetières différents, les cendres de la mère à Bécancour, et celle du père à Yamachiche. Leur foi chrétienne se manifeste par l’exigence de messes de requiem après leur décès.

Nous donnons ici le diagramme des fiefs autrefois inclus dans la paroisse d’Yamachiche.

N’ayant pas pu nous procurer les arpentages des premiers temps, en faisant ce diagramme, nous n’avons pas tenu compte des déviations des bords du lac Saint-Pierre, limite sud de ces fiefs. Cependant, par suite des contours du rivage, la seigneurie de Grandpré, voisine à l’ouest, devait commencer plus haut que celle de Grosbois, les eaux du lac formant une baie à cet endroit ; et celle de la Pointe-du-Lac devait partir de plus bas, vu le rétrécissement du lac à son extrémité inférieure.

Nous les plaçons, malgré cela, en ligne droite, parce qu’elles se touchent sur la plus grande partie de leur étendue vers le nord, afin d’indiquer leurs positions, profondeurs et largeurs respectives, d’après les actes officiels de concession, qui ne font pas mention de ce fait.

Nous traçons les rivières à peu près et sans mesure, seulement pour indiquer approximativement leurs directions et l’étendue de leurs cours et branches dans les montagnes du nord.

LES FIEFS D’YAMACHICHE.

La paroisse d’Yamachiche, érigée civilement en 1722 par proclamation de l’intendant Bégon, approuvée et confirmée la même année par arrêt du Conseil d’État du Roi, comprenait les fiefs de Grosbois, de Gatineau et de Dumontier, les deux premiers ayant front sur le lac Saint-Pierre. Grosbois avait une lieue et demie de front et Gatineau trois quarts de lieue. Ces deux lieues et quart de largeur remplissaient tout l’espace entre les paroisses de la Pointe-du-Lac et de la Rivière-du-Loup.

Voilà le champ que nous avons exploité et auquel se rapportent les documents, publiés dans la seconde partie de ce volume, comme « histoire documentaire d’Yamachiche, » presque tous inédits.

Le coin de terre où l’on est venu au monde, où l’on a vécu dans sa jeunesse, sous les regards vigilants de bons parents, conserve un attrait et des charmes particuliers qui ne décroissent pas avec le temps. Ce serait cependant une illusion de croire qu’on peut communiquer au monde l’intérêt que l’on trouve soi-même à parler de sa paroisse. Telle n’est pas notre prétention en faisant ici l’histoire abrégée de nos fiefs d’Yamachiche.

Il est peut-être à propos de faire remarquer ici que les fiefs nommés dans la proclamation d’érection civile de la paroisse en 1722, étaient au nombre de trois seulement, Grosbois, Gatineau et Dumontier, et que plus tard il y avait cinq seigneuries dans ses limites.

Voici comment cela s’est produit : Grosbois avait été divisé en deux, Grosbois-Ouest et Grosbois-Est, appartenant à des seigneurs différents ; ensuite un autre fief fut concédé en prolongation du fief Gatineau, sur une profondeur de 4 lieues, distincte de l’ancien fief Gatineau qui n’avait qu’une lieue de profondeur. Ce cinquième fief tombait sous la juridiction ecclésiastique du curé d’Yamachiche. Sous les trois mêmes noms, nous aurons donc à parler de cinq fiefs.

CHAPITRE IFIEF DE GROSBOIS.

Nous commençons par le fief Grosbois, le plus important des trois, souvent nommé seigneurie d’Yamachiche. Ce fief avait été baptisé sous le nom de Grosbois dès 1653 et concédé cette année-là à Pierre Boucher, Écuyer, « Sieur de Grosbois, cy-devant gouverneur et lieutenant général civil et criminel des Trois-Rivières. » C’est ainsi qu’il est qualifié dans un acte de foi et hommage rendu par lui, le 3 octobre 1668. Il est dit dans cet acte :

« Qu’il était tenu de faire et porter foi et hommage à messieurs de la compagnie des Indes Occidentales, seigneurs de ce pays, pour le fief Grosbois à lui appartenant, consistant en une lieue et demie de front sur le fleuve Saint-Laurent et trois lieues de profondeur, dans les terres sises à une demi-lieue de la rivière Ouamachiche au dessus d’icelle et une lieue au dessous ; le dit fief à, lui accordé par deux titres qu’il en a obtenus de M. de Lauzon lors gouverneur de ce pays, le premier en date du vingt-trois mai, mil six cent cinquante-trois, et l’autre du neuvième août mil six cent cinquante-cinq, pour en jouir par le dit Sieur Boucher, lui, ses hoirs et ayants cause en tous droits de fief et seigneurie, haute, moyenne et basse justice, etc., etc., etc. »

Ce fait peu connu laisse croire que dès lors l’excellence du sol, la beauté des grands bois, les avantages évidents des cours d’eau et la splendeur du lac Saint-Pierre attiraient l’attention des hommes marquants de cette époque sur les terres qu’occupe Yamachiche. Malgré l’impossibilité d’avoir alors des défricheurs et des laboureurs, Grosbois est au nombre des plus anciennes seigneuries canadiennes, ayant été ainsi concédé durant la première période de notre régime féodal.

Devant la cour spéciale, créée par « l’acte pour l’abolition des droits et devoirs féodaux dans le Bas-Canada » (1854), sir Louis-H. La Fontaine, président de cette cour, dans de savantes Observations, fit l’histoire de ce régime en Canada, la divisant en cinq périodes.

La première commence avec les premières tentatives faites pour coloniser le Canada, M. La Fontaine voyait dans la commission donnée par le Roi en 1598, au Sieur de la Roche, son lieutenant général et gouverneur, l’intention d’introduire ici le système seigneurial.

C’est surtout par la charte donnée à la compagnie de la Nouvelle-France (1627-28) que ce système a été formellement adopté et ordonné comme moyen de peupler plus rapidement et de défricher les terres dans l’intérêt de la colonie. Tout le pays était concédé à cette compagnie, en vue de hâter le plus possible le défrichement et l’accroissement de la population. Cette compagnie, qu’on appelait gouvernement-propriétaire, devait concéder des fiefs et seigneuries à des particuliers en état d’y introduire des colons, auxquels ces derniers sous-concéderaient des terres à charge de payer cens et rentes et autres droits seigneuriaux, avec obligation de les défricher et mettre en culture.

Durant l’existence de la compagnie de la Nouvelle-France, de 1627 à 1663, le succès n’a pas répondu aux désirs du Roi, et la compagnie dut alors renoncer à ses droits. Des cent associés, il n’en restait plus que 45 en 1663, sans ressources suffisantes pour l’entreprise gigantesque dont ils étaient chargés.

Sir Louis-H. La Fontaine ne nomme qu’une douzaine de fiefs concédés durant cette période, ne mentionnant pas le fief Grosbois ; et la plupart de ces fiefs étaient encore inhabités et sans défrichements. Après la révocation de la charte de la compagnie de la Nouvelle-France, ou des Cent-Associés, toutes les concessions de terres non défrichées sont aussi révoquées par arrêt du 24 mars 1663, et réunies au domaine de la Couronne.

Ces faits font parfaitement comprendre pourquoi les actes de concession du fief Grosbois à M. Loucher, en 1653 et 1655, sont restés complètement ignorés.

Immédiatement après la suppression du gouvernement-propriétaire, sous le nom de la compagnie de la Nouvelle-France, et le rétablissement du gouvernement royal en Canada, le Roi créa le Conseil souverain par un édit du mois d’avril 1663. M. La Fontaine appelle seconde période de notre histoire féodale, « l’intervalle qui s’est écoulé entre le rétablissement du gouvernement royal, en l’année 1663, et l’établissement de la « Compagnie des Indes Occidentales » par édit du mois de mai 1664. »

Par cet édit, le Roi donnait à cette compagnie nouvelle des pouvoirs plus étendus que ceux dont avait joui la première. Il lui concédait, « le Canada, l’Acadie, les isles de Terre-Neuve et autres isles et terre ferme depuis le Nord du Canada jusqu’à la Virginie et la Floride, en toute seigneurie, propriété et justice. »

Pour que cette « Compagnie des Indes Occidentales » ne fût pas entravée dans l’exercice de ses pouvoirs et de ses droits, il avait fallu révoquer toutes les concessions antérieures et les réunir au domaine du Roi. L’article 21e de l’édit de 1664 contient la déclaration suivante :

« Ne sera tenue la dite compagnie d’aucun remboursement ni dédommagement envers les compagnies auxquelles nous ou nos prédécesseurs Rois ont concédé les dites terres et isles, nous chargeant d’y satisfaire si aucun leur est dû, auquel effet nous avons révoqué et révoquons à leur égard toutes les concessions que nous leur avons accordées, auxquelles, en tant que besoin, nous avons subrogé la dite compagnie, pour jouir de tout le contenu en icelle, ainsi et comme si elles étaient particulièrement exprimées. »

Cette subrogation de pouvoir nous paraît être la seule chose servant à expliquer comment M. Boucher a pu être admis, en 1668, à rendre à la « Compagnie des Indes Occidentales » la foi et hommage qu’il était tenu, par son contrat de concession, de rendre et porter à la compagnie de la Nouvelle-France.

Après quelques années, il y avait eu si peu de progrès dans le défrichement des seigneuries, qu’on n’y voyait encore que de rares établissements sur le front, et sur les bords de quelques rivières. Rien n’avait été commencé dans les profondeurs.

Attribuant ce fait à la trop grande étendue des fiefs, Sa Majesté ordonna de réunir à son domaine toutes les seigneuries où les défrichements qui n’étaient pas encore commencés et de faire des retranchements où il n’y avait encore que peu de terres en culture.

Par suite de cet ordre, l’intendant Talon paraît avoir entrepris la tâche de remanier les plans des fiefs. En 1672, il en concéda ou reconcéda plus de soixante. C’est cette année-là que M. Boucher obtint de M. Talon une seconde concession de son fief de Grosbois, et ce dernier titre est le seul connu pour ce fief dans notre histoire seigneuriale.

Quand, en 1668, M. Boucher avait rendu foi et hommage devant le fondé de pouvoir de la compagnie des Indes Occidentales, « il avait déclaré ne pas avoir de dénombrement à faire, les dits lieux n’ayant encore été habités. » Il fit la même déclaration pour un petit fief de dix arpents par vingt, concédé à son fils Pierre Boucher, en 1656, par M. de Lauzon, pour lequel fief il portait aussi foi et hommage. Il fut alors reçu aux conditions suivantes :

« Sur quoy, ouy le procureur fiscal, nous avons reçu et recevons le dit Sieur Boucher en la foy et hommage par luy rendu en son nom, à la charge d’occuper les lieux dans la présente année, autrement il en sera disposé par la compagnie des seigneurs de ce pays ; avons donné souffrance au dit Pierre Boucher, son fils, jusque à ce qu’il ait atteint l’âge de majorité. » (Signé) L. T. Chartier.

Il est évident que M. Boucher jouissait d’une haute considération à la cour de France, puisque, quatre ans plus tard, en 1672, sans avoir fait une seule concession de terre dans son fief Gresbois, celui-ci lui fut concédé de nouveau, sans mention des titres antérieurs. Par ce nouvel acte, « le sieur Boucher, ses hoirs et ayants cause seront tenus de rendre et porter la foi et hommage au château Saint-Louis de Québec, » et non pas à la compagnie des Indes Occidentales. La seule obligation mentionnée dans l’acte envers cette compagnie est la suivante : « donner incessamment avis au Roi, ou à la « Compagnie des Indes Occidentales » des mines, minières, ou minéraux, si aucuns se trouvent dans l’étendue du dit fief. »

Par le nouveau titre, le fief Grosbois subit un retranchement d’une lieue sur la profondeur et un déplacement d’un quart de lieue vers l’ouest. Le titre de concession par M. de Lauzon, de 1655, lui donnait trois lieues de profondeur, celui de M. Talon, en 1672, ne lui en donne que deux. Le titre de M. de Lauzon donnait à ce fief une demi-lieue au-dessus de la rivière Yamachiche et une lieue au-dessous ; celui de M. Talon le place à trois quarts de lieue au-dessus et trois quarts de lieue au-dessous de cette rivière.

CHAPITRE IIDIVISION DU FIEF DE GROSBOIS.

Grosbois-Ouest.

Par le contrat de l’intendant Talon, 3 novembre 1672, M. Boucher restait en possession d’une seigneurie encore en bois debout, de deux lieues de profondeur par une lieue et demie de front sur le lac Saint-Pierre.

Voyons comment il en a disposé. Il n’a pas entrepris d’y faire des défrichements, ayant résolu de ne pas y résider lui-même. Il avait préféré sa seigneurie de Boucherville ; il s’y était établi pour y attirer des habitants non seulement honnêtes, mais aussi religieux et d’une conduite exemplaire. C’est ce qu’il dit lui-même dans les motifs de sa retraite. Après une longue carrière consacrée au service de la colonie, avec honneur et distinction, mais sans autre richesse qu’une nombreuse famille et des terres inhabitées et sans culture, il se retira de la vie publique, voulant s’occuper des intérêts et des soins de ses enfants.

Nous n’avons pas la date précise de cette retraite, mais il était résidant à Boucherville depuis plusieurs années, lorsque, en 1693, il vendit à son fils Lambert Boucher, sieur de Grandpré, major de la ville des Trois-Rivières, la moitié moins sept arpents de front, de son fief de Grosbois. Cette transaction nous semble aussi oubliée dans l’histoire seigneuriale, que la concession du même fief par M. de Lauzon en 1653. Cependant, dans l’acte de foi et hommage rendu au Roi, entre les mains de l’intendant Bégon en 1723, Louis Boucher, sieur de Grandpré, l’un des héritiers de Lambert Boucher, son père, produit comme l’un de ses titres de propriété de la moitié moins sept arpents du fief de Grosbois, « Un contrat passé devant Adhérnar, Notaire à Montréal, le deux juillet, mil six cent quatre-vingt-treize, portant vente par le dit feu sieur Boucher et damoiselle Jeanne Crevier son épouse, au dit feu Lambert Boucher, écuyer, sieur de Grandpré, des dits trois quarts de lieue de terre de front, moins sept arpents sur le lac Saint-Pierre, à prendre à sept arpents au-dessus de la rivière Ouamachiche du côté du sud-ouest, sur deux lieues de profondeur, tenant sur le devant au fleuve Saint-Laurent, d’autre part, au haut des deux lieues de profondeur, aux terres non concédées, d’un côté, au nord-est, aux terres restantes aux dits sieur et damoiselle Boucher, et d’autre part, aux terres non concédées, comme leur appartenant, avec plus grande quantité, suivant le titre de concession de mon dit sieur Talon du dit jour, 3 novembre 1672, etc., etc., etc. »

L’acte du notaire Adhémar contenant cette citation se trouve au complet aux vieilles archives de Montréal.

La connaissance de ce contrat fait disparaître beaucoup de fausses impressions. On croyait que les premières terres concédées dans le fief Grosbois l’avaient été par les seigneurs Le Sieur, convaincu que tout le fief leur avait appartenu avant les premiers défrichements. On ne pouvait ignorer que le Sieur de Grandpré était devenu propriétaire de cette partie de Grosbois qu’on nomme Grosbois-Ouest, mais on ne savait ni quand, ni comment, ni de qui il l’avait acheté.

Ce contrat de vente à Lambert Boucher, sieur de Grandpré, prouve que celui-ci en était seigneur 9 ans plus tôt que les Le Sieur eussent acquis l’autre partie de ce fief, plus souvent nommé Yamachiche que Grosbois-Est. La ligne de division entre ces deux parties de Grosbois, prise à sept arpents au-dessus de la grande rivière Machiche, coupe la petite rivière au village actuel et se prolonge en ligne droite vers le nord (passant entre la terre de feu M. Odilon Bellemare et celle de M. Moïse Bellemare), allant aboutir au haut des terres de la grande Acadie, où commence le fief Dumontier.

Le bas de la petite rivière se trouvait ainsi dans Grosbois-Ouest, propriété du seigneur de Grandpré depuis 1693. C’est pourquoi, dans de vieux actes, on appelle cette section du fief Grosbois, seigneurie de la petite rivière Ouabmachiche, seigneurie de Saint-Lambert ou de Grandpré, de même qu’on appelait l’autre moitié, seigneurie de la grande rivière d’Ouabmachiche, ou de Grosbois. Quand cette ligne de division fut tirée, Yamachiche n’était qu’une forêt sans habitants, et, dans le dernier cadastre seigneurial de 1854, elle sert encore de démarcation entre Grosbois-Est et Grosbois-Ouest.

En 1695, Lambert Boucher, major de la ville des Trois-Rivières, obtint de MM. de Frontenac et de Champigny, gouverneur et intendant de la Nouvelle-France, la concession de toutes les terres alors non concédées entre le fief de la Rivière-du-Loup et le fief Grosbois, une lieue de front sur trois lieues de profondeur, en tous droits de fief, sous le nom de Seigneurie de Grandpré. Cet acte fut confirmé par le Roi en 1696. Cependant dans le contrat de vente et cession de la moitié moins sept arpents du fief Grosbois, à lui faites en 1693, Lambert Boucher était déjà qualifié du titre de « Sieur de Grandpré, » ce qui permet de croire qu’il avait eu promesse par billet de cette concession avant 1693.

Les concessions seigneuriales se faisaient alors souvent par billets ou lettres devant être plus tard ratifiées, après les arpentages.

Les seigneurs concédaient aussi par billets d’occupation pour la même raison. Ces billets avaient une valeur légale, tout comme les contrats, puisqu’on voit dans les jugements du Conseil supérieur que les habitants étaient condamnés à produire, sur demande du Seigneur, leurs contrats ou billets de concession sous peine de perdre leur droit de propriété.

Tous les fiefs voisins avaient chacun une rivière débouchant dans le lac Saint-Pierre. Le fief de Tonnancour avait la rivière aux Loutres, à la Pointe-du-Lac, le fief Gatineau, la rivière aux Glaises ; celui de la Rivière-du-Loup portait le nom de sa rivière ; le fief Grosbois en avait deux, la grande et la petite rivière Machiche. En adjoignant à Grandpré la moitié moins sept arpents du fief Grosbois on donnait à ce fief le bas de la petite rivière laissant la grande rivière à l’autre moitié de Grosbois. Tel paraît avoir été le motif de M. de Boucherville lorsqu’il mit son fils Lambert en possession de la partie ouest de son fief de Grosbois.

En effet, les premiers colons se groupaient, autant que possible, aussi près de l’embouchure des rivières que le permettait l’élévation ou la nature du terrain. C’est aussi ce que firent les premiers tenanciers de M. de Grandpré sur la petite rivière d’Yamachiche.

Cette portion de Grosbois, ou Grosbois-Ouest, fut vendue à M. Conrad Gugy en 1764, en même temps que la seigneurie de Grandpré. Nous dirons comment cette transaction s’est faite dans l’article sur les seigneurs Gugy. Ces biens étaient encore entre les mains de ses héritiers quand le régime féodal fut aboli par la loi de 1854.

CHAPITRE IIIGROSBOIS-EST.

Une subdivision. — Un arrière-fief.

Le 12 septembre 1699, M. Boucher, seigneur de Boucherville et de Grosbois, par-devant son notaire Marien Taillandier, « vendit et concéda à M. Nicolas Gatineau (son beau-frère), une étendue de douze arpents de terre de front sur quarante-deux de profondeur, située au-dessous de la rivière Ouamachiche dit Grosbois, en commençant sur le bord de la dite rivière du grand bois debout, en descendant en bas jusqu’au bout de douze arpents de front et de quarante-deux de profondeur, avec les devantures comme elles ont été concédées au dit sieur Boucher ; pour en jouir en pleine propriété par le dit Gatineau, lui, ses hoirs et ayants cause en arrière-fief noble, en tous droits, à la réserve d’une rente nette et seigneuriale de quatre minots de bled froment, bon, loyal et marchand et la dite rente non rachetable, mais se paiera tous les ans à la Saint-Martin d’hiver, portable au lieu seigneurial du dit fief Grosbois, quand il y en aura un de baty, et en attendant aux Trois-Rivières où il sera indiqué au dit sieur Gatineau, laquelle rente de quatre minots de bled commencera à courir du jour de la Saint-Martin de l’année prochaine que l’on comptera mil sept cent et continuera à l’avenir d’année en année ; de plus sera tenu et obligé le dit Gatineau de porter la foy et hommage au dit (manoir) fief Grosbois quand il y en aura un de baty, et en attendant, elle sera portée au dit Boucherville pour la première fois, par le dit Gatineau, ses hoirs et ayants cause à perpétuité avec le revenu d’une année pour droit de rachat à chaque mutation de possesseurs suivant la Coutume, etc. »

Ce campeau de terre situé à l’embouchure de la grande rivière, côté nord-est et ainsi constitué en « arrière-fief noble, » fait partie de Grosbois-Est ; aussi est-il spécialement réservé dans le troisième et dernier contrat de M. de Boucherville, par lequel il se désintéresse complètement de son fief Grosbois, en vendant la dernière part à ses petits-neveux, Charles et Julien Le Sieur.

Ce contrat fut passé le 2 juillet 1702, devant Marien Taillandier, notaire de la terre et seigneurie de Boucherville, et témoins ; « furent présents, Pierre Boucher, escuyer seigneur de Boucherville et de Grosbois et Jeanne Crevier sa femme de luy suffisamment autorisée pour le fait des présentes, lesquels ont volontairement recognu et confessé, recognaissent et confessent avoir vendu, quitté, ceddé et transporté et delaissé par les présentes, du tout dès mainenant et à toujours, promis et promettent garantir de tous troubles, hypothèques et autres empêchements généralement quelconques, aux sieurs Charles et Julien Le Sieur, frères, demeurant à Batisquant, présents et acceptants, preneurs et retenants au dit titre pour eux, leurs hoirs et ayans cause, une part de seigneurie, scise à la rivière Ouamachiche, de la contenance de trois carts de lieue et sept arpents de front sur deux lieues de profondeur, à commencer à sept arpents au-dessus de la dite rivière Augmachiche, et trois carts de lieue au-dessous et au même rumb de vent et mêmes lignes que les terres des seigneurs des allentours suivront, aux charges, clauses et conditions qui sont portées au contrat d’acquisition que mon dit Sieur Boucher a eu de M. Talon, intendant pour Sa Majesté, en date du troisième novembre mil six cent soixante-douze que mon dit sieur Boucher leur met entre les mains et autres pièces qu’ils ont reçu ; mon dit Sieur et Damlle Boucher mettent les dits acquéreurs du tout en son lieu et place et de la même manière qu’il tient le dit fief du Roy, aux mêmes foy et hommage portés au dit contrat, sans rien réserver ny retenir aucunes choses que de lesser le dit Sieur Nicolas Gatineau jouir d’une concession que mon dit Sieur Boucher a donnée au dit Gatineau dans la dite terre, suivant son contrat d’acquisition, etc., etc. »

Dans l’acte de concession de ce fief par M. de Lauzon, le 23 mai 1653, M. Pierre Boucher prenait pour la première fois le titre de Sieur de Grosbois, et par le contrat de vente que nous venons de citer, il l’abandonne. Cependant les seigneurs Le Sieur n’ont point porté ce titre. Était-ce parce qu’ils n’étaient propriétaires que de la moitié du fief de Grosbois, ou bien parce que M. de Boucherville, aimant beaucoup ce nom, l’ayant porté pendant près d’un demi-siècle, avait nommé Grosbois une île bien boisée, en face de sa résidence à Boucherville et que l’un de ses fils, devenu propriétaire de cette île, fut appelé monsieur ou sieur de Grosbois ? Ce dernier est l’ancêtre, du Dr de Grosbois, député de Shefford à la législature de Québec. Ce sont deux souvenirs d’Yamachiche conservés dans la famille du vénérable et noble personnage qu’était M. Pierre Boucher de Boucherville.

Quoi qu’il en soit, Charles et Julien Le Sieur ont reçu, par cet acte, tous les droits de fief et seigneurie en acquérant la dernière partie de Grosbois.

Grâce à leur activité et à leurs efforts pour se mettre en règle avec les exigences, les conditions et injonctions exprimées dans l’acte primitif de concession de ce fief, répétées dans leur contrat d’acquisition, cette partie de Grosbois a fait un progrès notable durant les vingt premières années, eu égard aux circonstances.

Nous en avons la preuve dans le dénombrement soumis à l’intendant Bégon, par le seigneur Charles Le Sieur, le 18 février 1723, publié dans un autre article sur le mouvement de la population.

Ce fief est resté plus longtemps que les autres en la possession de cette famille seigneuriale, jusqu’après 1830 ; mais il fut tellement divisé et subdivisé en parts d’héritage par les descendants, qu’il passa finalement en des mains étrangères.

M. Pierre-Benjamin Dumoulin en fut seigneur par acquisition de la principale partie.

Modeste Richer dit Laflèche lui succéda par contrat de vente.

Quelques années avant l’abolition du régime féodal, M. B.-C.-A. Gugy l’acheta des mains du shérif, succédant à M. Laflèche