Les cafés politiques et littéraires de Paris - Ligaran - E-Book

Les cafés politiques et littéraires de Paris E-Book

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Extrait : "Le café de Foy a été une des curiosités de Paris. Fondé sous le règne de Louis XVI, il avait alors sa façade principale sur la rue de Richelieu et une terrasse occupait un coin du jardin du Palais-Royal. Quand le duc d'Orléans, alors propriétaire de ce palais, eut fait construire les belles maisons à arcades qui entourent le jardin de trois côtés, les immeubles des rues Richelieu et des Bons-Enfants, qui avaient une de leurs façades sur cette promenade..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 106

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Préface

Beaucoup de personnes s’imaginent que les journalistes sont des piliers de cafés, qu’ils passent dans ces établissements toutes leurs journées et une partie de leurs nuits, écrivant leurs articles entre deux consommations. Nous ne voulons pas ici protester contre une croyance absolument fausse et parfaitement absurde ; cependant, comme le titre de notre livre pourrait faire supposer que nous venons apporter des preuves nouvelles à l’appui de cette idée, nous croyons utile d’expliquer au lecteur ce qu’est l’existence d’un écrivain travaillant sérieusement.

D’abord, dans les cafés quels qu’ils soient, les journalistes ne sont jamais dans leur milieu ; sauf de rares exceptions, le public ne leur convient pas et les braves gens qui, en dégustant un moka plus ou moins pur, rédigent des constitutions, crient contre les formes de gouvernement qui n’ont pas l’heur de les satisfaire, discutent les impôts et causent sur l’économie sociale, nes’imaginent pas combien leurs raisonnements faux, débités en mauvais français, intéressent peu les écrivains. En dehors de ces considérations purement morales, d’autres causes non moins importantes empêchent les rédacteurs des journaux parisiens de s’attarder trop longtemps dans les cafés. Il y a le travail quotidien du journal. Il faut aller à la rédaction, causer du numéro du jour, écrire les articles. Le metteur en pages entrouvre la porte des bureaux, réclame la copie, il faut se presser. Cependant des visites arrivent, on renvoie bien quelques importuns, mais on est malgré tout obligé de recevoir, et, tout en écoutant un récit, on écrit un article dont il faut ensuite corriger les épreuves.

Pour les journaux du soir, la besogne est terminée à deux heures, mais pour les journaux du matin il faut retourner dans l’après-dînée travailler quelquefois jusqu’à minuit ou une heure.

À côté de cette tâche quotidienne, beaucoup d’écrivains travaillent pour des feuilles spéciales, littéraires, scientifiques, économiques, des revues, et écrivent ces articles chez eux. D’autres, critiques de théâtres, sont obligés d’assister aux premières représentations et, souvent, en sortant d’écouter cinq actes, doivent s’asseoir devant une table ou un bureau ; outre les théâtres, il y a les séances hebdomadaires des académies, les réunions des sociétés scientifiques et littéraires, les bals, les soirées, les concerts dont il faut parler, faire les comptes rendus. Puis les gens à recevoir, les visites obligatoires à rendre, les lettres àécrire : on admettra que toutes ces choses suffisent pour occuper la journée d’un homme. Le café n’y est donc qu’une espèce de centre où l’on peut se voir et causer pendant quelques minutes ; mais là même souvent le journaliste travaille. Le correspondant des feuilles des départements recueille les dernières nouvelles et attend l’heure extrême pour mettre sa lettre à la poste. Le reporter va de l’un à l’autre, causant à l’homme politique, à l’artiste, à l’auteur dramatique, et prend des notes qui paraîtront le lendemain.

Les prétendus journalistes qui établissent leur domicile au café ne sont que des déclassés et des impuissants qui, au lieu de travailler sérieusement, trouvent plus commode de se livrer à des critiques contre la société et surtout contre leurs confrères arrivés, grâce à l’énergie et au travail, à conquérir une position. Ces individus préparent l’avènement des nouvelles couches sociales qui les porteront au pouvoir dans des moments de crises et les enverront à la Chambre sous des gouvernements réguliers. Le café n’est donc qu’un bien modeste accessoire dans l’existence de l’écrivain sérieux, et même, lorsqu’il y va, c’est pour lire les journaux, les revues, écrire une lettre ou sa correspondance, voir des confrères, recevoir des importuns, mais rarement pour s’amuser. Le temps lui fait défaut.

Le café Foy

Le café de Foy a été une des curiosités de Paris. Fondé sous le règne de Louis XVI, il avait alors sa façade principale sur la rue de Richelieu et une terrasse occupait un coin du jardin du Palais-Royal. Quand le duc d’Orléans, alors propriétaire de ce palais, eut fait construire les belles maisons à arcades qui entourent le jardin de trois côtés, les immeubles des rues de Richelieu et des Bons-Enfants, qui avaient une de leurs façades sur cette promenade, s’en trouvèrent séparées par les rues de Montpensier et de Valois. Les propriétaires réclamèrent, les locataires se plaignirent, les boutiquiers protestèrent, mais tout fut inutile et les industriels durent aller habiter les boutiques créées sous les arcades. Le café de Foy se déplaça, quitta son installation primitive et se rétablit à l’endroit où toute la génération des dernières années du XVIIIe siècle et celle de la première moitié du XIXe l’ont vu prospérer, décliner et disparaître définitivement. Il avait primitivement pour enseigne : À la Foy ; ce nom parut sans doute trop long et il devint le café de Foy.

Pendant la première République, le jardin du Palais-Royal était fréquenté par les politiqueurs de toutes nuances, depuis le royaliste jusqu’au pourvoyeur de la guillotine ; les boursiers, les aigres-fins, les filles publiques, les incroyables du Directoire s’y coudoyaient. Sous l’Empire, les uniformes des officiers et des généraux remplacèrent les costumes extravagants et grotesques des citoyens animés du souffle de 92.

En 1815, la célébrité du café y attira les chefs des troupes étrangères, et beaucoup de serviteurs dévoués de Napoléon Ier s’y rendaient également, dans le but de froisser par leurs airs ou leurs discours les chefs russes, allemands ou anglais, et de les forcer ainsi à se battre. Beaucoup de duels naquirent de ces disputes, naturellement la population parisienne prenait toujours le parti des Français.

Le peintre Carle Vernet était un des habitués du café de Foy, où son fils Horace allait le voir souvent. Ce dernier peignit même au plafond une hirondelle qui est devenue légendaire et que plusieurs générations sont allées voir, ne se doutant pas que l’hirondelle primitive avait été enlevée et remplacée désavantageusement par une autre, œuvre d’un barbouilleur quelconque. Mais on admirait de confiance.

Un jour, ou plutôt un soir après minuit, au moment où les habitués de l’établissement se retiraient, les peintres en bâtiments entrèrent munis de leurs échelles et se mirent en devoir de laver le plafond, de donner un éclat nouveau aux dorures, de rajeunir les peintures. Le jeune Horace grimpa sur une échelle, muni d’un pot de couleur et d’un pinceau, et en peu de temps une demi-douzaine d’hirondelles ornaient le plafond. L’un de ces oiseaux fut conservé, grâce à M. Lenoir, alors patron du café, son jeune client portant un nom déjà célèbre et qu’il devait illustrer encore. Quand M. Lenoir vendit son fonds, il fit détacher le morceau de plafond sur lequel était peint l’oiseau et le plaça dans sa collection artistique. Son successeur fit remplacer l’hirondelle et aujourd’hui on voit encore cette copie que beaucoup prennent pour l’original.

Carle Vernet, fort âgé, avait l’habitude de s’asseoir toujours à la même table. Quand, par hasard, sa place était prise par un client de passage, on lui mettait à côté de sa table un guéridon et il attendait tranquillement que l’intrus déguerpît. Paul Delaroche accompagnait son ami Vernet.

Dans les premières années du règne de Louis-Philippe, beaucoup d’Anglais fréquentaient le café de Foy. L’amiral Sidney-Smith, celui qui, en 1799, avait aidé Djezzar-pacha à défendre Saint-Jean d’Acre contre Bonaparte, se faisait remarquer par la quantité de punchs qu’il absorbait. Il arrivait souvent qu’il roulait sous la table ; alors un de ses compatriotes, taillé en Hercule, le colonel Thomas Swel, le chargeait sur ses épaules et le remportait avec une gravité toute britannique.

L’habitué le plus étrange de ce café fut longtemps Chodruc-Duclos, qui dans un costume invraisemblable parlait aux clients les plus distingués, leur serrait la main, et, après avoir emprunté deux francs – jamais plus – à l’un ou à l’autre, s’asseyait à une table et les dépensait. Chodruc-Duclos était la terreur du patron, auquel il faisait souvent le même emprunt, il demandait ensuite une consommation de dix sous ou de quinze sous, payait avec la pièce qu’il venait de recevoir et laissait le reste au garçon.

Un digne pendant de Chodruc-Duclos comme malpropreté était un Grec, Nicolopoulo, qui passait pour un savant ; son pantalon passé à l’état de charpie ne se soutenait que grâce à une corde formant ceinture. Le reste du costume était à l’avenant. Nicolopoulo entrait au café toujours chargé de vieux bouquins qu’il compulsait gravement sans s’occuper, pas plus que Chodruc, des signes de dégoût manifestés par ses voisins.

Les excentriques que nous venons de citer faisaient un contraste violent avec les autres habitués, distingués de costumes et de manières et dont beaucoup ont acquis la célébrité ou au moins une notoriété très grande. Nous citerons : M. Lemaître de Sacy, le savant traducteur de la Bible, François Arago, l’illustre astronome, et son frère Jacques, le voyageur, Emmanuel, fils de François, vaudevilliste spirituel et qui grâce à son nom devait devenir député et ministre de la justice après le 4 septembre. À cette époque c’était un gros garçon aux joues rebondies, aux yeux à fleur de tête, à la taille élevée. D’une belle prestance, il était l’idole des jeunes artistes, qui le contemplaient respectueusement. Avec l’âge, M. Emmanuel Arago a engraissé, mais il a renoncé au vaudeville, ce que nous nous permettons de regretter. Nous nous rappelons qu’aux dernières élections qui curent lieu sous l’Empire, en 1869, il se porta candidat, concurremment avec M. A. Lavertujon, rédacteur en chef de la Gironde, de Bordeaux. À cette époque le parti avancé trimballait déjà ses candidats d’une extrémité à l’autre de la France. Dans leurs courses aux environs de Paris, ils débitaient les boniments de circonstance sous des hangars, dans des salles de bal, et juchés sur les tréteaux. M. Lavertujon variait un peu ses discours, M. Arago répéta le même partout. Dans ce fameux programme, il parlait de la Compagnie de Jésus et disait de ses membres : « Je combattrai les jésuites, ces conspirateurs de partout et ces citoyens de nulle part ! »

Pour prononcer cette phrase il prenait un air inspiré et sa voix faisait trembler les vitres. Quelques jeunes gens s’amusèrent de ces mots répétés trois ou quatre fois par jour, suivirent partout le candidat et l’accompagnaient quand, après avoir repris haleine et levé les yeux au plafond, il commençait : « Je combattrai, etc… » Cette plaisanterie tournait à la scie, les frères et amis eux-mêmes riaient comme des bienheureux. M. Arago, ne jugea pas opportun de modifier son discours qui dura jusqu’à la fin de la période électorale. Il doit être précieusement conservé dans quelque carton pour être employé à l’occasion.

Venaient ensuite M. Plougoulm, un véritable jurisconsulte, auteur de brochures de grande valeur et de traductions d’auteurs latins et grecs, procureur général à Toulouse, avocat général à la Cour de cassation, puis conseiller à cette même cour, mort en 1863 ; M. Dupin, non moins célèbre, mort sénateur après avoir occupé les postes les plus élevés de la magistrature ; M. Payen, le savant chimiste, membre de l’Académie des sciences ; le docteur Bouillaud, une célébrité médicale de l’époque ; Évariste Bavoux, conseiller d’État sous l’Empire, écrivain politique qui n’a point abandonné la cause napoléonienne. M. de Montalivet, ministre de Louis-Philippe, auteur d’un ouvrage écrit pour répondre à M. Rouher. Le titre de ce volume est Rien, ou dix-huit ans de parlementarisme ; M. de Montalivet a acquis un regain de notoriété par le brusque abandon des idées politiques qu’il avait toujours soutenues. Crémieux, un des personnages qui ont été si fatals à la France ; Ledru-Rollinl’homme au vasistas du Conservatoire des arts et métiers ; le comte d’Argout, qui a été gouverneur de la Banque de France ; M. Baroche, devenu ministre de la justice sous Napoléon III, mort pendant la guerre. On connaît la fin héroïque de son fils, tué au Bourget ; M. Haussmann, le créateur du nouveau Paris.

Après les savants et les jurisconsultes nous citerons les militaires : Cavaignac, qui devait rendre au parti de l’ordre tant de services en 1848 ; Négrier, tué cette même année en combattant les insurgés républicains ; le vieux général comte Pajol, qui avait fait toutes les campagnes de l’Empire et s’était mêlé activement au mouvement de 1830 ; le général Pajot, portant fièrement une longue queue qui frétillait entre ses épaules ; le colonel du Barail et son fils, devenu lui-même général de division, qui a rendu des services éclatants pendant les jours néfastes de la Commune et a occupé avec distinction le poste de ministre de la guerre après l’élévation du maréchal de Mac-Mahon à la présidence. Le père du général était d’une taille colossale et doué d’une force herculéenne, M. Mamignard, ancien fournisseur des armées sous Napoléon Ier. Un trio qui était fort remarqué, composé du général comte de La Riboisière, du général Gourgaud et de Mme de la Riboisière, se mêlait rarement aux autres militaires.

Le voisinage du Théâtre-Français attirait au café de Foy les littérateurs et les artistes. Alexandre Dumas père, Léon Laya, l’auteur du Duc Job, Louis Lurine, écrivain de grande valeur ; Eugène Gauthier, qui a écrit au Constitutionnel