Les Courtisanes de l'Église - Benjamin Gastineau - E-Book

Les Courtisanes de l'Église E-Book

Benjamin Gastineau

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Beschreibung

Depuis Théodora et Marozia jusqu’à Lucrèce Borgia et Olimpia, on voit avec stupeur des princesses de l’Église, d’ambitieuses dévotes, qu’on pourrait appeler enragées, dont la beauté, les charmes opulents et les séductions profanes font du Vatican un capharnaüm, de la papauté et des hauts dignitaires de l’Église un jouet de leurs caprices.
En vain Grégoire VII, le pape dictateur, en instituant le célibat, tonna-t-il contre les débauches de son clergé, essaya-t-il de porter le fer rouge au sein de cette corruption, et de disperser la légion de courtisanes qui vivaient de l’autel. Le moyen était mauvais, car on ne réussit pas à moraliser en dehors de l’atmosphère fortifiante de la famille. Et l’Église catholique s’est mise à la fois hors la famille, hors le progrès, hors l’humanité.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Benjamin Gastineau

Les Courtisanes de l'Église

1870

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383832348

INTRODUCTION

Au moment où la papauté cherche à ressaisir par des bulles comminatoires, par des syllabus menaçants et par son concile une influence théocratique et une domination funestes aux sociétés, au moment où elle jette un outrecuidant défi au progrès et à la civilisation en fulminant contre la raison, la libre pensée et les libres penseurs, en confondant dans ses débiles imprécations la liberté et le mal, il ne paraîtra pas hors de propos de montrer les plaies, l’envers d’une institution de droit divin, qui ne s’est sans doute proclamée infaillible que pour mieux interdire toute discussion de son autorité arbitraire et pour faillir sans inconvénient, à l’abri de déclarations canoniques d’infaillibilité et d’impeccabilité.

La catholicité, « qui a fait des faiblesses humaines sa proie, » selon l’expression pittoresque du Père Lacordaire, a souffert de la réversibilité inhérente aux choses humaines. Séduite et captée par l’Église, la femme s’est livrée à elle avec les irrégularités de sa nature, de ses passions, et la tyrannie de ses adorations. Elle a dominé à son tour qui a voulu la dominer ; elle a introduit Éros dans l’enceinte sacrée, elle a placé sa progéniture irrégulière sur le Saint-Siège, qu’elle a souillé de désordres et de scandales.

Depuis Théodora et Marozia jusqu’à Lucrèce Borgia et Olimpia, on voit avec stupeur des princesses de l’Église, d’ambitieuses dévotes, qu’on pourrait appeler enragées, dont la beauté, les charmes opulents et les séductions profanes font du Vatican un capharnaüm, de la papauté et des hauts dignitaires de l’Église un jouet de leurs caprices.

En vain Grégoire VII, le pape dictateur, en instituant le célibat, tonna-t-il contre les débauches de son clergé, essaya-t-il de porter le fer rouge au sein de cette corruption, et de disperser la légion de courtisanes qui vivaient de l’autel. Le moyen était mauvais, car on ne réussit pas à moraliser en dehors de l’atmosphère fortifiante de la famille. Et l’Église catholique s’est mise à la fois hors la famille, hors le progrès, hors l’humanité.

Les chefs de la catholicité ont souvent erré en matière de foi ; les conciles les ont maintes fois redressés, et cependant le droit canonique les déclare infaillibles. Ils ont cédé au torrent de toutes les passions humaines, et en dépit de leurs faiblesses, de leurs vices, le droit catholique les déclare impeccables.

Sans doute l’infaillibilité papale était nécessaire pour fixer la catholicité dans l’immobilité de l’absolutisme, pour la garantir des hérésies et des réformes ; de même que l’impeccabilité devait justifier à l’avance le souverain pontife de toutes ses fautes, de toutes ses erreurs, et consacrer son autorité absolue, son pouvoir immense. Mais les faits démentent trop victorieusement ces belles déclarations canoniques, et les papes se sont montrés trop faillibles et trop peccables pour que la libre pensée baisse les yeux, fasse silence comme les catholiques, et ne regarde pas en face cette institution de la papauté, cette monarchie religieuse d’essence aussi fragile, aussi despotique et mondaine, aussi avide de pouvoir temporel, de conquêtes matérielles, de richesses et de domination que les monarchies politiques.

Pour être édifié à priori, il suffit d’ailleurs de consulter la chronologie du saint-siége : vingt-quatre antipapes et une papesse (voir notre travail sur la papesse Jeanne à la fin de ce volume) ont été chefs de la catholicité ; dix-neuf papes ont quitté Rome ; neuf ont habité Avignon ; vingt-six, papes sont venus en France.

De saint Lin à saint Grégoire, la durée de règne des deux cent cinquante et un pontificats se distribue ainsi : huit papes ont siégé un mois ; quarante, un an ; vingt-deux, d’un an à deux ; cinquante-quatre, de deux à cinq ans ; cinquante-sept, de cinq à dix ans ; cinquante et un, de dix à quinze ans ; dix-huit, de quinze à vingt ans, et seulement neuf plus de vingt ans.

On voit que les chiffres ont leur éloquence !

M. Petruccelli della Gattina fait dans l’Histoire diplomatique des conclaves, un tableau saisissant de ce qu’on pourrait appeler sans exagération la tragédie papale.

La papauté, depuis saint Pierre jusqu’à Pie IX, a eu deux cent quatre-vingt-dix-sept chefs dits papes ; trente et un de ces chefs furent désignés comme des usurpateurs, des hérétiques, des antipapes. Sur les deux cent quatre-vingt-deux papes, dits légitimes, on en compte vingt-neuf morts violemment, puis trente-cinq autres papes morts aussi de mort violente. Dix-huit papes furent empoisonnés, quatre égorgés, treize autres moururent de morts diverses : Étienne VI étranglé, Léon III et Jean XVI mutilés, Jean X étouffé, Benoît VI tué avec un lacet au cou. Selon Gualterio, Jean XIV mourut affamé, ainsi que Grégoire XVI. Luce II fut tué à coups de pierres, Grégoire VIII enfermé dans une cage de fer, Célestin V à l’aide d’un clou enfoncé dans les tempes ; Paul II succomba sous le poids écrasant des pierreries de sa tiare ; Pie IV mourut d’épuisement et de luxure.

Ainsi sur deux cent soixante-deux papes, soixante-quatre ont péri de mort extraordinaire et violente.

Sans compter les papes d’Avignon, vingt-six souverains pontifes ont été déposés, expulsés ou exilés.

Les papes ont toujours été le fléau de l’Italie. Pour se faire soutenir sur leur siège vermoulu, vingt-huit papes ont appelé l’étranger dans la Péninsule. A l’heure où nous écrivons, l’étranger est encore en Italie, et l’étranger, c’est nous !

« Bref, dit M. Petruccelli, quatre-vingt-dix papes morts violemment, expulsés, déposés, exilés ; trente-cinq qui auraient mérité le même sort, étant infidèles à l’institution pontificale ; vingt-huit qui auraient subi le même châtiment si l’étranger ne fût pas intervenu pour les sauver. En tout, cent cinquante-trois papes sur deux cent soixante-deux, qui ont été indignes. »

Faut-il encore ajouter à l’histoire édifiante des papes, que, violant leurs vœux de virginité, un grand nombre d’entre eux eurent des enfants ; nous nous contenterons de citer Pie II, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI, Paul III.

Voilà les preuves historiques de l’infaillibilité et de l’impeccabilité papales ! Et ces souverains pontifes qui ont donné l’exemple de toutes les faiblesses, de tous les vices, n’ont pas craint de déclarer dans des bulles comme l’Unam sanctam, lancée par Boniface VIII contre Philippe le Bel, que petits ou grands, rois ou vassaux, tous les hommes sont tenus, sous peine de damnation, de se croire sujets du pontife romain !

Suivant le droit canonique, dit dans la Croix ou la Mort, le baron de Ponnat, dont l’érudition fait autorité en ces matières, le pape est le Seigneur Notre-Dieu. Il a l’omniscience ; il est la cause des causes ; il est au-dessus de tout droit positif humain. Il peut changer la nature des choses et faire quelque chose de rien.

Cependant plusieurs papes qui savaient bien à quoi s’en tenir sur leur propre compte, en première ligne Urbain V, ont reconnu leur faillibilité, en se soumettant à la correction des conciles et de l’Église ; et d’autres, comme Victor III et Adrien VI, ont confessé ouvertement leurs fautes, leur peccabilité, ainsi que celle des hauts dignitaires de l’Église. Comment Adrien aurait-il pu donner un blanc-seing de vie immaculée à ses collègues, après les monstruosités d’un Benoît et d’un Alexandre VI ?...

Boni face VIII ne croyait pas non plus à l’infaillibilité de ses prédécesseurs, puisqu’il fit brûler tous les actes de Célestin V. D’ailleurs pendant le schisme, papes et antipapes ne se sont-ils pas bel et bien excommuniés et damnés à l’envi ?

Dans ses instructions à son nonce, près la cour de Nuremberg, Adrien VI reconnaît les abominables excès commis autour du saint-siége : « La corruption s’est répandue de la tête aux membres, du pape aux prélats. Nous avons tous dévié, il n’en est aucun qui ait fait le bien, pas même un seul ! »

Pas même un seul pape ayant fait le bien ! On voit que l’aveu sorti de la bouche d’un successeur de saint Pierre est complet.

En effet, l’histoire sévère, l’histoire au stylet d’airain, qui ne pardonne ni au crime, ni à la superstition, atteste la faillibilité, les irrégularités inouïes des chefs impeccables de l’Église, à tel point que bon nombre d’entre eux se sont laissé dominer par des papesses, par des courtisanes jouant la dévotion ; la faiblesse et la tentation féminines ont triomphé de ces orgueilleux de la tiare, qui, les pieds dans la boue, avaient placé leur tête dans une région céleste, en se déclarant au-dessus de la nature humaine,

Récapitulons les faits d’influence féminine qui instruisent le procès des vices de la papauté, contre laquelle ils se dressent nombreux et infamants.

Grégoire Ier fut en relation constante avec la reine des Lombards, Théodelinde, qui par amour du pape protégea l’Église et la gratifia d’immenses richesses.

Le pape Léon VI fut une femme ; il ou elle mourut en couches. — Peperit papissa papillam, dit Amalaria Angerio, le chapelain d’Urbain V.

Durant un demi-siècle les destinées du saint-siége relevèrent de deux grandes courtisanes de l’Église ; la papauté se pâma dans le boudoir de Théodora et de Marozia, suivant l’expression pittoresque du spirituel auteur de l’Histoire diplomatique des Conclaves. Sergius III était publiquement l’amant de la courtisane papesse Marozia. dont elle eut un enfant qui devint pape ; — Jean X, de Théodora qui, de l’archevêché de Ravenne, le fit monter par ses intrigues sur le siège papal, parce que son amant était trop éloigné d’elle, parce qu’à Ravenne, dit Luitprand, à deux cent milles de distance, rarissimo concubito potiretur.

C’est ce pape Jean X que le cardinal Baronius appelle « un intrus infâme, appuyé par le pouvoir d’une femme de mauvaise vie. »

Jean XII fut assassiné à coups de marteau dans la maison d’une femme mariée.

Grégoire VII aurait eu des relations fort intimes et fort charnelles, d’après quelques historiens, avec la vraie fondatrice du pouvoir temporel de la papauté, avec la belliqueuse comtesse Mathilde.

Clément V, simoniaque et débauché, vivait ostensiblement, dit Jean Villani, avec la belle comtesse de Périgord, fille du comte de Foix.

Dans l’assemblée réunie au Louvre par Philippe le Bel, qui voulait se venger de l’excommunication de Boniface VIII, Guillaume de Plasian, parlant au nom du roi, affirma que le pape Boniface non content de vivre avec sa maîtresse dona Cola, avait encore des accointances avec la fille de dona Cola et avec les femmes de chambre de la mère et de la fille.

Lucrèce Borgia eut rang et rôle de princesse de l’Église. Après avoir été incestueuse, elle se livra aux cardinaux et aux princes. Sous Alexandre VI le Vatican était une hôtellerie de courtisanes ; au chevet de son lit, Alexandre avait fait placer le tableau du peintre Pinturrichio, qui représentait sous la forme de la Vierge la maîtresse du pape, la belle courtisane Giulia Farnèse, recevant le tribut d’adoration de son amant Alexandre VI.

Paul III, qui sanctionna l’ordre des Jésuites, et dont Benvenuto Cellini disait qu’il ne croyait à rien, ni en Dieu, ni en autre chose, l’astrologie exceptée, avait débauché sa fille Constance avant son union avec Sforza. Comme le mari s’opposait à la continuation de l’inceste, il fut empoisonné par le pape.

Pie IV mourut d’excès entre les bras d’une femme. Léon X appelait les plus grandes dames de l’Italie pour leur faire voir des pièces à filles de joie. « Il ne songeait qu’aux bacchanales, dit Paolo Giovio, et avec des cardinaux très-noblement élevés et sans préjugés, il consumait très-libéralement la vie en chasses, banquets et spectacles. »

Ce pape vécut à ce point dans la bacchanale et le sybaritisme qu’on ignore s’il mourut de poison ou de maladie honteuse.

De 1644 à 1655 le vrai pape ne fut pas Innocent X, mais sa belle-sœur et maîtresse, dona Olimpia, qui rédigeait ses bulles et dirigeait les affaires intérieures et extérieures de l’Église.

Les femmes ont trempé dans les opérations des conclaves. Plus d’un pape dut son élection à leurs intrigues. Les maîtresses des cardinaux, comme Théodora, Olimpia et tant d’autres, ne reculèrent devant aucune action pour pousser leurs amants jusqu’au trône pontifical et devenir co-papes ou papesses.

L’élément féminin a été à ce point mêlé à la papauté, à l’Église et à la religion, que des femmes ont pu convoquer des conciles, présider à la constitution du dogme et décréter la foi, la croyance catholique selon leurs caprices ou leur bon plaisir.

Ainsi l’impératrice Eudoxie convoqua le fameux concile d’Éphèse, dit le concile du brigandage, et fit réhabiliter Eutychès. Le quatrième concile œcuménique fut convoqué par l’impératrice Pulchérie ; six cent trente-six Pères, dociles à ses ordres, se rendirent à Chalcédoine. Au sixième siècle, la prostituée et la comédienne Théodora, qui avait passé de l’Embolum, du portique de prostitution au palais impérial et à la couche de Justinien, joua un véritable rôle de papesse. Elle renversa le pape romain pour lui substituer son protégé ; elle annula les décisions d’un concile et en réunit un autre à Constantinople. Elle décréta ce qu’était l’hérésie et ce qu’était la foi !

Les beaux-arts sont redevables de la conservation des images à deux femmes, Irène et Théodora, qui dans le concile de Nicée, en 787, et dans celui de Constantinople en 842, firent condamner les iconoclastes et reconnaître le culte des images.

On voit donc que les dogmes et les cérémonies catholiques ont été en partie confectionnés et ordonnés par les impératrices du Bas-Empire, par les femmes qui ont souverainement décidé des destinées de l’Église. Qu’on s’étonne maintenant que l’Église aime à tenir la femme sur ses genoux. Elle a été faite de son sang et de son cerveau.

Après tant de faits accusateurs et accablants, est-il possible de nier l’action de la femme sur le saint-siége, et de défendre l’impeccabilité et l’infaillibilité des papes ?

Ce sont donc surtout les rapports de la femme avec la papauté, le rôle curieux et parfois étrange du vice-pape ou de la papesse, de la courtisane de l’Église, en un mot l’influence des femmes sur les souverains pontifes que nous avons voulu mettre en lumière, en nous aidant des travaux de tous les historiens profanes et de tous les nistoriens dits sacrés, tels que l’abbé Lenain de Tillemont, l’évêque Luitprand, le cardinal Baronius, plus sévères pour les leurs, pour les catholiques, que les historiens profanes eux-mêmes.

Nous n’avons pas cru blesser l’histoire, cette grande école de l’humanité que nous avons toujours respectée, en présentant notre sujet d’une manière dramatique, en groupant tous les faits intéressants, pathétiques ou tragiques, qui se rattachaient à notre thèse, méthode qui nous avait déjà réussi dans notre histoire de la terreur religieuse, dans Monsieur et Madame Satan, dont le succès nons a largement récompensé de nos recherches.

BENJAMIN GASTINEAU.

AVIS DE LA SECONDE ÉDITION

Voici la lettre de mon éditeur, M. Georges Barba, publiés par un grand nombre de journaux :

« L’affichage des Courtisanes de l’Église, ouvrage de M. Benjamin Gastineau, m’a été refusé à la préfecture de police, au ministère de l’intérieur, et en dernier ressort au ministère de la justice et des cultes.

« Pourquoi n’est-il plus permis à un éditeur de faire afficher le simple titre d’un ouvrage en cours de publication.

« C’est le premier cas, je crois, de ce genre.

« Le public appréciera le genre de liberté dont jouissent aujourd’hui les livres, surtout les livres qui, comme les Courtisanes de l’Église, ont le malheur de deplaire à la papauté et à Rome.

« Veuillez agréer mes salutations empressées.

Georges BARBA. »

En effet, nous croyons avec M. Barba que c’est le seul exemple d’un ouvrage en cours de publication dont l’affichage ait été interdit. Heureusement qu’on ne peut ni interdire l’histoire ni effacer de ses fastes les passions et les intrigues des Courtisanes qui ont souillé le siége de saint Pierre et influencé, pendant des siècles, les destinées de la papauté en trafiquant de leurs faveurs... et de celles de leur mère, l’Église.

Nous ne doutons pas que ce ne soit à la rigueur, à la fidélité historique de notre texte que nous devions le succès de ce livre, en dépit des restrictions administratives et des critiques intéressées.

Un dernier mot à propos de notre titre.

« Il est certain, dit un célèbre écrivain du XVIe siècle, le savant Henri Estienne dans son Apologie pour Hérodote, que le mot de courtisane, qui est le moins déshonnête, synonyme de p...... a pris son origine de la cour de Rome. »

Notre titre est donc parfaitement justifié par Henri Estienne, et ce sera notre unique réponse à quelques personnages qui se sont signés à l’appellation des Courtisanes de l’Église. — Courtisane provient originairement de la cour dissolue de Rome. — Mais, pour certaines gens de nuit et de silence, tout est scandaleux, même la vérité, même l’histoire !

B. GASTINEAU.

PREMIÈRE PARTIE

THÉODORA ET MAROZIA

I

S’il est des courtisanes modestes ou inertes qui se contentent de tirer quelques profits de leurs charmes en régnant sur quelques particuliers obscurs et en exploitant leurs vices, l’histoire nous montre d’autres Dalilas, d’autres Bethsabées plus dissolues ou plus intelligentes, mais assurément plus intéressantes à étudier, qui, après avoir séduit les maîtres de la tiare et de la couronne, dominèrent les princes, le peuple et l’Église.

Nous voulons retracer l’histoire assez mal connue d’un trio d’illustres courtisanes, de Théodora et de ses deux filles, qui, maîtresses et mères de papes, pendant un demi-siècle, depuis la mort de Formose, en 896, jusqu’à l’élection de Clément II, en 1046, ont tenu dans leurs mains les destinées de la papauté et le gouvernement de Rome.

Les historiens protestants ont qualifié de pornocratie le temps où le siége pontifical fut influencé et dominé par les grandes prostituées de Rome. Quant aux historiens catholiques, quoique dignitaires de l’Église, la flétrissure qu’ils ont infligée à cette scandaleuse période du pouvoir papal n’est ni moins énergique ni moins vive que celle des réformés. Que nos lecteurs en jugent par les paroles salées de l’évêque Luitprand et du cardinal Baronius.

« Théodora, courtisane impudente, dit l’évêque Luitprand, a dominé à Rome avec une autorité virile et monarchique. Cette femme eut deux filles, Marozia et Théodora II, qui l’ont égalée en tout et qui ont été plus débauchées que la mère. Marozia a été l’amante du pape Sergius III et a enfanté avec lui, par un criminel adultère, Jean X, qui, après la mort de Jean de Ravenne, pape sous le nom de Jean X, est devenu chef de l’Église romaine. »

« Quel horrible aspect ne présentait pas la sainte Église romaine, s’écrie à son tour le cardinal Baronius dans ses Annales, lorsque d’infâmes courtisanes disposaient à leur gré des sièges épiscopaux, et, ce qui est également terrible à prononcer et à entendre, lorsqu’elles plaçaient leurs amants sur le trône même de saint Pierre ! Qui pourrait appeler pontifes légitimes des intrus qui devaient tout à des femmes de mauvaise vie ? Car on ne parlait plus de l’élection du clergé : les canons, les décrets des papes, les anciennes traditions, les rites sacrés étaient ensevelis dans le plus profond oubli ; la dissolution la plus effrénée, le pouvoir mondain, l’ambition de dominer avaient pris leur place. Quels auront été les cardinaux choisis par de tels monstres, etc. ?

« Le Christ assurément, continue Baronius, dormait alors d’un profond sommeil dans le fond de sa barque, tandis que les vents soufflaient de tous côtés, et qu’ils la couvraient des flots de la mer. »

Théodora et ses deux filles avaient qualité de patrices romaines. Leur titre officiel était senatrix omnium Romanorum (la sénatrice de tous les Romains).

Rome était alors une République oligarchique et théocratique constituée à peu près comme les républiques de Venise et d’Amalfi. La souveraineté résidait bien nominalement et fictivement dans le peuple, mais en réalité elle était passée entre les mains d’un petit nombre de nobles qui s’appropriaient les charges et disposaient de la dignité de pape à Rome et de celle de duc dans les autres villes.

Les courtisanes dont nous esquissons l’histoire parviennent au rang suprême en dominant par le faste, la coquetterie, l’intrigue galante et le concubinat, ces nobles toujours divisés en factions qui se disputaient le pouvoir papal et ducal.

En ces temps, les portes étaient toutes grandes ouvertes à l’influence féminine en raison de la situation même de la plupart des nobles qui, possédant des charges ecclésiastiques, ne pouvaient se marier. Alors ils tranchaient la difficulté et se donnaient une descendance en contractant des liaisons de la main gauche avec les dames romaines qui généralement préféraient le concubinat au mariage légitime, parce que l’épouse devait prendre le voile quand son époux recevait les ordres ou entrait dans un monastère, tandis que la concubine reconnue en était quitte pour déchirer le contrat, pour rompre le pacte lorsque les conditions de la vie changeaient.

Le concubinat à celte époque était donc un usage licite, que la loi reconnaissait, c’était un mariage avec divorce facultatif aux deux parties respectant le contrat mutuel tant qu’ils étaient d’accord et le brisant le jour où l’orage et le désaccord survenaient. Après la rupture, le pro-mari (ainsi s’appelait l’homme lié à l’épouse de la main gauche) cherchait une autre maîtresse et passait un autre contrat de concubinage avec elle, tandis que la femme redevenue libre se mettait en quête d’autres promaris (promariti). Les enfants issus de ces nœuds portaient le nom du pro-mari.

« Ce système était immoral, dit Bianchi-Giovini, l’auteur d’une remarquable histoire des papes (Storia dei papi), mais il ne faut pas chercher la moralité où gouvernent les prêtres. Le concubinat des nobles et des prêtres nous explique les nombreux bâtards ecclésiastiques de tous les grades et la facilité avec laquelle les dames de Rome passaient de l’un à l’autre mari. »

Théodora et ses deux filles eurent de nombreux maris et pro-maris.

II

Le côté le plus piquant du règne de ces grandes courtisanes de l’Église, c’est qu’elles apparaissent dans l’âge de fer de la féodalité, quand la force brutale et la furie du meurtre sont les seules divinités du monde, à la fin du neuvième et au commencement du dixième siècle, les plus épouvantables que l’humanité ait subis.

Eh bien ! c’est à cette époque entièrement hostile aux délicatesses, aux attraits de leur sexe, qu’on voit une Berthe et une Hermengarde trôner dans la Haute-Italie, une Théodora et une Marozia gouverner Rome et l’Italie centrale, suivant les caprices de leurs passions ou de leur ambition.

« Berthe, Hermengarde, Marozia, dit l’historien italien Cantu, trois veuves, trois femmes terribles, acquéraient la puissance en donnant le corps. »

La beauté et la ruse féminines, triomphant de la barbarie et de la grossièreté masculines, dirigeant la politique et la religion en enfance ; l’homme bardé de fer, velu, hideux, hérissé, forgé de haines, d’ignorance, de superstitions, d’instincts violents, se laissant enlacer par les frêles liens de l’amour, Hercules horribles aux pieds de séduisantes Omphales, voilà l’étrange spectacle que donnèrent les sauvages conquérants, les nouveaux possesseurs de l’Italie, conquis et abaissés à leur tour par des puissances plus faibles, mais plus ductiles.

La civilisation est en partie faite du sang, des larmes et de l’amour des femmes. L’éternel féminin a pour fonction d’assouplir l’homme, de le ductiliser, de le civiliser. La beauté fut donc l’élément civilisateur de ces hordes d’envahisseurs de l’Italie ; non pas cette beauté platonique d’une Béatrice, d’une Laure, qui devait enfanter un Dante et un Pétrarque, mais cette beauté plastique, sensuelle, voluptueuse, qui prodiguait de furieux embrassements dans des combats charnels où l’Italienne railleuse s’élevait au-dessus du barbare étonné de sa défaite et de son épuisement.

N’était-il pas naturel que des Romaines, que des femmes de race latine, à l’intelligence ouverte, à l’esprit délié, aux passions vigoureuses, reprissent le sceptre tombé des mains des descendants d’Énée et régnassent à leur tour sur ces blocs de chair, sur ces conquérants mal dégrossis, sur ces loups dévorants auxquels il fallait limer les dents, rogner les ongles et lisser le poil ; sur les Hérules, les Lombards, les Huns, les Franks, les Avares, les Goths et Ostrogoths enchantés de leur côté de trouver de charmantes créatures qui, tout en partageant leurs passions avides, avaient gardé cependant les formes élégantes, les voluptés raffinées de la civilisation romaine.

Quand ces déesses descendaient de leur olympe pour s’unir aux rudes conquérants de l’Italie, elles devenaient facilement les maîtresses, dans le sens littéral du mot, de princes, de seigneurs, de chefs militaires, d’évêques plus barbares qu’instruits, plus grossiers que déliés, subissant avec plaisir la direction d’une conquise, s’ils n’allaient pas au-devant du joug ; aussi la domination des femmes par la fascination des sens ne fut-elle à aucune époque de l’histoire aussi grande qu’aux neuvième et dixième siècles. Les conquérants traînaient à leur suite de véritables sérails ; chaque seigneur, chaque évêque avait le sien. Les Franks avaient importé en Italie les habitudes licencieuses de la cour de Charlemagne ; la pluralité des femmes était en honneur, comme un signe de puissance, de richesse, et la monogamie-se voyait ridiculisée parles dames de la main gauche. Dans cette débauche inouïe de sang, de carnage, des abus de la force, l’amour libre versait ses enivrants poisons, glissait ses formes séduisantes, faisant comme toujours son profit des désordres sociaux.

 

III

La belle, l’irrésistible Hermengarde était fille du brillant marquis de Toscane, Adelbert le Riche, qui devint l’amant passionné de la patricienne Théodora, petite-fille de cette belle Waldrade dont la beauté avait tellement fasciné le roi Lothaire que, pour lui plaire, il ne craignit pas de rompre avec le pape, et de la grande Berthe qui, jusqu’à soixante ans, attacha à son char de nombreux amants français et italiens. Pendant quelle régna en Toscane, la grande Berthe bouleversa la Péninsule au gré de ses caprices. Selon Luitprand, elle tenait par ses galanteries les plus puissants personnages. Quand sa conduite avait blessé un prince, elle le désarmait par sa beauté et ses grâces faciles. Par une incroyable bizarrerie, le règne de cette Messaline diplomate fut désigné comme le bon vieux temps : au temps que Berthe filait, disent les Italiens (al tempo che Berth filava). Si ce n’est pas de l’ironie, c’est une forte naïveté !

Digne fille d’une telle mère, et mettant en pratique ses leçons, Hermengarde assura longtemps à sa famille la prépondérance politique en Italie ; elle valait à elle seule une armée. Pas un amant qui ne devînt pour elle un partisan dévoué, pas un ennemi qui ne déposât les armes et ne se rangeât de son parti pour posséder des charmes qu’elle prostituait, suivant les besoins de la politique aux grands de la haute Italie.

Malheureusement, la plus jolie femme du monde ne peut pas se donner à l’univers entier ; ceux qui furent dédaignés d’Hermengarde, qui n’eurent pas leur part de bonheur, formèrent contre son père un parti hostile dont le chef fut l’archevêque de Milan, Leuthbert.

Un épisode inouï donnera à nos lecteurs une idée de ce trafic de la beauté, de ce genre de prostitution appliquée à la politique. Hermengarde tenait à placer la couronne de l’Italie sur la tête de son frère utérin, le comte Hugues de Provence, en hostilité ouverte avec le roi Rodolf qui, venu en Italie à la tête d’une armée de Bourguignons, marcha de concert avec le parti de Leuthbert contre Hermengade enfermée dans Pavie. La grande courtisane se contenta, pour toute machination de guerre, de faire savoir à Rodolf que s’il ne rétrogadait pas immédiatement, s’il ne renonçait à ses projets de conquête, elle appellerait dans son camp tous les princes qui l’entouraient, et, par sa baguette magique de Circé, transformerait en traîtres ses plus fidèles serviteurs.

Rodolf, sachant par expérience combien la beauté d’Hermengarde était irrésistible, fut tellement effrayé de ses menaces que, pendant la nuit, il passa le Tessin pour aller se jeter aux pieds de sa belle ennemie, dont il devint le prisonnier volontaire.

Indignés de sa défection, les partisans de Rodolf abandonnèrent un homme qui s’était abandonné lui-même à une femme ; ils appelèrent le beau-frère d’Hermengarde, le comte Hugues de Provence, et le couronnèrent roi d’Italie.

Théodora et sa fille Marozia eurent la même puissance qu’Hermengarde ; elles échangèrent leurs faveurs recherchées contre des châteaux, des forteresses, de hautes influences de premiers barons et d’évêques. Elles payaient comptant de leur beau corps, mais leurs amants devaient à leur tour subir l’ascendant de ces séduisantes esclaves d’un moment, qui se relevaient impérieuses, reines de la couche voluptueuse, en emportant un château, un corps de troupes, une élection ou un traité. Les chroniqueurs contemporains racontent leurs débordements d’une façon toute placide, presque sans réflexion, sans manifester ni indignation ni étonnement, comme une chose commune à beaucoup d’autres femmes, ce qui prouve que la passion, l’entraînement, la folie impétueuse des sens, la vigueur des penchants étaient universels et n’avaient pu encore être stérilisés, frappés de mort par l’ascétïsme, par la morale de privation et de négation du christianisme. L’homme était debout devant Dieu et devant le roi.