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Extrait : "LOR : Où est le prisonnier ? BARB : Il se remet de la question qu'il a subie. LOR : L'heure fixée hier pour la reprise du procès est passée. Allons rejoindre nos collègues au Conseil, et presser la comparution de l'accusé. BARB : Non ; accordons-lui encore quelques minutes pour reposer ses membres torturés ; il a été épuisé hier par la question, et peut y succomber si on la renouvelle."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 105
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335097078
©Ligaran 2015
Tragédie historique en cinq actes
Le père s’adoucit, mais le gouverneur est inflexible.
SHÉRIDAN.– Le Critique.
FRANCESCO FOSCARI, doge de Venise.
JACOPO FOSCARI, fils du doge.
MARINA, femme du jeune Foscari.
JACOPO LOREDANO, patricien.
MARCO MEMMO, membre du Conseil des Quarante.
BARBARIGO, sénateur.
AUTRES SÉNATEURS, LE CONSEIL DES DIX, GARDES, SERVITEURS, etc.
La scène est à Venise, dans le palais ducal.
Une salle dans le palais ducal.
Loredano et Barbarigo se rencontrent.
Où est le prisonnier ?
Il se remet de la question qu’il a subie.
L’heure fixée hier pour la reprise du procès est passée. – Allons rejoindre nos collègues au Conseil, et presser la comparution de l’accusé.
Non ; accordons-lui encore quelques minutes pour reposer ses membres torturés ; il a été épuisé hier par la question, et peut y succomber si on la renouvelle.
Eh bien ?
Je ne vous le cède pas dans l’amour de la justice, ni dans ma haine pour les ambitieux Foscari, le père, le fils, et toute leur race dangereuse ; mais le malheureux a souffert plus que ne peut endurer la plus stoïque énergie.
Sans avouer son crime.
Peut-être sans en avoir commis aucun. Mais il a avoué la lettre au duc de Milan, et cette erreur est à moitié expiée par ses souffrances.
Nous verrons.
Loredano, vous poussez trop loin une haine héréditaire.
Jusqu’où ?
Jusqu’à l’extermination.
Quand ils auront cessé de vivre, vous pourrez parler ainsi. – Allons au Conseil.
Un moment ; – le nombre de nos collègues n’est pas encore complet ; il en manque encore deux avant que nous puissions procéder.
Et le président du tribunal, le doge ?
Lui, – avec une fermeté plus que romaine, il arrive toujours le premier pour siéger dans ce procès malheureux contre son dernier et unique enfant.
Oui, oui, – son dernier.
Rien ne pourra-t-il vous émouvoir ?
Croyez-vous qu’il soit ému ?
Il n’en témoigne rien.
C’est ce que j’ai remarqué ; – le misérable !
Mais hier on m’a dit qu’à son retour de l’appartement ducal, au moment où il franchissait le seuil, le vieillard s’est évanoui.
Le mal commence à agir.
Il est en partie votre ouvrage.
Il devrait être entièrement mon œuvre ; – mon père et mon oncle ne sont plus.
J’ai vu leur épitaphe ; on y lit qu’ils sont morts empoisonnés.
Le doge déclara un jour que jamais il ne se croirait souverain tant que Piétro Loredano vivrait. Les deux frères ne tardèrent pas à tomber malades ; – il est souverain.
Souverain malheureux.
Ne doivent-ils pas l’être ceux qui font des orphelins ?
Est-ce le doge qui vous a rendu orphelin ?
Oui.
Quelles sont vos preuves.
Quand les princes agissent en secret, les preuves et les poursuites sont également difficiles ; mais j’ai assez des premières pour rendre les secondes superflues.
Mais vous aurez recours aux lois ?
À toutes les lois qu’il voudra bien nous laisser.
Elles sont telles dans cette république que les réparations y sont plus faciles que chez aucun autre peuple. Est-il vrai que – sur vos livres de commerce, source de la richesse de nos plus nobles maisons, vous ayez écrit ces mois ; « Doit le doge Foscari pour la mort de Marco et Pietro Loredano, mon père et mon oncle ? »
Cela est écrit ainsi.
Et ne l’effacerez-vous pas ?
Quand le compte sera balancé.
Et comment ?
Deux sénateurs traversent la scène pour se rendre dans la salle du Conseil des Dix.
Vous voyez que le nombre est complet ; suivez-moi !
Loredano sort.
Te suivre ! je l’ai trop longtemps suivi dans ta carrière de vengeance, comme la vague suit celle qui la précède, submergeant à la fois le navire que fait craquer le souffle des vents déchaînés, et le malheureux qui crie dans ses flancs entrouverts à la vue des flots qui s’y précipitent ; mais ce fils et ce père pourraient toucher de pitié les éléments et les apaiser, et moi je dois les poursuivre sans relâche comme les vagues. – Oh ! que ne suis-je comme elles aveugles et sans remords ! – Le voici qui s’avance ! – tais-toi, mon cœur ! ils sont tes ennemis et doivent être tes victimes : te laisseras-tu émouvoir pour ceux qui ont failli le briser ?
Les gardes entrent, conduisant le jeune Foscari prisonnier.
Laissons-le reposer. – Seigneur, arrêtez-vous.
Je te remercie, mon ami. Je suis faible. Mais tu t’exposes à être réprimandé.
J’en courrai le hasard.
C’est bienveillant de la part : – je trouve encore de la compassion, mais point de merci ; c’est la première fois qu’on m’en témoigne.
Et ce pourrait être la dernière, si ceux qui gouvernent nous voyaient.
Il en est un qui te voit ; mais ne crains rien, je ne serai ni ton juge ni ton accusateur ; quoique l’heure soit passée, attends les derniers ordres. Je suis du Conseil des Dix, et ma présence te servira d’excuse : quand le dernier appel se fera entendre, nous entrerons ensemble. – Veille attentivement sur le prisonnier.
Quelle est cette voix ? C’est celle de Barbarigo, l’ennemi de notre maison et l’un du petit nombre de mes juges.
Pour balancer un tel ennemi, s’il existe, ton père siège parmi tes juges.
C’est vrai, il est mon juge.
N’accuse donc point la sévérité des lois qui permettent à un père d’avoir voix délibérative dans une matière qui touche au salut de l’État…
Et à celui de son fils. Je me sens défaillir, j’ai besoin de respirer un peu d’air ; laissez-moi, je vous prie, approcher de cette fenêtre qui domine les flots.
Un officier entre, s’approche de Barbarigo, et lui parle à l’oreille.
Laissez-le approcher. Je ne puis lui parler davantage ; j’ai transgressé mon devoir en lui adressant ce peu de mots, et je suis obligé de rentrer dans la salle du Conseil.
Barbarigo sort. – Le garde conduit Jacopo Foscari auprès de la fenêtre.
Ici, seigneur ; elle est ouverte. – Comment vous trouvez-vous ?
Comme un adolescent. – Ô Venise !
Et vos membres ?
Mes membres ! combien de fois ils m’ont emporté bondissant sur cette mer d’azur, alors que je guidais la gondole, dans ces joutes enfantines où, masqué en jeune gondolier, tout noble que j’étais, je disputais en jouant le prix de la vigueur à mes joyeux rivaux, pendant qu’une foule de beautés plébéiennes et patriciennes nous encourageaient jusqu’au but par leurs sourires enivrants, l’expression de leurs souhaits, leurs mouchoirs agités en l’air, leurs battements de mains ! – Combien de fois, d’un bras plus robuste encore, d’un cœur plus hardi, j’ai fendu la vague irritée ! quand d’une brassée je rejetais en arrière les flots qui inondaient ma chevelure, et insultais à la lame audacieuse qui venait, comme une coupe de vin, humecter le bord de mes lèvres ; je suivais le mouvement des vagues, et, plus elles m’emportaient haut, plus j’étais lier ; souvent, en me jouant, je plongeais au fond de leur verdâtre et vitreux empire, et j’allais toucher les coquillages et tes plantes marines, invisible aux spectateurs qui tremblaient de ne plus me revoir ; bientôt je reparaissais les mains pleines d’objets qui prouvaient que j’avais parcouru le fond de l’abîme : tout fier, je rendais un libre cours à mon haleine longtemps suspendue ; et, frappant de nouveau les ondes avec vigueur, écartant les flots d’écume qui m’entouraient, je poursuivais ma route avec la légèreté d’un oiseau de la mer. – J’étais alors enfant.
Soyez homme maintenant ; jamais la fermeté virile ne vous fut plus nécessaire.
Ma belle, mon unique Venise ! – c’est maintenant que je respire ! Comme ta brise, ta brise de l’Adriatique évente ma face ! Il y a dans le souffle des airs un charme natal qui est doux à mes veines, qui rafraîchit et calme mon sang ! Quelle différence avec les vents brûlants des horribles Cyclades, qui hurlaient à Candie autour de mon cachot, et me faisaient défaillir !
La couleur revient sur vos joues ; que le ciel vous donne la force de supporter ce que l’on peut encore vous faire souffrir ! Je ne puis y penser sans frémir.
Sans doute, ils ne me banniront plus ? – non, – non, qu’ils me torturent ; j’ai encore de la force.
Avouez, et vous ne serez plus mis à la question.
J’ai avoué une première fois, – une seconde : deux fois ils m’ont exilé.
Et à la troisième ils vous tueront.
Qu’ils me tuent, pourvu que je sois enterré au lieu de ma naissance ! j’aime mieux n’être ici que poussière que de vivre partout ailleurs !
Comment pouvez-vous tant aimer le sol qui vous hait ?
Le sol ! – oh ! non ! ce sont les enfants du sol qui me persécutent ; mais ma terre natale me recevra comme une mère dans ses bras. Je ne demande qu’un tombeau vénitien, un cachot, tout ce qu’on voudra, pourvu que ce soit ici.
Un officier entre.
Amenez le prisonnier.
Seigneur, vous entendez l’ordre.
Oui, je suis accoutumé à de tels ordres ; c’est la troisième fois qu’ils m’ont torturé : – prête-moi donc ton bras !
Prenez le mien ; mon devoir est d’être auprès de votre personne.
Vous ! – c’est vous qui avez présidé hier à mon supplice ; – arrière ! – je marcherai seul !
Comme il vous plaira, seigneur ; ce n’est pas moi qui avais signé la sentence ; mais je n’ai pas osé désobéir au Conseil quand il m’a commandé…
De m’étendre sur leur effroyable chevalet. Je t’en prie, ne me touche pas, – c’est-à-dire pas encore : ils ne tarderont pas à renouveler cet ordre ; jusque-là, tiens-toi loin de moi ! Quand je regarde ta main mon sang se fige, mes membres frissonnent au pressentiment de tortures nouvelles, et une sueur glacée couvre mon front, comme si… – mais marchons. J’ai supporté ces tourments, – je puis les supporter encore. – Quel aspect a mon père ?
Son aspect accoutumé.
Il en est ainsi de la terre, du firmament, de la mer azurée, de notre cité brillante, de ses édifices, de la gaieté de ses places publiques ; en cet instant même le joyeux murmure de la foule arrive jusqu’ici, ici, dans ces salles où des inconnus gouvernent, où des inconnus sans nombre sont jugés et immolés en silence ; – tout a conservé le même aspect, tout, jusqu’à mon père ! rien ne sympathise avec Foscari, pas même un Foscari ! – Seigneur, je vous suis.
Jacopo Foscari et l’officier sortent. – Memmo entre avec un autre sénateur.
Il est parti ; – nous sommes venus trop tard. – Pensez-vous que les Dix siégeront longtemps aujourd’hui ?
On dit que le prisonnier est on ne peut plus endurci, et persiste dans son premier aveu ; mais je n’en sais pas davantage.
C’est déjà beaucoup ; les secrets de ces salles terribles nous sont cachés à nous, les premiers nobles de la République, comme ils le sont au peuple.
Si l’on en excepte les vagues rumeurs qui, pareilles à ces contes de revenants débités dans le voisinage des châteaux en ruine, – n’ont jamais été prouvées ni totalement niées, – les actes réels du gouvernement sont aussi peu connus que les impénétrables mystères de la tombe.
Mais avec le temps nous faisons un pas vers la connaissance de ces secrets, et j’espère bien faire un jour partie des décemvirs.
Ou devenir doge ?
Non, si je puis l’éviter.
C’est le premier poste de l’État ; de nobles aspirants peuvent légitimement y prétendre, et légitimement l’obtenir.
Je le leur abandonne ; quoique né noble, mon intention est limitée : j’aimerais mieux être une des unités qui composent le Conseil impérial et collectif des Dix, que de briller isolément, magnifique zéro. – Qui vient ici ? L’épouse de Foscari !
Marina entre accompagnée d’une suivante.
Quoi ! personne ? – Je me trompe, en voici encore deux ; mais ce sont des sénateurs.
Très noble dame, commandez-nous.
Moi commander ! – Hélas ! ma vie a été une longue supplication, et inutile encore.
Je vous comprends ; mais je ne dois pas répondre.
Il est vrai, nul ici ne doit répondre, sinon sur le chevalet ; nul ne doit questionner, excepté ceux…
Noble dame, songez où vous êtes en ce moment.
Où je suis ! – Dans le palais du père de mon époux.
Le palais du doge.
Et la prison de son fils ; – c’est vrai, je ne l’ai point oublié, et à défaut d’autre souvenir plus proche et plus amer, je remercierais l’illustre Memmo de me rappeler les plaisirs de ce lieu.
Soyez calme.