9,99 €
Extrait : "Après avoir couru pendant trois jours les salons, les spectacles, les jardins, les voitures publiques, pour tâcher d'entendre quelque chose de neuf et de piquant, afin de paraître avec honneur en excellente compagnie dans un livre merveilleusement imprimé, et surtout pour obliger un galant homme digne de l'intérêt général, parce qu'il a traité son commerce comme un art à une époque tant de gens font de l'art un trafic ; harassé, anéanti de tant de courses,..."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.
LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :
• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
• Policier
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 44
Veröffentlichungsjahr: 2015
Paris, ou le Livre des Cent-et-Un publié en quinze volumes chez Ladvocat de 1831 à 1834, constitue une des premières initiatives éditoriales majeures de la « littérature panoramique », selon l’expression du philosophe Walter Benjamin, très en vogue au XIXe siècle. Cent un contributeurs, célèbres pour certains, moins connus pour d’autres, appartenant tous au paysage littéraire et mondain de l’époque, ont écrit ces textes pour venir en aide à leur éditeur qui faisait face à d'importantes difficultés financières… Ainsi ont-ils constitué une fresque unique qui offre un véritable « Paris kaléidoscopique ».
Le présent ouvrage a été sélectionné parmi les textes publiés dans Paris ou le Livre des Cent-et-Un. De nombreux titres de cette fresque sont disponibles auprès de la majorité des librairies en ligne.
CONVERSATION.
Après avoir couru pendant trois jours les salons, les spectacles, les jardins, les voitures publiques, pour tâcher d’entendre quelque chose de neuf et de piquant, afin de paraître avec honneur en excellente compagnie dans un livre merveilleusement imprimé, et surtout pour obliger un galant homme digne de l’intérêt général, parce qu’il a traité son commerce comme un art à une époque où tant de gens font de l’art un trafic ; harassé, anéanti de tant de courses, humilié de l’inutilité de mes recherches, j’allai de désespoir me jeter sur une des chaises de la rotonde, dans le jardin du Palais-Royal ; je pris la ferme résolution de lire les journaux, assis à l’ombre de ces arbres qui n’en donnent point.
Il était très – bonne heure ; je n’avais guère pour voisins que des bonnes, des enfants et des cerceaux, sauf un jeune homme très – occupé d’une énorme brochure, et un vieillard qui parcourait assez négligemment un paquet de feuilles patriotes.
Le premier avait d’assez beaux traits, mais quelque chose de hagard dans la physionomie. Ses cheveux se relevaient en coup de vent. Sa cravate de foulard bariolé se dessinait sur une barbe épaisse. Il portait une grande redingote boutonnée jusqu’au cou. Sa lecture semblait l’absorber entièrement, et quelquefois le ravissait en extase ; il poussait de temps en temps des exclamations assez bruyantes ; il s’écriait souvent : beau ! superbe ! admirable ! et semblait se croire absolument seul au fond de son cabinet.
Le vieillard suspendait aussi la lecture de ses journaux par des monosyllabes plus rapides et moins articulés ; c’était des oh ! des ah ! des fi donc !… Il me semble pourtant qu’il dit une fois : Imbécile ! et une autre fois : Jacobins ! Il prononça ce dernier mot en jetant par terre un numéro du Figaro ; il le ramassa en grommelant et faillit perdre sa perruque d’un blond hasardé. Je ne me donnerai pas la peine de le dépeindre. Qu’on se figure Henry Monnier, en douillette de soie violette, dans le premier travestissement de la Famille improvisée.
Il y eut un moment de silence, pendant lequel l’un se rassit après avoir reporté ses feuilles dans le kiosque quasi-chinois, et l’autre remit son livre dans sa poche.
Le vieillard mourait d’envie de parler ; cela était évident ; il se retourna plusieurs fois vers son voisin en toussant. Enfin il prit son parti comme un homme qui va sauter un fossé, et dit :
Monsieur, il est bien étonnant que le canon n’ait pas encore tiré, il est pourtant ordinairement très exact.
– C’est qu’il ne fait pas beau aujourd’hui.
– Le monde commence à arriver ; toutes les chaises seront bientôt occupées.
– Je le crois.
– Monsieur, votre lecture avait l’air de vous faire grand plaisir, c’est sans doute un ouvrage bien intéressant ?
– Oui, monsieur.
– Quelque grand écrivain ?…
– Mieux qu’un écrivain.
– Racine, Bossuet, Fénélon ?
– Ni Racine, ni Bossuet, mais Saint-Simon.
– Ah ! monsieur, s’écria le vieillard tout transporté, que je suis aise de vous voir apprécier ainsi M. de Saint-Simon ! Il a eu du succès, un grand succès, on l’a beaucoup lu, mais bien peu de gens l’admirent avec cet enthousiasme passionné, lui rendent ce culte dont il est si digne ! Pour moi, c’est depuis bien des années ma nourriture habituelle, mon vade-mecum ; il ne se passe pas de jour que je n’en lise au moins quelques pages.
– Vous parlez de votre bonheur, monsieur !… En effet, vous êtes plus heureux que moi, car il y a bien peu de temps que je me désaltère à cette source vivifiante ! Quel était mon aveuglement !… Avant 1829, je ne connaissais pas Saint-Simon, mais depuis deux ans il s’est emparé de toutes mes facultés.
– Oui, c’est en 1829 qu’il a été révélé à nos jeunes gens. Je voudrais être comme vous dans la fraîcheur de cette délicieuse lecture. Que de vigueur ! quel style énergique !
– Le style ? Vous songez à son style !…… Eh ! qu’importe son style ? Vous vous apercevez de son style ?
– C’est le moindre de ses mérites, j’en conviens ; mais quelle force de pensée !
– Plus, mille fois plus que de la pensée !
– Comme il juge son temps et les hommes de son siècle !
– Comme il s’élève au-dessus d’eux !
– M. de Saint-Simon est le résumé de son époque.
– Dites qu’il suffit à Saint-Simon d’un pas, d’une enjambée pour la devancer, pour la jeter bien loin derrière.
– Quelle connaissance intime du passé !
– Quelle sainte prescience de l’avenir !