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Extrait : "CLÉMENCE seule, assise à gauche, lisant le journal, puis HENRI, entrant par la porte de droite ; il s'approche à pas de loup et embrasse le cou de Clémence, qui pousse un petit cri. CLÉMENCE – Ah ! tu m'as fait peur ! HENRI – Tu ne m'avais pas entendu entrer ? C'est un peu fort de lire le journal à ce point-là… À ton âge, ô ma sœur ! CLÉMENCE – Je parcourais… HENRI – Attentivement. (Prenant le journal.) La Conscience publique !... beau titre pour un journal à vendre !"
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 137
Veröffentlichungsjahr: 2016
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À
M. PROSPER MÉRIMÉE
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
CHER MAITRE,
Cette dédicace est la première chose, depuis six ans, que j’imprime sans vous consulter. Acceptez-la, je vous prie, comme un petit témoignage d’une grande admiration et d’une grande amitié.
Émile Augier.
CHARRIER : banquier : MM. PROVOST.
HENRI : son fils : MM. DELAUNAY.
LE MARQUIS D’AUBERIVE : MM. SAMSON.
VERNOUILLET : faiseur d’affaires : MM. REGNIER.
DE SERGINE : journaliste : MM. LEROUX.
GIBOYER : bohème : MM. GOT.
LE VICOMTE D’ISIGNY : MM. MIRECOUR.
LE BARON : MM. CHÉRY.
LE GÉNÉRAL : MM. BARRÉ.
LA MARQUISE D’AUBERIVE : Mme ARNOULD-PLESSY.
CLÉMENCE : fille de Charrier : Mme MARIE ROYER.
LA VICOMTESSE D’ISIGNY : Mme ÉDILE RIQUER.
UNE FEMME DE CHAMBRE : Mme J. BONDOIS.
DOMESTIQUE DE CHARRIER : MM. MONTET.
DOMESTIQUE DE LA MARQUISE : MM. TRONCHET.
DOMESTIQUE DE VERNOUILLET : MM. MASQUILLIER.
La scène se passe à Paris, vers 1845.
Un riche salon chez Charrier. Cheminée au fond, avec un feu très vif ; porte à droite conduisant au dehors ; porte à gauche conduisant à l’intérieur ; au milieu, devant la cheminée, une table en marqueterie avec une chaise dorée de chaque côté.
Clémence seule, assise à gauche, lisant le journal, puis Henri, entrant par la porte de droite ; il s’approche à pas de loup et embrasse le cou de Clémence, qui pousse un petit cri.
Ah ! tu m’as fait peur !
Tu ne m’avais pas entendu entrer ? C’est un peu fort de lire le journal à ce point-là… À ton âge, ô ma sœur !
Je parcourais…
Attentivement. Prenant le journal.La Conscience publique !… beau titre pour un journal à vendre !
À vendre ?
Oui ; le propriétaire a fait sa pelote et veut céder son fonds. À vendre la Conscience publique ! Au comptant et en un seul lot ! – Quelle affaire pour une bande noire !
Que va devenir M. de Sergine ?
Sergine ? Est-ce que ça le regarde ?
Puisqu’il écrit dans ce journal…
Si mon père vendait sa maison, qu’est-ce que ça ferait aux locataires ? L’ami Sergine peut être tranquille, le preneur ne lui donnera pas congé : c’est lui qui est la fortune du journal.
Ses articles sont si beaux, si honnêtes, si éloquents !
Vous les comprenez donc, Mademoiselle ?
Que c’est courageux de passer sa vie à chercher la vérité et à la dire sans flatter les grands ni les petits ! Sais-tu bien que M. de Sergine est un caractère ?
Oui, car c’est un parfait honnête homme ; et il y faut une terrible volonté par les exemples qui courent les rues.
Je crois que cela ne coûte guère à M. de Sergine.
Pardon ! Cela lui coûte précisément ce que lui rapporterait le contraire.
J’entends qu’il en fait le sacrifice sans effort. Il n’est pourtant pas riche.
Lui ? Son travail lui rapporte une vingtaine de mille francs et lui laisse à peine le temps d’en dépenser dix ! Ce qui est ruineux, c’est la fortune : je ne ferais pas un sou de dettes si je gagnais seulement la moitié de ce que me donne mon père. – À propos, quelle mine faisait-il au déjeuner ?
Sa mine ordinaire.
C’est qu’il n’a pas reçu le paquet.
Encore des dettes ? c’est très mal, Henri !
Il faut bien faire quelque chose.
À la bonne heure ; mais quand c’est fait, plutôt que de fâcher son père, on vient trouver sa sœur ; et comme elle connaît son panier percé de frère, elle a une petite réserve de louis d’or…
Ô Clémence, la bien nommée !… Garde tes économies, ma chérie ; je ne veux pas dilapider l’argent des pauvres.
Je suis assez riche pour eux et pour toi. J’ai mes douze cents francs de notre pauvre mère…
Comme moi.
Et papa ne me refuse rien.
Mais si tu te mettais à payer mes dettes, je n’oserais plus en faire. Non, petite sœur ; j’en serai quitte pour une mercuriale, et encore ! J’ai une recette pour couper court aux sermons de mon père.
Je la connais : ta vocation militaire. Mais à quoi peux-tu dépenser tant d’argent ?
À quoi ? Parbleu… dame ! Je n’en sais rien.
Tu ne veux pas le dire ? C’est bien, tu as des secrets pour moi, j’en aurai pour toi.
C’est bien différent ! Tu es ma sœur, tandis que moi, je suis ton frère. D’ailleurs je n’ai pas le moindre secret.
Eh bien ! moi, j’en ai un.
Un gros ?
Oui… que je cherche à te dire depuis une heure sans que tu viennes à mon aide.
Tiens ! tiens ! Voyons, de quoi me parles-tu depuis une heure ? De Sergine, parbleu ! Est-ce que ?… Elle baisse la tête. Que le diable t’emporte !
Ne m’as-tu pas dit vingt fois qu’il ne faut pas rechercher la fortune dans le mariage ? Que le vrai luxe d’une fille riche c’est d’épouser un homme digne d’elle ?…
Sans doute, sans doute…
Trouves-tu M. de Sergine indigne de moi ?
Non, certes ! c’est l’homme du monde que j’aime et que j’honore le plus ; mais le hic c’est qu’il ne pense pas à toi.
N’est-ce que cela ?
C’est quelque chose.
Eh bien, rassure-toi, il y pense.
Où prends-tu cela ?…
À mille petits riens qui font que j’en suis sûre. Tu sais si je suis avantageuse et portée à m’accorder d’autres charmes que ma dot ?
C’est vrai ; tu es même d’un scepticisme immodéré à l’endroit de tes soupirants.
Tu peux donc me croire quand je te dis que M. de Sergine m’aime.
Au fait, pourquoi pas ?
Sans doute, pourquoi pas ?
Il y a assez longtemps qu’il aime la marquise. Haut. Ma foi, ma petite Clémence, tu ne pourrais me donner un beau-frère qui me plût davantage.
Cher Henri !…
Mais j’ai peur que le père ne se fasse tirer l’oreille.
Nous lui en tirerons chacun une. D’ailleurs il m’a toujours dit que je choisirais mon mari.
Je sais bien, mais dire et faire !… Enfin, nous verrons. Il faut d’abord sonder Sergine, et m’assurer que tu ne te trompes pas. Je m’y prendrai adroitement.
Adroitement ?… Dis-lui : ma sœur vous aime…
Hein ?
Et je vous autorise à demander sa main.
Comme tu y vas !
Comme une honnête fille riche avec un honnête homme pauvre.
Chut !… Le père !
Il passe à gauche, pendant que Clémence va au-devant de Charrier qui l’embrasse.
Henri, Clémence, Charrier.
J’ai à causer avec ton frère, ma chère Clémence, laisse-nous.
Voici l’orage.
Gare là-dessous !
Clémence sort par la gauche.
Asseyez-vous, Monsieur. Henri s’assied à gauche de la table et Charrier à droite. Votre grand-père était un pauvre petit percepteur à Saint-Valery…
Je sais bien.
Veuillez ne pas m’interrompre. Quand j’eus achevé mes études au collège de Rouen, il m’embarqua pour Paris, avec quinze louis dans ma bourse et une lettre de recommandation pour Laffitte. Savez-vous ce qu’il me dit en me quittant ?
Parfaitement. Tu me le répètes chaque fois que tu…
Je vous prie de remarquer que je ne vous tutoie pas.
Parbleu ! tu es fâché contre moi qui ai fait des lettres de change ; mais moi, je ne le suis pas contre toi qui les as payées. Je n’ai aucun motif de te parler sévèrement.
Et croyez-vous que ce soit en faisant des lettres de change que, parti de rien, je suis arrivé où j’en suis ? Non, Monsieur ; c’est par le travail, la conduite, l’économie ! À votre âge, je vivais avec douze cents francs par an et je ne faisais pas de dettes !
Je crois bien, c’est toi qui les aurais payées.
Et aujourd’hui même, Monsieur, je ne dépense pas tant que vous !
Il ne manquerait plus que cela.
Comment ?
Vas-tu comparer le fils d’un pauvre diable de percepteur avec celui du premier banquier de l’époque ?
Oh ! le premier…
D’un maire de Paris ?
Cela, c’est exact.
D’un futur pair de France ?
Pas si vite ! Nous n’en sommes pas là !
Ne fais pas le modeste ; la pairie ne peut pas te manquer. Eh bien ! je m’y prépare. Le fils d’un pair de France ne peut pas vivre comme un clerc d’huissier ; tu ne le voudrais pas !
Mais il y a une juste limite.
L’ai-je dépassée ? Voilà bien du bruit pour un méchant billet de deux cents louis !
Si c’était le premier… ou le dernier !
Ce n’est ni l’un ni l’autre, j’en conviens. Mais soyons de bon compte ; tu me l’as dit souvent : l’oisiveté est la mère de tous les vices ; or, je suis oisif.
C’est justement ce que je vous reproche !
À qui la faute ? J’avais une vocation pour l’état militaire ; tu m’as défendu de la suivre ! – M’y autorises-tu maintenant ?
Non, diable !
Je te promets que je ne ferais plus de dettes.
J’aime encore mieux payer ! Je n’ai pas amassé des millions pour envoyer mon unique héritier se faire casser la tête en Afrique !
Unique héritier ?
Du nom.
Oh ! tu t’appelles Charrier.
Eh bien ! méprisez-vous le nom de votre père, à présent ?
Non, certes ! Je n’en sache pas de plus honorable, et je te remercie de me l’avoir gardé sans tache. C’est une partie de l’héritage dont les pères se préoccupent médiocrement par le temps qui court, et je ne te suis pas peu reconnaissant d’y avoir songé.
Voilà ma récompense, mon cher enfant ! – Mais sapristi ! je ne suis pas venu pour te dire des tendresses ! Où en étions-nous ?
Tu tiens à reprendre ?
Oui, morbleu ! Tu as fait des sottises, et je veux, non plus te gronder, tu m’as fait perdre le fil de ma colère, mais te parler raison.
Reprenons donc. Je te disais qu’en me fermant la carrière militaire, tu m’avais condamné à l’oisiveté, et que l’oisiveté étant la mère de tous les vices, tu devais avoir des bontés pour sa petite famille.
Mais il y a d’autres carrières.
Permets ! Si je suis trop riche pour faire ce qui me plaît, à plus forte raison pour faire ce qui ne me plaît pas. Concession pour concession : je consens à ne pas être soldat ; mais tu me permettras, en retour, de n’être rien du tout, et, partant, de faire quelques folies pour passer le temps, jusqu’au jour où il te plaira me marier. Elles coûtent un peu cher, mais tu es millionnaire…
Aussi n’est-ce pas ta dépense qui me contrarie le plus… j’aimerais mieux te voir dépenser le double à autre chose.
Oui, à autre chose qui ne m’amuserait pas.
Qui ne t’afficherait pas, malheureux ! Comment veux-tu que je marie un pilier de coulisses ?
Où veux-tu donc que j’exerce ? où veux-tu que j’aille ? Parle !… j’irai.
Je n’ai pas besoin de savoir où tu vas ; je ne te le demande pas… mais s’il faut absolument que tu ailles quelque part, il est certain qu’une liaison avec une femme… Comment dirai-je ?
Mariée ?
Non ! mais enfin… avec une femme qui aurait des ménagements à garder… Il est certain, dis-je, qu’une telle liaison te coûterait moins cher et ne nuirait pas à ton établissement.
À la bonne heure ; un peu de morale ne gâte rien.
Mon Dieu, je sais bien que ce n’est pas la morale de l’Évangile, mais c’est celle du monde ; que veux-tu que j’y fasse ?
Bah ! je parie que toi, tout le premier, tu refuserais ta fille à un homme dans cette position.
Pas du tout.
Voyons, je suppose que mon ami Sergine, par exemple…
C’est autre chose : sa liaison est publique.
Publique ? Ni lui ni la marquise ne l’avoue, et personne n’a l’air de s’en douter.
C’est le secret de Polichinelle.
Alors Polichinelle est bon enfant, car la marquise est reçue partout et tout le monde va chez elle.
Du moment qu’elle sauve les apparences…
Tout est sauvé… fors l’honneur ! – J’admire ta facilité à l’endroit des femmes légères… je la partage. Mais je suis très collet monté quand il s’agit de ma sœur, et je m’étonne que tu lui laisses voir sa marraine, si sa liaison avec Sergine est en effet publique.
Quand je dis qu’elle est publique, je veux dire…
Qu’elle ne l’est pas.
Tu m’ennuies. La marquise fréquente la meilleure compagnie, elle y est très bien vue, et je n’ai pas de motif de rompre avec elle.
Je ne dis pas le contraire, mais il serait piquant qu’elle ne fût pas compromise et que Sergine le fût au point de ne plus trouver à se marier.
Il l’est, marié ! Sa liaison est acceptée comme un mariage morganatique. D’ailleurs, qu’est-ce que tu me chantes avec ton Sergine ? Crois-tu que je mènerais ta sœur chez la marquise si cette relation était de nature à lui faire tort ?
Loin de moi…
J’honore la marquise ! je la considère comme un ange…
Un ange déchu, en tout cas.
Va, la pauvre femme est plus à plaindre qu’à blâmer.
Je veux bien ne pas la blâmer du tout, mais je demande à ne pas être obligé de la plaindre. Il me semble que tout lui a assez bien réussi : orpheline et sans le sou, elle a épousé un vieux mari pour sa fortune…
Ce n’est pas vrai. Elle a épousé son oncle par raison de famille et non par intérêt. Elle a été angélique pour lui, ce qui n’est pas un petit mérite, car le bonhomme est un braque des mieux conditionnés ; je ne pense pas que ton goût pour la contradiction aille jusqu’à le défendre ?
Non, oh ! non ! Il me donne sur les nerfs ce petit vieux paradoxal, pointu et pointilleux, cet ennemi personnel de l’égalité, ce détracteur narquois de notre révolution ! Je suis enchanté que sa femme ait eu l’esprit de le mettre dans son tort et de se séparer en lui tirant une pension de 50 000 fr. ; je ne suis pas fâché qu’elle ait, par-dessus le marché, accommodé au safran ce voltigeur de Louis XIV, et que le monde lui ait passé cette petite douceur, à la pauvre femme. Mais quant à la trouver malheureuse, non, non, non !
M. le marquis d’Auberive !
Quand on parle du loup…
Henri, Charrier, le Marquis.
Ah ! monsieur le Marquis, pourquoi avez-vous pris la peine de vous déranger ?
Comment donc, Monsieur, rien ne saurait moins me déranger que de venir chez vous.
Monsieur le Marquis !
Sans doute : vous êtes sur le chemin de mon cercle. – Vous m’aviez fait l’honneur de m’écrire pour me demander un rendez-vous chez moi, il fallait vous répondre, et en passant devant votre porte, je me suis dit : Parbleu ! économisons une course à ce bon M. Charrier, et une lettre à moi. Vous n’imaginez pas mon horreur pour les plumes.
Horreur que ce bon M. Charrier doit bénir, puisqu’elle lui vaut l’honneur inappréciable de votre visite.
Henri !