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Les enfants des terrils brosse le portrait des personnalités ayant marqué la vie de Jipy Pink. Mêlant ses propres émotions aux témoignages et traditions, il nous plonge dans le monde intimiste de son enfance, dans le nord de la France, pendant les années soixante-dix. Dans cet ouvrage, grâce aux anecdotes vécues, l’auteur décrit la condition humaine de l’époque et rend un vibrant hommage aux « Gueules noires », des mineurs de fond.
À PROPOS DE L'AUTEUR
L’environnement dans lequel grandit
Jipy Pink développe sa sensibilité et son esprit rêveur. À la suite de L’Orientale, sa trilogie poétique, il décide donc, par devoir de mémoire et par respect pour ses fantômes d’une autre époque, d’écrire
Les enfants des terrils.
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Seitenzahl: 89
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Jipy Pink
Les enfants des terrils
Roman
© Le Lys Bleu Éditions – Jipy Pink
ISBN : 979-10-377-6575-8
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Simone est ma grand-mère maternelle. Elle est veuve. Je ne connaîtrai jamais ce grand-père, Alfred, mineur décédé très jeune de la silicose. Le milieu minier se souvient avec émotion de cette maladie incurable qui, en atteignant sournoisement les poumons par l’inhalation des poussières, invite immanquablement la grande faucheuse…
De petite taille, vêtue de noir, Simone s’affaire dans la cuisine de sa jolie maison décorée avec goût au cœur du village de Breuvrages. Elle n’est pas très bavarde, comme tous les gens du nord.
Elle prépare souvent une recette qu’elle tient de sa grand-mère et de ses origines belges : la carbonnade flamande, à base de bœuf, d’oignons, de pain d’épices, sur fond de bière, et autres ingrédients dont elle garde jalousement le secret. Non seulement je passerai chez elle mes plus belles années, mais je lui dois également les valeurs de travail et les notions de liberté, égalité, fraternité, qu’elle m’a transmises et qui ornent le fronton de nos écoles.
Posée, le fameux bon sens paysan dont elle est dotée la rend méfiante vis-à-vis des banques. Ses billets, elle préfère les investir dans les bons au porteur qu’elle dissimule dans une cavité d’un mur, une ancienne cache d’armes de la résistance. Ce n’est pas par hasard que Valenciennes fut le siège de la police secrète militaire allemande, sous l’occupation qui traquait et torturait les résistants… Les difficultés de la vie lui ont forgé le caractère : si elle montre peu ses émotions, elle a le cœur sur la main. Elle est toujours prête à rendre service à ses voisines, allant jusqu’à leur tricoter des pulls.
Bénévole aux dons du sang, elle ne manque aucune collecte, fière de sa carte reçue pour cette action.
Elle fait ses courses avec son vélo-solex, qui trône dans l’entrée, tel le cheval dans l’écurie attendant son cavalier. Elle part de bonne heure, à l’aube naissante, dans la fraîcheur de la rosée matinale. Elle respire ce subtil mélange de senteurs du parc du château qui longe la route, appréciant plus que tout, ces moments paisibles où ses sens sont en éveil.
Je l’imagine gravissant en pédalant la côte qui débouche sur la place commerçante. Elle y retrouve son ami Pierre le boucher et Paul le marchand de primeurs.
Ses relations se limitent à ses voisines et à une visite tous les quinze jours chez sa sœur. Toutes deux refont le monde, autant par conviction que tradition, autour d’un bon café à la chicorée, arrosé de genièvre et accompagné d’une tarte au sucre de betterave faite maison.
Son emploi du temps est réglé comme du papier à musique. Le matin : courses, ménage incontournable en raison des résidus de charbon du chauffage et préparation du repas familial.
L’après-midi : jardinage ou bavardage dans une ambiance chaleureuse avec ses voisines. Mais attention ! À seize heures, retour à la maison : pour rien au monde elle ne raterait les résultats hippiques qu’elle écoute religieusement, confortablement assise dans son fauteuil. C’est son petit secret, connu de toute la famille : elle joue et gagne régulièrement.
Mes parents, qu’elle aide financièrement de temps à autre, vivent chez elle depuis leur mariage et la maison est assez grande pour accueillir ma naissance.
De fabuleux souvenirs, mêlés de joie et de tendresse, de ces moments de partage où le temps semble s’arrêter, peuplent ma mémoire. Avec ma grand-mère, nous bravons l’interdit pendant le sommeil de mes parents : cachés sous les draps, nous jouons aux dames sous le faisceau de lumière de la lampe électrique.
L’arrivée de la télévision en noir et blanc et son unique chaîne est une révolution et une évolution : les informations, les séries télévisées, les dessins animés et, pour couronner le tout, « Gros Nounours et le marchand de sable » qui donnent le signal d’aller dormir… Le jeudi, jour de repos scolaire, ma grand-mère m’emmène « Aux délices de France » cette pâtisserie où elle achète tarte à la rhubarbe et religieuse. Main dans la main, nous nous promenons sur la grande place ombragée et terminons notre balade sur la terrasse du bar. Le confort rudimentaire se résume aux chaises et tables pliantes de style bistrot. Simone se désaltère d’un Picon bière et moi d’un demi, tout en dégustant nos pâtisseries.
Ah cette grande place ! Il faut voir, les jours de marché, cette marée humaine devant les étals gorgés de marchandises. Ces couleurs, ces odeurs et ces parfums, la gouaille des commerçants haranguant la foule… Quel bonheur !
On trouve de tout dans ce petit supermarché de plein air : même des animaux d’élevage ! Je tiens fermement sa main, de peur de la perdre. On finit toujours par le dernier stand « Tout à 1 franc » où, pour me faire plaisir, elle m’offre chaque fois de petits jouets. Les achats terminés, nous retournons à la maison, elle sur son vélo-solex et moi sur ma bicyclette. C’est plus facile dans ce sens, la route est en pente et il n’est nul besoin de se fatiguer en pédalant.
La maison est en briques rouges, couleur du sang et des larmes versées par nos anciens. Depuis la résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale et les accidents dans les mines, la région du nord a perdu bon nombre de ses fils. Coups de grisou et coups de poussière, incendies de boisage, explosions, effondrements de tailles, chutes de cages, inondations…
Je me souviens du son strident de la sirène de la fosse, appelée la sentinelle. C’était la première inondée en cas de fortes pluies… Quand Simone l’entendait, son visage devenait grave.
Nous dépendions d’un autre bassin minier, mais certains souvenirs devaient traverser son esprit…
Les bâtisses sont alignées par « souci d’égalité ». La sienne se dresse sur deux étages. Au rez-de-chaussée : une cuisine, une salle d’eau, un grand séjour ouvert sur la rue, séparé de la salle à manger par une arche. Dans la région, on baptise cette pièce : la pièce de devant…
Au sous-sol, une vaste cave permet le stockage du charbon, des pommes de terre et autres légumes du jardin, les petits fûts de bordeaux, les caisses de bière et de limonade… À l’étage, trois chambres : celle de mes parents, celle de ma grand-mère et enfin la mienne qui me paraît immense. L’édredon en plumes posé sur mon lit me tient chaud, ainsi que la bouillotte les jours de grand froid. La fenêtre donne sur la rue avec, pour unique horizon, la maison d’en face et le fameux ciel gris du nord.
Je me rappelle la descente de lit en peau de mouton posée sur le parquet et du seau, en cas de besoin la nuit. Je suis impatient d’entendre de petits craquements dans l’escalier. Mon angoisse de la solitude touche à sa fin : ma chatte angora, Mirza, me rejoint pour dormir en ronronnant dans mes bras. Sociable, joueuse, intelligente, vive, et affectueuse, son caractère me va à ravir !
Le matin, le sifflement de la cafetière et l’odeur reconnaissable du café à la chicorée me tirent du sommeil : je bâille pendant que Mirza s’étire. Tous deux descendons l’escalier menant à la cuisine. Je prends mon petit- déjeuner à table : de la faluche, pain moelleux du nord, avec du beurre et de la vergeoise, sucre brun de betterave. Quant à Mirza, ma grand-mère ne l’oublie pas : elle lui prépare sa soucoupe de lait. Là tous les deux, baignés par la lueur blafarde du soleil, nous regardons le jardin.
Je l’aime ce jardinet ! Mirza m’y accompagne tous les jours. Je donne quelques feuilles de salade à manger à Sophie, ma tortue de compagnie. Toujours avec Mirza, je visite le clapier où quelques lapins nous fixent de leurs yeux rouges à travers le grillage, en rongeant les carottes. C’est là que je croise souvent ma grand-mère étendant le linge ou s’adonnant aux travaux de jardinage : plantation, binage, sarclage bêchage, épandage d’engrais naturel.
Elle m’initie au langage des fleurs pour faciliter mon entrée et ma découverte de l’univers féminin.
Avec son aide, je confectionne des bouquets du jardin que j’offre aux mères de mes camarades qui viennent se distraire le jeudi après-midi, jour de repos scolaire que nous terminons par un goûter composé de tartes maison.
« Aujourd’hui, je vais te présenter un de mes amis, féru de plantations » me précise-t - elle un midi. Nous voilà partis en bus. Quelques arrêts plus loin, il nous laisse juste en face du domicile de notre horticulteur.
Une femme d’un âge indéterminé, chaussée de pantoufles, répond à notre coup de sonnette. Après les présentations d’usage, nous nous rendons au jardin où Louis, un homme élégant aux cheveux gris, taille ses arbres fruitiers. S’engage alors une étrange conversation entre ces deux êtres, ravis de se retrouver comme deux collégiens espiègles.
Comment aurais-je pu l’imaginer, elle, femme si austère, se comporter ainsi face au grand Amour de sa vie ?
Quelques années plus tard, Louis paiera de sa santé son addiction aux cigarettes gitanes sans filtre, très en vogue en raison de leur bas prix et de leur durée de consumation. Il décline petit à petit. Simone, devenue assistante de vie, restera à son chevet et l’accompagnera dans ces derniers instants. Cet amour sans faille et cet abandon de soi forcent mon admiration.
Elle est présente à ma naissance et lors de mon opération de l’appendicite, grâce à son amie sœur Marie Louise, de l’ordre de Saint Vincent de Paul, ordre identifiable au port de la coiffe blanche appelée cornette. Elle a dédié son existence au service des malades hospitalisés. Elle est mon premier contact avec la religion. Plus tard, elle me présentera le père Durant, prêtre de la paroisse qui exerce également son ministère dans les cliniques.
À la pensée de Dieu, je songe à l’amour éternel qui nous relie comme un fil d’or, nul doute qu’elle et Simone sont montées tout droit au royaume des cieux.