Les Enquêtes de Simon - Tome 2 - Les Cocottes - Annabel - E-Book

Les Enquêtes de Simon - Tome 2 - Les Cocottes E-Book

Annabel

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Beschreibung

Cosy Mystery dans le Paris insolent des courtisanes de la Belle époque et des années 20

C'est parce qu'on a retrouvé un Duc anglais septuagénaire, assassiné, les fesses à l'air et assis sur un fauteuil des voluptés chez la Grande Baestria, que le Commissaire de la PJ de Paris fait appel à Simon. C'est Berthe Commartin, ancienne aiguilleuse de la cocotte, morte depuis des années, qui donne l’alerte. Les services secrets britanniques s'en mêlent car c'est dans les salons de la demi-mondaine que le Duc de Swanson, qui fut son amant, s'est fabriqué ses célèbres petits carnets ; outils précieux pour le chantage qu’il exerçait sur les riches et illustres amateurs de soirées galantes. Mais comme un meurtre ne suffit pas, on retrouvera un quidam noyé dans une baignoire de champagne, prouvant à Simon qu'il est en face d'un tueur en série obsédé par le sexe et la luxure. Parce qu'il veut protéger sa compagne, Simon retrouvera pour quelques heures son pays natal stéphanois, sa mère italienne, dévoreuse, qu'il cherchait pourtant à éviter depuis des années. Avec l'aide de l'Inspecteur Adams, Bébert, le Commissaire et son jeune adjoint insatiable la Gandolle, il résoudra cette enquête aux allures légères avec peine car elle l'obligera à oublier sa pudeur et faire preuve de tolérance. Le Petit Canit, bistro d'Huguette, Stéphanoise fleurie de flanelle avec qui Simon parle le gaga, servira de quartier général où tous les excès gastronomiques et œnologiques seront permis. Dans le Paris des Années folles, Simon découvrira le monde des « grandes horizontales » dont la folie s'est éteinte pendant la Première Guerre mondiale, mais dont le souvenir perdure encore et surtout dans son enquête.

Découvrez une histoire impudique et drôle, où les personnages attachants et amateurs de bonne chère qui font l'univers de Simon baigneront sans complexe dans la luxure, pour finir au Paradis.

EXTRAIT

— Simon, détective privé, à votre service, dit-il sans conviction.
— C’est le Commissaire, ramène-toi, j’ai une galère anglaise, dans combien de temps
tu peux être là ?
— Tiens, mon Commissaire ! T’as besoin de moi, mon canard ?
— Discute pas, Simon, tu nous feras de l’autosatisfaction plus tard et ramène-toi !
— Mais où ? J’ai de l’instinct, mais quand même !
— Avenue Marceau, quartier ouest.
— Mais c’est au bout du monde ! J’en ai pour deux à trois heures, mon gars !
— J’en ai rien à fiche, je t’y rejoins pour midi et demi, magne-toi l’as de trèfle, si tu veux pas que je te sorte un vieux dossier.
— Le temps de me changer et j’arrive.
— T’as raison, fais ta coquette, on va bosser avec les diplomates et les galettards.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Voici une plongée vertigineuse dans le milieu des "Horizontales" de Paris dans les années 30! Je ne connaissais pas du tout l'histoire des Cocottes, et la découverte est bien sympathique! - Lily0707, Babelio

L'enquête est toujours aussi bien ficelée et le dénouement très surprenant. L'auteur nous met sur quelques pistes mais réussit à nous perdre et nous donne de quoi réfléchir jusqu'à la fin. On plonge en plein dans l'univers des Courtisanes de la Belle Époque et c'est vrai que j'ai appris plein de choses ! Rosie43, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Après vingt ans de carrière dans la musique, Annabel écrit des romans policiers dont les intrigues se situent dans le milieu de la nuit qu'elle connaît bien. Stéphanoise de naissance et, tout comme son détective, Parisienne par obligation, Annabel propose des polars se déroulant au creux des Années folles et nous dévoile les us et coutumes des habitants du monde artistique mais aussi des gens de la rue, du milieu ouvrier, et dans ce livre, celui des courtisanes. Les Cocottes est le second opus des enquêtes de Simon.

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Seitenzahl: 549

Veröffentlichungsjahr: 2020

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Les Enquêtes de Simon – Tome 2

Policier historique

Annabel

Les Cocottes

ISBN : 978-2-38165-010-4

Collection Romans policiers historiques

Dépôt légal : mars 2020

© couverture Gaelis Éditions

© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

www.gaelis-editions.com

À ma famille, à Christian et à Liane.

Merci à Michèle Auffray pour son aide et son amitié,

à Carole Rachinel pour son temps…

Liste des personnages

Les enquêteurs 

Bébert : meilleur ami de Simon ; en réalité le Comte Albert de la Martinière, noble repenti et homosexuel de temps en temps. Il ne mange que des graines, mais n’embête personne avec ça.

Le Commissaire : Commissaire de Police Principal du Quai des Orfèvres, dit aussi « Canard » parce qu’il a les pieds en canard.

La Gandolle : Félicien Dormois, dit La Gandolle, spécialiste des plats avec de l’ail, des meringues et des éclairs au chocolat. S’autorise quelques macarons de temps en temps. Mais surtout, adjoint du Commissaire parce qu’il est le neveu du Divisionnaire.

Dr Framboisier : médecin légiste pessimiste parce qu’il a le droit.

Maurice : policier de la Scientifique, qui ne se casserait pas le gadin à y turbiner s’il était un flambant.

Lucien : policier porteur de sandwichs et photographe aussi.

Léclusier : policier.

Rossignol : policier.

Eugène : archiviste à la mondaine et qui ne veut pas que Simon brûle tout.

Lieutenant Adams : policier anglais qui finalement aime bien manger des cuisses de grenouille (à retrouver dans Les Plumes, tome 1 des enquêtes de Simon).

Capitaine Higgins : chef des services secrets anglais pas content du tout, qui est tombé à côté du tonneau de pinard.

Superintendant Aversham : le supérieur du Lieutenant Adams (à retrouver dans Les Plumes,tome 1 des enquêtes de Simon).

Les Cocottes 

La Baestria :la Grande ! Une « Grande Horizontale », qui avait tout compris.

La Bourguignone :une autre des « grandes horizontales », mais qui n’avait rien compris

La Belle Hélène :Ah ! Pardon, elle, c’est une Artiste ! Ou la Reine des neiges, ça dépend pour qui. Elle a un peu trop de plumes, d’après Berthe.

Les voyous

Lulu le Conte'facteur :éditeur de faux papiers.

Dédé la Gnôle : patron du Paradis, d’une distillerie clandestine, maquereau qui aime bien les macarons et qui ne veut pas que Ginette finisse en gratte-cul.

Les filles de joie, fleur de pavé, créatures du sexe,comme vous préférez…

Ginette : Fleur de pavé à la retraite, compagne de Dédé la Gnôle, mère de Lucette et qui ne finira pas en gratte-cul.

Louise :fille et danseuse au Paradis, légèrement sensible aux fafiots.

Tétés la Marquise : Fleur de pavé courageuse qui pourrait entrer dans la police, si les femmes le pouvaient.

Les autres 

Violette Verdier : le petit Rossignol, fiancée de Simon.

Berthe Commartin : propriétaire de l’hôtel particulier de La Baestria, sèche comme un coup de trique, mais qui est bien gentille, quand même.

Hortense Commartin : fille adoptive de Berthe.

Mesdemoiselles « Claude la fine » et « la grosse Denise » : anciennes tenancières d’un bordel « à spécialités ». Des folles !

Huguette : patronne du bar-restaurant le Petit Canit, fleurie de flanelle, et Couramiaude.

Marcel :le mari d’Huguette, ancien flic reconvertit en cuisinier, parce qu’Huguette elle supportait plus.

Le Comte James de Swanson :fils du Duc de Swanson, beau comme un dieu, Simon en est un peu jaloux, quand même.

Antonella Simon : la mère de Simon, Italienne et dévoreuse aux décolletés plongeants, qu’il essaye pourtant d’éviter depuis des années.

Amy Adams : femme du Lieutenant Adams.

Marthe :la femme du Commissaire.

Louis : journaliste pour le Petit Journal

Les domestiques et employées 

William : valet de chambre du Duc de Swanson et neveu pâlichon de Barnaby.

Jean Gerfagnon :domestique chez Mesdemoiselles Claude et Denise.

Lucette : bonniche chez Mesdemoiselles Claude et Denise et fille de Ginette, qui a une poire à la place d’une pomme.

Paulette :cuisinière chez Mesdemoiselles Claude et Denise qui apprend les « petites lettres » à Lucette qui ne sait lire que les grosses.

Jeannette :serveuse neurasthénique chez Huguette

Léon :Homme à tout faire chez Berthe Commartin

Félix :domestique au Paradis

Gaston : éclairagiste au Paradis

Fernande : domestique chez Berthe Commartin

Félicité : domestique chez Berthe Commartin

Les animaux :(pour faire plaisir à Bébert !)

Fifi : chienne truffière de Bébert, un Jack Russel dont le flair est aiguisé comme un Opinel.

Titite : mésange bleue de Bébert qui chique du tabac.

Ratounette : rat de Bébert

Bob : le chat de Simon

Mais aussi :

Arthur Hubery, Barnaby, Rebecca, Horace, Waterloo, le petit Johnny etc. à découvrir dans Les Plumes, tome 1 des Enquêtes de Simon, aux éditions Gaelis.

Chapitre 1Perdu dans le Loiret, encore…

Le temps est un voleur. Il est impudique. Au début, il vous fait une promesse et s’ouvre devant vous comme une cathédrale baroque. Et un jour, il vous tend la facture. Le temps est profanateur. Avec lui passent vos rêves, espoirs et croyances. C’est un prêteur sur gages qui vous endette pour la vie. Quand il décide que vous devez le rembourser, il vous prend vos souvenirs, vous assied sur une chaise que vous ne quitterez plus jusqu’à l’acquittement de votre dette.

C’était ce que se disait Simon en se réveillant.

Même s’il n’était pas vieux, il se rendait bien compte que la facture n’était pas loin. Il était presque à mi-chemin. Il lui semblait n’avoir jamais été qu’un adulte et que le temps lui avait volé son enfance. Alors, il trouvait cette facture frustrante. Il alluma la petite lampe au-dessus de l’évier de la salle de bains et comme tous les matins il se regarda dans la glace. « C’est déjà pas mal », se dit-il. « Y’en a qui ne peuvent plus le faire. ». Il pensait à l’affaire Hurbery qu’il avait résolue il y a quelque temps... Enfin, il pensait qu’il n’avait pas trop de mal à se regarder dans le miroir. Depuis huit mois, il était devenu un détective coté. Mis à part la difficulté qu’il éprouvait depuis toujours à se satisfaire de son physique, il avait tendance, ces derniers temps, à trouver le reste plutôt correct. Parce qu’il était comme ça Simon, pas trop humble. Ses cheveux noirs étaient décoiffés et sa mèche tombait toujours sur ses yeux. Sa barbe charbonneuse et naissante lui promettait quelques coupures pendant le rasage et ses yeux souvent sombres avaient toujours autant de mal à supporter la lumière de la salle de bains.

Il avala rapidement, comme tous les matins, un thé et un biscuit parce que, comme tous les matins, la seule chose qu’il avait vraiment envie de faire, à part pisser, c’était de fumer. Si Violette avait été là... non... en fait, elle n’aurait rien dit, mais elle lui aurait fait comprendre qu’elle n’était pas contente. Mais Violette n’était pas là. Ça faisait un mois qu’elle était partie. Un peu fâchée. À cause de lui. « Quel crétin ! » se dit Simon en tirant une bouffée matinale. Elle était partie parce qu’il n’avait pas réussi à se décider. Eh oui. Elle aurait voulu qu’il la retienne. Eh non. Tout ça, c’est à cause de ce foutu temps et de sa fichue facture. Comment un homme qui n’a jamais joué aux petites voitures peut-il directement passer à autre chose ? Il manquait des moments à sa vie. Il se sentait dépossédé.

On avait proposé une tournée de trois mois à Violette. Elle était prête à y renoncer. Pour lui. Il aurait fallu qu’il prononce une phrase toute simple. « Y’avait pourtant pas beaucoup de mots dans cette satanée phrase ! » Mais y’avait trop de conséquences. Trop. C’était si facile pour les autres. « Violette, on va s’installer, tous les deux. » Ça faisait huit mois qu’elle attendait ça. Depuis l’Angleterre. Alors du coup, elle est partie. Chanter pour les autres. Pour les Italiens et pour les Grecs. Risquée, cette histoire. Enfin, tout du moins pour le temps qu’elle allait passer en Italie.

Simon regarda son chat, Bob. Neurasthénique depuis le départ de Violette. Il ne pissait plus sur le courrier. Simon tenta de le convaincre à plusieurs reprises de se remettre à pisser dessus, mais rien n’y faisait. « Allez, Bob ! Pisse ! Bon Dieu ! Regarde, c’est le journal du matin ! Ton préféré ! » Bob le regardait épuisé, lymphatique et se contentait de se rendormir. Parfois quand Simon mettait la radio et que Berthe Sylva1 chantait, le chat levait la tête, puis quand il s’apercevait que ce n’était pas Violette, il la reposait sur ses pattes et s’endormait dans un grand soupir. Le comportement de Bob accentuait la culpabilité de Simon. C’est gênant, la culpabilité, comme une dent cariée. Parfois ça fait mal, parfois ça fait très mal et parfois pas du tout, mais il n’empêche que la carie est toujours là.

Comme d’habitude, il pleuvait et comme d’habitude, il faisait gris. Simon habitait toujours dans le Loiret. Celui qui n’est pas loin de Paris. À côté de la Seine-et-Marne. Dans un petit village où seulement la Mairie, lui et Bébert ouvraient les volets (Bébert ou encore Albert de La Martinière, son meilleur ami et associé, un noble repenti). Encore que Bébert, lui, il vivait la nuit, alors il ouvrait ses volets à l’envers des autres. Les autres, mis à part un ou deux voisins et amis du cru très sympathiques, c’était les céréaliers. Accrochés à leur terre comme une sangsue sur un corps malade, suçant sans relâche et sans vergogne les derniers souffles de vie de leur proie.

Il avait coincé sa deuxième cigarette entre ses dents et laissait tomber la cendre dans un cendrier qu’il avait disposé dessous. C’était une habitude qu’il avait prise en Angleterre. Il fouillait dans son courrier. Simon attendait plusieurs lettres. Une de Violette, une de Petit Johnny et une d’un éventuel et hypothétique client. Mais il n’y avait rien. Que des factures, encore. Les volets de Bébert étaient fermés. Il ne les ouvrirait pas avant trois heures. « Ça va être une journée à rien fiche, mon Bob... ! On va pouvoir se détendre et trouilloter un peu. De toute manière, c’est pas pour la visite qu’on va avoir ici qu’on va faire des gentillesses à la savonnette. »

Hier, Simon avait pris une décision. La première depuis un certain temps. Il allait réparer sa maison pour accueillir Violette. Et puis quand il l’avait achetée à la vieille Raymonde, il lui avait promis de le faire. Bébert lui avait suggéré de ne pas mettre autre chose que du blanc pour que Violette puisse s’approprier la maison. Les pots de peinture, de plâtre et de colle, les outils que Gégé lui avait préparés l’attendaient discrètement. Avec le courrier du matin, ses derniers espoirs d’éviter la séquence bricolage s’étaient envolés. Mais, vu l’étendue des dégâts de la maison, ce n’était pas une petite enquête qui allait gêner son chantier.

Simon était en haut de son escabeau et allait appliquer sur un trou du plafond sa toute première truelle de plâtre quand le téléphone sonna. « C’est toujours comme ça avec le téléphone, il sonne toujours quand on ne peut pas se dépêcher pour répondre. Quand on est dans son bain ou en train de compiler ou quand l’eau déborde de la casserole de spaghetti... » Simon avait décidé d’installer un poste de téléphone chez lui pour être plus facilement joignable. Il s’embourgeoisait. C’était dramatique. Avec celui de Bébert et celui de la Mairie, cela en faisait trois dans le village. Mais celui de la Mairie n’était utilisable que pendant les horaires d’ouverture, fallait attendre que Louison, la fille de Georgette, ouvre les portes du bureau, ce n’était pas pratique.

Conscient que son plâtre serait inutilisable à son retour, Simon descendit en bougonnant de son perchoir. C’était peut-être Violette, alors ça valait la peine de descendre. Dans sa précipitation il se renversa le sac de plâtre sur les pieds. Ce qui lui rappela son séjour en Angleterre. « Ça, par contre, va pas falloir que ça devienne une habitude. »

— Simon, détective privé, à votre service, dit-il sans conviction.

— C’est le Commissaire, ramène-toi, j’ai une galère anglaise, dans combien de temps

tu peux être là ?

— Tiens, mon Commissaire ! T’as besoin de moi, mon canard ?

— Discute pas, Simon, tu nous feras de l’autosatisfaction plus tard et ramène-toi !

— Mais où ? J’ai de l’instinct, mais quand même !

— Avenue Marceau, quartier ouest.

— Mais c’est au bout du monde ! J’en ai pour deux à trois heures, mon gars !

— J’en ai rien à fiche, je t’y rejoins pour midi et demi, magne-toi l’as de trèfle, si tu veux pas que je te sorte un vieux dossier.

— Le temps de me changer et j’arrive.

— T’as raison, fais ta coquette, on va bosser avec les diplomates et les galettards.

Il aurait dû se laver ce matin ! Il fit un rapide passage dans la salle de bains pour faire plaisir à la savonnette, se parfumer et gominer ses cheveux. Il prit quand même le temps d’écrire un mot à Bébert.

« Suis parti à Paris, quartier ouest, nouvelle affaire, avec le Commissaire. Prépare tes dossiers. Je t’appelle dès que possible. P.S. : Bob n’a toujours pas compilé. »

Il mit sa panoplie de détective et sauta dans la voiture. La pluie était large et lourde, comme d’habitude, et l’empêchait de rouler plus vite. En sortant du village aux volets fermés, il entra dans un autre village aux volets fermés et ainsi de suite. Simon pensait à Saint-Étienne. Sa ville natale. Bien sûr, il pleuvait aussi à Saint-Étienne, mais il y pleuvait d’une plus belle manière. Pas la peine de lui demander pourquoi il pensait ça, il n’aurait pas vraiment su répondre, mais tout était mieux à Saint-Étienne. « La becquetance, les gens, le pinard, les volets, la campagne, les bars, la ville, la musique, l’air, la lumière, tout. » Tout était mieux à Saint-Étienne. Pourtant quand il y vivait, il pensait que rien ne pouvait être plus laid que la vallée du Gier. Si. Y’avait le coin où il vivait maintenant. Pas loin de Beaune-la-Rolande.

Parce qu’il était comme ça Simon. Réaliste.

Chapitre 2Des cocottes et du papier ?

Ce quartier de Paris regorgeait de luxe, de baroqueries et de voitures mal garées. Quand il trouva enfin une place, il était coincé entre l’envie de repartir et la curiosité. Mais le Commissaire, qui le connaissait bien, avait volontairement fait des mystères sachant que Simon voudrait aller plus loin. Presque incognito. Les mains dans les poches, froissé comme un drap de jeunes mariés, le Commissaire marchait sous la pluie. Son grand nez, qui dépassait comme ses moustaches des larges bords de son chapeau et ses grands pieds en canard (d’où son surnom) semblaient, eux aussi, avoir pris la décision de ne pas trop se faire remarquer. Il était accompagné de son adjoint.

Félicien Dormois. Félicien dit « la Gandolle ». C’est Simon qui l’avait baptisé et ça lui était resté. C’est peut-être le seul mot stéphanois utilisé à Paris et c’est Simon qui l’avait introduit. Même les voyous et les fleurs de pavé l’appelaient comme ça. Rapport à ce qu’il avait toujours de petites choses sucrées à manger sur lui et tout ce qui pouvait contenir de l’ail, l’attirait irrémédiablement. Il sortait toujours une meringue, un éclair au chocolat, ou une tartine à la graisse d’oie et à l’ail de ses poches. Et une gandolle c’est la gamelle du casse-croûte des mineurs stéphanois. Ça lui allait bien. Malgré la quantité effroyable de sucre et de nourriture qu’il avalait chaque heure, il était maigre, jeune et long et n’avait pas inventé la poudre.

Les deux policiers n’avaient pas encore vu Simon. Il les regarda un moment. Il aimait bien énerver le Commissaire. C’était si facile. À l’abri dans sa voiture, il décida de fumer une cigarette et de les laisser prendre la pluie encore un peu. Les deux hommes se réfugièrent sous un petit porche écrasé par un linteau sculpté, trop grand pour lui, et attendirent. La Gandolle mangeait ses meringues et le Commissaire faisait la gueule, comme d’habitude. Simon remonta le col de son imperméable et sortit en allumant une autre cigarette. Le Commissaire le vit aussitôt et ouvrit la porte du porche sans dire un mot. Simon suivit les deux policiers en silence. L’heure devait être grave, car, en général, le Commissaire ne pouvait pas s’empêcher d’enguirlander tout le monde. Ils entrèrent dans une cour très vaste, chose inhabituelle en plein Paris. Deux arbres en pot entouraient l’entrée d’un bâtiment haut et prétentieux dont aucune des pierres n’avait échappé au burin du sculpteur. Le Commissaire poussa un des battants de la grande porte et le laissa s’ouvrir sur un vaste hall d’entrée. Démesuré, en marbre rose. Des ornements en or coiffaient des colonnes d’onyx et les lustres en cristal trop fournis faisaient briller le velours des canapés rouges. Simon comprit où il était seulement quand il vit les sculptures de marbre blanc. Dénudées. Coquines. Impudiques et fières, elles s’emmêlaient et se touchaient, incitant joyeusement le voyeur à en faire de même.

— Commissaire, on est dans un bordel de luxe !

— Pire que ça.

— Je vois pas comment ça pourrait être pire que ça.

— Tais-toi et monte. La Gandolle, arrête de bouffer, nom d’un chien !

Ils montèrent l’escalier et arrivèrent sur un balcon qui faisait le tour du grand hall de réception. Il n’y avait que des allégories de la nuit sur les staffs d’ornement et les peintures représentaient des scènes d’orgies suffisamment impudiques pour exciter l’imagination. Simon n’osait pas vraiment regarder. C’était gênant. Et puis il n’avait pas envie de se prendre au jeu alors, il se borna à fixer les petites chouettes en or qui dormaient sur le poteau de départ de la rampe.

— Simon, je te préviens, je vais te faire entrer, MAIS : Tu ne ris pas, tu te fous pas de moi et surtout tu ne dis rien de plus que ce que tu dois dire et tu gardes tes conclusions pour tout à l’heure...

— D’accord, mais explique-moi un peu avant !

— Non, je peux pas te raconter tout, tout de suite, ici, dit le Commissaire avec un mouvement d’yeux qui laissait entendre qu’ils n’étaient pas vraiment seuls. Tout ce que tu dois savoir, c’est qu’une personne d’importance vient d’être assassinée et elle se trouve derrière cette porte. C’est un Duc anglais. Un Duc très important. Tu me suis ?

— Ouais.

— Dans cette chambre, il y a son majordome et Mme Berthe Commartin, la... propriétaire des lieux. Allons-y ! dit-il à voix basse, dans un soupir douloureux.

C’était immense. Au centre trônait le lit. Rond, démesuré, comme tout le reste. Entouré d’une balustrade outrageusement sculptée et dorée, il était fait de draps de soie bleus, brodés d’or. Les tentures en velours épais, qui semblaient tomber du plafond, venaient se coucher en même temps que leurs hôtes sur un matelas épais et sans doute confortable. De chaque côté du lit se trouvaient deux tables de chevet bleues et or dont la porte était munie d’une fermeture de coffre-fort. C’était étrange comme idée. Les murs étaient tapissés de peintures érotiques et des miroirs imposants jouaient avec votre reflet comme un chat avec une souris. De grands chandeliers sur pied étaient disposés de chaque côté du lit et devaient brûler leurs bougies en même temps que les cassolettes diffusaient leur parfum. Bien sûr, elles étaient éteintes quand les trois hommes entrèrent, mais une odeur de musc et patchouli traînait encore. Jamais il n’avait vu une chose pareille. Autant d’audace et d’impudeur réunies dans une même pièce. Une pièce où la chair et le plaisir étaient manifestement une religion.

Un « hummmm » tonitruant rappela Simon à l’ordre. Il détourna les yeux du lit et rencontra ceux d’une femme en noir. Sèche et déshydratée. Son chignon blanc et dense couronnait des yeux bleus trop clair. L’air méchant et mauvais, elle toisait Simon en bombant sa maigre poitrine. Ses lèvres dessinaient un trait amer sous son nez, qu’elle avait busqué. À côté d’elle se trouvait un homme en tenue de majordome. Simon crut voir Barnaby. À la différence près qu’il était plus jeune et plus énervé par l’inconfort de la situation. Il croisait les mains devant lui et tordait de malaise, ses gants blancs. À côté l’un de l’autre, ils semblaient vouloir cacher un meuble... étrange. « Oh ! La vache ! Un sale coup pour la fanfare ! C’est moi qui vous le dis ! » hurla Simon. Le Commissaire avait bien fait de lui interdire de rire. Ce qu’il avait devant lui était grotesque.

Une paire de fesses flasques, offertes et poilues. Un homme, installé sur une sorte de fauteuil tapissé d’une toile fleurie et raffinée dont la forme était indéfinissable. En tenue d’Adam, mais légèrement revisitée par quelques attributs qu’Ève aurait fièrement portés. La position curieuse de son fessier proposait à la vue son intimité la plus profonde et la rondeur de ses parties les plus masculines. Tout cela laissait entendre qu’il avait dû assouvir les fantasmes les plus singuliers avant de rendre l’âme. En plus de porter des bas de femme, il était maquillé et coiffé d’un haut-de-forme. Un collier épais et imposant, incrusté de diamants et de rubis l’étouffait. Une boucle d’oreille avait provoqué un saignement sur l’oreille gauche et une autre sortait de sa bouche comme une langue tirée. Le majordome n’arrivait visiblement pas à s’en remettre. Outré, il tentait de rester digne, se persuadant que la situation de son Maître était normale. Simon releva son chapeau d’une main et se gratta la tête. Il chercha une cigarette dans sa poche et en profita pour se retourner afin de laisser échapper un sourire inévitable tout en l’allumant. Le Commissaire qui fulminait, comprit son manège, mais le laissa faire avec patience.

— Qui est-ce ? dit Simon en se retournant.

— Le Duc de Swanson, répondit le Commissaire en fermant les yeux dans un énième soupir.

— Le Duc de S... !

Stupéfait, Simon regarda tour à tour toutes les personnes se trouvant dans la pièce, cherchant une confirmation dans leur regard.

— Aïe, aïe, aïe ! lança-t-il maladroitement, le maître chanteur ?

Dans un raclement de gorge, le Commissaire poursuivit :

— Et voici William, son majordome, dit-il en désignant l’homme stressé, et Mme Berthe Commartin la propriétaire de ces lieux.

« Quelle étrange association », se dit-il. Le Yin et le Yang. Un silence s’installa. Simon n’aimait pas le silence. En bon Stéphanois dont les ancêtres étaient Italiens, il lui fallait toujours remplir les vides. Mais il ne trouvait rien à dire. C’est Berthe Commartin qui prit la parole en premier.

— Il n’était pas venu depuis des années, celui-là. Et le voilà qui réapparaît ce matin.

— Comment ça, ce matin ? interrogea Simon.

— Quand je suis entrée dans la chambre ce matin, je l’ai trouvé là, comme ça.

— Comme ça... dit Simon.

— Oui, comme ça. Pourquoi a-t-il fallu qu’il vienne faire ça chez moi ?

— Vous êtes en train de me dire que ces petits rituels ne sont pas communs dans votre établissement et que le Duc s’est retrouvé là comme par enchantement ?

— D’abord ici, ce n’est pas un « établissement », comme vous dites, et ensuite, oui, je l’ai trouvé là, ce matin, dans cette position. Il n’était pas là hier. Il a les portugaises ensablées le limier ?

— Vous payez pas ma bobine l’ancêtre ! Et vous avez appelé le Commissaire ?

— Oui, enfin presque.

Simon eut un sourire moqueur qui finit d’énerver le policier. Il tira une bouffée de joie sur sa cigarette et demanda :

— Et pourquoi le Commissaire ?

Le majordome prit à son tour la parole.

— En fait, c’est moi qui ai contacté Monsieur le Commissaire, Monsieur Simon. Quand Mme Commartin a reconnu mon Maître, elle m’a immédiatement prévenu et suggéré de l’appeler. Nous sommes de passage à Paris et nous séjournons au Grand Hôtel Terminus.

— Bien, et comment le saviez-vous ? dit Simon en regardant la vieille femme.

— Vous n’avez pas lu les baveux ? C’est pas professionnel ça, Monsieur le Détective.

— Si, j’ai lu les journaux, mais je me suis dit que vous n’étiez pas le genre à les lire.

— Simon, commence pas à foutre le bousin, interrompit le Commissaire.

— Donc, vous avez reconnu le Duc et vous vous êtes dit qu’il fallait joindre d’abord son majordome avant la police ?

— Bien évidemment, Le Duc n’est pas n’importe qui, vous imaginez le scandale !

— Et vous William, vous avez appelé le Commissaire ?

— Non, pas exactement, j’ai appelé le Super Intendant en chef Aversham de Scotland Yard qui m’a suggéré d’appeler le Commissaire qui lui, saurait où vous trouver.

Simon tirait sur sa cigarette comme on tire sur une paille dans un verre de citronnade bien fraîche en plein été. Une main dans la poche et l’autre occupée à porter frénétiquement sa cigarette à sa bouche, il vivait un grand moment.

— Simon, dit le Commissaire, Aversham a pensé à toi parce qu’il te connaît et que, contrairement à nous, tu n’as pas l’obligation de faire des déclarations aux journalistes, de suivre des procédures et tout le reste. Et tu as une licence anglaise... Moi, je ne peux pas faire grand-chose. Je suis coincé, je dois faire des rapports... Enfin voilà, t’as compris, quoi...

— Vous avez fait vite ! dit-il, cyniquement. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Faut quand même faire passer le légiste et débarbouiller notre Duc, non ? On va pas le laisser comme ça, le pétrus à l’air ! Et puis faut faire des photos et faire passer la scientifique... Enfin, ce qu’on fait d’habitude... et même un peu plus, compte tenu de la célébrité de notre homme !

— Sur cette affaire, il y aura les hommes de confiance d’Aversham, les miens et toi.

— En gros, c’est moi que vous envoyez au casse-pipe, si y’a besoin.

— T’as tout compris.

— Agréable.

— Pas vraiment, y’a l’inspecteur Adams qui débarque.

— Adams ? Commissaire ! T’as pas pu m’éviter ça ? Un sale coup pour la fanfare !

— Non, dit-il, en souriant vicieusement.

— Tu l’as fait exprès... Quand est-ce qu’il arrive ?

— Dans la nuit.

— On va laisser le Duc comme ça jusqu’à ce soir ?

— Non, mon équipe de la scientifique va prendre des photos, faire tous les relevés et s’occuper de lui.

— On s’y met alors, dit Simon résigné.

— On va pas boire un petit noir avant de commencer ? s’écria soudain la Gandolle en mâchouillant les restes de son éclair.

— T’es encore en train d’bouffer toi ? hurla le Commissaire. Mais t’es un puits sans fond, nom de chien !

— C’est pas ma faute Commissaire, j’ai pas pris de petit-déjeuner ce matin, vu que vous m’avez appelé de bonne heure ! Et là, c’est une heure de l’après-midi, j’ai la dalle moi !

— Mais quand t’es arrivé ce matin, tu bâfrais une tartine à l’ail ! Dans la voiture t’a avalé trois meringues ! Et t’as mangé un éclair avant de partir ! T’appelles pas ça manger, toi ?

— Ça bouche un petit coin, c’est tout. En plus cette nuit, j’ai pas pris mon en-cas de trois heures parce que ma mère a fermé les placards à clé et que...

— C’est une tartine à l’ail ça ? Mais ça trouillotte sévère ! T’as pas honte ? Mais c’est toi qui fouettes comme ça depuis une heure ? Franchement la Gandolle, tu m’écœures !

— Hummmmm hummm, racla Simon.

Le Commissaire s’arrêta, comprenant soudain que Berthe et William assistaient à la scène et commençaient à s’impatienter.

— Où pourrait-on s’installer pour être plus tranquille quand l’équipe de la scientifique arrivera, Berthe ? demanda-t-il.

— Dans le bureau, je vous y conduis.

Elle commença à marcher puis s’arrêta devant la Gandolle.

— Lui, il n’entre pas avec sa becquetance dans mon bureau, il va pas faire un gueuleton sur mes tapis et mes chaises « Marie-Antoinette ». Si y veut casser une graine, y descend en cuisine ! Il a compris le gastronome ?

— Il a compris, M’dame Berthe, conclut la Gandolle en ravalant sa salive pleine de miettes.

— Bien. Si ces deux Messieurs veulent bien me suivre...

— La Gandolle, je te préviens, si la scientifique trouve une miette de pain ou de meringue ou autre chose qui se mange, je te file deux ans archives à recopier et je te fous à la diète pour raison thérapeutique ! T’es un obsédé de la bâfre ! Non, mais sans rire ! T’es malade ! Tu vas crever pour cause de gosier engorgé ! Et puis tu nous mets la honte avec cette odeur d’ail ! Partout où on va, tu boulottes !

— Commissaire ! interrompit Simon, on s’en contrefout ! Laisse-le faire, il est encore minot, y peut pas se rendre compte ! Il a faim, y bouffe... c’est logique pour lui ! C’est les hormones ! Y va pas becter que des graines et sucer des cailloux à vingt ans !

— T’as vu ce que je me cogne au quotidien ? J’en peux plus de cette armoire à pitance ambulante ! J’en peux plus sentir l’ail partout où je vais !

— C’est sûr que c’est pas une flèche, mais il est bien pratique quand même !

— Oh ! Les argousins, cria la vieille Berthe, faut que je vous y pousse dans ce bureau ou vous y entrez par vous-même ? Vous avez pas l’impression que ça fait une heure que je vous écoute brailler vos conneries de cantiniers ?

— On arrive, Berthe, tout de suite !

Le Commissaire se retourna pour donner un dernier regard d’avertissement à la Gandolle, histoire de récupérer un peu d’autorité. Simon rajusta son imperméable et ils s’engouffrèrent dans le bureau.

Il était plus simple que les autres pièces. Les deux fauteuils « Marie-Antoinette », faisaient face à un bureau sévère, mais spacieux. Ils regardaient timidement la chaise de la maîtresse des lieux qui ressemblait plus à un trône qu’à autre chose et paraissaient impressionnés par un portrait immense qui siégeait au-dessus de la cheminée en marbre. Une femme. Belle. Royale. Non, impériale. La vieille Berthe entra avec eux. Elle vit que Simon ne pouvait pas s’empêcher de regarder le portrait.

— Vous aussi, vous la regardez, hein Détective ? Savez qui c’est ?

— Non.

— C’est ma bienfaitrice. La grande Baestria. L’est morte, la pauvrette. Y’a longtemps.

— Ah ?

— L’est morte d’un coup. Comme ça, raide. Beauseigne. C’est comme ça qu’on dit chez vous ?

— Oui... dit Simon, surpris.

— Mais avant, elle avait fait un testament. Elle m’a tout laissé. Je sais pas si c’est un mal ou un bien. Surtout aujourd’hui ! Enfin, on fait avec, c’est mieux que de claquer du bec. Je vous laisse batailler tranquille sur le sujet.

Berthe sortit en claquant la porte laissant Simon et le Commissaire, sans voix.

— Non, là franchement, ça va pas le faire. Dans quel merdier tu m’as foutu ?

— Simon, ferme ta mouille.

— Mais on est où là ? C’est quoi cette cambuse ? C’est quoi cette matrone ?

— Ferme ta mouille, te dis-je ! insista le Commissaire.

Simon comprit enfin. Il se ressaisit et entra dans le jeu du Commissaire.

— Enfin, on y est, on y reste... Ils arrivent à quelle heure, tes hommes ?

— Dans un quart d’heure, grand maximum.

— Ah ! C’est bien, fit Simon théâtralement.

— Oui, oui, c’est bien. On est efficace dans la Police française.

— C’est sûr, c’est sûr... dit Simon ; puis à voix basse : je peux savoir ce qu’on fait dans ce bureau ?

— La ferme.

— Non, mais, vraiment, je vais aller dans la chambre relever quelques trucs parce que là, on va passer pour des caves si vraiment on nous observe ! Crois-moi.

— On va y aller, mais on fait encore un peu semblant.

— Mais je dis quoi ? Je pige pas pourquoi on nous écoute !?

— On s’en tape, mais dit quelque chose.

— On va faire des relevés d’empreintes et vérifier l’identité de la victime sur nos fichiers anthropométriques, d’accord Commissaire ? dit Simon à haute voix.

— Oui, oui, on va faire comme d’habitude. Mais en toute discrétion bien sûr. Allez, on se casse, t’as tout compris où pas ?

— À peu près. Mais pas pourquoi on nous écoute...

— C’est le lieu qui a des oreilles, je le sens.

— Pourquoi on est venu dans ce bureau, alors ?

— Pour se donner une contenance. J’en avais marre de voir la tronche emmiettée de la Gandolle et le trou du... du Duc.

— Eh ben, mes cadets, eh ben, mes petits frères réunis… Tu veux une cibiche ?

— Ça fait dix ans que j’en ai pas allumé une, c’est l’occasion de renouer avec les mauvaises habitudes.

Le Commissaire alluma sa cigarette et tira une bouffée censée récupérer dix ans de retard. Elle fut si énorme qu’il s’étouffa. Ils étaient tous les deux l’un à côté de l’autre, les bras croisés, appuyés sur le bureau quand ils se rendirent compte, qu’ils n’avaient pas de cendrier.

Mais l’idée d’affronter Berthe était si effrayante, qu’ils choisirent de jeter la cendre dans leurs poches.

— Faut interroger la vieille bique et le péteux anglais. Y’a un truc bizarre, dit Simon. On fait ça ensemble ou séparés ?

— Ensemble. Faut d’abord que tu fasses une visite approfondie de la chambre.

— On y va.

Quand les deux enquêteurs sortirent, deux petits trous de lumière se refermèrent comme des paupières sur le bureau de la grande Baestria.

Simon s’approcha du corps pour comprendre ce qu’il lui était arrivé. L’homme était mort depuis plusieurs heures, la mise en scène était grotesque. Il avait les yeux entrouverts et regardait fixement le lit. Simon s’attarda d’abord sur son visage. Il était maquillé avec soin. Rouge à lèvres carmin, fard à paupières bleu et fard à joues rose pâle, crayon khôl noir. Les lignes étaient parfaitement dessinées, on oubliait presque que c’était un homme. Ce qui laissait supposer deux choses : soit il s’était maquillé tout seul et en tant qu’homme il avait une expérience douteuse de la cosmétique et de ses pratiques, soit on l’avait maquillé. Avec son accord ou pas. Pour cette dernière solution, encore deux choses : c’était une femme qui s’en était chargée ou alors un professionnel du maquillage. En s’approchant, Simon s’aperçut qu’il était aussi parfumé. Il sentait la bergamote et quelque chose comme de l’herbe fraîche. Un parfum de luxe. L’assassin était un minutieux. Un précis. Soit le Duc avait été « habillé » si l’on peut dire, par quelqu’un d’autre, soit il avait joué avec ses fantasmes jusqu’au bout. Seule l’autopsie révélerait la cause de la mort, mais il avait une boucle d’oreille enfoncée dans la bouche, ça, il ne l’avait pas fait tout seul.

Le collier maintenait le cou de l’homme très droit. Ses fleurs d’ipomées rouges semblaient l’étouffer et ses feuilles s’enfonçaient dans sa chair comme des épines. Il avait été parfaitement nettoyé. Aucune trace de doigts n’entachait le scintillement des pierres et de la monture. Une grosse larme de rubis était la pièce centrale d’un enchevêtrement végétal savant, ciselé dans l’or blanc. De petits diamants venaient de temps en temps remettre de l’ordre dans le feuillage de la monture et ressemblaient à des fleurs en bouton. Un autre rubis en forme de larme et entouré lui aussi d’ipomées de diamants, scintillait comme une lanterne rouge dans la bouche entrouverte de l’homme. Du sang s’en échappait et donnait l’impression que le rouge à lèvres avait débordé. Il ressemblait à un diable vénitien. Quant à savoir ce qui avait causé le saignement... Il fallait attendre. Simon s’arrêta sur l’autre boucle. Son crochet enfoncé dans la chair du lobe avait fait saigner l’oreille du Duc. Le sang suivait les plis de son cou comme de l’eau dans un canal asséché. Ses cheveux courts et gris étaient soigneusement coiffés sous son chapeau haut-de-forme. Très élégant. Il avait des bas noirs de femme parfaitement à sa taille, maintenus par des jarretières agrippées à ses hanches.

En conclusion, soit le Duc était un habitué du travestissement, soit la personne qui lui avait fait ça le connaissait intimement. Une autre solution était envisageable, une fin de soirée coquine et costumée, qui avait mal tourné. Un accident qui aurait eu lieu pendant un jeu érotique macabre ; les protagonistes, ne sachant pas quoi en faire, se seraient débarrassés du corps chez Berthe pour éviter d’être mêlés à cette affaire.

Simon ne connaissait rien sur cet homme. Il lui fallait Bébert. Il irait bien lui téléphoner, mais le Commissaire n’allait pas être d’accord. Les mains dans les poches, il le laissait tirer les mêmes conclusions que lui, plus tôt dans la matinée. C’était désagréable de se sentir épié. Mais le Commissaire avait changé de point d’intérêt. Il regardait la Gandolle qui était sournoisement en train d’avaler quelque chose. En baissant la tête, Simon vit des pantoufles à talons dorés posées par terre, sous « l’installation ». La taille, encore une fois, semblait correspondre. Mais qui fabrique des chaussures pour femmes aussi grandes ? Une paire comme celle-là devait coûter une fortune. Et qui avait fabriqué les bijoux ? S’ils étaient véritables, il y en avait pour des milliers de francs. Et toutes ces dépenses pour abandonner ensuite ces objets à la police ou plutôt pour que la mise en scène soit parfaite.

Une ligne large et blanche garrottait le doigt légèrement gonflé du Duc. On lui avait enlevé son alliance. Un symbole ? Où l’avait-il enlevée lui-même par pudeur avant de participer à sa soirée coquine. Son bras droit était coincé sous son torse, mais son poignet et sa main étaient libres. Il tenait un fume-cigarette noir et élancé dans lequel se trouvait un long mégot. Simon se coucha par terre. Cette cigarette dans l’embout lui posait problème. Il n’y avait pas de trace de cendre sous le fauteuil, pas de cendrier, pas de briquet, ni d’allumette et pas de paquet qui traînait. En examinant l’embouchure de près, il vit une trace de rouge à lèvres, ce qui voulait dire qu’elle avait été fumée. On frappa à la porte. C’était l’équipe du Commissaire qui arrivait.

— Ah ! Quand même ! On a failli attendre, bon Dieu ! Vous faites comme d’habitude, je suppose que vous savez qu’il va falloir être discret. Par où allez-vous sortir le corps, Maurice ?

— Par derrière, Commissaire, il y a une sortie des « invités ».

— Pas de civière ni de sirène, on est bien d’accord ?

— On a trouvé une malle en osier qui fera bien l’affaire. Et on est venu avec le camion de livraison de l’épicerie.

Ce camion, Simon le connaissait bien. La Criminelle l’avait acheté pour les planques et l’avait maquillé en camion de livraison de légumes, pour être tranquille. Il était monté dedans à plusieurs reprises et préférait ne pas se rappeler pourquoi.

— Bien. Vous développerez les clichés au plus vite et le premier qui bavasse, je le fous à la circulation à la Concorde, c’est bien compris ?

— Oui, Commissaire.

— Allez-y. Et magnez-vous le fignard !

Simon tendit ses notes à Maurice qui les lut en silence. Peu de choses. Tout d’abord il demanda qu’on recherche de la cendre de cigarette et qu’on vérifie si les draps du lit étaient frais. Car même s’il était impeccable lissé, il y aurait pu y avoir des prélèvements à faire. Il demanda aussi qu’on examine le liquide qui se trouvait dans les cassolettes. Il mentionna qu’il devait y avoir une bague ou un anneau qui avait disparu, si quelqu’un pouvait partir à sa recherche... Idem pour les vrais vêtements du Duc. À la fin de cette liste, il ajouta : « Maurice, vous me faites analyser le maquillage. Comparez le rouge à lèvres du fume-cigarette et celui qu’il a sur les lèvres. Je veux connaître la marque de la cigarette qu’il y a dans le filtre. Analysez aussi le tabac. Essayez de trouver avec quel parfum il s’est aspergé. Merci. »

— Simon, tu as vu tout ce que tu voulais voir ? On peut se barrer ?

— Je veux attendre qu’on déplace le corps. Tu mets un garde devant la porte dès qu’ils seront tous partis ?

— J’en mets quatre, c’est plus sûr. Maurice, vous nous appelez quand vous déplacerez le corps. On descend dans la rue se prendre un bol d’air.

— Chef, je peux venir, dites ? demanda la Gandolle.

— Tu ne comptais pas rester ici à rien foutre ?

— Non, Commissaire...

Les trois hommes firent le chemin inverse qu’ils avaient emprunté un peu plus tôt dans la matinée. Les statues de marbre les regardèrent sortir, à regret, insouciantes et libidineuses. Simon avala une grande bouffée d’air qui le fit tousser aussitôt. « Quand même ça fouette sévère dans les rues de Paris. »

Parce qu’il était comme ça Simon, sensible.

Chapitre 3Un sale coup pour la fanfare !

Le Commissaire s’éloigna de quelques mètres. Simon le suivit, ne comprenant toujours pas pourquoi il faisait autant de paranoïa. Il était d’accord sur la discrétion à avoir et dans laquelle devait être menée l’enquête, mais il trouvait le comportement du Commissaire excessif.

— Quelles sont tes conclusions ? demanda le Commissaire.

— D’abord, dis-moi ce que tu sais de cette histoire de malade !

— Non, toi d’abord.

— Attends, t’es en train de trier les infos ou quoi, Canard ?

— Non !

— T’as des ordres d’en haut ?

— Non !

— Commissaire, tu te fous de ma poire, donc je me casse, tu vas te dépatouiller tout seul avec Adams et Aversham, tu verras, c’est une vraie partie de plaisir.

— Je ne te cache rien, seulement, je peux pas te dire tout dans la rue comme ça ! Tu peux comprendre quand même !

— Faux. T’essayes de m’enfumer, tu crois que je le vois pas ?

Simon était en colère. Il avait du mal avec l’idée que le Commissaire ne joue pas franc jeu avec lui. Il recommençait à se gratter la tête frénétiquement, et ça faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Depuis l’Angleterre. C’était signe que l’enquête allait être compliquée.

— Fais-moi confiance.

— Non ! T’essayes de me faire avaler les meringues de la Gandolle avec leur boîte ! Pourquoi tu veux pas parler ? Tu veux d’abord savoir ce que j’en pense ? Mais tu t’en bats l’œil d’habitude de ce que je peux gamberger !

— C’est pas vrai ! T’as un noyau de cerise coincé entre les deux portugaises, aujourd’hui, Simon ?

— Je marche pas, je me casse.

Les mains dans les poches, il se dirigea vers sa voiture.

— Simon, tu vas pas nous faire du tintouin comme une gonzesse en pleine rue ! Attends ! dit-il en lui attrapant le bras.

— D’abord, suis pas une gonzesse et si tu continues à me prendre pour une dinde, je vais hurler en pleine rue que le Duc y s’est fait estourbir en tenue de danseuse des Folies Bergères et le petit Jésus emballé dans de la dentelle de sac à dragée !

— Je vais t’expliquer, mais plus tard.

— Non, parce que franchement, tu m’as mis la rate en ébullition ! Mince alors, elle est pas mal celle-là ! Non, mais tu me prends pour une bleusaille ? Quand je vais la raconter à Bébert, celle-là, tiens ! En plus, suis sûr que même la Gandolle y sait tout !

Simon avançait vers sa voiture puis se retournait et revenait sur ses pas en faisant reculer le Commissaire. En bon Italien, il faisait de grands gestes et parlait fort.

— Je vais te dire ce qui se passe, reprit-il, c’est qu’en haut, ils t’ont dit de m’en dire le moins possible, tant que je n’en découvre pas plus ! Ça veut dire que ta Duchesse, c’est un gouailleur de haut niveau. Il était protégé en haut lieu parce qu’il était dangereux pour les grands de ce monde ! Ils ont des informations à récupérer et y z'ont cru se payer la tête de Simon ! Faut pas me la jouer aussi grossière mon Canard ! Aller tiens, tu me fiches envie de renarder et de chialer en plus !

Simon regardait le sol, tristement. Avec la pointe de sa chaussure, il grattait la boue restée dans le caniveau. Le Commissaire, penaud, regardait le sol lui aussi. La Gandolle s’était arrêté de mâchouiller sa meringue au milieu d’une bouchée et regardait la scène tristement. Simon alluma une cigarette, la larme à l’œil. Puis le Commissaire hésita :

— Simon, tu me fais quoi là ?

— Je me paye ta bobine !

— Nom d’un chien ! Simon ! Tu trouves pas que j’ai assez d’ennuis comme ça ?

— Allez, raconte ! dit-il en tirant une bouffée gagnante sur sa cigarette.

— Je t’ai rien dit que tu ne savais pas déjà. D’accord ?

— Et la Gandolle ?

— La Gandolle, on s’en fiche, y pige jamais rien.

— C’est pas vrai ! Par exemple, j’ai tout compris là, Chef !

— Tais-toi et bouffe, tu crois que je sais pas qu’après ça t’as des macarons ? Pour une fois, je t’autorise à te bâfrer, profites-en !

— T’es pas chouette avec lui, Commissaire, tu pourrais faire un effort quand même.

— On s’occupe de la Gandolle ou de la Duchesse, nom d’un chien, Simon !?

— Vas-y, je t’écoute.

Le Commissaire leva les yeux et scruta les alentours, de toute façon avec tout le bazar que Simon avait semé, tout le monde devait les regarder... alors...

— Ce matin, nous sommes entrés dans l’hôtel particulier de la Grande Baestria dont Mme Berthe Commartin a hérité, en plus de sa fortune. Tu sais qui c’est la Grande Baestria ?

— Je préfèrerais qu’elle ait été une cantatrice...

— Une grande horizontale. Une cocotte, une courtisane, une ancienne Reine de Paris.

— Une tapineuse de luxe, en fait.

— Non, Simon. Une Dame très, très talentueuse, une grande professionnelle de la galanterie.

— Appelle ça comme tu veux, c’était une pute pas sympathique qui a réussi... c’est pas grave, continue.

— Berthe Commartin était son aiguilleuse. Tu sais ce que c’est qu’une aiguilleuse ?

— Tu me prends pour une tanche ? Elle raccompagnait le Monsieur par le bon couloir pour pas qu’il croise le Monsieur suivant.

— C’est ça. Et le Duc était un des protecteurs de la Grande Baestria.

— Et elle en a eu beaucoup des suivants, des suivis et des protecteurs ?

— Quelques-uns.

— Quelques-uns ou beaucoup ?

— Une dizaine.

— Elle était spécialisée dans quel domaine, cette Dame ?

— Elle faisait... Tout.

— Même les trucs sadomasos ?

— Du moment que ça rapportait, elle regardait pas trop. Mais, il n’y a plus d’activité de ce genre depuis vingt ans dans cette maison.

— T’es en train de me dire que quelqu’un est entré cette nuit et a installé le Duc dans cette position pendant que tout le monde dormait ?

— Voilà, t’y es ! T’en as mis du temps mon conno !

— T’es sûr qu’il n’y a pas une connexion avec le lupanar d’à côté ?

— Certain, je connais bien mon secteur et je bosse souvent avec la brigade des Mœurs.

— Y’a plus ni trimardeuse ni créature du sexe, ni pierreuse, ni soirée galante dans cette maison ?

— Arrête de nous sortir le Petit Robert ! En plus, y’a jamais vraiment eu de tapineuse ici !

— Et le Duc, pourquoi il vous préoccupe autant ? Dis-moi pas que son carnet rouge existe vraiment !

— Si. Il existe bel et bien. Il y notait toutes les rencontres qu’il faisait dans les salles privées des restaurants et dans ce genre de lieux. Il avait une sorte de liste. Il avait regroupé toutes les confidences que la Dame extirpait à ses protecteurs pendant... Enfin, tu vois ce que je veux dire. Tout cela, illustré d’une belle photo de l’homme en situation.

— Et il est où, ce carnet ?

— On sait pas.

— Vous savez pas ? Hi hi hi ! Z'êtes quand même un peu dans la mouise les gars ! Y’a pas ton nom dessus, au moins, mon Canard ?

— Non ! À cette époque, je tétais encore le sein. De ma mère, je veux dire.

— Inutile de préciser. T’as des expressions bizarres aujourd’hui, Commissaire. T’es complètement piqué !

— Fais pas suer, Simon. Dès qu’ils ont appris la nouvelle, les Services anglais ont fouillé partout chez le Duc. Pas facile de le faire sans prévenir sa famille qu’il était mort. Et ils n’ont rien trouvé.

— Y’a certainement quelqu’un qui a mis la main dessus. Ou alors il est caché dans un coffre en Suisse et ne ressortira pas tout de suite.

— Ça serait bien ça, hein ? Mais faut pas rêver.

— Et on est sûr qu’il existe ce carnet ?

— Il s’en est déjà servi plusieurs fois.

— Logique. Mais ceux qui sont dans ce carnet ne devraient pas tarder à rendre leur certificat de naissance ?

— Certains, oui, d’autres l’ont déjà rendu, mais les réputations et les répercussions comptent.

— C’était un signe extérieur de richesse de se payer une horizontale, à l’époque, non ?

— Ah ! Mais c’est pas ça, le problème ! Le problème, c’est tous les petits arrangements politiques et financiers qui se signaient dans les salons et dans les chambres et dont le Duc a eu vent.

— Et pourquoi t’as l’impression qu’on est épiés depuis tout à l’heure ?

— Faut que tu saches que dans cette maison y’a plein de petits salons aménagés par la Dame. Elle y installait ceux qui voulaient être tranquilles et ceux qui voulaient voir... Tu comprends ?

— Voir ? Comme des voyeurs ?

— À ton avis ! Mais t’es devenu un grand benêt en Angleterre ! Qu’est-ce qu’y t’ont fait ? T’as fait un don aux pauvres avec ta boîte à intelligence ?

— J’ai du mal avec les trucs sexuels tordus, tu le sais, ça, Canard, que je suis un adepte du sexe normal. Donc c’est à cause de ces petits salons parallèles que tu m’as fait tout ce foin tout à l’heure ?

— Ouais.

— Nan, nan, y’a autre chose. Je te connais. Y’a autre chose.

— Y’a autre chose, mais ça te regarde pas. C’est pas un truc que j’ai envie de dire. J’ai pas envie que t’y fasses tremper ton tubard.

— Tu te protèges mon gars.

— En quelque sorte. Mais ça ne regarde personne, même pas les autorités supérieures, alors fiche-moi la paix, d’accord ? Y’a rien de grave ni d’important.

Simon n’insista pas. Il connaissait suffisamment son Commissaire pour savoir où il devait s’arrêter. Et c’était à cet endroit précisément. Lucien arriva, essoufflé. Il n’avait pas vraiment eu le temps de reprendre sa respiration quand il commença à parler.

— Faut venir, c’est Maurice qui vous appelle. « Vite », qu’il a dit !

Les trois hommes se précipitèrent dans la cour. Le grand escalier et le hall d’entrée parurent interminables. Ils entrèrent dans la chambre, essoufflés à leur tour. On avait déposé le corps sur une civière et le fauteuil vide semblait encore plus rocambolesque qu’avant. Maurice les attendait. Assis sur le lit. Tranquillement.

— Vous m’aviez dit de vous appeler quand on allait enlever le corps, ben voilà. Je vous appelle.

— Merci, Maurice. Mais pourquoi vite ?

— Regardez ce qu’il y a dessous ! dit-il en montrant du doigt le fauteuil.

Un papier était posé sur ce que l’on pouvait imaginer être l’assise du fauteuil. Ils s’approchèrent doucement, comme pour ne pas effrayer l’objet devenu soudainement presque animé. Une carte postale.

— C’est quoi cette blague, Maurice ? lança le Commissaire.

— C’est pas une blague, on n’a rien touché. Elle a même pas bougé d’un millimètre.

— C’est pas la gonzesse qu’il y a dans le tableau au-dessus du bureau ? demanda Simon.

— J’en ai bien peur, répondit le Commissaire.

La Grande Baestria se tenait la taille, qu’elle avait incroyablement fine. Son corset remontait sa poitrine judicieusement enfouie sous un enchevêtrement de dentelle. Son décolleté laissait s’échapper sans retenue le téton de son sein gauche. Impudique et fière comme ses statues, elle regardait de ses grands yeux noirs le photographe, souriant légèrement en relevant le menton. Ses cheveux bruns étaient magnifiquement décoiffés et ornés de pierres et de perles.

— Elle est pas un peu dénudée pour l’époque ?

— Pas tant que ça.

— Et on envoyait des nibards à l’air par courrier postal y’a trente ans ?

— Parfois y’avait une enveloppe.

— Pas aujourd’hui. Vous avez une pince à épiler ou un truc du genre ? demanda Simon.

Maurice lui tendait déjà l’instrument quand il se retourna.

— On peut lire le cachet des PTT en défonce. Le 15 août 1918. Paris 16e ou 18e.

« Ma chère amie, elle ne sera jamais aussi belle que vous. Le temps me dure de vous retrouver. Je serai de retour dans dix jours. J’apporterai les fleurs que je vous ai promises. Aussi, je souhaite ardemment qu’elles accompagneront votre beau sourire quand il me dira oui. Signé : Edmond. »

— Je braque rien au sujet.

— On est deux… Faites un relevé d’empreintes, ordonna le Commissaire.

Il tendit la carte à Maurice qui l’emballa dans du papier de soie.

— La carte ne correspond pas à l’époque où elle a été postée, dit Simon. Un message de notre meurtrier ou alors c’est notre Duc qui était un fétichiste encore plus tordu que les autres.

— Allez, ça suffit, j’en ai marre, on remballe. La Gandolle, tu m’envoies Berthe Commartin et William au poste et tu mets en place la surveillance. Tu piges ?

— Oui, Commissaire.

— Exécution ! Simon, on se casse. Dans ta bagnole. On file au Quai. J’en ai ras la casquette.

— Attends, y’a bien des domestiques ici ? C’est trop grand pour que la matrone fasse elle-même le ménage ! Faudrait peut-être les interroger avant de partir ?

— Elle les a renvoyés chez eux ce matin, vu la situation !

— Faudrait quand même savoir s’ils n’ont pas vu quelque chose hier soir, bougonna Simon.

Ils montèrent dans la voiture. L’humeur du Commissaire avait viré au noir. Il s’était enfermé dans un silence mutique. Simon rassemblait ses idées. Il arrêta la voiture devant un bureau des PTT. Il fallait absolument qu’il appelle Bébert. Il lui manquait trop d’informations. Il voulait que son associé ait le temps de tout rassembler avant son retour et à bien y réfléchir, ce n’était pas prudent de passer son coup de téléphone du poste de police. Quand il arrêta la voiture, le Commissaire était toujours silencieux. Résigné, il s’était accoudé à la fenêtre. Il se tenait le menton et avait coincé sa bouche entre ses doigts et son pouce et passait son index sur son nez en caressant sa moustache. C’était sa façon à lui de réfléchir. Il avait compris que Simon allait téléphoner à Bébert et devinait ce qui allait se passer. Simon sortit en allumant une énième cigarette et s’engouffra dans le bureau des PTT, car la pluie recommençait à tomber. Il entra dans une des cabines et tourna le dos à la fenêtre par instinct. Il n’aimait pas être en vitrine.

— Alors, c’est qui le refroidi ?

— Comment tu savais que c’était moi ?

— Qui veux-tu que ce soit ? Ma daronne ?

— Tiens-toi bien, mon Bébert, c’est du lourd.

— Alors, vas-y. Dis-moi, fais pas durer le plaisir !

— Le Duc de Swanson.

—…

— Bébert ?

— Non ! C’était le plus grand, mais le plus sympathique des maîtres chanteurs !

— Quand je t’aurai tout raconté, tu vas comprendre où se trouve exactement le problème. Je te jure mon Bébert, un sale coup pour la fanfare. Mais là, au téléphone, je peux pas.

— Surtout pas !

— Tu me prépares tout ce qui faut pour quand je rentre ? T’es triste, mon Bébert ?

— Un peu dépité. Il était drôle, le vieux Duc, je l’aimais bien quand même.

— Tu le connaissais de ta vie d’avant ?

— On s’est croisé par-ci par-là... On a fait quelques fêtes ensemble...

— Croisé ? Des fêtes ensemble ? Ouh la ! Dis plus rien ! Je préfère pas, sinon je vais gamberger toute la journée ! Tu me fous les foies ! T’as pas vu ce que j’ai vu !

— Oh ! On s’est compris. Alors n’en fais pas un drame.

— En fait, tais-toi. Non Bébert, franchement, mets-la en veilleuse. J’arrive au plus vite. Mais t’as intérêt à m’expliquer tout ça et avec les formes mon gars ! – Simon hurlait. Parce que déjà que j’étais pas disposé, mais alors là ! Y’a comme une tripotée de coups pieds dans le fignard qui se perdent ! Foutez tous de ma poire aujourd’hui ! C’est une coalition ! Vous avez décidé de manière collégiale de me foutre la rate en vrille, pour le plaisir. Ça vous amuse de me ficher la ganse !

— Simon, attends au moins de savoir tout dans les détails avant de t’énerver !

— La ramène pas avec tes détails ! Je raccroche, y’a le Commissaire qui m’attend !

Furieux, Simon avait jeté l’écouteur contre le socle en bois. Ce qui fit sursauter l’employée derrière son comptoir et ses lunettes rondes. En sortant, il vit un homme assis sur le banc du trottoir d’en face. « Pas très discret, le coup du liseur de journaux. Sont crétins parfois les cognes ! » se dit-il. Il sortit et fit mine de ne pas voir l’agent qui les surveillait. En entrant dans la voiture, il fit un signe de la tête au Commissaire pour désigner le liseur. Le Commissaire leva les yeux au ciel. Sans dire un mot, il échappa un soupir désarmé. Déçu, dépité, Simon fit démarrer la voiture. Ils étaient deux à faire la tête maintenant.

— Je l’ai mauvaise, tu le savais que Bébert avait fréquenté les cocottes ? Et tu m’as rien dis ! Tu parles d’une fumisterie de rameur ! Ça me fout les marionnettes toutes ces histoires de fesse, tiens !

Parce qu’il était comme ça Simon. Boudeur, colérique, rancunier et puritain.

Chapitre 4Le Petit Canit d’Huguette