Les Enquêtes de Simon - Tome 4 - Les Invertis - Annabel - E-Book

Les Enquêtes de Simon - Tome 4 - Les Invertis E-Book

Annabel

0,0

Beschreibung

Cosy Mystery dans les nuits secrètes du Pigalle des années 20 où les invertis mènent le bal

Dans les rues de Pigalle, les cadavres déguisés, greffés et travestis se multiplient... Tout accuse Gabriel, chirurgien de jour et travesti la nuit.

Depuis un mois, des corps déguisés et travestis auxquels on a greffé des morceaux prélevés sur des animaux sont abandonnés dans Pigalle. Tout accuse Gabriel, et ses nuits passées à danser sur scène en travesti à l’Uranus ne plaident pas en sa faveur. Chirurgien de talent, il devient pourtant, aux yeux de tous, le nouveau Frankenstein. Pour venir en aide à son ami, Simon entre dans le tourbillon d’un Pigalle interlope où les préférences sexuelles ne sont un problème que pour ceux qui les jugent. Aidé par Bébert, le Commissaire et la Gandolle, il devra résoudre cette enquête, mais aussi faire appel à son Italienne de mère toujours de mauvaise humeur, mais prête à aider son fils, pour garder ce petit bébé que l’on a déposé chez lui, un soir pendant qu’il dormait.
Les meurtres s’enchaînent et les créatures créées par le meurtrier ne prennent vie que dans la réalité de l’âme humaine. Simon suivra la piste du « Monstre » jusque dans un manoir en Normandie et même dans une piscine de lait que Cléopâtre aurait adorée.
Pour que l’on continue à danser à l’Uranus, les visages seront démaquillés, les corps et les âmes déshabillées. Dans le Paris des Années folles, Simon évoluera avec plaisir au milieu des Invertis bien plus libres à cette époque qu’aujourd’hui.
Il devra comprendre la souffrance de ces hommes et de ces femmes dont l’apparence souvent extravagante n’est, au final, pas si trompeuse. Comme toujours, les personnages de cette histoire sont amateurs de bonne chère, authentiques et drôles.

Retrouvez Simon dans une nouvelle enquête parisienne au coeur des années folles ! Le quatrième tome d'une saga policière historique aux personnages authentiques, drôles et attachants !

EXTRAIT

— Nom d’unch’, on était pas seuls ! lança Simon, je te l’avais dit ! Il nous a enfermés à clé cet empaffé !
— Faut réussir à ouvrir cette foutue porte !
— C’est une porte blindée. Le crochet de Nonna Catarina ne pourra rien faire.
— On est tombé de combien de mètres tout à l’heure ?
— Je dirais une bonne douzaine, à vue de nez. Impossible de grimper là-haut…
— La Gandolle et Léclusier savent qu’on est ici, ils finiront bien par venir nous chercher. Je dis pas que ça va leur monter au citron tout de suite, m’enfin d’ici une semaine...
— Pas question que je reste une semaine sans voir Rose, sans boire du pinard, sans fumer et sans manger. Je déteste avoir les boyaux en détresse.
— Ben tu feras avec ! Si on essayait de lancer la corde jusque là-haut, quand même ?
— Tu prends le risque que ce FOURLOUREUR qui nous a enfermés ici la coupe pour nous aider à faire le grand voyage ! Parce qu’il est peut-être encore ici ce TARTOUILLARD !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

C'est dans la lignée d'Agatha Christie avec une touche de Frédéric Dard. C'est assez étonnant. J'ai passé un bon moment. Les faits historiques sont bien renseignés et les descriptions intéressantes. L'écriture est simple et sans prétention. - Rosie43, Babelio (À propos du tome 1)

À PROPOS DE L'AUTEURE

Après vingt ans de carrière dans la musique, Annabel écrit des romans policiers dont les intrigues se situent dans le milieu de la nuit qu'elle connaît bien. Stéphanoise de naissance et, tout comme son détective, Parisienne par obligation, Annabel propose des polars se déroulant au creux des Années folles et nous dévoile les us et coutumes des habitants du monde artistique mais aussi des gens de la rue, du milieu ouvrier et dans ce livre, celui des courtisanes. Les Invertis est le quatrième opus des Enquêtes de Simon.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 578

Veröffentlichungsjahr: 2020

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Les Enquêtes de Simon – Tome 4

Policier historique

Annabel

Les Invertis

ISBN : 978-2-38165-012-8

Collection Romans policiers historiques

Dépôt légal : mars 2020

© couverture Gaelis Éditions

© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

www.gaelis-editions.com

À ma famille, Christian et Liane.

Je dédie ce livre avec tendresse à tous mes amis Invertis, à tous les Jacky et Gaby, les Miranda, les Zéphyrine et les Bibie la Mignonne du monde entier, mais particulièrement à mon Cow-boy Rose et à Zip.

Merci à

Michèle Auffray pour son soutien, son amitié et ses sourires.

Liste des personnages

Les enquêteurs 

Bébert : meilleur ami de Simon ; en réalité le Comte Albert de La Martinière, homosexuel de temps en temps. Il ne mange que des graines, mais n’embête personne avec ça.

Le Commissaire : Commissaire Principal de Police du Quai des Orfèvres, dit aussi « Canard », parce qu’il a les pieds en canard.

La Gandolle : Félicien Dormois, dit « la Gandolle », spécialiste des meringues et des éclairs au chocolat. Adjoint du Commissaire parce qu’il est le neveu du Divisionnaire. Il n’a pas inventé la poudre mais il a sa petite utilité quand même, rapport à son immunité.

Docteur Framboisier : médecin légiste, qui a fait des études brillantissimes et qui n’est pas là pour noter les messages des uns et des autres !

Maurice : policier scientifique de la PJ, qui fait toujours la gueule.

Lucien : policier porteur de sandwichs et photographe aussi.

Raoul : policier, chef de la section des disparus, fatigué mais efficace.

Les voyous

Dédé la Gnôle : patron du Paradis et d’une distillerie, maquereau qui aime bien les macarons et qui ne veut pas que Ginette finisse en gratte-cul.

Lulu le Cont'facteur : éditeur de faux papiers.

Les filles de joie, les invertis et les travestis

Ginette : fleur de pavé à la retraite, compagne de Dédé la Gnôle et mère de Lucette et qui ne finira pas en gratte-cul.

Jacky : inverti qui assume, patron de l’Uranus et à qui on a volé tous ses pénis !

Gabriel Leprince, dit Gaby : chirurgien émérite et talentueux le jour à l’Hôtel-Dieu et travesti brillantissime le soir sur la scène de l’Uranus. On l’appelle aussi Iris. Petit ami de la Gandolle, mais faut pas le dire au Commissaire parce qu’il n’y a pas d’invertis dans la Police !

Zéphyrine : une garçonne qui n’a pas peur des cigares et qui frappe avant tout le monde. C’est la petite copine de Nénette et elle reste à l’Uranus même si personne ne peut la blairer.

Nénette : travesti, danseur et chanteur à l’Uranus. Il partage la vedette avec Gabriel mais ne partage pas que ça avec lui. Enfin ça, c’était avant que Gaby ne rencontre la Gandolle. Du coup, Nénette, elle sort avec Zéphyrine par dépit.

Jeannette, Jean dit Miranda la Grande : danseur et chanteur à l’Uranus, Vénitien magnifique, au corps de rêve qui, malgré son charme, n’a pas encore convaincu Simon de devenir uraniste.

Bibie la Mignonne :voir Bébert

Félicité : travesti blond avec une longue robe rouge à paillette. Il fait ses débuts à l’Uranus. Voir aussi à « La Gandolle », mais il ne faut pas le dire au Commissaire.

Les victimes

Hyppolite Lagnac :jardinier végétarien et gouape par la même occasion.

Maryvonne Lanjoux : bonne à tout faire chez les sœurs Gautier. Mauvaise perdante.

Émile Dubois : petite frappe qui a des dettes de jeu et qui n’est pas un alcoolique élégant.

Adrienne Leprince : la femme de Gaby, ancienne infirmière avec des piquerels dans le coin des yeux. Beurk !

Joséphine Lapaire : femme du notaire et mère (enfin… marâtre) de trois fils. Une salope avec un grand S devant l’Éternel.

Les protagonistes

Rose : un petit bébé tombé du ciel…

Le Professeur Lamiche : professeur de Grec et de mythologie. Non, ce n’est pas un inverti, il est même plutôt sadique avec les gonzesses.

Docteur Guillot : passionné de mythologie, il exerce à l’Hôtel-Dieu et n’aime pas Gaby. Il fait peur à tout le monde parce qu’il ressemble à Landru.

Le Marinier :il conduit amoureusement sa Belle-de-nuit sur les canaux français. Sa Belle-de-nuit, c’est sa péniche. Il est propriétaire nautique, lui au moins ! Oui, Môssieur !

Les sœurs Gautier :sœurs jumelles qui se prennent pour Cléopâtre. Des amazones. Simon en a très peur.

Antef : serviteur égyptien des sœurs Gautier qui joue au dur en se prenant pour Ramsès, mais qui file du rond quand même !

Eugénie : vendeuse de sous-vêtements en tout genre et qui fournit les travestis de l’Uranus. Elle déclare tout au fisc, même les massages que ses filles font dans l’arrière-boutique ! Henriette Dubois : ancienne maîtresse d’école de Gaby et sœur d’Émile Dubois, une petite vieille toute gentille à qui on ne peut pas demander de rembourser les dettes de jeu de son frère… ça serait déshonnête.

Francine :Paloise de naissance, qui vit avec Henriette depuis la mort de l’Émile. Qui enjolive toujours les choses quand elle raconte un commérage, mais pas cette fois-ci.

Mademoiselle Poncard : secrétaire et maîtresse de Maître Lapaire. Méfiez-vous, elle pourrait vous surprendre ! Enfin moi, ce que j’en dis…

Claude Lapaire : fils de Joséphine et de Maître Lapaire. Il déteste être notaire, lui, ce qu’il aime, c’est la broderie et les filles du Chabanais.

Marius Lapaire : second fils de Joséphine et de Maître Lapaire. Lui, ça ne le dérange pas d’être notaire. Et les filles du Chabanais non plus.

Hélène :bonne à tout faire chez les Lapaire. Qui se trompe parfois de tablier.

Éloïse :bonne à tout faire chez Gabriel. Elle a passé les Catherinette depuis trop longtemps.

Langlois : marin-pêcheur normand. Il est un peu vieux maintenant pour ramener de bonnes pêches. Mais il lui arrive de pousser jusqu’au Havre avec sa Marinette.

Les autres

Violette Verdier : compagne de Simon, le petit Rossignol.

Antonella Simon :la mère de Simon, italienne et dévoreuse, qu’il essaye pourtant d’éviter.

Huguette : patronne du bar restaurant Le Petit Canit, et Couramiaude (qui vient de Saint-Chamond) qui a récupéré Simon un soir…

Marcel :le mari d'Huguette, ancien flic reconverti dans la cuisine, parce qu’Huguette, elle supportait plus.

Augustine :un grand amour de Simon ; une étoile noire.

Jojo : régisseur de l’Accordeur qui a un très bon chardonnay.

Amédée :accordéoniste à l’Accordeur mais qui fait le bal au Bar de la Baronne.

Germaine :aide-soignante à l’Hôtel-Dieu, Stéphanoise et amie d’Huguette.

Les animaux (pour faire plaisir à Bébert !) 

Fifi :chienne truffière de Bébert

Columbo :chien à l’œil unique adopté par Simon.

Bob :le chat de Simon

Chapitre 1Le picolo en solitaire

Quand il ne nous reste que la solitude on n’a guère d’autres choix que de s’en faire une alliée. Ce soir, la seule compagnie que Simon avait trouvée, c’était Baudelaire. Le problème c’est que Baudelaire l’emmerdait, enfin pas toujours. « Enivrez-vous », c’est Beaudelaire qui l’a dit, « Enivrez-vous ! ».

Le Vin. Simon fixait cet élixir rouge cassis qui l'emmenait vers la sérénité. Il le faisait danser et pleurait comme les rigoles que le liquide dessinait sur les parois de son verre. Chaque gorgée était bienfaitrice et l'aidait à ravaler sa colère. Chaque déglutition était réconfortante, chaude, féminine et chaque bouffée de cigarette lui rappelait irrémédiablement sa mort.

C'était un soir où, d'exagération en exagération, Simon avait osé se retourner. Il savait qu'il ne fallait pas le faire, mais il l’avait fait quand même. Le constat était affligeant et trop difficile à assumer. C’était un soir où l'alcool était un refuge encore plus attirant que le sexe d'une femme. Surtout quand on vit seul.

Violette l'avait quitté depuis quatorze longs mois et c’était bien fait pour lui. Il avait renvoyé les ouvriers après le départ de Violette. La moitié seulement des volets étaient peints en violet et lui donnaient le cafard.

Comme dans un mauvais roman où la météo suit bêtement les humeurs des gens, il pleuvait sur le village sinistre et désert du Loiret où il habitait depuis trop longtemps. En rentrant chez lui, il avait quitté sa chemise trempée par cette pluie compacte et glaciale pour la faire sécher devant la cheminée. Heureusement, la nuit lui cachait la solitude du lieu. Rien, dans ce coin délavé de France, ne pouvait redonner le sourire aux âmes en perte d'identité. C'était en réalité ce qui les perdait encore plus. L’humidité. Les marais. Les lignes droites. Les volets fermés. Les villages éteints.

Trop aviné, Simon se jeta contre le dossier de sa chaise et s'endormit.

Dans son cauchemar, un homme entrait dans le jardin. Il marchait lentement. Il avait une petite moustache fine et les lèvres peintes en rouge. Il portait des gants. Rouges. Il portait un sac sur le dos. Dans un bruit sourd et creux, un pot de fleurs se renversa sur la petite terrasse pavée. Une chouette s'envola bruyamment et les chauves-souris commencèrent à jeter leurs petits cris perçants au visage du visiteur. Comme si elles étaient de taille à l'affronter. Simon chercha son Français1 sans pouvoir le trouver. Il l'avait enlevé en même temps que sa chemise. Il n'arrivait pas à ouvrir les yeux. Il essayait pourtant. Chaque tentative était suivie d'une douleur brûlante qui l'empêchait de les ouvrir. Les pas se rapprochaient. Il fallait qu'il se réveille. Impossible. Il avait trop bu. Il avait envie de vomir. Il n'avait pas verrouillé la porte. L'homme allait entrer et lui ne pouvait pas bouger. Sa respiration s'accéléra. Il pouvait l'entendre. Son torse s'ouvrait et se refermait aussi vite que les valves de ses artères. « Ouvre les yeux ! Redresse-toi ! » Mais tous ces ordres qu'il donnait à son corps ne servaient à rien. La porte s'ouvrit. L'homme entra. Il le voyait à travers ses cils. Sans pouvoir ouvrir en grand ses paupières, il vit les gants rouges s'approcher. L'homme sans visage, se pencha sur lui. Une goutte de pluie froide vint lui chatouiller les lèvres. Puis une sensation de chaleur, comme un baiser, vint l'envahir. Il remua les lèvres et rendit le baiser. Il sursauta quand d'autres gouttes vinrent s'échouer et glisser sur son torse. Il venait d’embrasser un homme et avait envie de recommencer. NON ! Simon aurait voulu crier et l’attraper à la gorge. Impossible. Il lui sembla qu’il lui avait caressé le visage juste avant de se retourner et de sortir. Il referma la porte. Ses pas s'éloignèrent. Il écrasa les morceaux du pot qu'il avait renversé en arrivant. Simon entendit les petits cris de douleur que la terre cuite redevenue poussière lâcha dans une courte agonie et dans un dernier soupir. Puis les pas de l'homme claquèrent dans les flaques et le silence se fit. Simon respirait vite. Si vite que ses narines brûlaient. Les va-et-vient de sa poitrine se firent plus lents. Il avait sommeil. Très sommeil. Il se rendormit.

— Ouinnnnn !

— Nom d’unch’, ça fait un mal de chien !

— Simon !

— Mmmm ?

— Mais réveille-toi ! cria Bébert. Y'a un môme sur ton canapé !

— Un quoi ?

— Un chiard, un mômichon, un pisseux, un loupiot, un poupard, un mâtru ! Un gosse quoi ! Il est pas gros en plus ! C’est effrayant !

— Mais qu'est-ce qu'il fout là ! Un sale coup pour la fanfare !

— J'en sais rien moi ! T'as pris une reculée tout seul ou je rêve ?

— Tu rêves pas ! Pourquoi il est là, lui ?

— À toi de me le dire !

— Tu parles d’une fumisterie de ramoneur !

Les deux hommes regardaient avec effroi le canapé bruyant et gigotant. N'osant pas s'approcher, Simon alluma une cigarette tout en grattant sa cicatrice d'Angleterre2. Bébert pas plus courageux, mâchouillait son cigare comme on mâche un morceau de caramel collant.

— Normalement, on fume pas quand y'a un môme dans la pièce !

— Si ça se trouve, je vais me réveiller et regretter d'avoir écrasé ma cibiche, alors tes idées de pingouin, tu te les gardes, Bébert.

— OUINNNNNN !

— Franchement, Simon ! Vu le moulin à jactance de ce mouflet, et le sifflement de mes portugaises, suis certain qu’on n’est pas en train de rêver !

— Mais pourquoi y braille comme ça ?

— Paraît que parfois y z'ont faim, voire même qu'ils se pissent dessus, c'est quand même pas une nouveauté ça, Simon !

— Hors de question que je mette les doigts dans la mouscaille d’un baigneur. Si j'en ai pas, c'est pas pour rien !

— Et moi donc ! C’est effrayant !

— Nom d’unch’, faut qu'il arrête, j’ai un mal de cafetière insupportable !

— Ça t'apprendra à picoler tout seul ! Prends-le dans tes bras, Simon.

— T’es pas un peu siphonné de la coloquinte ! Pour quoi faire ! Et comment on fait ? C’est trop petit… Je vais l’abîmer !

— En général, ça tient le choc...

À contrecœur, Simon ouvrit la couverture et sortit l'enfant qui se calma immédiatement. Les bras bien en avant, le plus loin possible de lui, les fesses en arrière et les jambes pliées, il se figea et regarda Bébert désespéré.

— Y'a pas un mot par hasard, dans la couverture ?

— Si !

— Tant mieux ! On va retrouver sa daronne et le lui rendre à toute berzingue !

— Faudrait lui donner du lait, il ne doit pas manger grand-chose d'autre !

— J’ai que des boutanches de pinard…

— Regarde dans le sac, y’en a peut-être ?

— Gagné ! Dépêche-toi, y recommence à piauler !

Bébert s'installa sur le canapé en serrant l'enfant contre lui. Maladroitement, il enfonça la tétine dans la bouche du petit qui cessa de pleurer.

— Si je trouve l’empaffé qui m’a fait ce tour de con !

— T'as rien entendu ? T'as rien vu ?

— J'y suis allé un peu fort sur le picolo, alors je dormais ! avoua Simon.

— Lis cette satanée baveuse, Simon !

Simon prit l'enveloppe et, par réflexe, sentit son parfum. Une odeur familière ? Peut-être. Non, pas vraiment. Il y avait son nom écrit à la machine sur l'enveloppe et un mot à l’intérieur tapé lui aussi.

Simon, ne m'abandonne pas, j'ai besoin d'une famille,

je n'ai plus personne maintenant.

— Un enfant de la misère ! On va jamais pouvoir s’en débarrasser dans un orphelinat ! C'est quoi cette odeur fétide ? demanda Simon.

— Devine ! Moi, je lui ai donné sa bectance alors toi, tu le changes !

— Eh ben, mes aïeux, eh ben, mes cadets, eh ben, mes petits frères réunis, c’est une sacrée foutue couillonnerie ! À cette heure-ci, y'a pas une bourgeoise dans le village pour nous sauver ! Va falloir qu'on le change nous-mêmes. On peut pas rester dans cette odeur !

L'enfant brun et bouclé, couché sur le canapé souriait aux deux hommes qui, les mains sur les hanches, constataient avec horreur qu'ils allaient devoir affronter seuls l'étape odorante et répugnante du pipi-caca, sans pour autant s’y résigner.

— Elle aurait mieux fait de donner un mode d'emploi, ta daronne, au lieu d'écrire cette lettre à la noix qui veut rien dire ! grogna Simon.

— Il est beau quand même, tu ne trouves pas, Simon ?

— Pas vraiment. C'est un môme…

— Regarde comme il sourit !

— C'est pas parce qu'il sourit qu'il ne va pas nous pourrir la vie pendant les semaines à venir, tu vois ? Un môme, c'est fait pour encager la vie des adultes. Ça prend plaisir à te véroler les portugaises nuit et jour ! Ça a un estomac de curé, un intestin de ruminant et les gaz du puits Couriot. À partir du moment où y’en a un qui pose les pieds dans ta cambuse, t’es plus maître des lieux, c’est lui qui règne. Ça a des exigences princières, vu qu’on fait tout pour qu’il se prenne pour un monarque. Un tyran, un dictateur, un despote qui t’impose des horaires de fonctionnaires et qui t’oblige à t’acheter une conduite parce qu’il faut pas lui montrer le mauvais exemple. Comme si tu savais lequel est le bon ! Tu dors plus, tu te lèves le matin la tête dans le fignard, tu glisses sur une giclée de vomi et tu te retrouves le pétrus en vrac et la boîte à déduction ensablée parce que t’as pas roupillé confortable depuis des mois. Parce que le momichon, quand il fait un cauchemar, y vient envahir ton paddock comme une bouillotte qui éclate et se frotter à ta place contre les nibards de sa mère. T’es môchard à cause des valises que t’as sous les yeux, tu sens le lait, au lieu de sentir le pinard, et tu sais plus ce que c’est qu’une cibiche de gris vu que t’as plus le droit de fumer à l’intérieur. Et je ne te parle pas de son tubard toujours englué qui te contamine à tel point que tu sais plus si un jour t’as été en bonne santé. T’as plus de conversation avec tes copos parce qu’ils ne viennent plus vider des quilles et qu’ils n’en peuvent plus d’entendre ton moufflet piauler et te couper la parole dès qu’il en a l’occasion. Des fois que tu t’occuperais de quelqu’un d’autre que de son royal troussequin ! De toute façon, c’est pas grave parce que tu sais plus faire une phrase correcte et aligner autre chose que des onomatopées de ravissement ! Et tu t’épates en permanence devant la beauté de ton baigneur ! « C’est moi qui ai fait ça ? » Ben oui ! Crétin de la lune, chiant et moche comme il est, ça peut être que toi ! Et t’es le seul à pas t’apercevoir qu’il est moche.

— T’énerve pas comme ça ! T’en es pas encore là !

— C’est pas dit ! Tu deviens tellement ramolli de la cafetière que quand tu trouves quelqu’un pour le garder t’as l’impression de lui faire un cadeau immense ! Alors qu’en fait, il n’ose pas te le dire, mais ton momichon, il n’en veut pas ! Et faut lui faire l’éducation ! Des fois que les gens disent qu’il ressemble à son paternel, t’aurais doublement l’air crétin s’il est bête comme un bulot ! Alors tu te replonges dans tes livres d’école et tu t’aperçois qu’en fait t’es un endeuillé du cerveau ! Que toutes ces règles de grammaire et de mathématiques, t’es passé à côté sans les voir comme un pichet de flotte sur une table ! Tu peux plus lancer un bon vieux juron qui fait du bien parce qu’il est là pour te le rappeler. T’as envie de le baffer, mais tu peux pas parce que cette histoire de pas jurer, c’est toi qui lui l’as mise dans la bobine. Tu te retrouves comme une dinde devant tes principes d’éducation qui valent pas un sou et qui serviront à rien puisque dès que t’auras le dos tourné, la première chose qu’il fera c’est de surtout pas appliquer les règles. Un môme c’est un miroir dans lequel tu te regardes tout le jour et qui te rappelle que t’es une tanche ! Non, c’est pas sympathique, une géniture !

— Je suis d’accord avec toi, mais ne t’affole pas comme ça !

— Et ça commence ce jour maudit où t’as visé juste sans le faire exprès ! Parce que ta bourgeoise, dès qu’elle comprend qu’elle n’a pas avalé une citrouille, elle te transforme en plâtrier peintre parce que ce môme, il faut bien qu’il crèche quelque part ! Alors toi, comme un foutu crétin que t’es, tu lui cèdes le seul endroit où tu pouvais te gratter les joyeuses sans que personne ne le voie, ton bureau ! Et voilà que pour un coup d’un soir, tu te retrouves dépossédé de tout ce que tu représentes. Un môme, c’est un fourloureur, dès qu’il arrive y te prend ce que t’as de meilleur ! Ça te bouffe le bénéfice, ça te coupe le budget pinard en deux, ça pense à son héritage et ça dessine sur ton livre préféré pendant que toi tu lui souris en lui disant que c’est magnifique ! Parce qu’il ne faut pas lui sabrer sa créativité. Surtout si tu veux garder le peu qu’il te reste d’intimité sexuelle avec ta bourgeoise qui, de toute façon, t’a mis le petit Jésus au repos depuis qu’elle est Mère. Et là, ô cauchemar, tu comprends que la prochaine fois qu’elle sera d’accord pour porter le drapeau, ce sera pour faire le petit frère. Et tu t’en sors jamais. C’est le serpent qui se mord la queue, c’est le cas de le dire. Jusqu’à la ménopause.

— M’enfin, t’en es pas encore là, vu que celui-ci tu vas le rendre…

— Ah ! Tu peux en être certain, sinon je m’appelle plus Simon ! C’est un coup à comprendre les curés et à renoncer définitivement à ton petit Jésus personnel ! Non, le seul avantage que je viens de trouver au fait de faire des mômes, c’est de pouvoir draguer les institutrices et les daronnes des autres à la sortie de l’école, des fois qu’y en ait une qui soit d’accord pour faire une incartade. M’enfin, c’est pas tous les jours qu’on en trouve. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Et le pire, c’est ceux qui partent jamais. Alors là c’est une maladie chronique qui te bouffe le dernier morceau de gâteau, qui t’empêche d’aller compiler quand ça urge parce qu’il lit Le Petit Journal sur le Saint-Siège pendant des heures et qui te ramène des gonzesses à la maison que tu peux pas y toucher puisque toi, t’es vieux et épuisé à cause de lui. Non, là mon Bébert, je te le dis, y’a quelqu’un qui essaye de me prendre pour une tanche, et là, ça va pas le faire.

— T’as raison, Simon, faut qu’on s’en débarrasse.

— Et si on le laissait au curé ?

— T'es cintré ! C'est le tien après tout, faut quand même faire attention ! Si sa génitrice te l'a rendu, c’est qu’elle te fait confiance !

— Ce n’est pas le mien !

— On le change, y trouillotte trop ! Va falloir lui donner un nom.

— D’accord, mais c’est provisoire ! Et si on l'appelait Maurice ?

— C'est nul !

— Gérard ?

— Pire que tout !

— Barnaby ?

— Tu délires Simon !

— On le change d'abord, on verra après.

Simon, encore retourné par cette intrusion, courut dans la chambre pour aller chercher une couverture, Bébert mit de l’eau à chauffer et sortit des serviettes du placard.

— Tu l'as laissé tout seul sur le canapé !

— Il y est resté pendant que tu cuvais ! Une minute de plus ou de moins…

Simon déposa l’enfant sur la couverture qu'il avait installée sur la table. Les petites boucles brunes déjà formées du bébé entouraient ses grands yeux noirs aux longs cils soyeux. Son petit nez retroussé écartait ses narines à chaque éclat de rire. Simon releva ses manches, se mit théâtralement un foulard sur le nez et entreprit de le démailloter.

— Nom d’unch’ ! Un sale coup pour la fanfare ! On pourra pas l'appeler Maurice !

— Qu'est-ce qu'on décide alors ?

Simon s'approcha un peu de l’enfant et parmi d’autres, sentit cette odeur de rose qui le réconfortait toujours... Il plongea son regard dans le sien. L'enfant s'y accrocha si intensément que Simon eut une idée.

— Rose, on va l'appeler Rose.

Parce qu'il était comme ça Simon, il aimait les fleurs.

Chapitre 2Gabriel !

Rose était installée dans un panier à bûches à côté du lit de Simon et dormait paisiblement. Vers neuf heures du matin, comme à son habitude, Simon ouvrit un œil. Couché en travers du lit, la tête dans le vide, il chercha son cendrier et ses cigarettes. Dans un demi-sommeil, il se rappela la promesse qu'il avait faite à Violette. Pas de cigarette avant le petit-déjeuner. Le brouillard ne se dissipait pas. Il lui était arrivé quelque chose mais il n'arrivait pas vraiment à se rappeler quoi. Puis, il sentit qu'on s'agrippait à un de ses doigts. Une sensation très douce l'empêcha de sursauter. Un sentiment de plénitude l'envahit pour quelques secondes. Quelques secondes seulement. Puis soudain...

— Geubleugueubleu...

— Nom d’unch… Bonjour Rose ! dit-il en faisant semblant de ne pas être attendri. T'as compris qu'il ne faut pas embêter Simon avant sa première cibiche ! C'est déjà pas mal !

Simon se frotta le visage pour dissiper les nuages alcooliques qui l'entouraient encore. Il se hissa hors des couvertures et enfila pudiquement son pantalon. Il prit l’anse métallique du panier à bûches et sortit de la chambre. Cinq minutes après, il buvait un thé tout en commençant à entrevoir avec effroi la quantité de concessions que cette cohabitation imposée allait l’obliger à faire. Bébert avait laissé un mot. Bébert, plus exactement Albert de la Martinière. Un aristocrate déchu et déçu qui était devenu son meilleur ami, un jour... Comme ça. Parfois amoureux d'une femme, mais plus souvent d'un homme, Bébert « pragmatiste » émérite, avait abandonné son repassage pour faire des courses pour Rose. Il avait prévu d’y passer la journée et promettait à Simon de garder la petite à son retour. Mais la lecture de son message fut interrompue par la sonnerie du téléphone.

— Simon, viens vite nous voir, mon petit poulet, s’il te plaît ! Tout de suite, ne fais pas attendre ton Jacky, qui est mort de peur !

— Mais Jacky...

— Simon, viens, te diiiiiis-je !

— Ouinnnn !

— Nom d’unch’, elle a faim !

— Mais qui ça, ma poule ?

— Rose ! Pourquoi t'as pas appelé la Gandolle ?

— On verra ça quand tu seras là, ma caillette ! Viens vite, c'est une catastrophe, un grand malheur qui arrive à ton Jacky !

— J'arrive…

Assailli par les cris du bébé, Simon l’installa sur le canapé, coincé entre deux gros coussins et lui fit avaler son lait tant bien que mal. Incapable de la prendre dans ses bras, il avait choisi cette option comprenant que cela ne pourrait pas durer, même si Rose semblait y prendre plaisir. Il enfila un pantalon large à pinces et son veston en cuir noir, ses chaussures bicolores, gomina ses cheveux, dompta sa mèche pour quelques instants, mit son chapeau et s'engouffra dans la voiture.

Dans son panier en métal, emmitouflée dans ses couvertures et solidement attachée avec une vieille ceinture en cuir, Rose regardait Simon en lui souriant pendant que la voiture traversait les plaines humides du Loiret. Quelques vomis et onomatopées plus tard, elle s'endormit et ne rouvrit les yeux que quand le détective arrêta le moteur quelque part entre Montmartre et Pigalle, devant le célèbre cabaret de Jacky : l'Uranus.

Depuis plus d'un an maintenant, Simon avait pris ses marques dans ce lieu étrange, mais réconfortant pour qui ne jugeait pas ceux qui le fréquentaient. Tout n'était que folie et joie dans le couloir qui menait au bureau de Jacky. Des plumes multicolores ornaient les murs et les numéros en paillettes dorées des portes noires laquées des loges, brillaient sous la lumière accidentelle du soleil parisien. Simon frappa à la dernière porte au bout du couloir.

— Entre, ma caillette !

— Tu savais que c'était moi ?

— Je t'ai vu arriver, t'en as mis du temps ! Qu'est-ce que c'est que ce... panier à bûches ?

— C'est Rose. On me l'a donnée hier soir !

— Assieds-toi ! Tu me raconteras plus tard. Elle va dormir, ta fille ?

— C'est pas Ma fille !

— Elle va dormir quand même ? Simon, je suis pas spécialiste, mais il me semble qu'on ne met pas un bébé dans un panier à bûches, tu le sais ça ?

— Dans l'urgence, j'ai pris ce que je trouvais...

Jacky alla s'asseoir derrière un bureau si doré qu'il aurait dû appartenir à Louis XIV. Autour de lui, de grands miroirs encadrés d'or se renvoyaient leurs reflets en se jalousant. Les murs tapissés en rose fuchsia où flottaient une multitude d'angelots blancs comme neige, s'achevaient trois mètres plus haut pour rejoindre le plafond que des moulures abondantes retenaient. Un grand lustre de cristal, à pampilles, trop lourd, menaçait de tomber sur la tête de celui qui resterait trop longtemps dessous. Jugeant le danger imminent, Simon déplaça le panier de Rose. Au milieu de ce monde baroque inondé de lumière, une immense vitrine en palissandre, reflet de la splendeur désuète de l’Art nouveau, protégeait des statuettes grecques toutes plus indécentes les unes que les autres. Jacky, assis dans son immense fauteuil capitonné rouge, avait décidé de ne plus retenir ses larmes.

— C'est Gabriel.

— Quoi ! Gabriel ! dit Simon affolé.

— Il est dans la panade.

— Tu m'as fais peur ! J'ai cru qu'il était mort ou blessé !

Gabriel. Médecin, chirurgien réputé exerçant le jour à l'Hôtel-Dieu, était un chanteur et danseur uraniste le soir. Il brillait sous les projecteurs de l'Uranus dont il était la grande vedette le temps de quelques chansons. Dans le monde interlope de la nuit parisienne, il s'appelait Iris. À part Simon et les gens du cabaret, personne ne connaissait son identité nocturne. Parce qu’après tout, était-ce nécessaire ? Simon était lié à cet homme depuis plus d'un an, car il lui devait la vie3.

— Il n'est pas mort, mais ça va pas tarder. Ton Commissaire l'a arrêté hier ! Et dans six mois, si tu ne fais rien, il va être guillotiné ! Tu entends, Simon ? Faut que tu fasses quelque chose ! hurla Jacky qui faisait les cent pas dans le bureau.

— Jacky, si jamais Rose se met à pleurer, je ne sais pas comment faire pour la calmer ! Alors arrête de crier et ne prenons pas le risque. Raconte-moi tout, en détail.

Jacky se moucha fort dans son mouchoir en dentelle. Il se rassit et, pour ne pas le froisser, tira sur les plis de son pantalon beige, croisa les jambes, ajusta son veston bleu marine à double boutonnage et resserra son petit foulard orange.

— Ils sont venus l'arrêter hier soir.

— Le Commissaire a fait ça ?

— Tout concorde, d'après lui. La mort de sa femme et les cadavres que le Commissaire retrouve depuis quelque temps, déguisés, transformés et... mutilés.

— On leur coupe le petit Jésus ?

— Ben non ! Quelle horreur ! Pourquoi on leur ferait ça à ces pauvres gens ?

— Chais pas, c’est une idée qui m’est venue comme ça… En toute logique !

— Qu’est-ce que tu sous-entends, Simon ?

— Rien… continue, Jacky ! Nom d’unch’ !

— Tu sais que Gaby est marié ? Pour la forme, pas pour le... reste... Avec une bourgeoise de Neuilly…

— Et alors ?

— Eh bien, avant-hier, on l'a retrouvée morte. C'est bien fait pour cette méchante bonne femme. Une salope comme on en fait plus ! Tu sais ce qu’elle lui a fait un jour ?

— Jacky... ! Concentre-toi sur ton histoire !

— Donc on l'a retrouvée morte assassinée, déguisée et opérée, elle aussi !

— Opérée où ?

— J'en sais rien, demande au Commissaire !

— Et la Gandolle, il n’est pas sur l'affaire ?

— Si, mais il ne peut rien dire ! Tu sais bien...

— Pourquoi il ne m'a pas appelé avant ?

— Il a essayé de ralentir l'enquête et de faire des recherches de son côté. Ça faisait longtemps que le Commissaire avait Gaby dans le collimateur, de toute façon. La Gandolle n'a pas les épauuuuulllleeeees !

Jacky essuyait ses yeux et étalait le crayon khôl qu'il avait copieusement appliqué le matin même.

— Je vais au Quai, je te tiens au courant. Rose, viens, on se balance la tinette.

***

Une demi-heure après, Simon montait les escaliers interminables du 36, Quai des Orfèvres qui menaient au bureau du Commissaire. Le Divisionnaire avait jugé opportun de mettre les bureaux de la PJ sous les toits, prétextant que cela ne dérangerait pas les enquêteurs qui n'étaient jamais dans leur bureau de toute manière. Furieux, Simon entra sans frapper. Un sourire sardonique s'afficha sans retenue sur le visage du gradé. Sa grosse moustache frétillait pourtant d'angoisse au vu des ennuis annoncés par l’arrivée du détective.

— Canard, qu'est-ce que t'as fait à Gaby ?

— Je me doutais que t'allais débarquer, mais pas si tôt. Forcément. On ne touche pas à Gaby.

— Tu l'as arrêté pour le meurtre de sa légitime ?

— De sa légitime et des autres, Simon ! Crois-moi, j'ai pas eu le choix.

— Ça te ressemble pas de ne pas faire confiance aux copos ! Tu pouvais m'appeler, j'aurais enquêté en sourdine ! T'as avalé ta boîte à souvenirs ?

— Simon...

— Je sais que t'aimes pas que je mette mon tubard dans tes enquêtes, mais t'aurais pu rester poli et me prévenir qu'un de nos acolytes allait avoir des turpitudes !

— Simon...

— Sérieusement, tu crois que Gaby a dessoudé sa légitime ?

— Simon...

— Mais réponds-moi, nom d’unch’ ! Tu vas lui enlever les cabriolets et le relâcher tout de suite ! C'est un toubib, Canard ! S’il sauve des vies, c'est pas pour les reprendre après !

— SIMON !

— QUOI !

— Ça sent la confiture !

— Nom d’unch’ ! C'est Rose !

Simon ouvrit en grand les couvertures qui recouvraient la petite fille. Elle éclata de rire immédiatement. Elle fixa le détective avec tout l'amour de la terre et lui tendit les bras.

— Un drôle de nom pour une odeur pareille. C'est quoi ce mouflet ?

— J'en sais rien, on me l'a donnée hier...

— Simon, on ne donne pas un bébé, comme ça du jour au lendemain et surtout on ne le trimbale pas dans un panier pour le bois tout rouillé !

— Il est parfaitement adapté ce panier ! Y'a une anse pour le porter et il est très solide. Je vais breveter l'engin, c'est très pratique.

— Mais d'où y sort, ce moutard ?

— Je te dis qu'on me l'a donnée hier soir ! Et avec tes couillonneries sur Gaby j'ai pas eu le temps d'y réfléchir ! Tu vas relâcher Gaby, Commissaire, immédiatement !

— J'aimerais bien, mais je peux pas. Pour l’instant, il est en garde à vue, mais le Divisionnaire a demandé qu’il soit placé en préventive.

Simon s'installa près de la fenêtre qui donnait sur les toits, comme il le faisait toujours. Avec le temps, la marque de ses fesses s’était dessinée sur le rebord en plâtre et des petites rayures de cire noire que ses chaussures laissaient à chaque passage avaient teinté les plinthes de bois.

— Ça fait un mois que je cours après un malade qui déguise et qui recoud ses victimes après leur avoir greffé des morceaux d’animaux. On a retrouvé cinq cadavres, mutilés et plus que l’ombre d’eux-mêmes et si déguisés qu’ils en étaient ridicules. Toujours la même façon de procéder : Joséphine Lapaire, femme d'un notaire, avec des défenses de sanglier et des griffes de rapace, des canines immenses et des ailes dans le dos. Maryvonne Lanjoux, bonne à tout faire, avec une queue de lion et des ailes de rapace. Émile Dubois : facteur, avec des sabots de cheval, une crinière et une queue ; Hippolyte Lagnac, jardinier... plus de roustons, on a recousu la coupe, un estomac de ruminant dans le ventre, une queue de serpent et une crinière de lion. Et pour finir Adrienne Leprince, la femme de Gaby avec un groin et des oreilles de truie énormes, des sabots et quelques mamelons en plus.

— D'accord. Le rapport avec Gaby ?

— Les déguisements sont des costumes de scène et c’est un chirurgien ! Toutes les victimes sont des patients à lui ! Faut pas être sorti des Grandes Écoles pour déduire ! Et quand on a retrouvé sa femme... J'ai rien pu faire.

— On a des preuves, des empreintes, des vrais indices pour l'accuser ?

— On a retrouvé les corps près de l'Uranus. Gaby est le seul chirurgien que je connaisse qui passe son temps libre à se dandiner le jarret dans ce cabaret, déguisé et le museau poudré avec des paillettes !

— Y’a plein de cabarets avec des travestis dans Pigalle.

— Ils avaient tous rendez-vous avec lui à son cabinet, le jour de leur disparition. Et Maurice et Framboisier assurent que le travail de couture est digne d'un professionnel.

— Tu crois vraiment qu'il aurait noté les rendez-vous sur son agenda s’il avait l'intention de décaniller tout le monde ? Franchement, Commissaire ! Il est où la Gandolle d'abord ?

— Chez Huguette.

— Je vais le rejoindre. De toute façon, ça va être l'heure de la bectance ! Tu viens ?

— Dis-moi que tu ne vas pas te mêler de cette affaire…

— Je vais non seulement m'en mêler, mais je vais te prouver que Gaby n’a rien à voir dans cette histoire. C'est un coup dans le dos ça, Canard ! Je n'oublierai pas, je te préviens.

— Je l'ai coffré en espérant que notre homme recommence pendant qu'il est au trou, tu piges ?

— T’essayes de me mitonner, j’ai le tubard affûté pour ça...

— On va dire qu'après le coup de mon entrepôt qui a brûlé4 à cause de tes foutues cibiches, on est quitte ? Pars devant, je te rejoins.

— Y'a moyen de voir le dernier corps ?

— T’es une vraie bassinoire, Simon. Parfois, je rêve que je te serre la gargamelle et que tu respires plus et que j’accomplis ça moi-même et de mes propres mains et….

— Merci mon Canard, t'es un chef ! Oublie pas de prendre les rapports de Maurice !

— Balance-toi vite la tinette avant que je change d’avis ! Et n’oublie surtout pas ton… panier !

Parce qu’il était comme ça Simon, persuasif.

Chapitre 3Haute couture

Le Petit Canit d'Huguette. C'était son quartier général quand il avait une enquête sur Paris. Il avait sa chambre juste au-dessus du bar et des costumes dans l'armoire. La cuisine de Marcel, un ancien homme du Commissaire qui avait démissionné de la police parce qu'Huguette, « elle pouvait plus », était merveilleuse. On mangeait stéphanois chez Huguette. Originaire de Saint-Chamond, Huguette était grosse et fleurie de flanelle. Elle portait toujours un tablier bleu et un torchon sur les épaules pour essuyer ses verres. Elle appelait Simon le Mâtru et lui parlait en gaga5. Il adorait ça, Simon. Elle vendait ses cigarettes derrière sa caisse en menant son monde à la baguette. Elle était très autoritaire, Huguette. Et son restaurant était propre. Très propre. À chaque fois qu’il passait la porte, Simon avait l’impression de retourner au pays. Et aujourd’hui ce retour aux sources allait être salutaire, car Violette lui manquait, Rose l’effrayait et Gaby l’inquiétait.

Qu'est-ce que tu fais avec ce panier, mon Mâtru !

Huguette lui tendait les bras pour l’embrasser mais Simon prit le temps de poser le panier de Rose sur le bar avant d'entrer en collision avec les gros seins de la Couramiaude.

— On me l'a donné hier soir, du coup je suis obligé de me balader avec.

— Viens donc me faire un bâ. Si tu es là, c’est que t'es sur l’affaire ce pauvre Gaby, c'est la Gandolle qui m'a tout dit.

— Il est là ?

— Derrière. Il a le bâbau, il a pas fini ses éclairs au chocolat. Mais qu'est-ce t'as donc dans ce panier, mon Mâtru ?

— Une Mâtrue...

— Ben, d'où qu’elle sort ?

— Sais pas, on me l'a donnée hier soir.

— T'as donc été courir la patentaine pour nous ramener un rejeton ?

— Ça fait un an, un mois, deux semaines, trois jours, 12 heures et 4 minutes que ça m'est pas arrivé.

— T'attends Violette ? T'es quand même bazeuil avec cette histoire d’abstinence... Té, bosseigne, elle est bien jolie, va. Tu l'as bien réussie.

— Elle est pas à moi !

— C'est qui cette jargille qui abandonne son mâtru à un inconnu ? Tu dois ben la connaître, tout de même !

— Ben y'a pas quinze solutions, Huguette, y’en a deux qui me foutent la neueue rien que d'y penser. Mais la plus probable, c'est que Rose, elle est pas de moi, mais qu'on me l'a donnée pour l’aider. Et c'est une idée de con parce que je suis aussi doué avec les mouflets qu'une putain pour faire ses Pâques !

— Pas bête l'idée du panier à bûches !

— Ah ! Mon Huguette t'es ben la seule qui me comprend dans ce bas monde ! Faut que je change la petite. Tu sais y faire, Huguette ? Ça me donnerait bien la main !

— Mon mâtru, la marmaille et moi, on s’est jamais trouvées, « Huguette, t’as trop de caractère pour élever des mouflots », qu’elle disait la mère, « Pour un peu que tu nous fasses des gars, c’est un coup à nous faire une génération qui donne de la chouette, alors pas la peine de t’y essayer, ça te réussira pas. » Et moi j’ai toujours écouté les conseils de l’ancêtre et c’est pas maintenant qu’elle est au champ du repos que je vais faillir. Je te mets les barabans au chaud avec le plat du jour et un canon ?

— Pour le Commissaire aussi, il arrive !

Une demi-heure après, Simon redescendait avec Rose, propre, inodore et ravie. Il avait gagné la bataille qu'il avait livrée avec ses langes et avait d'un commun accord avec lui-même, décidé de les jeter et de ne pas les laver. Il trouva la Gandolle, assis devant un reste de meringue et d'éclair au chocolat, presque écœuré, ce qui n’arrivait jamais. Congédié de toutes les écoles de cuisines parce qu'il mangeait tout ce qui contenait du sucre dans les réserves, La Gandolle, indigne neveu du Divisionnaire et imposé par sa mère, à la brigade, était dans les pattes du Commissaire depuis trois ans. Le jeune homme long et svelte malgré la quantité énorme de sucre et de graisse qu'il ingurgitait chaque jour, exerçait avec le sourire ce métier de Policier qu'il n'avait pas choisi et parfois, se surprenant lui-même, trouvait quelques solutions. Il n’avait pas inventé la poudre « mais avait sa petite utilité quand même, rapport à son immunité » précisait le Commissaire.

— Chef, y vous a dit, Jacky ? Je peux pas en parler devant le Commissaire, il ne comprendrait pas... C'est quoi ça dans le panier ?

— C'est Rose.

— Elle est mignonne. C'est pas bête l'idée du panier...

— Je sais.

— Elle vous ressemble.

— La Gandolle, au lieu de me jeter des imbécillités à la poire, dis-moi ce que tu sais.

— Gaby, il est bien content de s'être débarrassé de sa légitime, mais c'est pas lui qu'a fait le coup. Autant vous le dire tout de suite, Chef, ce soir-là, il était avec moi. On faisait du sexe, Chef... Forcément, je peux pas le dire au Commissaire, comprenez ?

— Y'a pas d'invertis dans la Police... Donc il n'a pas d'alibi aux yeux du Commissaire.

— C'était les jours de fermeture du cabaret. On n’a pas joué pendant trois soirs. On est parti tout ce temps-là s'aérer à la campagne, lui et moi. Sa femme était en cure, on était peinard, voyez ?

— Faut demander à Jacky de dire qu’il était avec Gaby à ta place ou alors faut que t'assumes.

— Pas question d'assumer, ma daronne, ça la tuerait.

— Gaby a eu des problèmes avec les gens du cabaret ou peut-être avec Nénette, ils ne s'entendent plus tous les deux.

— Pas plus que d'habitude. Vous allez le voir ?

— Tout à l'heure.

— Et les cadavres, vous les avez vus ?

— Pas encore.

— C'est pas commun. D'après le Commissaire, le mec qui fait ça, c'est un as du bistouri et un champion du travestissement...

— Tu finis pas tes éclairs ?

— J'ai pas le cœur.

— Et tes meringues ?

— Non plus.

— Je peux en donner à Rose ?

— Elle a quel âge pour manger ça ?

— Sais pas... J'essaye, on verra bien. Tu dis plus tes mots de vocabulaire après chaque phrase ? T'étudies plus ton Petit Robert ?

(Depuis plus d'un an, la Gandolle avait pris l'habitude de terminer certaines phrases avec trois adjectifs, parfois quatre quand il en trouvait un de plus, qu'il jugeait être un bon condensé de la situation. À force d’entendre qu’il n’avait pas inventé la poudre, il avait décidé de s'instruire un minimum. Ce petit rituel qui agaçait copieusement le Commissaire était devenu presque nécessaire aux résolutions des enquêtes de Simon, car la Gandolle, sans le savoir, résumait si bien les faits que parfois tout s'éclairait dans la tête de Simon. Enfin une fois sur cent seulement, mais c'était déjà pas mal.)

— Non.

— La Gandolle, dis-moi trois adjectifs, fais un effort ! Neurasthénique, élégiaque, désespéré... Affligé... Trousse-pet...

— Il est comme ça depuis deux jours ! La Gandolle, Nom de Diou de bouse, fais un effort ! cria le Commissaire qui venait d'arriver. Tu commences à me courir sur les osselets !

— Ouinnnn !

— Ben voilà ! Tu lui as fait peur !

— Fallait pas venir avec ! C'est pas la place d'un successeur ici ! Mets-la dans une chambre là-haut pendant qu'on ripaille, qu'on puisse pousser quelques gueulantes tranquilles !

— Si je la mets juste là dans la réserve et laissant la porte entre-ouverte, ça t'irait ? dit gentiment Marcel qui arrivait avec son plateau. Et tu pourras fumer tes cigarettes en plus !

C’était l’argument qu’il fallait trouver pour convaincre le détective.

— Comprenez que si je dois la rendre, faut qu’elle soit entière, et que je ne la perde pas.

— T'as fini de pouponner, grand benêt ! s'énerva le Commissaire

— Achille, mon canard, mon Commissaire, ne me mets pas de travers, c’est pas le jour.

— J’ai des copies des rapports pour que tu puisses les emmener chez toi et les lire avec Bébert. On a rendez-vous avec Maurice et Framboisier dans une heure.

— Depuis le temps que ça dure, ton histoire d'animaux et de déguisement, pourquoi j'ai rien su ?

— Je ne voulais pas que tu ramènes ton pétrus trop tôt ! On a réussi à étouffer l'affaire, t'imagines l'affolement général que ça provoquerait si ça se savait ?

— C'est pas Gaby. Il a un alibi. Je peux pas te dire lequel, mais fais-moi confiance.

— Si Gaby a un alibi, il faut qu'il le dise !

— Y peut pas. Y protège quelqu'un.

— Quand il en aura marre de la bectance qu'on sert au gnouf et des rongeurs dans son paddock, il parlera peut-être !

— On les a retrouvés où, tes macchabées ?

— Dans des ruelles, derrière des poubelles, tous dans les alentours de l’Uranus.

— Tout frais recousus ou un peu périmés ?

— Périmés pour la plupart.

— Mort avant les coutures ou après ?

— Framboisier hésite pour certains.

— T'imagines te réveiller la nouille en moins ?

— Simon, c’est pas le moment de faire de l’humour. D'abord pourquoi tu renâcles pas, toi, aujourd'hui ? Avec ton mouflet tout neuf, tombé du ciel ? Normalement, tu devrais être au fond du trou, en train de piauler et de cuver ! Et au lieu de ça, t'as une tronche de réjoui !

— M'en fous, je vais la rendre. Elle est pas à moi.

— Elle est pas à toi ? T'as vu sa bobine ? C’est toi en mignardise.

— Revenons à nos cadavres... Rien qui les relie entre eux à part qu'ils étaient tous les patients de Gabriel et un peu travestis ? Tu n'as qu'une seule piste et c'est Gaby ?

— Et le Divisionnaire, veut le faire inculper le plus tôt possible.

— Gagne du temps, Commissaire, au moins trois jours... Envoie la Gandolle ! Qu’il aille faire un peu de chantage au suicide à sa daronne, comme y fait d’habitude quand on a besoin d’une faveur du Divisionnaire ! Ça serait pas la première fois, tout de même !

— Enlève-toi ça de la bobèche !

***

Une heure après, les trois hommes rejoignaient les locaux de la scientifique et de la morgue. Simon détestait ces lieux aux odeurs de la mort. Le bleu de méthylène mélangé à la peinture blanche qui recouvrait sur un tiers des murs abîmés par les chariots que les médecins légistes traînaient, avait rendu son tablier. Les conduites d’eau étaient rouillées et avaient engendré un suc rouge de rouille qui se répandait sur les cloisons. Tout cela contribuait au délabrement des lieux en parachevant l'œuvre lugubre et sordide de l'architecte illuminé qui avait refait la décoration. L'odeur d'éther, mélangée à des effluves d'égouts et de décomposition, planait dans l'air comme des âmes au-dessus du néant. Simon y entra, inquiet. Il avait laissé Rose à Huguette, terrorisée par son rôle de nourrice et à l’idée de désobéir à sa défunte mère.

— Tiens, il est revenu, lui ! lança le Docteur Framboisier en voyant entrer Simon. Je me disais bien aussi que c'était étonnant que le Commissaire demande à voir le cadavre encore une fois.

— Bonjour, Framboisier, content de te revoir !

— C'est pas tout à fait réciproque, m'enfin... Bonjour Simon.

—T'es aussi mal luné que Maurice, la dernière fois que je l'ai vu ! C'est une contamination ?

— C’est-à-dire qu'à chaque fois que tu apparais, on a une flopée de pages d’archives à recopier qui nous tombe sur la bobine en même temps qu’une guigne acharnée, alors, faut pas nous en vouloir si on n’est pas au comble de la félicité quand on voit ta mouille qui se pointe !

— Tu leur as fait recopier des archives la dernière fois, Commissaire ?

— On a fait un bond de 700 pages d’un coup !

— C'est pavlovien ton histoire ! C'est normal qu’ils fassent la tronche quand j'arrive !

Le médecin légiste, sortit de son bureau pour s'engouffrer dans la pièce attenante qui lui servait de laboratoire. Le corps les attendait, verdâtre et suintant, recouvert d'un drap bleu.

— T'as le cœur accroché, Simon ?

— Non...

— Tant mieux.

Framboisier tira sur le drap et la victime apparut. Bleue, pourrie, longue et fine, défigurée et laide.

— On voit presque pas les coutures ! dit Simon, un mouchoir sur le nez, une pastille de menthe dans la bouche et une cigarette coincée entre ses lèvres.

— De la bonne chirurgie comme on en fait peu. À en juger par le début de cicatrisation de certaines blessures et l'expression de la victime, je pense qu'elle s'est réveillée et qu'elle s'est vue dans la glace.

— Un sale coup pour la fanfare ! Alors notre meurtrier s’amuse à coudre les déguisements sur le corps de ses victimes et à leur greffer des morceaux d’animaux ? Il ne se contente pas que de les habiller…

— Il ne coud pas tout… ça dépend de ses humeurs, j’ai l’impression. Suis pas sûr à cent pour cent, mais je dirais qu'elle est morte quarante-huit heures après ses opérations.

— Vous me l'aviez pas dit, ça, hier ! grogna le Commissaire.

— Vous m'avez demandé la cause de la mort seulement !

— Et vous m'avez répondu un arrêt cardiaque, mais vous m'aviez pas dit le reste !

— Maintenant, je vous le dis. Elle n’aurait pas survécu de toute façon...

— Tant mieux pour elle ! Z'avez vu sa terrine !

— On l'a identifiée de façon certaine ? demanda Simon.

— Son mari n'est pas venu, comme tu t'en doutes, puisqu'il est accusé, ajouta Framboisier. Difficile de faire venir les proches pour procéder à une identification dans cette situation, mais son frère est quand même passé, il a renardé pendant dix minutes, pleuré trois quarts d'heure et au final, il l'a reconnue. De toute façon, c'était ses habits, même couleur de cheveux, mêmes mensurations et son alliance, sa bague de fiançailles et sa médaille de baptême étaient dans une de ses poches. 52 ans, 63 kilos, 1,67 m.

— Ça lui fait combien de paire de nichons ça ?

— Sept paires.

— Eh ben, mes aïeux ! Que demander de mieux ! Des traces de lutte ?

— Toutes les plaies qui ont commencé à cicatriser, sont pour la plupart, dues à des blessures défensives. Son dentiste nous a transmis son dossier dentaire, c’est une idée à moi ça, d’ailleurs… Bref, on a une dent qui correspond. Elle était cariée. Le reste est broyé. Mais on peut confirmer à 99 % que c'est elle. On l’a retrouvée rue de la Bonne dans le parc de la Turlure. C'est une hirondelle qu'est tombée dessus pendant une de ses tournées.

— Et les autres victimes ?

— Y'en a qu'un qui a pas pu se réveiller, c'est le jardinier. Ben oui, on greffe pas des estomacs de ruminant comme ça. On sait pas faire les greffes de toute façon... C'est crétin ce que je dis. Y'a des phénomènes de rejets qu'on gère pas ! Un chirurgien le sait.

— C’est bien pour ça que je vous dis que ce n’est pas Gaby !

— Les autres sont morts après. Suis affirmatif. La femme du notaire a fait un arrêt cardiaque aussi, la femme de ménage une septicémie. Idem pour le facteur, à cause de la greffe de la queue.

— Mais j'ai cru que c'était un fin limier du bistouri et de l'aiguille, notre meurtrier !

— Un vrai professionnel, d'ailleurs, je comprends pas pourquoi il a essayé sur chaque victime de tout recoudre ensemble. Ça pouvait pas fonctionner, c’est crétin ! On voit bien là... (Framboisier montra une suture avec son crayon) que les chairs ne se sont pas reconnues... M'enfin je suppose que c'est un expérimentateur, un amoureux du détail, un aventurier. Bon, barrez-vous maintenant j'ai une autopsie à faire. Maurice vous attend, alors inutile de vous perdre en politesse, puisque je m'en tamponne.

Ils montèrent les escaliers qui menaient au labo de la scientifique. Simon, pour s'oxygéner un peu, alluma une autre cigarette, seul remède efficace qu'il connaissait contre l'envie de vomir. Heureusement, chez Maurice, c'était bien plus respirable.

— Maurice ! T'es où, Nom de Diou de bouse ! cria le Commissaire

— Sous ma paillasse, j'ai paumé mon crayon !

— Et si j'étais venu avec un ponte, t'aurais eu l'air de quoi, le pétrus en l'air ?

— D'un mec qu'a échappé son crayon par terre...

— Ça se voit que la Gandolle va pas bien en ce moment, ça sent plus le bœuf Bourguignon ici, ni l'ail, ni les meringues. D'habitude y'a des effluves de cantinier, et là... rien, conclut le Commissaire.

— J'ai arrêté l'ail depuis longtemps maintenant, Chef. Je trouillotais trop du goulot !

— T'es amoureux, c'est pour ça ? C’est un problème de fouetter du bec devant une bergère ! Elle t'a laissé tomber ta petite et du coup t’a freiné sur la bectance parce que t’as la boîte à émotion en dérangement ! J'ai le pif pour ce genre de chose, moi !

— On s'occupe de la vie sexuelle de la Gandolle et de ses problèmes de goulot ou de mon rapport ? Faites une fixette sur lui depuis deux ans, je vous le signale ! T'es là, Simon ! C'est bien... ça faisait longtemps...

— Merci pour ton accueil, Maurice. Toi aussi, t'as recopié des archives depuis la dernière fois que je suis venu ?

— Quatre cents pages. Mais je les méritais...

— Je sais, coupa Simon. Alors tes prélèvements ?

— On a trouvé des paillettes et des traces de maquillage de scène sur son visage, comme pour les autres. Y'avait de la boue sur sa robe et ses chaussures. C'était un mélange de nourriture pour les bestiaux, de terre, d'urine animale et de paille.

— Elle aurait marché dans la cour d'une ferme ?

— Peut-être. Mais y'avait aussi des petits grains de calcaire et de quartz.

— Du sable ? demanda Simon.

— Peut-être ! On a arrangé la robe pour faire rentrer tous ses nichons à l’intérieur... M'enfin ça veut rien dire, toutes les bourgeoises savent coudre.

— Et les mecs qui fabriquent leurs costumes de travestis aussi, non ?

— Commissaire, ne commence pas avec tes allusions ! Des empreintes sur les bijoux ?

— Les siennes. Elle était fichée car elle était infirmière pendant la guerre. Un ange blanc...

— La quatrième armée… De braves femmes, fit remarquer le Commissaire.

— C'était quand même devenu une sacrée foutue salope avec le temps ! ajouta la Gandolle.

— Première nouvelle ! D'un coup tu nous envoies ça dans la bobine ! D'où tu tiens ça d'abord ?

— C'est Jacky qui me l'a dit.

— Jacky ? Mais tu l'as vu quand, Jacky ?

— Je vais appeler Germaine6, à l'Hôtel-Dieu, elle la connaissait certainement, coupa Simon pour venir en aide à la Gandolle. Quoi d'autre, Maurice ?

— Rien. Faut laisser le temps aux choses…

— De toute façon, je me balance la tinette, Rose m'attend.

— Tu vas pas commencer à nous faire une pendule de gamberge avec ce moutard, Simon ! Faut qu’on puisse boulonner tranquille nous !

— Faudrait peut-être que je lui donne un bain, un truc du genre, non ?

— Mais t’es en train de tourner comme un vieux pinard éventé !

— Je peux voir Gaby avant de rentrer chez moi ? Je vais chercher Rose et on y va.

— Non, tu n'emmènes pas Rose dans les locaux de garde à vue !

— Tu peux faire monter Gaby dans ton bureau alors ?

— Pourquoi je cède toujours ?

— Parce que je suis bon et que tu le sais. Je te rejoins dans trente minutes.

Simon courait dans la rue sans se retourner. Sa cicatrice le grattait et lui annonçait une enquête difficile. Mais il n'écoutait plus les signes. Il n'était pas tranquille. Il voulait voir Rose. Il lui semblait qu'elle pleurait.

Quand il arriva au restaurant, elle dormait paisiblement sous l’œil hagard d’Huguette. Décidément il n’avait pas l’instinct paternel, c’était bien la preuve que Rose n’était pas sa fille.

Parce qu'il était comme ça Simon, rassuré.

Chapitre 4L’Affaire du bestiaire

En attendant Gaby, Simon faisait les cent pas dans le bureau du Commissaire, et observait Rose, du coin de l'œil. Elle ne le lâchait pas des yeux et lui souriait. Au final, c'était assez agréable de se sentir indispensable. L’avantage c’est qu'elle ne savait pas parler et donc ne pouvait pas le contredire comme le font, par principe, les autres femmes. Simon décida de la classer temporairement dans le dossier des « séraphiques » qui, jusqu'à présent, était resté presque vide. Le dossier des « emmerdeuses » par contre, était largement rempli notamment par l'énorme personnalité de sa mère et celle de quelques conquêtes imbéciles. Toutes avaient largement contribué au développement de son machisme voire de sa misogynie aiguë. Seules Violette et Augustine étaient jusqu'à présent les exceptions qui confirmaient la règle et Simon était content d'y ajouter Rose.