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Extrait : "Elle n'était pas ce qu'on appelle une vertu. On excusait volontiers ses chutes, parce qu'elles provenaient d'une bonté d'âme excessive. Anna, faire de la peine à quelqu'un ! Son cœur en eût longtemps saigné. Elle se donnait pour le plaisir de faire un heureux, en amie, et les camarades qui le savaient abusaient de sa charité. Parmi les jeunes gens qui la fréquentaient, Clodion était le seul qui n'eût pas frappé à sa porte."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Seitenzahl: 140
Veröffentlichungsjahr: 2016
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DESSINS DE
George Auriol, Bombled, Caran d’Ache, Fernand Fau, Napo, François Godefroy, Meerwart, Midsouno, Henri Pille, Richemont, Henri Rivière, Rod. Salis, Henry Somm, Steinlen, Uzés et Willette.
À Fernand Fau.
Elle n’était pas ce qu’on appelle une vertu.
On excusait volontiers ses chutes, parce qu’elles provenaient d’une bonté d’âme excessive. Anna, faire de la peine à quelqu’un ! Son cœur en eût longtemps saigné.
Elle se donnait pour le plaisir de faire un heureux, en amie, et les camarades qui le savaient abusaient de sa charité.
Parmi les jeunes gens qui la fréquentaient, Clodion était le seul qui n’eût pas frappé à sa porte.
Très distrait, ce grand gaillard, sculpteur de son état et flâneur par principes, n’avait jamais remarqué qu’Anna fût séduisante, sinon jolie.
Haute comme rien, elle était admirablement faite.
Sous les frisons châtains qui ombraient son front, les yeux un peu ronds, limpides, accusaient une candeur et une effronterie charmante qu’accentuaient le retroussis d’un nez délicat et la lippe des lèvres épaisses, très rouges. Elle était fière de ses mains minuscules et de la désinvolture avec laquelle en trottinant sous la pluie elle relevait ses jupes pour découvrir une cheville ténue, et le bas de sa jambe d’une élégance grêle.
Lui la traitait en bon garçon. Instinctivement, elle s’était prise d’une grande estime pour ce caractère un peu grave. Elle l’écoutait parler comme un oracle, et, coquette avec tous ceux qui l’approchaient, observait vis-à-vis de lui une stricte réserve. Elle eût été très étonnée, choquée peut-être qu’il lui parlât autrement qu’en ami, bien qu’elle pensât souvent à lui, lorsqu’elle se trouvait avec les autres.
Un matin de mai, Clodion descendait la rue des Martyrs, toute enluminée sous le clair soleil du printemps, et il rêvait très profondément sans savoir à quoi.
Voici qu’il aperçut, venant à lui, Anna, rose et joyeuse de la beauté du ciel et de l’ensoleillement des rues. Il l’avait reconnue, rien qu’à sa manière de marcher saccadée et vive. Ils se serrèrent les mains, et comme il l’examinait, étonné de la transparence de sa chair et du velouté de ses yeux, elle lui prit le bras avec un joli sourire qui montrait ses quenottes d’un blanc-bleu.
Ils se promenèrent à petits pas, s’arrêtant de temps en temps, pour se regarder dans les yeux avec une jouissance si imprévue et si subtile qu’ils en devenaient tous les deux pâles. Très amoureux, très bêtes, se contemplant comme s’ils ne se fussent jamais vus, ne trouvant rien à se dire, sinon qu’il faisait beau et que c’était bon de se promener comme çà ensemble. Elle gardait sur les lèvres un sourire exquis, indéfinissable, comme si elle eût souri à quelque songe intérieur très indécis et très doux.
Et lui, effaré des désirs fous qui lui venaient de baiser cette bouche fraîche qui s’offrait, grisé de cette intimité si jeune et si naïve, s’arrêta soudain, l’enveloppa d’un regard éperdu, et comme inquiète, elle lui demandait :
– Qu’est-ce donc ? Tu as l’air toute chose.
Il balbutia une excuse niaise de la quitter si vite, lui serra les mains à la faire crier, et s’en alla très raide, comme s’il eût redouté, en tournant la tête, d’apercevoir encore la petite femme qui était restée immobile au bord du trottoir, le cœur gros, avec une désolation sincère qui lui mettait des larmes dans les yeux.
Ils sont toujours, comme par le passé, de bons amis.
Elle n’aurait qu’une allusion à faire, un regret à formuler, pour qu’il devînt son amant : car, il s’est souvent reproché de ne pas l’avoir prise à l’heure où c’eût été divin de la posséder. Mais avec son instinct de femme et son expérience de fille, Anna craint que leur première nuit ne déflore le seul souvenir d’amour vrai qui lui parfume le cœur.
Elle se sera donnée à tous ceux qui l’ont désirée, sauf à l’homme qu’elle aime.
À Rodolphe Salis.
Effrayée lorsqu’elle entendit la clef grincer dans la serrure, elle reprit, dès que son amant fut entré, toute son assurance.
Lui avait pâli en l’apercevant couchée dans le lit, les bras encadrant le visage, l’œil hardi, la physionomie impénétrablement froide.
Il y eut un silence. Puis, brusquement, d’une voix que la colère étranglait, il l’interpella.
– D’où viens-tu ?
Elle ne répondit pas.
Depuis deux ans qu’ils vivaient ensemble, elle s’était montrée d’une fidélité impeccable. La veille, à la suite d’une querelle vive, elle était partie. Vainement il l’avait attendue jusqu’au matin.
Tandis qu’il se répandait en reproches où pleuraient à travers les invectives les attendrissements doux des amours trompées, forte de la ténacité de cette affection qu’elle ne partageait plus, elle le fixait de ses yeux clairs dont la froideur inaccoutumée donnait à sa tête mutine une expression d’ironie exaspérante. À dessein, elle s’immobilisait dans une pose qui la rendait irrésistible, les cheveux noir-bleu inondant les épaules et le haut de la poitrine ronde de l’embonpoint ferme des femmes petites et grasses. La chemise à gorgerette complaisante laissait voir entre les dentelles la pointe rose des seins. Toute jolie ainsi de la séduction fleurante de sa chair !
Vaincu par ce mutisme provocant, il arpentait fiévreusement la chambre, n’osant contempler la femme aimée si dédaigneuse et si belle ; et des envies lui venaient de la tuer pour qu’elle ne fût pas à un autre.
Résolu à un dernier effort, il s’assit à son chevet.
– Écoute. Si tu m’aimes, pourquoi m’as-tu trompé ? Si c’est fini entre nous, pourquoi revenir ? Dis-moi franchement la vérité, quelle qu’elle soit.
D’un air ennuyé, elle étouffa un bâillement. Alors il s’emporta jusqu’à la menacer. Cette fois, elle desserra les dents.
– Si tu me frappes, je m’en vais.
Il se jeta devant la porte, désespéré. Les paupières mi-closes, elle le regardait, à travers le voile des cils, s’apaiser progressivement. Une minute, elle avait craint pour sa vie. Très abattu, il s’était laissé tomber sur une chaise, et, la tête dans ses mains, il s’amollissait au souvenir des bonnes félicités de la vie à deux. Peut-être, par une sympathie étrange, y songea-t-elle à son tour, car une pitié tendre l’envahit. Elle se leva, vint à lui, et comme elle lui glissait les bras autour du cou, elle vit qu’il pleurait.
Alors, sincèrement émue, elle le baisa à pleine bouche ; et comme affolé de ce revirement soudain, il cherchait encore à la confesser, elle l’entraîna dans l’alcôve sous cette condition qu’il ne l’interrogerait plus.
Dans la surprise de ce dénouement qui lui laissait au cœur l’amertume du doute, il s’irritait d’avoir été si débonnaire. Elle, très joyeuse maintenant, riait et chantait comme une fauvette ivre de soleil et de rosée. Tout d’un coup, elle s’assombrit.
– Méchant ! qu’as-tu fait de mon éventail ?
– Je l’ai brisé. Au reste, ce n’est pas une perte.
– Si, j’y tenais beaucoup. Tu me l’as donné le soir de notre nuit de noces.
Et elle fondit en larmes. Pour la consoler, il se mit à chercher l’éventail qu’il avait, la veille, jeté sous un meuble dans un moment de colère. Et lorsqu’il l’eut retrouvé elle eut une joie d’enfant, et les baisers claquèrent plus sonores sur leurs lèvres enamourées.
Le lendemain, quand il rentra de son travail, le logis était vide. L’oiseau s’était à nouveau envolé de sa cage, – cette fois pour toujours.
Désireuse de garder un souvenir de son premier amour, elle était revenue chercher l’éventail.
À Jules Jouy.
De sa fenêtre, Jacques la regardait trottiner, rapide, sans détourner la tête, dans la petite rue déserte où s’abritait leur premier rendez-vous. Une tristesse subite envahissait le jeune homme. Pourtant, la chambre d’hôtel sombre et nue avait perdu de sa banalité. Des parfums très grisants fleuraient dans les vieilles tentures fanées et les baisers de la femme aimée chantaient encore au fond de l’alcôve, au-dessus des draps en désordre.
Il n’avait jamais cru qu’elle voulût se donner. Timidement il l’avait, des années, enveloppée d’une tendresse discrète, lentement pénétrante. Et, sans s’apercevoir que son amour s’infiltrait goutte à goutte dans ce cœur de puritaine fidèle à ses devoirs, il lui avait voué, comme à une madone en sa châsse, une adoration grave et respectueuse.
Un soir, il la trouva seule, tout en larmes. Son mari la trompait si indignement que sa chasteté d’honnête femme outragée n’avait plus de pardon pour l’époux. Sa vie calme et droite à jamais brisée, une grande rancœur lui était venue en l’âme d’avoir, dédaigneuse du bonheur que Jacques lui offrait, gaspillé les trésors de sa jeunesse dans la couche d’un misérable. À ce déchirement de sa félicité passée, une envie puissante la hantait de se tailler un bonheur nouveau, à côté de l’autre, dans la tendresse de ce beau garçon qu’elle aimait depuis si longtemps à son insu. Et comme elle se résolvait à être enfin à lui, voici qu’une pieuse estime avait peu à peu remplacé en Jacques l’ancienne passion. Il ne conservait de cette idylle déflorée qu’un souvenir très doux, sans remords, sans désirs.
Elle ne comprit pas qu’elle avait trop attendu, qu’en face de son amour naissant agonisait l’amour de Jacques, et que leurs âmes ne se rencontreraient plus. Franche, elle avoua sa passion sans réticences, s’offrant avec des aspirations si naïves qu’elles galvanisèrent un instant les rêves de volupté morts au cœur de l’amant. Il fut sincère en la prenant, s’imaginant qu’il retrouverait auprès d’elle assez d’affection pour la rendre longtemps heureuse.
À peine sortait-elle de ses bras, alors que les affolements des premières étreintes eussent dû le laisser extasié dans cet engourdissement plein de frissons qui succède aux spasmes exaspérés, il sentit que la possession ayant en lui tué l’estime, il n’avait plus pour cette femme qui allait l’idolâtrer que le souvenir de l’avoir profondément chérie. Certes, il savait le prix de cette bonne fortune que tant d’autres lui eussent enviée.
Mais de la captation lente de l’un par l’autre devait résulter autre chose qu’une liaison vulgaire formée et dénouée sans raison.
Une faiblesse lâche, la honte d’un aveu si délicat lui firent fermer les yeux au bord de l’abîme où ils se précipitaient. Et insouciamment, parmi les serments et les baisers, ils s’en allèrent vers la désespérance et la mort.
Leur lune de miel dura trois mois. Puis ce furent, comme d’usage, des froissements à propos de rien qui dégénérèrent en fâcheries, en querelles, en amertume. Dans une dernière altercation, il s’emporta jusqu’à lui manquer de respect.
Alors, elle comprit.
Le coup fut terrible pour elle, mais elle avait assez souffert de la trahison du mari pour ne pas se montrer vaillante devant l’indifférence de l’amant.
Elle se reprit tout entière, et cette fois pour la vie.
Ce brusque renoncement aux joies rêvées, l’attitude hautaine de la jeune femme dessillèrent les yeux de Jacques. Il vit comment et pourquoi elle s’était si facilement rendue et une âpre désolation l’étreignit de n’avoir pas deviné ce qu’il restait de sentimentalités inassouvies dans le cœur de cette épouse trompée qui eût été pour lui une si exquise maîtresse.
Il mit tout en œuvre pour la reconquérir.
Mais elle s’obstina dans une implacable cruauté.
Il parvint à forcer sa porte, et comme, roulé à ses pieds, il menaçait de se tuer, elle l’écrasa d’un regard si glacialement dédaigneux qu’il s’enfuit, anéanti sous le mépris des chers yeux aimés.
Depuis deux ans elle n’entendait plus parler de lui. Les journaux lui apprirent que Jacques était mort en héros, devant Tuyen-Quan.
Elle a pris le deuil, et calme, un peu pâlie peut-être, elle s’éteint dans l’effroyable vision d’un éternel bonheur entrevu, – insaisi.
À Philippe Gille.
C’est une histoire très logique.
Lorsque Jeanne revint au bercail, joyeuse d’avoir enfin quitté le vieux couvent de province où s’étiolait la grâce de ses seize ans, son père, riche négociant d’un esprit très borné, eut avec son épouse un grave conciliabule dans lequel il fut décidé que, vu la grande jeunesse de la demoiselle, il convenait de la tenir longtemps encore à l’écart des plaisirs mondains. Le décret fut signifié à l’intéressée qui se résigna, non sans rancœur.
D’une gracilité un peu gauche, trop svelte, mais quand même jolie de la mélancolie douce de ses longs yeux sombres, troublants non moins que son sourire, – aurore printanière, Jeanne causait peu, rêvait davantage, s’ennuyait jusqu’à regretter la monotone claustration, les veilles dans l’inconnu, l’enlinceulement extatique de l’internat. Elle s’était réfugiée dans sa chambrette, n’en sortait que pour les repas, brodait sans relâche près de la croisée où, – muettes et tendres confidentes, lumière dans sa nuit, – quelques fleurs souriaient à la solitude désolée de la rue ; hortensias aux roseurs pâles, héliotropes éternellement amoureux du soleil, clématites, cadre délicat à la virginale beauté.
Or, chaque matin, à la même heure, un refrain banal aux lèvres, passait devant la fenêtre un garçon boucher. Sa chanson sifflée sur un rythme canaille, détonnait en notes criardes dans l’apaisement d’alentour. La musique était piteuse, le chanteur insignifiant, mais, par son immuable régularité l’arrivée de cet individu quelconque prenait les proportions d’un évènement normalement indispensable au programme de la journée.
Dans l’état d’esprit où se trouvait Jeanne, – sa résolution bien arrêtée de vivre en elle-même – le retour exact, quotidien de cette vision (annihilée si elle se fut manifestée fortuitement ou en des occurrences diverses), par sa précision devenait l’obsession peu à peu triomphante, la réponse à une phase spéciale dans le cycle du temps vécu. C’était pour cette cloîtrée une anomalie dominatrice, la sensation dangereuse, inexplicable, forcément désirée à son heure, dont la ponctuelle continuité, après avoir inquiété l’imagination, envahit le cœur.
Phénomène particulier qui, avec une détermination plus intense, subit les lois de l’habitude sans en affecter le caractère ! Ses causes sont tout extérieures, en dehors de nous, de nos penchants, du hasard. L’habitude satisfait à des besoins latents en notre âme, qu’une impression éphémère suffit à exalter durablement.
Or, il advint que pendant trois jours le boucher ne parut pas. D’abord surprise, puis apeurée, Jeanne commença à souffrir horriblement de cette modification aux choses coutumières.
Sans qu’elle s’en rendit compte, le poison versé s’infiltrait lentement goutte à goutte. Au cœur de cette jolie vierge, un profond amour s’enracinait pour ce vilain bonhomme vulgaire et sot. Voici comment, le quatrième jour, quand le héros de cette étrange idylle regarda Jeanne, en dépit de sa fierté, de sa chair encore endormie, toute pâle, elle lui sourit, avec un mélange d’effarement et de tendresse auquel il ne put se méprendre. Il s’enhardit jusqu’à lui causer. Elle lui répondit. Des paroles on en vint aux baisers. Un soir, il s’introduisit dans la chambre. Après une brève défaillance, la jeune fille se défendit si vaillamment que le séducteur repoussé dans la tentative suprême fit la moue et ne se montra plus.
Jeanne fut inconsolable. Vainement les parents, étonnés de ses larmes, s’empressèrent à la distraire. Les jolis messieurs élégants, les valseurs émérites qui ne connaissent point de rivaux dans les soirées ne fixèrent point l’attention de la pauvre désespérée. Elle ne se dissimulait guère la supériorité de ceux-là sur le grotesque qui la faisait ainsi se lamenter. Trop tard ! Le deuil exaspérait la passion naissante. En dépit de tout et de tous, elle serait à jamais à son étrange fiancé.
Lorsque celui-ci, las de bouder, désireux par orgueil d’une bonne fortune si imprévue, sollicita son pardon, sans fausses réticences, librement, Jeanne éperdue s’abandonna.
On consentit l’hymen par crainte du scandale.
De fait, ils ne tardèrent pas à s’exécrer, n’eurent pas d’enfants et sont effroyablement malheureux.
C’est une histoire très logique.
Je les ai vues passer les vierges, brunes, blondes, rousses, portant au sein des lys, des muguets, des roses thé. Près d’elles se réveillaient en ma chair les désirs assoupis dans l’endolorissement des pauvres idylles mortes. D’aucunes ont sur moi fixé leurs regards cruellement troublants et tendres. Mais craintif, j’ai détourné les yeux. J’ai refusé de comprendre les caresses de leur sourire, alors que j’eusse su les aimer, à genoux, si doucement, avec toutes les délicatesses d’un cœur maladif et l’exquise sensibilité de ceux qui ont beaucoup souffert.