Les Forçats de la route - Albert Londres - E-Book

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Albert Londres

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Beschreibung

"Ce n'était cependant pas à une guerre que nous assistions, mais à une course. A juger la chose sur l'extérieur, il n'y avait pas sur la face des acteurs une énorme différence." C'est ainsi qu'Albert Londres établit un parallèle entre la souffrance des coureurs du Tour de France en 1924 et celle des poilus de la première guerre mondiale. Il est vrai que les conditions étaient en ce temps extrêmes, avec des étapes interminables, sur des chemins caillouteux franchis à la sueur du front avec des vélos peu commodes. Le journaliste, qui couvre le Tour cette année-là, découvre ainsi un monde qu'il ne soupçonnait pas.

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Les Forçats de la route

Tour de France, Tour de Souffrance

Albert Londres

FV Éditions

Table des matières

Le Havre, 22 juin 1924

Les frères Pélissier et Ville abandonnent. Beeckman gagne la troisième étape.

Dans la poussière, de Brest aux Sables-d’Olonne

Ils ont dormi entre Les Sables et Bayonne…

Les coureurs du Tour à l’assaut des Pyrénées. Bottecchia vainqueur

La septième étape du Tour de France

Un accident à la huitième étape du Tour de France. Mothat gagne l’étape. Bottecchia toujours en tête du classement général

Dans les coulisses du Tour

Sur le Tour de France. Dix millions de Français sont en folie

Ceux de la onzième…Le Luxembourgeois Frantz gagne Briançon-Gex

De Metz à Dunkerque, sous la pluie, contre le vent. Bellenger, vainqueur de l’étape

Partis plus de cent cinquante, ils reviennent soixante !…

Le Havre, 22 juin 1924

Hier, ils dînaient encore à onze heures et demie du soir, dans un restaurant de la porte Maillot ; on aurait juré une fête vénitienne car ces hommes, avec leurs maillots bariolés, ressemblaient de loin à des lampions.

Puis ils burent un dernier coup. Cela fait, ils se levèrent et voulurent sortir, mais la foule les porta en triomphe. Il s’agit des coureurs cyclistes partant pour le Tour de France.

Pour mon compte, je pris, à une heure du matin, le chemin d’Argenteuil. Des « messieurs » et des « dames » pédalaient dans la nuit : je n’aurais jamais supposé qu’il y eût tant de bicyclettes dans le département de la Seine.

Comme le tram « 63 » voulait faire son métier de tram, c’est-à-dire conduire sa clientèle à Bezons-Grand-Cerf, les « messieurs » et les « dames » l’arrêtèrent, en lui criant :

– Place ! Ils arrivent !

Les coureurs arrivaient en effet : ils se rendaient à Argenteuil pour prendre le départ.

Bientôt, la banlieue s’anima : les fenêtres étaient agrémentées de spectateurs en toilette de nuit, les carrefours grouillaient d’impatients, de vieilles dames, qui d’ordinaire doivent se coucher avec le soleil, attendaient devant leur porte, assises sur des chaises, et si je ne vis pas d’enfants à la mamelle, c’est certainement que la nuit me les cachait.

– Regarde ces cuisses ! criait la foule, ça c’est des cuisses !

Les coureurs arrivèrent dans un sous-bois ; là, on attendit une heure.

– Est-ce qu’on part ? demanda l’un, très en colère.

Mais un autre :

– À quoi bon s’énerver ?

Un commissaire fit l’appel des cent cinquante-sept noms. Les Français répondaient : « Présent », les Italiens : « Présente ».

Et ce que les Flamands disaient, je ne l’ai pas compris.

Alors, le commissaire lâcha :

– Allez !

De la foule, une petite voix de femme cria :

– Bonne chance, Tiberghien !

Et cent cinquante-sept hommes prirent la route.

Un quart d’heure plus tard, j’aperçus le numéro 223 qui changeait un pneu sur un trottoir. C’était le premier guignard. J’arrêtai ma Renault.

– Eh bien ! lui dis-je, vous n’êtes pas verni ?

Il me répondit :

– Il faut bien qu’il y en ait un qui commence.

Mais soudain montèrent des cris de : « Fumier ! Nouveau riche ! » et « Triple bande d’andouilles ! »

Je fus obligé de constater que, quoique étant seul, la triple bande d’andouilles n’était autre que moi. Alors je vis que j’avais interrompu la marche de tout un peuple passionné qui suivait les coureurs d’un pas olympique.

Il faisait encore nuit, nous roulions depuis une heure et, cette fois, tout le long d’un bois que nous traversions, de grands feux de sauvages s’élevaient. On aurait cru des tribus venant d’apprendre la présence d’un tigre dans le voisinage : c’étaient des Parisiens qui, devant ces braseros, attendaient le passage des « géants de la route ». À la lisière du bois, il y avait une dame grelottant dans son manteau de petit gris et un gentleman en chapeau claque. Il était trois heures trente-cinq du matin.

Le jour se lève et permet de voir clairement que, cette nuit, les Français ne sont pas couchés ; toute la province est sur les portes et en bigoudis.

Les coureurs rament toujours. Le numéro 307 est le premier qui se ressente d’inquiétudes de l’estomac. Il tire une miche d’une besace à lie de vin et dévore à grandes dents.

– Mange pas de pain ! lui crie un initié, ça gonfle, mange du riz !

Mais voilà qu’une garde-barrière coupe le peloton en deux : un train arrive. Cinq gars qui n’ont pu passer sautent à terre, empoignent leur machine et traversent la voie, devant la locomotive qui les frôle. La garde-barrière pousse un cri d’effroi… Les gars, déjà remis en selle, poussent sur leurs pédales.

Montdidier, arrêt, ravitaillement. Je m’approche du buffet. Je croyais que les géants allaient manger en paix et m’offrir un morceau… J’étais jeune… Ils foncent sur des sacs tout préparés, se jettent sur des bols de thé, m’écrasent les pieds, me pressent les flancs, crachent sur mon beau manteau et décampent…

Ils ne font pas le Tour de France pour se promener, ainsi que j’aimais à l’imaginer, mais pour courir. Ils courent aujourd’hui jusqu’au Havre, sans vouloir respirer, tout comme s’ils y allaient quérir le médecin pour leur mère en grand danger de mort.

À Berthaucourt, je vois le premier géant couché sur le dos, au bord de la route. Si je ne vous dis pas son numéro, c’est que, justement, il le porte sur le dos. Celui-là a déjà son compte !

Flixecourt, la première côte. Puisquenous sommes aujourd’hui au premier jour, je tiens à vous présenter toutes les premières choses.

Pour me venger du coup du buffet, je les ai dépassés et je les attends, non sans quelque petit sourire, au sommet de la rampe. Ils m’ont « eu » une fois de plus : si je n’ai rien avalé, eux ont avalé… la côte d’un seul coup.

Amiens : voici les élèves d’un lycée officiellement conduits par leurs pions. Où vont-ils de si grand matin ? Ils viennent voir passer le « Tour de France ».

– Vas-y, Henri !… Vas-y, Francis !… Il s’agit des Pélissier ; ils sont des rois ! On les appelle comme les rois, par le petit nom.

– Vas-y, gars Jean !… C’est Alavoine.

– Vas-y, Otavio !… C’est Bottecchia.

– Thys ! Thys ! Hardi !

– Vas-y, « la pomme ! »…