Les Fossiles - Gaston Tissandier - E-Book

Les Fossiles E-Book

Gaston Tissandier

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2016
Beschreibung

Extrait : "Depuis le jour où l'homme a , pour la première fois, soulevé l'épiderme terrestre pour y creuser des sillons et pour y tracer des chemins ; depuis l'époque où il a su pénétrer dans le sein de l'écorce superficielle, soit pour y dérober l'eau potable, soit pour ravir aux entrailles du sol la pierre à bâtir ou le minerai, il a dû mettre en lumière l'existence des pétrifications et des coquilles."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface

Les peuples qui ont vécu sur le globe terrestre dans le cours des temps historiques n’y ont pas séjourné sans laisser d’irrécusables traces de leur existence ; les évènements auxquels ils se sont trouvés mêlés, les combats qu’ils ont livrés, les monuments qu’ils ont édifiés, les mœurs, les coutumes auxquels ils étaient soumis, apparaissent aux yeux de l’historien, par la découverte de ruines, de médailles ou de documents divers, qui lui permettent de faire revivre les civilisations du passé. Les anneaux des chevaliers romains recueillis dans le sable qui avoisine le lac de Trasimène, les hiéroglyphes de l’ancienne Égypte, les constructions de l’Inde ou du Mexique, sont des exemples de ces restes précieux qui, étudiés, compulsés et comparés à d’autres vestiges, ressuscitent les drames de l’histoire.

On a souvent dit que les fossiles sont pour le géologue ce que les médailles sont pour l’historien. Tandis que celui-ci s’occupe des changements successifs dont l’humanité a été l’objet dans la suite des siècles, celui-là étudie les modifications qui se sont opérées dans les règnes organiques et inorganiques de la terre. L’examen des fossiles, c’est-à-dire des débris ou des vestiges d’animaux et de plantes, conservés dans l’épiderme terrestre, lui démontre qu’une multitude d’êtres vivants se sont succédé sur les continents avant que l’homme ait apparu à leur surface ; il lui apprend en outre que ces populations animales différaient de celles qui habitent aujourd’hui notre sphéroïde. Cette science des animaux fossiles constitue la Paléontologie.

Le nombre des espèces animales ou végétales qui existent actuellement sur le globe terrestre dépasse peut-être un million, sans compter les animalcules microscopiques et les infusoires, dont l’abondance est telle qu’un verre d’eau peut en contenir autant qu’il y a d’hommes sur la terre entière. De Candolle estimait le nombre des plantes terrestres à 120 000, et M. Lindley affirme que l’on peut compter plus de 80 000 plantes phanérogames et 10 000 cryptogames. Suivant Temminck, le nombre des mammifères connus s’élève à plus de 800 ; d’après Cuvier, celui des poissons est de 6 000. On a déterminé plus de 6 000 espèces distinctes d’oiseaux. À tous ces nombres, il faudrait ajouter, pour être complet, celui des reptiles et des invertébrés. L’Océan enfante des êtres innombrables. Lamarck faisait déjà remarquer que la classe des polypiers renferme à elle seule plus d’individus que les insectes.

Le naturaliste qui jette les yeux sur la faune et la flore des temps actuels est saisi de vertige devant l’étonnante multiplicité des formes organiques, qui lui représente en quelque sorte le spectacle de l’infini ! Que dirait le paléontologiste s’il pouvait connaître toutes les espèces qui ont vécu dans la suite des temps, à tous les âges de notre monde ? Il aurait à multiplier les chiffres précédents par le nombre de fois que la nature a modifié la forme des êtres à travers les époques géologiques ! On conçoit donc que la paléontologie se meut dans un champ d’une étendue prodigieuse. Quelque nombreuses que soient les espèces fossiles connues, on en trouve constamment de nouvelles, et il est probable que chaque jour on en découvrira encore. Ce que nous savons de l’histoire de la terre n’est rien à côté de ce qu’il nous reste à apprendre. Mais ce que l’on connaît actuellement des êtres fossiles, grâce aux impérissables fondateurs d’une science née d’hier, grâce aux travaux, aux investigations des chercheurs de tous les pays, est cependant assez considérable pour remplir des musées entiers, pour fournir la matière d’un des plus imposants chapitres du livre de la nature, et pour offrir un éternel aliment aux méditations des plus grands savants et des plus profonds philosophes.

N’est-ce pas assez dire que le modeste ouvrage que nous avons écrit n’a que de très humbles prétentions. Il offrira au lecteur des tableaux successifs, où sont groupés quelques-uns des êtres qui ont vécu dans le cours des âges géologiques ; il ne lui apprendra pas la paléontologie d’une façon complète, mais il lui donnera peut-être le désir de l’apprendre ; il lui communiquera le goût de cette grande et sublime histoire ancienne de la terre, que la science moderne ressuscite, malgré l’immensité du temps qui l’en sépare.

Fidèle au plan que nous avons adopté dans nos précédents ouvrages, auxquels le public a bien voulu faire un accueil sympathique, nous n’avons pas négligé de parler d’abord des hommes à qui l’on doit la science des fossiles, des impérissables créateurs de la paléontologie. Il nous a toujours semblé que s’il est utile de connaître les résultats de la science actuelle, il ne l’est pas moins d’apprendre comment a procédé l’esprit humain pour les obtenir. Le tableau de la lutte de l’intelligence contre l’inconnu, celui des efforts qu’elle ne cesse de faire pour conquérir quelques vérités nouvelles, est toujours fortifiant et rempli d’attrait. Il offre de beaux exemples à tous ceux qu’animent l’ardeur du travail et l’amour de la nature.

Nous avons voulu faire connaître les découvertes les plus récentes, qui, tout en ayant préoccupé le monde savant, n’ont pas encore été décrites au public dans des livres qui lui soient facilement accessibles. Les recherches de M. Grand-Eury sur les houillères de Saint-Étienne, les observations de M. P. Gervais sur le Ceratodus de la Nouvelle-Hollande, les tortues à dents et la curieuse faune du cap de Bonne-Espérance, décrite par le professeur Owen, étudiée par MM. Gervais, Gaudry et Fischer, le nouveau Palæotherium de Vitry, l’oiseau à dents de l’argile de Londres, les poissons fossiles de Puteaux, l’admirable Megatherium dont le Muséum vient de s’enrichir, les découvertes du professeur Marsh aux États-Unis, le Dinoceras, le Brontotherium ; l’éléphant fossile du Gard trouvé par M. Cazalis de Fondouce ; les résultats récents de l’histoire de l’homme fossile, ont été passés en revue avec soin, ainsi que les travaux les plus récents de MM. Gaudry, Gervais, Alph. Milne-Edwards, de Quatrefages, etc., etc. Les notices qui traitent de ces questions toutes nouvelles sont accompagnées de gravures inédites, dont la plupart ont été exécutées sous la direction de M. P. Gervais. Nous sommes heureux d’adresser ici nos sincères remerciements au savant professeur du Muséum pour son précieux concours.

Les autres gravures qui accompagnent notre texte proviennent en partie du Cours de Paléontologie d’Alcide d’Orbigny ; elles ont déjà été utilisées précédemment par M. Louis Figuier dans son ouvrage intitulé la Terre avant le déluge. Nous avons emprunté d’autres sujets d’illustrations à l’Homme primitif du même auteur, et quelques beaux fossiles au livre les Pierres, dû à M. L. Simonin. Nous ajouterons enfin que, parmi les œuvres qui nous ont servi à retracer l’histoire sommaire des fossiles, nous nous faisons un devoir de citer les Ossementsfossiles de Cuvier, la Paléontologie française d’Alcide d’Orbigny, les mémoires originaux de M. A. Gaudry sur les animaux fossiles de l’Attique, le travail de M. A. Milne-Edwards sur les oiseaux fossiles de l’Allier, de nombreuses notes publiées dans les Annales des sciences naturelles, dans le Bulletin de la Société de géologie, dans des journaux étrangers, les Éléments de géologie et l’Antiquité de l’homme, de Ch. Lyell, ainsi que plusieurs mémoires insérés dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, etc., etc.

G.T.

CHAPITRE PREMIERLa science des fossiles
I

Les débris d’êtres disparus. – Les jeux de la nature. – Opinion des anciens sur les fossiles. – Les premiers géologues. – Les Égyptiens. – Pythagore et Ovide. – Aristote et Xénophanes de Colophon. – L’empereur Auguste. – Pline. – Bernard Palissy.

Depuis le jour où l’homme a, pour la première fois, soulevé l’épiderme terrestre pour y creuser des sillons et pour y tracer des chemins ; depuis l’époque où il a su pénétrer dans le sein de l’écorce superficielle, soit pour y dérober l’eau potable, soit pour ravir aux entrailles du sol la pierre à bâtir ou le minerai, il a dû mettre en lumière l’existence des pétrifications et des coquilles. Comment pourrait-il en être autrement, puisque les débris d’animaux et de plantes, les empreintes de fougères, les restes d’ossements, admirables témoignages d’anciennes formes organiques, se révèlent au milieu de tous les terrains sédimentaires, plus ou moins bien conservés dans la matière minérale. Il n’est, pour ainsi dire, pas possible de creuser les assises de craie qui abondent à la surface de la terre, d’ouvrir les immenses gradins qui forment le terrain silurien, le terrain jurassique, sans y découvrir d’innombrables empreintes de coquillages (fig. 1 et 2). Croirait-on cependant que les premiers découvreurs de ces fossiles étaient bien plutôt portés à les considérer comme des reliefs bizarres, dus à une cause fortuite, à un hasard inexplicable, qu’à les regarder comme les incontestables vestiges d’êtres disparus ?

Fig. 1 – Empreintes de coquilles fossiles sur une roche calcaire. (Terrain silurien.)
Fig. 2 – Empreintes d’ammonites du terrain jurassique

Il n’a jamais manqué toutefois d’esprits clairvoyants qui ont protesté contre un tel aveuglement.

Sir Ch. Lyell nous rapporte que le livre sacré des Indous, le plus vieux livre du monde, écrit huit cents ans avant l’ère chrétienne, renferme déjà un bel exposé des évolutions successives dont les êtres vivants ont été l’objet à travers les âges. L’auteur de cet antique ouvrage attribue la création première à un être infini devant lequel il se prosterne, à un esprit sublime qui donne au monde son entière extension quand il est éveillé, qui l’anéantit au contraire quand il s’endort. Par une telle alternative d’heures de veille et d’heures de repos, cette puissance éternelle revivifie et détruit successivement l’immense assemblage des créatures. N’est-ce pas indiquer, sous une forme pleine de grandeur et de poésie, les transformations de l’organisme, telles que peuvent les concevoir les naturalistes modernes ?

Les prêtres égyptiens, d’après Hérodote, n’ignoraient pas que les couches inférieures des vallées du Nil abondent en coquilles marines ; ils savaient aussi qu’on ne manque pas d’en rencontrer à profusion quand on creuse les collines qui les environnent. Aucun peuple plus que les Égyptiens n’a remué le sol pour y élever des temples formidables, pour y découper des canaux immenses, nul plus que lui n’a dû révéler l’évidence des phénomènes géologiques. Tous les hommes ont en outre entendu parler des tremblements de terre qui anéantissent des pays prospères, des inondations ou des déluges qui submergent des villes entières : comment l’idée des révolutions du globe ne se retrouverait-elle pas dans la plupart des cosmogonies de l’Égypte ou de l’Orient ?

En nous rapprochant des temps modernes, nous voyons Pythagore nous parler en termes explicites des métamorphoses de la terre ; et plus tard, Ovide, en ranimant cette doctrine, la complète en quelque sorte, par des propositions que ne désavouerait aucun savant moderne. Quand le grand poète s’écrie : « Rien ne meurt dans ce monde, les choses ne font que varier et changer de forme… Naître signifie qu’une chose commence à être différente de ce qu’elle fut auparavant ; mourir, veut dire qu’elle cesse d’être la même chose. » Quand il affirme encore que « la terre ferme a été convertie en mer…, que la mer a été changée en terre…, que des coquilles marines gisent loin de l’Océan… » ne parle-t-il pas alors non plus en littérateur, mais en savant et en vrai philosophe ?

Quand nous lisons dans le Traité des Météores d’Aristote, que « les révolutions du globe sont si lentes comparativement à la durée de notre vie, que leurs progrès sont tout à fait inappréciables, » n’avons-nous pas la preuve manifeste que l’idée de créations antérieures à celle de l’homme, n’était pas inconnue des anciens ?

Il serait injuste d’oublier le nom d’un grand savant grec, Xénophanes de Colophon, le fondateur de la philosophie éléatique ; cet illustre admirateur de la nature avance en termes énergiques que les empreintes fossiles d’animaux et de plantes sont réellement les traces d’êtres ayant vécu jadis ; il affirme que les montagnes au sein desquelles on les rencontre, ont autrefois constitué le fond de la mer. Il ne serait pas plus juste de refuser à l’empereur Auguste le titre de précurseur de la paléontologie. Le neveu du grand César avait rassemblé une belle collection de fossiles dans sa villa de Capri. Un peu plus tard, Pline le Naturaliste n’en parle pas moins dans ses écrits, d’ossements aux proportions colossales, qu’il attribue à des géants ou à des héros d’un autre âge.

Malgré ces efforts de la philosophie naturelle dans l’antiquité, malgré ces audaces d’esprits supérieurs ; pendant tout le Moyen Âge et pendant les périodes brillantes qui lui succèdent jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, l’opinion dominante fut que ces fossiles, que ces pierres figurées étaient des jeux de la nature, lusus nuturæ, suivant l’expression des pédants de ces époques. Quelles sottises n’imaginaient-ils pas, ces philosophes aux abois, pour se convaincre que l’évidence était l’erreur ? N’allaient-ils pas jusqu’à prétendre que les pétrifications étaient des dessins formés par l’action mystérieuse des étoiles sur les couches terrestres !

Cependant, au milieu du seizième siècle, de cette grande époque où parurent les Bacon et les Galilée, un homme doué d’un puissant génie, Bernard Palissy, jeta les premières bases de la science des fossiles, et construisit les fondations du grand monument de la géologie moderne. – Il semblerait que l’artiste ait souvent l’intuition de la nature, car cent ans avant Palissy, Léonard de Vinci avait déjà osé affirmer que la lente pétrification des débris calcaires comme les coquilles des mollusques, était le fait du limon qui se dépose au fond des eaux et englobe peu à peu tous ces restes.

« Le nom de Bernard Palissy est empreint dans la mémoire de la plupart des esprits cultivés ; on sait qu’il vécut au seizième siècle, qu’il était potier de terre et qu’il découvrit le vernis des faïences… Mais ce que l’on sait moins généralement, c’est que cet homme, sans éducation première, sans aucune notion de littérature, sans connaissance de l’antiquité, sans secours d’aucune espèce, à l’aide des seuls efforts de son génie et de l’observation attentive de la nature, posa les bases de la plupart des doctrines modernes sur les sciences et les arts, qu’il émit sur une foule de hautes questions scientifiques les idées les plus hardies et les mieux fondées, qu’il professa le premier en France l’histoire naturelle et la géologie, qu’il fut l’un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à renverser le culte aveugle du Moyen Âge pour les doctrines de l’antiquité ; que cet ouvrier sans culture et sans lettres a laissé des écrits remarquables par la clarté, l’énergie, le coloris du style ; qu’enfin cet homme simple et pur, mais puissant par le génie, fournit l’exemple de l’un des plus beaux caractères de son époque, et qu’il expia par la captivité et la mort sa persévérance courageuse et sa fermeté dans ses croyances. »

Palissy naquit près de la petite ville de Biron, entre le Lot et la Dordogne, dans un modeste petit village. On ignore les détails de son enfance, mais on sait que dès sa jeunesse il se mit à voyager et parcourut les Pyrénées, la Flandre, les Pays-Bas, les Ardennes et les bords du Rhin… « En ouvrier nomade, nous dit-il lui-même, exerçant à la fois la vitrerie, la pourtraicture et l’arpentage, mais observant surtout les pays et les curiosités naturelles, parcourant les montagnes, les forêts, visitant les carrières et les mines, les grottes et les cavernes. »

Après s’être établi à Saintes, après avoir consacré de longues et pénibles années à la découverte de sa belle terre émaillée, Palissy vint à Paris, où il résolut de faire la démonstration publique de ses théories sur les fossiles. Cet humble potier de terre, qui ne savait ni grec ni latin, appela à lui les philosophes et les savants et, « à la face de tous les docteurs, il osa dire dans Paris que les coquilles fossiles étaient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvaient alors, que des animaux et surtout des poissons avaient donné aux pierres figurées toutes leurs différentes figures . »

Palissy rassemble les objets nécessaires à ses démonstrations, il classe avec méthode les cristaux et les fossiles qu’il a recueillis dans ses voyages, et fonde ainsi le premier cabinet d’histoire naturelle. Avec de telles preuves en main, il se sent fort et inébranlable dans ses convictions ; il est prêt à résister à l’amertume des critiques, à la jalousie des envieux, à l’aveugle fureur des ignorants ; aussi ne craint-il pas de s’écrier fièrement : « Vas quérir à présent les philosophes latins pour me donner argument contraire. »

Comment l’illustre artiste n’aurait-il pas acquis la plus ferme conviction, s’il avait ramassé, comme cela n’est pas douteux, quelques-unes de ces empreintes que le géologue foule du pied dans toutes les régions du globe ? En jetant un simple regard sur la représentation de pétrifications les plus répandues et les plus vulgaires (fig. 3 et 4), ne sera-t-on pas stupéfait en songeant à l’aveuglement de ceux qui n’attribuaient qu’au hasard seul la cause de leur formation ?

Bernard Palissy, dans ses œuvres, a choisi la forme du dialogue. Il met en scène deux personnages imaginaires, l’un s’appelle Théorique, et représente la scolastique ; c’est un pédagogue, ignorant, indocile, qui bien souvent excite la pitié par la sottise de ses réparties ; l’autre, Practique, renverse sans cesse le lourd raisonnement de son interlocuteur. Avec quelle verve, quel esprit, quelle agilité, il se plaît à combattre des opinions fagotées à l’avance. Ce livre inimitable est un des grands monuments littéraires du seizième siècle. L’auteur a la passion qui subjugue, l’élan de l’innovateur, l’éloquence naturelle d’un grand esprit : il s’élève souvent aussi haut que Montaigne. Qu’on en juge par ce passage, que Palissy écrit après avoir longuement démontré que les pierres ne croissent pas, comme on le croyait généralement à son époque :

Fig. 3 – Exemple de pétrification. (Ammonite du terrain jurassique.)

« THÉORIQUE.– Et où est-ce que tu as trouvé cela, par escript, ou bien dis-moi en quelle école as tu esté, où tu puisses avoir entendu ce que tu dis ?

Fig. 4 – Exemple de pétrification de corail. (Encrinite liliforme du terrain jurassique, grandeur naturelle)

« PRACTIQUE.– Je n’ai point eu d’autre livre que le ciel et la terre, lequel est connu de tous, et est donné à tous de connaître et lire ce beau livre ; or ayant lu en iceluy, j’ai considéré les matières terrestres, parce que je n’avais point estudié en l’astrologie pour contempler les astres. »

En lisant les Discours admirables, on s’étonne de la nouveauté, de la variété des observations de Palissy sur la constitution des montagnes et des différents sols, sur l’origine des espèces minérales, sur la formation et le mode d’accroissement des pierres, qu’il examine sous leurs divers rapports de forme, de couleur, de cohésion, de poids et de densité. Les cristallisations, les stalactites, les bois pétrifiés, les fossiles, la marne, les faluns, rien n’échappe à ses recherches, et fidèle à sa méthode habituelle d’investigation, il rattache tous les faits recueillis à quelque vue générale qui, presque toujours, est la plus directe et la plus féconde.

« Quand j’ai eu de bien près regardé aux formes des pierres, dit Palissy, j’ai trouvé que nulle d’icelles ne peut prendre forme de coquilles, ni d’autre animal, si l’animal même n’a bâti sa forme… Le rocher qui est tout plein de diverses espèces de coquilles, a été autrefois vases marins, produisans poissons. Si aucuns ne le veulent croire, je leur montrerai la dite pierre, pour couper broche à toutes disputes. »

Palissy nous apprend qu’il a fait des observations précieuses et des découvertes importantes, surtout dans les Ardennes et dans la Champagne. « … J’ai fait plusieurs figures des coquilles pétrifiées qui se trouvent par milliers ès montagnes des Ardennes et non seulement des coquilles, ains aussi des poissons… ayant toujours cherché en mon pouvoir de plus en plus les choses pétrifiées, j’ai trouvé plus d’espèces de poissons ou coquilles pétrifiées en la terre, que non pas des genres modernes qui habitent à la mer Océane. »

Nous nous bornerons à ces quelques citations, car il faudrait rapporter en entier l’œuvre du grand artiste ; non seulement il se révèle partout comme savant, mais il apparaît aussi comme un profond penseur, quand il écrit par exemple : « La science se manifeste à qui la cherche ! » et plus loin : « On ne doit pas abuser des dons de Dieu, et cacher ses talents en terre, car il est écrit que le fou cachant sa folie, vaut mieux que le sage celant son savoir. »

Malgré les révélations d’un tel génie, la science des fossiles n’est pas encore fondée après Palissy. Les œuvres de cet esprit incomparable furent à peine connues de son vivant, et les paroles énergiques, vibrantes, convaincues du « potier de terre » ne devaient être entendues qu’un siècle après sa mort !

II

Buffon et ses prédécesseurs. – Réaumur. – De Jussieu. – Réfutation des nouvelles doctrines. – Voltaire et les coquilles des pèlerins. – Les singes et le transport des fossiles. – Les poissons des repas romains. – Le clou de Franklin.

Il se produisit au commencement du siècle dernier un grand mouvement en faveur du progrès des sciences naturelles et particulièrement de la géologie. Si Buffon est particulièrement célèbre pour avoir repris les doctrines de Palissy, il serait injuste de passer sous silence les esprits éminents qui l’ont précédé dans ses affirmations. En 1670, Augustin Scilla reprit avec vigueur les opinions de « l’inventeur des rustiques figulines, » et peu après, Leibnitz leur donna l’autorité de son génie. Plus tard, Fontenelle, dans son Histoire de l’Académie, indique qu’il croit fermement à l’existence des fossiles. « Dans tous les siècles assez peu éclairés, dit-il, et assez dépourvus du génie d’observation et de recherches pour croire que tout ce qu’on appelle aujourd’hui pierres figurées et les coquillages mêmes trouvés dans la terre étaient des jeux de la nature, ou quelques accidents particuliers, le hasard a dû mettre au jour une infinité de ces sortes de curiosités, que les philosophes même, si c’étaient des philosophes, ne regardaient qu’avec une surprise ignorante ou une légère attention, et tout cela périssait sans aucun fruit pour le progrès des connaissances… » « Les idées de Palissy, dit plus loin l’illustre secrétaire de l’Académie, se sont réveillées dans l’esprit de plusieurs savants, elles ont fait la fortune qu’elles méritaient ; on a profité de toutes les coquilles, de toutes les pierres figurées que la terre a fournies, peut-être seulement sont-elles devenues aujourd’hui trop communes, et les conséquences qu’on en tire sont en danger d’être bientôt trop incontestables. »

On voit que peu à peu la vérité apparaît et se fait jour. À la même époque, Réaumur découvre un grand amas de coquillages fossiles en Touraine. Jussieu ramasse aux environs de Saint-Chaumont, dans le Lyonnais, une grande quantité de pierres écailleuses et feuilletées, dont presque tous les feuillets portaient sur leur superficie l’empreinte d’une tige ou d’une feuille de plante, « comme si on avait collé avec la main ces débris végétaux, qui appartiennent tous à des plantes étrangères, » en même temps plusieurs voyageurs rapportent la nouvelle de semblables découvertes faites dans les pays les plus lointains. Dans ses récits de voyages, le naturaliste Shaw raconte que sur la montagne de Castravan, au-dessus de Barut, il y a un lit de pierre blanche mince comme de l’ardoise, et dont chaque feuille contient un grand nombre et une grande diversité de poissons, pour la plupart fort plats et fort comprimés.

Buffon allait rassembler l’histoire de ces découvertes éparses, seconder les efforts de ces disciples de la vérité, défendre la grande cause de la géologie, avec la puissance de son style, l’autorité de son grand nom et surtout avec ce qui est au-dessus des formes du langage ou de l’éclat de la célébrité, c’est-à-dire avec des faits, matériaux indestructibles du monument scientifique.

Fig. 5 – Pétrifications de feuilles. (Conopteris) terrain jurassique

« Tout le monde, dit Buffon, peut voir par ses yeux les bancs de coquilles qui sont dans les collines des environs de Paris, surtout dans les carrières de pierre, comme à la chaussée près de Sève, à Issy, à Passy et ailleurs. On trouve à Villers-Cotterêts une grande quantité de pierres lenticulaires ; les rochers en sont même entièrement formés, et elles y sont mêlées sans aucun ordre avec une espèce de mortier pierreux qui les tient toutes liées ensemble. À Chaumont, on trouve une si grande quantité de coquilles pétrifiées, que toutes les collines, qui ne laissent pas d’être assez élevées, ne paraissent être composées d’autre chose ; il en est de même à Courtagnon, près de Reims, où le banc de coquilles a près de quatre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. Je cite ces endroits parce qu’ils sont fameux et que les coquilles y frappent les yeux de tout le monde… J’ai souvent examiné des carrières de haut en bas, dont les bancs étaient remplis de coquilles ; j’ai vu des collines entières qui en sont composées, des chaînes de rochers qui en contiennent une grande quantité dans toute leur étendue. Le volume de ces productions de la mer est étonnant et le nombre de ces dépouilles d’animaux marins est si prodigieux qu’il n’est guère possible d’imaginer qu’il puisse y en avoir davantage dans la mer ; c’est en considérant cette multitude innombrable de coquilles et d’autres productions marines, qu’on ne peut pas douter que notre terre n’ait été pendant un très long temps un fond de mer peuplé d’autant de coquillages que l’est actuellement l’Océan… Il ne faut pas croire, en effet, comme se l’imaginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu’on ne trouve ces coquilles que par hasard, qu’elles sont dispersées çà et là, ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d’huîtres jetées à la porte ; c’est par montagnes qu’on les trouve, c’est par bancs de 100 et 200 lieues de longueur ; c’est par collines et par provinces qu’il faut les toiser… On a trouvé à Amsterdam, qui est un pays dont le terrain est fort bas, des coquilles de mer à 100 pieds de profondeur sous terre, et à Marly-la-Ville, à six lieues de Paris, à 75 pieds ; on en trouve de même au fond des mines et dans des bancs de rochers, au-dessous d’une hauteur de pierre de 50, 100, 200 et jusqu’à 1 000 pieds d’épaisseur, comme il est aisé de le remarquer dans les Alpes et les Pyrénées ; il n’y a qu’à examiner de près les rochers coupés à plomb, et on voit que dans les lits inférieurs il y a des coquilles et d’autres productions marines… J’entends ici par coquilles, non seulement les dépouilles des coquillages, mais celles des crustacés, comme tayes et pointes d’oursin, et aussi toutes les productions des insectes de mer, comme les madrépores, les coraux, les astroïtes, etc.. »

Fig 6 – Polypier fossile de la craie

Il est impossible de parler un langage plus net et de présenter sous une forme plus claire des faits plus affirmatifs. Cependant ces théories soulevèrent d’innombrables protestations, et l’on regrette de compter Voltaire au nombre des plus ardents adversaires du grand naturaliste. L’illustre auteur du Dictionnaire philosophique alla, comme on le sait, jusqu’à prétendre que les coquilles alpines de M. de Buffon étaient tombées des chapeaux de quelques pèlerins se rendant à Rome.

Fig. 7 – Oursin fossile

Quand Buffon riposta en alléguant de nouvelles preuves, en se servant du témoignage de voyageurs qui ont vu des coquilles fossiles sur les montagnes de l’Inde, de l’Amérique, de l’Afrique, il se rencontra un naturaliste assez aveuglé par les préjugés et la routine pour lui répondre que, d’après la Loubère, les singes s’amusent souvent à transporter des coquilles, du rivage de la mer au sommet des montagnes, et que des poissons fossiles trouvés en Italie ne sont à son avis, que des poissons rares, rejetés jadis de la table des Romains parce qu’ils n’étaient pas assez frais.

Fig. 8 – Étoile de mer fossile. (Palæocoma.) – Lias

Lorsque le grand naturaliste français lance à la face de ses adversaires de nouvelles découvertes, qui chaque jour viennent confirmer ses doctrines, un auteur anglais, Tancred Robinson, doute encore de l’existence des fossiles, au point d’affirmer qu’« il y a eu des coquilles de mer, dispersées çà et là sur la terre, par les armées, par les habitants des villes et des villages ! »

Ne croirait-on pas entendre la voix de ceux qui considéraient naguère les haches taillées des temps primitifs, comme des vieilles pierres à fusil du premier empire ?

En présence de si misérables arguments, de si pauvres objections, dégagés d’erreurs si grossières pour nier des faits incontestables, n’est-on pas conduit à dire avec Franklin, que la vérité, tant elle est difficile à faire pénétrer dans la cervelle humaine, peut se comparer à un clou qu’il faut enfoncer, non pas par la pointe, mais par la tête !

III

Georges Cuvier fondateur de la géologie et de la paléontologie. – Les ossements fossiles et l’anatomie comparée. – Les époques géologiques. – Les espèces éteintes. – Les révolutions du globe. – Les adversaires de Cuvier : Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Ch. Lyell, Darwin.

On voit que, malgré les Palissy et les Buffon, la paléontologie n’est pas encore créée ; il n’est guère question jusqu’ici que de coquilles et quelquefois de poissons, mais on ne parle pas des ossements fossiles, on ne soupçonne pas l’existence antérieure d’une foule d’êtres différents de la création actuelle et que le puissant génie de Cuvier va faire revivre. Ce grand naturaliste, dont l’esprit brillera toujours par cette découverte de ce qui fut jadis, admirable divination du passé, nous dit lui-même le moment précis où il eut l’idée de ses travaux. En regardant attentivement le crâne d’un éléphant que Messerchmidt avait rapporté de ses voyages, le hardi novateur s’aperçut que les éléphants fossiles étaient d’une espèce différente des éléphants modernes. « Cette idée, dit Cuvier, que j’annonçai à l’Institut dès 1796, m’ouvrit des vues toutes nouvelles sur la théorie de la terre ; un coup d’œil rapide, jeté sur d’autres os fossiles, me fit présumer tout ce que j’ai découvert depuis, et me détermina à me consacrer aux longues recherches et aux travaux assidus. »

Dans ce premier mémoire, Cuvier allait ouvrir l’ère des plus étonnantes découvertes que les sciences naturelles aient jamais faites. Il allait d’abord faire apparaître aux yeux du monde savant stupéfait les gigantesques mammouths, qui n’ont plus actuellement de représentants sur la terre, et dont les ossements se sont rencontrés dès lors en si grande abondance (fig. 9). Le travail de Cuvier produisit une grande sensation ; on y remarque surtout aujourd’hui cette phrase, pour ainsi dire prophétique : « Qu’on se demande, dit-il, pourquoi l’on trouve tant de dépouilles d’animaux inconnus, tandis qu’on n’en trouve aucune dont on puisse dire qu’elle appartient aux espèces que nous connaissons, et l’on verra combien il est probable qu’elles ont toutes appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelques révolutions du globe, à des êtres dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la place. »

Toute la sûreté de la méthode que Cuvier inaugure avec une telle puissance d’intuition réside dans l’anatomie comparée. En mettant en parallèle les ossements fossiles avec les ossements des animaux vivants, l’illustre savant français reconnaît d’abord que ces premiers n’appartiennent pas à des espèces actuelles : l’idée de créations d’animaux, antérieures à la création actuelle, lui apparaît dans son ensemble imposant. Le voile qui a caché pendant tant de siècles les phénomènes du passé, vient d’être soulevé pour la première fois. En soumettant les ossements fossiles à un examen scrupuleux, à une investigation minutieuse, Cuvier arrive à retrouver le genre de vie, le genre d’alimentation, la forme des animaux auxquels ces os ont appartenu ; il peut les définir, les reconstituer et les classer dans les cadres zoologiques que Linnée n’avait édifiés que pour y grouper les espèces vivantes. Une dent, un sabot du pied, suffisent quelquefois à Cuvier pour être conduit, par le raisonnement qui suit de près l’observation, à deviner l’espèce d’où proviennent ces infimes débris. N’est-il pas certain que la dent, faite pour déchirer une proie, que les ongles acérés, destinés à saisir, appartiennent à un carnassier ? N’est-il pas manifeste qu’un pied à sabot a dû appartenir à un herbivore ? Mais si l’on sait que l’être disparu était carnivore ou herbivore, on sera conduit à définir quelques autres particularités de son organisme, et il ne sera pas impossible d’en faire la reconstitution complète.

« Cette méthode précise, rigoureuse, de démêler, de distinguer les os confondus ensemble ; de rapporter chaque os à son espèce ; de reconstruire enfin l’animal entier d’après quelques-unes de ses parties, cette méthode une fois conçue, ce ne fut plus par espèces isolées, ce fut par groupes, par masses, que reparurent toutes ces populations éteintes, monuments antiques des révolutions du globe. On put dès lors se faire une idée non seulement de leurs formes extraordinaires, mais de la multitude prodigieuse de leurs espèces. On vit qu’elles embrassaient des êtres de toutes les classes ; des quadrupèdes, des oiseaux, des reptiles, des poissons, jusqu’à des crustacés, des mollusques, des zoophytes et des végétaux. »

Fig. 9 – Squelette d’éléphant fossile (mammouth du musée d’histoire naturelle de Bruxelles.)

Éclairés par l’éclat d’une si vive lumière, les faits prennent un relief inattendu, et les conséquences se succèdent par un enchaînement logique jusqu’à conduire à des révélations inattendues. Une fois, par exemple, qu’il a été bien établi que les ossements d’éléphants fossiles appartiennent à des espèces disparues, et que ces débris d’êtres qui ne sont plus, se trouvent répandues avec une extraordinaire profusion sur une grande partie de la surface du globe, on est conduit à admettre qu’une cause physique, qu’une révolution brusque et soudaine a dû effacer tout à coup cette population animale dont on ne rencontre plus les descendants. Le mot de la grande énigme des révolutions du globe vient d’être dit ! Une mer étendue a bercé ses vagues au-dessus des continents que nous habitons aujourd’hui, et les fonds des océans actuels ont peut-être été l’asile de mammifères disparus : tout sur ce globe a été soumis à travers les âges à des changements perpétuels : c’est la loi de notre planète.