Les Gobelins - Gustave Geffroy - E-Book

Les Gobelins E-Book

Gustave Geffroy

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Extrait : "Ce livre sur Les Gobelins vient s'ajouter à la collection des musées d'Europe. On voudra bien, toutefois, admettre qu'il s'agit d'un musée temporaire, les pièces qui le composent pouvant devenir les objets d'autres destinations. On trouvera pourtant ici une partie immuable, l'histoire résumée de la Manufacture, suffisante à définir le rôle historique de ces ateliers célèbres et uniques, fondés au XVIIe siècle, et qui fonctionnent encore au XXe siècle..."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier

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PORTIÈRE AUX ARMES DE LA RÉPUBLIQUE

F. JAULMES

Introduction
Le Musée des Gobelins

FORMIGÉ, architecte.

Ce livre sur les Gobelins vient s’ajouter à la collection des musées d’Europe. On voudra bien, toutefois, admettre qu’il s’agit d’un musée temporaire, les pièces qui le composent pouvant devenir les objets d’autres destinations. On trouvera pourtant ici une partie immuable, l’histoire résumée de la Manufacture, suffisante à définir le rôle historique de ces ateliers célèbres et uniques, fondés au XVIIe siècle, et qui fonctionnent encore au XXe siècle. L’histoire complète de leur production aurait nécessité plusieurs volumes : elle a d’ailleurs été menée à bien par les cinq tomes in-folio de M. Maurice Fenaille qui leur a donné pour titre : État général des Tapisseries de la Manufacture des Gobelins depuis son origine jusqu’à nos jours. C’est un ouvrage imposant par le nombre et l’authenticité des documents rassemblés, par la reproduction fidèle de la plupart des chefs-d’œuvre tissés pendant trois siècles. Un des cinq volumes est même consacré aux travaux d’avant les Gobelins, exécutés dans les Ateliers de Paris. C’était une préface indispensable aux splendeurs du XVIIe siècle, aux charmes du XVIIIe siècle, aux recherches souvent hésitantes du XIXe siècle qui, par une singularité éclatante, a tracé en art des voies lumineuses, mais qui ne les a pas fait aboutir aux métiers de la Manufacture nationale. Les grands artistes qui auraient pu apporter leurs conceptions décoratives aux artisans de haute lisse ont été négligés par l’État dispensateur des commandes. Ses administrateurs ont été moins bien inspirés, il faut le constater, depuis le premier Empire jusqu’à la troisième République, en passant par les gouvernements de la Restauration, de Louis-Philippe et de Napoléon III, que les fonctionnaires de Louis XIV et de Louis XV. C’est cette histoire, avec ses présences et ses absences, qui est d’abord brièvement contée dans la première partie de ce livre.

Hamadryade. (Fontaine du jardin de l’Administrateur.)

PIERRE ROCHE.

La seconde partie relate les efforts de l’administration qui m’a été confiée en 1908, sur la proposition de M. Aristide Briand, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, de son successeur M. Gaston Doumergue, et de M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts. J’avoue avoir hésité à assumer une tâche de ce genre, lourde et ingrate, et le journaliste qui s’est permis d’écrire que j’aurais aussi bien accepté une perception n’a guère réfléchi avant de publier une affirmation aussi hasardée et dénuée de bon sens. Je ne suis entré aux Gobelins que pour y continuer le travail de critique et de propagande accompli au jour le jour dans la presse. J’ai cru que je devais proposer à l’administration des Beaux-Arts des artistes de notre temps, et c’est ainsi que se sont trouvés réunis aux Gobelins des maîtres de la veille tels que Jules Chéret, Félix Bracquemond, Claude Monet, Cézanne, Van Gogh, J.-F. Raffaëlli, Adolphe Willette, Louis Anquetin, Odilon Redon, Mme Cazin. Une autre période est représentée par Jean Veber, René Binet, Hannotin, Paul Ranson, Gaston Prunier. Henri Rachou, Pierre Bracquemond, Edmond Yarz, Gorguet, Henri Dumont, Achille Langé. Edmond Tapissier, Séguin-Bertaux. De nouveaux venus sont : Robert Bonfils, Emmanuel Gondouin, Gaudissart, Mme Ory Robin, Mme Lassudrie, Mme Marie Alix. Demain, ce seront René Piot, A. Zingg, Raymond Legueult, Jean Serrières. Ont été appelés, mais ne sont pas encore venus : Paul Signac, Édouard Vuillard, X.-K. Roussel,. J-L. Forain, Maurice Denis, Cappiello, etc. Les Gobelins ne peuvent pas suivre avec une vitesse qui leur est interdite les phases de la production contemporaine, mais ils peuvent classer des œuvres expressives de ces phases.

Ceci pour donner une idée des méthodes suivies depuis une quinzaine d’années. Les artistes qui viennent d’être nommés sont tous représentatifs, à leur manière, de l’art décoratif de ce temps. La Manufacture peut ainsi donner, dans la mesure de ses moyens d’exécution, un aperçu de l’art d’une époque. Ce qu’elle n’a pas fait lorsqu’elle a écarté Ingres, Delacroix, les paysagistes de 1830, les Impressionnistes, Fantin-Latour, Puvis de Chavannes, Cazin, et d’autres. Elle n’a admis, une seule fois, que Gustave Moreau. Pour ceux dont on apercevra des conceptions décoratives dans ce livre, leurs œuvres resteront dans l’histoire de la Manufacture par la force et la grâce de l’ornementation, l’éclat et l’harmonie de la couleur, l’imprévu du pittoresque. Elles n’ont que le tort d’être nouvelles, alors que l’on est épris des tons baissés et même disparus des tapisseries anciennes. Les tapisseries anciennes ont été neuves, elles aussi, les tapisseries modernes deviendront vieilles, et ce n’est pas parce que le cercle chromatique de Chevreul comporte des milliers de nuances que le discrédit peut être jeté sur l’art des tapisseries d’aujourd’hui. Rien ne pouvait empêcher les travaux et les découvertes de Chevreul et l’établissement du cercle chromatique, dont mi se serait servi au XIIIe siècle si on l’avait connu. La tapisserie a forcément suivi les évolutions de la peinture, cela a toujours été et sera toujours ainsi, et la quantité des nuances découvertes signifie que le choix est plus étendu, voilà tout. Si l’on n’admet pas un tel fait évident, il fallait tout garder du XIIIe siècle, en littérature comme en art. Je me garderai bien de prononcer le mot de « progrès » en art, mais il y a sans cesse la nouveauté, l’individualité, et l’œuvre de chaque siècle, de chaque période, prend un sens historique.

J’ajoute que ce livre n’est pas une défense contre des critiques le plus souvent inconsidérées, même celles qui se répètent dans les rapports annuels de l’honorable sénateur ennemi de toutes les manifestations de l’art moderne aux Gobelins. Ce livre n’est pas non plus une apologie du rôle modeste d’une administration qui propose et ne dispose pas. Qu’on le prenne comme un hommage enthousiaste aux artistes qui ont apporté leur talent et leur foi à une œuvre commune. Avec eux, admirons le passé, mais continuons-le.

Gustave Geffroy.

Naïade (Jardin de l’Administrateur.)

LOUIS DEJEAN

Le Musée des Gobelins
Atelier de tapisserie de basse lisse des Gobelins au XVIIIe siècle, d’après une gravure et un dessin du temps
ICe que c’est que la tapisserie – La tapisserie dans l’antiquité, en Chine, en Égypte, en Grèce, à Rome – Les tapisseries coptes

On voit par les yeux, mieux que par des paroles, ce que c’est que la tapisserie. Rien ne vaut l’expérience personnelle, rien ne remplace la démonstration d’un métier en exercice, cette surface tendue de fils de laine derrière laquelle l’artiste tapissier apparaît, avec ses regards attentifs et ses mains actives. Je rappellerai simplement, au seuil de ce livre, que la tapisserie se fait au moyen de fils écrus tendus verticalement, à travers lesquels passent d’autres fils de couleur enroulés autour de navettes que l’on appelle des broches. Le tapissier fait donc, avec ses broches et ses laines de couleur, ce que le peintre fait avec ses pinceaux et sa palette.

Tapisserie de haute lisse des Gobelins, d’après un dessin gravé du XVIIIe siècle

On devine que cet art d’orner les étoiles est presque aussi ancien, et peut-être même aussi ancien, que la confection de ces étoffes elles-mêmes. Les premiers hommes civilisés ont décoré les murailles immobiles de leur demeure par des dessins, des incisions, des enluminures, et ils ont décoré aussi les murailles mobiles qu’étaient les tentures, faciles à plier, à enrouler, à placer sur des chariots, pour fuir devant un ennemi victorieux, pour émigrer, ou pour occuper un pays conquis. Du jour où on a inventé le tissage, et où l’on a disposé des fils de couleur pour obtenir une ornementation quelconque, le principe de la tapisserie a été établi.

LA MORT DE JOAB

DU CERCEAU

ATELIERS DE FONTAINEBLEAU

XVIe SIÈCLE

Sans remonter aux temps préhistoriques et au déluge, tenons-nous-en à ce qui est admis, à savoir que l’art de la tapisserie existe depuis les temps les plus anciens de l’Histoire, de la Chine à l’Égypte. Les Égyptiens ont fait de la tapisserie avec des métiers à peu près semblables à ceux qui sont dans nos ateliers, sauf qu’ils employaient le lin et le coton, et non la laine, considérée comme impure. Mais il fallut bien revenir sur cet arrêt de proscription, et employer la laine, pour sa chaleur et pour son aptitude à conserver les colorations. Il reste, dans l’histoire ancienne, des reflets de la richesse des tapisseries assyriennes. Homère, Philostrate, Ovide ont décrit l’emploi des tentures, dit leur attrait chez les peuples méditerranéens, influencés par l’Orient. Pline nous montre les Romains se disputant au poids de For les tentures de Babylone et de Ninive. Néron en acheta pour quatre millions de sesterces (huit cent quatre mille francs), ce qui ressemble déjà aux gros prix des milliardaires américains d’aujourd’hui. Tout cet art oriental de l’Asie Mineure, que s’assimilèrent si bien les Grecs, fut ainsi pénétré d’art grec. Apollonius de Tyane, visitant Babylone un siècle avant Jésus-Christ, trouva des tentures tissées d’or où vivait la grâce héroïque et poétique des mythes grecs, la légende d’Andromède et la légende d’Orphée. On y trouvait aussi la représentation des victoires de Xerxès, qu’imitera Louis XIV, faisant célébrer ses triomphes par ses artistes et ses historiographes.

Tapisserie de haute lisse des Gobelins. Forme et agencement des métiers

La Grèce emploie à profusion la tapisserie dans ses temples, dans ses théâtres, dans ses palais, et pour la décoration des fêtes publiques. L’intérieur et les portiques du Parthénon sorti garnis de tentures. Une peinture de vase nous montre le métier de Pénélope, très peu différent des métiers des Gobelins, et sur lequel le suaire de Laërte apparaît, avec des dessins et des figures. Lucain décrit le voile de Sidon, sous lequel palpitait la beauté de Cléopâtre.

Aux Gobelins, dans les salles du musée, sous des vitrines, sont exposés les plus anciens spécimens de tapisserie que nous possédions. Ce sont les fragments des tapisseries des Coptes, qui sont regardés, par certains savants, comme des descendants directs des Égyptiens, par d’autres comme un peuple fait de tous les peuples ayant habité l’Égypte, ce qui revient à peu près au même. On voit, par ces fragments, comment les formes orientales ont pu annoncer, à travers les formes byzantines, nos formes romanes et même gothiques, qui renouvelèrent heureusement l’art par un effort instinctif et prodigieux, en s’éprenant directement de la nature.

Fragment de tapisserie copte
IIEn France – Le Moyen Âge – Dans les Flandres

Quand l’art s’est implanté dans le sol de France, il a poussé des racines profondes et des rameaux épais, il a connu une vie libre, épanouie, variée comme la nature, et à l’imitation de la nature.

LE SACRIFICE D’ABRAHAM

SIMON VOUET

ATELIERS DE PARIS

XVIIe SIÈCLE

Au Moyen Âge, tous les artisans sont des artistes, toutes les formes, depuis la forme de la cathédrale établie par un sublime architecte, jusqu’à la forme du plus humble objet, façonné par un obscur compagnon, sont des formes expressives, où l’esprit a mis son ambition, où la main a mis sa marque. Les principes de la composition et de l’ornementation sont connus par ceux qui conçoivent les grandes œuvres de l’architecture, de la sculpture, de la peinture. Mais ces principes sont connus aussi, devinés et ressentis par tous, et c’est ce qui empêche ces cloisons entre les arts, ces lignes de démarcation voulues par les spécialistes, qui ne savent faire qu’une chose, ou qu’un fragment d’une chose.

Au XIIIe et au XIVe siècle, le même souci de remplir les surfaces d’une certaine manière est la loi du peintre, du miniaturiste, de l’artiste tapissier. La figurine d’ivoire, le bas-relief d’un retable, les scènes fouillées dans l’appui d’une stalle, montrent non seulement la même science des volumes que les statues abritées aux porches des cathédrales, mais sont conçues pour les mêmes fins décoratives, avec les différences obligées par leur emploi. La construction d’un reliquaire est mesurée, équilibrée comme la construction d’une église, et tous les meubles, tous les objets, le bahut et la chaise, le coffre et la table, le chandelier et le chenet, etc., sont voulus et exécutés de la même manière robuste, simplement ornée, avec les seules différences voulues par la destination, par le milieu, par la condition des clients de l’artiste. Les différences, c’était l’emploi de matières plus rares ou plus coûteuses, mais en réalité il n’y avait pas un art royal, un art seigneurial, un art bourgeois et un art ouvrier, il n’y avait même pas un art religieux et un art laïque. Il y avait l’art, tout simplement, l’art mêlé à la vie, confondu avec la vie.

Le principe vivifiant de tous les arts de cette grande époque anime aussi l’art de la tapisserie. C’est le même souci que dans les décorations murales de l’antiquité, de l’Égypte et de l’Assyrie, de la Grèce et de Rome, c’est la volonté d’appliquer sur la muraille immobile la muraille mobile d’un tissu, et c’est, en même temps, une ardeur naïve et bientôt savante, à représenter par ces tentures toute la vie environnante, paysages des champs, des forêts, des rivages, des jardins, des villes, costumes des seigneurs, des bourgeois, des artisans, des villageois, scènes de l’antiquité, de l’Ancien et du Nouveau Testament, légendes installées dans l’Histoire, accommodées aux décors familiers des artistes, avec les costumes du temps, les modes de l’année, qui habillaient de la même manière les divinités mythologiques, les héros de la Grèce et de Rome, les personnages de la Bible et de l’Évangile. Dans l’art du Moyen Âge et de la Renaissance, c’est surtout l’époque du Moyen Âge et l’époque de la Renaissance qui vivent avec leur pittoresque, la variété de leur existence journalière.

Je ne puis qu’indiquer l’énorme production de tapisseries qui se fit du XIIe au XVIIe siècle, jusqu’à la fondation des Gobelins. Tous les pays d’Europe où il y avait des peintres et des artisans ont leurs châteaux, leurs églises, et nombre de leurs logis, ornés de tapisseries. Et nous venons en France où Joinville et Dudon relatent tentures et tapis, sans que rien nous renseigne exactement sur les ateliers et les métiers qui les ont produits. Notre pays paraît de bonne heure épris de ces revêtements de luxe pour décorer des salles, des tentes, des lits. On sait qu’il y avait des métiers à Poitiers au XIe siècle, qu’il y en a eu dans d’autres villes de France avant le XIVe siècle. L’usage du métier de haute lisse est mentionné dans une addition de 1303 aux statuts des « tapissiers sarrazinois », confirmés par Pierre le Jumeau, garde de la Prévôté de Paris en 1290. On sait qu’aux premières années du XIVe siècle la ville d’Arras possède des tapissiers se servant du métier de haute lisse et que leur réputation d’habileté se répand en Europe. On connaît le nom de Nicolas Bataille qui a travaillé à Paris pour le duc d’Anjou et autres personnages, d’après des cartons de Jean de Bruges, peintre du roi Charles V.

L’HISTOIRE DU ROI : L’AUDIENCE DU LÉGAT

LE BRUN

XVIIe SIÈCLE

Paris et Arras sont les deux centres où se produisent des merveilles, et le passionné d’art luxueux que fut Philippe le Hardi influença précieusement leur activité. Le siège et la prise d’Arras provoquent le départ des artisans haute-lissiers pour les Flandres.

Musée des Gobelins. – Salon Gothique : à gauche, tapisserie de « Louis XI faisant lever le siège de Dole » ; à droite, tapisserie de Reims : « Vie de la Vierge ». Statues de Charles V et de Jeanne de Bourbon

Pour être fidèle à la vérité de l’Histoire et de l’art, il faut donner son admiration aux tapisseries des Flandres qui ont réalisé une beauté décorative en accord avec l’art de la race et du temps. De Bruxelles, Gand, Louvain, Anvers, Bruges, Courtrai, Audenarde, Alost, Tournai, Valenciennes, Lille, Douai, où des mains agiles sont occupées à des centaines de métiers, de magnifiques pièces sortent et se déploient, répandent par l’Europe entière, dans les cours des souverains et des princes, les châteaux des seigneurs, les hôtels des argentiers et des bourgeois, des images d’un art incomparable.

Dans les Flandres et dans le Nord de la France, la navette agile et silencieuse faisait éclore sans cesse les verdures et les fleurs et vivre les animaux, les personnages, toute cette humanité à la fois réelle, bizarre, qui semble bouger aux plis des tentures, apparaît resplendissante aux lumières, et rentre dans l’ombre avec une pâleur de fantômes. Notre imagination évoque les vieux châteaux d’autrefois, où le vent agitait ces figures fantastiques, où l’hôte d’un soir pouvait connaître la fantasmagorie du cauchemar, où le prince Hamlet, tirant l’épée, transperçait à la fois un personnage imaginaire et l’imprudent Polonius.

Oui n’a admiré, dans les musées et les collections, au Louvre et à Madrid, ces magnifiques tableaux en laine et en soie, aujourd’hui adoucis et fanés par le temps, mais qui ont eu, au moment de leur première apparition, un éclat et une harmonie splendides ? L’art de la mise en place, de la décoration savante et complète des surfaces, n’a jamais été poussé plus loin que par les artistes créateurs de ces modèles et les artisans chargés de les exécuter. On doit donc proclamer la Flandre une aïeule vénérée de la tapisserie occidentale, et elle reste, dans l’histoire de l’art, parée de ses tentures comme d’un vêtement multicolore et doré d’une douceur infinie.

Ce que nous savons de l’emplacement des ateliers et du nombre des artisans qu’ils occupaient, nous explique cette prodigieuse éclosion de tentures. Il y a des clients riches et passionnés avec Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, le duc d’Anjou, Louis d’Orléans, Charles V, Charles VI. Vers la fin du XIVe siècle, Philippe le Hardi commande à l’un des haute-lissiers d’Arras, Michel Bernard, la tapisserie de la bataille de Rosebecque, qui mesurait deux cent quatre-vingt-cinq mètres carrés. Le fils de Philippe le Hardi est fait prisonnier à la bataille de Nicopolis, en 1396, et le sultan consent à sa mise en liberté si sa rançon comporte des draps de haute lisse ouvrés à Arras, en Picardie. Ce sont donc les Flamands qui ont été les maîtres et les propagateurs de l’art de la tapisserie au XIVe et au XVe siècle : puis des tapissiers ambulants viennent en France, en Allemagne, en Italie, où ils forment de magnifiques écoles.

Louis XI au siège de Dole

Le musée des Gobelins possède une magnifique pièce de cet art des Flandres. C’est Louis XI levant le siège de Dole et de Salins en 1477