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Extrait : "Depuis trois siècles le bruit courait qu'il existe sur la côte occidentale d'Afrique, au nord et au sud de l'équateur, un singe d'une force extrême, d'une taille gigantesque, le plus grand et le plus redoutable de tous : le roi des forêts africaines."
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Seitenzahl: 312
Veröffentlichungsjahr: 2015
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EAN : 9782335043358
©Ligaran 2015
Depuis trois siècles le bruit courait qu’il existe sur la côte occidentale d’Afrique, au nord et au sud de l’équateur, un singe d’une force extrême, d’une taille gigantesque, le plus grand et le plus redoutable de tous : le roi des forêts africaines.
Voyons ce qu’en racontaient les voyageurs :
Au commencement du dix-septième siècle, Andrew Battel, qui avait été longtemps prisonnier des Portugais, à Angola, décrivait sous le nom de Pongo un singe « semblable à l’homme dans toutes ses proportions, mais plus grand, grand comme un géant, et si fort que dix hommes ne suffiraient pas pour en dompter un seul. »
« Il a une face humaine, disait Battel, les yeux enfoncés, de longs cheveux aux côtés de la tête, le visage nu aussi bien que les oreilles et les mains, le corps légèrement velu ; son poil est d’un brun foncé. Il ne diffère de nous à l’extérieur que parce qu’il n’a que peu ou point de mollets. Cependant il marche debout, en tenant ses mains croisées derrière le cou. Il dort sur les arbres, se construit un abri contre le soleil et la pluie, vit de fruits, et ne peut parler, quoiqu’il ait plus d’entendement que les autres animaux. Quand les voyageurs abandonnent, le matin venu, le feu qu’ils ont entretenu pendant la nuit, les pongos viennent et s’asseyent autour du foyer jusqu’à ce qu’il soit éteint, mais ils n’ont pas assez d’intelligence pour l’entretenir en y mettant du bois. Ils vont de compagnie, tuent les nègres qu’ils rencontrent, attaquent même l’éléphant, qu’ils mettent en fuite à coups de poing ou à coups de bâton. »
Bosman, autre voyageur en Guinée, avait parlé du même singe. « Ils deviennent extrêmement grands, écrivait-il. J’en ai vu un de mes propres yeux qui avait 5 pieds de haut. Ils ont une assez laide figure, sont très méchants, très hardis, assez audacieux pour attaquer les hommes. Il y a des nègres qui assurent que ces singes peuvent parler, et que, s’ils ne le font pas, c’est qu’ils ne veulent pas s’en donner la peine. Ce qu’il y a de mieux à dire, c’est qu’ils sont capables d’apprendre tout ce qu’on voudra leur enseigner. »
M. de la Brosse, dans un voyage à la côte d’Angola, publié en 1738, disait qu’ils atteignent jusqu’à 6 et 7 pieds de haut, que leur force est sans égale, qu’ils cabanent et se servent de bâtons pour se défendre. Il en faisait le portrait que voici :
Face plate, nez camus et épaté, oreilles sans bourrelet, peau un peu plus claire que celle d’un mulâtre, poil long et rare dans plusieurs parties du corps ; ventre extrêmement tendu, talons plats et élevés d’un demi-pouce environ par derrière. Ils marchent sur deux pieds et sur quatre quand ils en ont la fantaisie. M. de la Brosse ajoute qu’ils tâchent de surprendre les négresses, les gardent avec eux, les soignent très bien. « J’ai connu à Lowango, dit-il, une négresse qui était restée trois ans avec ces animaux. »
Enfin, car nous devons nous borner, M. Bowditch, dans sa Relation d’une mission du cap Coast à Ashantee, publiée en 1819, avait écrit :
« Notre sujet de conversation favori et le plus curieux, quand il était question d’histoire naturelle, était l’Ingéna, un animal pareil à l’orang-outang, mais d’une taille bien plus élevée. Il a 5 pieds de haut et 4 en largeur d’une épaule à l’autre. On dit que sa main est d’une grandeur démesurée, et qu’un seul coup de cette main peut donner la mort. Les voyageurs qui vont à Kaybe le rencontrent ordinairement ; il s’embusque dans les fourrés pour tuer les hommes qui passent, et il se nourrit surtout de miel sauvage. Parmi les autres traits qui caractérisent cet animal ; et sur lesquels personne ne varie, on rapporte qu’il se bâtit une cabane, grossière imitation de celle des indigènes, et qu’il dort sur le toit de cette demeure. »
Inutile de dire que l’Afrique ne renferme aucun singe qui soit semblable à l’homme dans toutes ses proportions, qui ne diffère de celui-ci à l’extérieur que par le peu de saillie de ses mollets, et qui ne parle point uniquement parce qu’il ne veut pas se donner la peine de le faire. « Je regrette, – dit un auteur à qui nous ferons tout à l’heure de nombreux emprunts, – je regrette d’être obligé de détruire d’agréables illusions ; mais le gorille ne s’embusque pas sur les arbres pour saisir avec ses griffes le voyageur sans défense ; il ne l’étouffe pas entre ses pieds comme dans un étau… il n’enlève pas les femmes de leurs villages ; il ne se bâtit pas une cabane de branchages dans les forêts ; il ne marche pas par troupes, et dans tout ce qu’on a raconté de ses attaques en masse, il n’y a pas l’ombre de vérité. »
Les rapports des voyageurs étaient donc entachés d’exagération et d’erreur ; mais outre que tout ce qu’on racontait d’erroné n’était pas invraisemblable, ces récits s’accordaient à attester l’existence d’un singe distinct du chimpanzé, plus grand, plus fort, plus dangereux que ce dernier, et de cela il n’y avait aucune raison de douter ; l’attention était donc éveillée. C’est en 1846 que les doutes cessèrent.
Le hasard fit qu’à cette époque un missionnaire américain, le révérend docteur J. Leigton Wilson, découvrit au Gabon le crâne d’un singe d’une espèce nouvelle et extraordinaire. Une cavité crânienne étroite, presque tout entière rejetée derrière les orbites, et où les circonvolutions cérébrales n’avaient laissé que de faibles empreintes ; des mâchoires d’une puissance prodigieuse, fortement projetées en avant, et armées de redoutables canines profondément enracinées ; aux bords sourciliers du frontal, sur la ligne de rencontre des pariétaux et à la jonction de ceux-ci avec l’occipital, des crêtes osseuses énormes ; enfin, des pommettes très larges et très arquées ; en un mot, tous les caractères de la bestialité portée à l’excès et unis à ceux d’une force sans égale parmi les singes : tel était ce crâne, qui n’avait pu appartenir qu’à l’’Ingéna de Bowditch, au Pongo de Battel. Un savant naturaliste américain, le professeur Jeffries Wyman, en donna la description en 1847 dans le Journal d’Histoire naturelle de Boston. La découverte de M. Wilson ne resta pas longtemps isolée, et l’anatomie du nouveau quadrumane, auquel Wyman avait donné le nom de Gorille, devint l’objet des travaux de Richard Owen en Angleterre, d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et de Duvernoy en France. L’intérêt s’accrut encore quand le premier blanc qui ait vu en face un gorille vivant eut fait connaître ses merveilleux récits de chasse.
Ce blanc est un Américain d’origine française, M. Paul du Chaillu. Il s’embarqua au mois d’octobre 1855 pour la côte occidentale d’Afrique. Son intention était de consacrer quelques années à l’exploitation de la région comprise entre le deuxième degré de latitude nord et le deuxième degré sud, sur tout l’espace qui s’étend de la côte à la chaîne de montagnes appelée la sierra del Crystal. Cette contrée est le domaine du gorille. Maintes fois, dans une précédente excursion en Afrique, notre voyageur avait entendu parler de cet animal, de son terrible rugissement, de sa force prodigieuse, de son grand courage. Atteindre le gorille dans ses repaires, le tuer, en enrichir la science, c’était un des buts de M. du Chaillu. Nous allons le voir à l’œuvre.
Mais pendant qu’il est à la recherche de cet être extraordinaire, écoutons ce qu’en racontent, au rapport de l’auteur américain, les nègres assis le soir autour du feu du bivouac.
– Mon père, dit l’un, m’a rapporté autrefois qu’étant un jour dans la forêt, il se trouva tout à coup face à face avec un grand gorille qui lui barrait le chemin. Mon père tenait sa lance à la main ; à la vue de cette arme, le gorille se mit à rugir. Alors mon père, épouvanté, laissa tomber sa lance. Quand le gorille vit mon père désarmé, il parut satisfait ; il le regarda un instant, puis le laissa ; il rentra dans l’épaisseur de la forêt. Mon père, de son côté, fut bien content et poursuivit son chemin.
Et les auditeurs de s’écrier tout d’une voix :
– Oui, oui, c’est ce qu’il faut faire quand on rencontre un gorille ; laissez tomber votre lance, vous l’apaiserez !
– Il y a quelques saisons sèches, dit un autre, un homme à la suite d’une violente querelle disparut de mon village. Peu de temps après, un Ashira, allant dans la forêt, y rencontra un très grand gorille. Ce gorille était l’homme même qui avait disparu. Il sauta sur le pauvre Ashira, le mordit au bras et lui emporta un morceau de chair ; puis il le laissa aller. Le malheureux revint le bras tout ensanglanté me raconter son aventure. J’espère que nous ne rencontrerons pas un de ces hommes-gorilles ; car ce sont des êtres bien méchants, et nous aurions de terribles moments à passer.
Le chœur :
– Non, non, nous ne rencontrerons pas de ces méchants gorilles !
Ils croient en effet, dit l’auteur cité, qu’il y a des gorilles d’une espèce particulière qui servent d’habitation aux esprits de certains nègres morts. Les initiés les reconnaissent à des signes mystérieux et surtout à leur taille extraordinaire. Ces gorilles-là, au dire des indigènes, ne peuvent jamais être pris ni tués ; ils ont aussi plus de sagacité et de raison que le commun des animaux. Dans ces bêtes possédées, l’intelligence de l’homme s’unit à la vigueur et à la férocité de l’animal…
Il y a quelques années un homme disparut, emporté probablement par un léopard. On raconta et on crut qu’étant un jour à se promener dans les bois, il avait été métamorphosé en un hideux gorille que les noirs poursuivirent souvent sans pouvoir le tuer, quoiqu’il errât aux alentours du village.
Autre histoire : Des indigènes rencontrèrent dans un champ de cannes à sucre une troupe de gorilles en train de lier les cannes pour les emporter. Ils les attaquèrent, mais les singes les mirent en fuite, et leur firent perdre plusieurs hommes, les uns tués, les autres prisonniers. Peu de jours après, ces derniers revinrent chez eux : les ongles des pieds et des mains leur avaient été arrachés.
Deux femmes Mbondémos se promenaient dans une forêt, quand tout à coup un énorme gorille enjamba le sentier, et empoignant une des femmes, l’emporta en dépit de ses cris et de ses efforts. L’autre retourna au village, tremblante de terreur, et raconta l’aventure. Naturellement sa compagne fut tenue pour perdue. Quelle fut donc la surprise générale, lorsqu’au bout de quelques jours celle-ci revint chez elle…
– C’était un gorille habité par un esprit, dit l’un des auditeurs.
Un gorille se promenait dans la forêt lorsqu’il rencontra un léopard. Tous deux s’arrêtèrent. Le quadrupède, qui avait faim, se ramassa sur lui-même pour sauter à la gorge de son ennemi qui aussitôt se mit à pousser son épouvantable hurlement. Sans se laisser intimider, le léopard prit son élan. Par malheur, il fut attrapé en l’air par le gorille qui le saisit par la queue et le fit tournoyer avec tant de force que la queue se détacha, et l’animal s’enfuit laissant son appendice entre les mains du gorille.
Revenu auprès de ses camarades, le quadrupède eut à répondre à leurs questions. « Qu’est-il arrivé ? » lui demandèrent-ils. Il fallut raconter toute l’histoire. À cette nouvelle, le chef des léopards hurla si fort et si longtemps que de tous les points de la forêt ses sujets accoururent.
À peine eurent-ils connu l’injure faite à leur frère qu’ils jurèrent de le venger. Ils se mirent donc en campagne à la poursuite du gorille.
Cette recherche ne fut pas longue. Dès que le grand singe les vit approcher, il brisa un arbre, et s’en servant en guise de massue, il fit le moulinet d’un air si menaçant qu’il tint en respect l’armée des assaillants ; mais à la fin il se lassa, ce que voyant, les léopards s’élancèrent sur lui tous ensemble, et l’étranglèrent.
Un jour, un autre gorille se promenait également dans la forêt avec sa femme et son petit garçon, lorsqu’il se trouva tout à coup en face d’un énorme éléphant, qui lui dit :
– Laisse-moi passer, gorille, car ces forêts m’appartiennent.
– Oh ! oh ! fit le gorille, comment ces forêts t’appartiendraient-elles ? Ne suis-je pas le maître d’ici ? Ne suis-je pas l’homme des bois ?
Cela dit, il ordonna à sa femme et à son petit garçon de se tenir à l’écart, puis il cassa un gros arbre, s’en arma, et tomba sur l’éléphant qui fut assommé. Quelques jours après, on trouva le corps de l’éléphant par terre, et la massue à côté de lui.
Un fait accrédité chez toutes les tribus qui connaissent un peu le gorille, c’est que cet animal se met en embuscade sur les branches inférieures des arbres, et que s’il passe quelqu’un à sa portée, il accroche le malheureux avec son pied large et puissant, l’enlève sur l’arbre et l’étrangle à son aise.
Ils sont persuadés que si une femme près de devenir mère, ou que si seulement le mari de cette femme voit un gorille et même un gorille mort, la femme donnera le jour non à un enfant, mais à un petit gorille. J’ai remarqué, dit M. du Chaillu, cette superstition chez toutes les tribus, et seulement à propos du gorille.
Mais cette superstition ne les empêche pas de manger du gorille. Ils mettent soigneusement la cervelle à part pour en faire des charmes magiques. « Si nous tuons demain un gorille, disait un noir, je veux avoir une partie de sa cervelle pour fétiche. Rien ne rend un homme plus intrépide que d’avoir pour fétiche de la cervelle de gorille. – Oui, répétaient les autres, cela donne un cœur à toute épreuve. »
Accompagné d’hommes et de femmes de la tribu des Mbondémos, M. du Chaillu, gravissant la seconde chaîne des montagnes de Cristal, venait d’atteindre, non loin des sources de la Ntambonnay, un emplacement découvert où avait été établi autrefois un Village Mbondémo. Une espèce dégénérée de canne à sucre croissait à la place où il y avait eu des maisons. Tourmenté par la faim, le voyageur avait hâte de cueillir quelques tiges, mais un fait que lui signalèrent ses hommes vint donner un tout autre cours à ses idées. Çà et là des cannes avaient été abattues, déracinées, brisées en plusieurs morceaux, et mâchées. Les Mbondémos s’entre-regardaient en murmurant à voix basse : Njéna, c’est-à-dire gorille.
« C’étaient, en effet, des traces de gorilles, et des traces toutes fraîches. On trouva bientôt les empreintes de leurs pieds ; ils avaient dû être quatre ou cinq. De temps en temps ils s’étaient assis pour mâcher les cannés.
C’était la première fois que je voyais ces empreintes, raconte M. du Chaillu, et ce que j’éprouvai ne pourrait se décrire. J’étais donc sur le point de me trouver face à face avec ce monstre dont la férocité, la force et la ruse avaient fait si souvent le sujet des entretiens des indigènes, un animal à peine connu du monde civilisé, et que les hommes blancs n’avaient jamais chassé ! Mon cœur battait à me faire craindre que le bruit de ses palpitations ne donnât l’éveil au gorille, et mon émotion était réellement excitée jusqu’à devenir une souffrance. »
Les femmes étaient terrifiées ; on les met à l’abri de quelques huttes de feuillage élevées par des voyageurs de commerce. Le reste de la troupe examine soigneusement, ses fusils et la chasse commence.
On descend la montagne, on traverse un cours d’eau, on s’approche de quelques gros blocs de granit. À leur pied est couché un arbre mort, d’une taille immense, autour duquel se voit la marque des pas de plusieurs gorilles.
Nul doute, ceux-ci se sont cachés derrière les blocs. Il faut en faire le tour. Les chasseurs se partagent en deux bandes ; l’une prend par la droite, l’autre par la gauche, tous le fusil en main, prêts à faire feu. L’animation des noirs était plus vive encore que celle de leur chef. Ils avançaient à travers les fourrés épais et sombres, quoiqu’il fit grand jour. Malheureusement on élargit trop le cercle. Les gorilles aux aguets virent les chasseurs. Tout à coup, un cri étrange, discordant, à moitié humain, presque diabolique, retentit, et on vit quatre jeunes gorilles qui fuyaient dans l’épaisseur de la forêt ; leur tête inclinée, leur corps penché en avant, tout en eux donnait l’idée d’un homme qui fuit pour sauver sa vie. Ils ressemblaient d’une manière effrayante à des hommes velus. « Je déclare, dit M. du Chaillu, que je me sentis presque l’émotion d’un homme qui va commettre un meurtre… » Ajoutons à cela leur cri terrible qui, tout sauvage et bestial qu’il est, a cependant quelque chose d’humain dans sa discordance, et nous cesserons de nous étonner des superstitions des indigènes au sujet de ces hommes des bois. Tous les fusils partirent à la fois ; aucun animal ne fut atteint. Les chasseurs s’élancèrent à leur poursuite, coururent à perdre haleine ; ce fut en vain. Ces bêtes agiles connaissaient le bois mieux que leurs agresseurs ; elles échappèrent.
C’était donc partie remise. Mais du moins M. du Chaillu pouvait se vanter d’avoir vu des gorilles vivants. Il ne devait pas tarder à en voir de plus près.
Quelques jours après cette chasse manquée, l’intrépide voyageur et ses amis les Mbondémos, partis de grand matin, exploraient vainement depuis plusieurs heures les profondeurs les plus touffues et les moins abordables de la forêt ; pas la moindre apparence de gorille. Tout à coup l’un des hommes poussa une sorte de petit gloussement, signal usité chez les indigènes pour appeler l’attention sur quelque chose d’imprévu ; en même temps, M. du Chaillu crut entendre comme un bruit de branchages que l’on cassait.
« C’était le gorille ! Je le devinai tout de suite à l’air résolu et satisfait de mes compagnons. Ils visitèrent avec soin leurs fusils, et j’examinai aussi le mien, puis nous avançâmes avec précaution.
Le bruit singulier de branches cassées continuait de se faire entendre. Enfin, nous crûmes voir, à travers les épais massifs, osciller des branches et de jeunes arbres que l’énorme bête était en train d’arracher, probablement pour cueillir les fruits dont elle se nourrit.
Tout à coup, pendant que nous rampions, au milieu d’un silence tel que notre respiration en ressortait distincte et bruyante, toute la forêt retentit à la fois du terrible cri du gorille.
Puis les broussailles s’écartèrent, et soudain nous fûmes en présence d’un énorme mâle. Il avait traversé le fourré à quatre pattes, mais dès qu’il nous aperçut, il se dressa de toute sa hauteur, et nous regarda hardiment en face. Il se tenait à peu près à une quinzaine de pas de nous. C’est une apparition que je n’oublierai jamais. Il paraissait avoir près de 6 pieds ; son corps était immense, sa poitrine monstrueuse, ses bras d’une incroyable énergie musculaire. Ses grands yeux gris et enfoncés brillaient d’un éclat sauvage, et sa face avait une expression diabolique. Tel apparut devant nous ce roi des forêts de l’Afrique.
Notre vue ne l’effraya pas. Il se tenait là, à la même place, et battait sa poitrine avec ses poings démesurés qui la faisaient résonner comme un tambour immense. C’est leur manière de défier leurs ennemis. En même temps il poussait rugissements sur rugissements.
Le rugissement du gorille est le son le plus étrange et le plus effrayant qu’on puisse entendre dans ces forêts. Cela commence par une sorte d’aboiement saccadé, comme celui d’un chien irrité, puis se change en un grondement sourd qui ressemble littéralement au lointain roulement du tonnerre, si bien que j’ai été parfois tenté de croire qu’il tonnait, quand j’entendais cet animal sans le voir. La sonorité de ce rugissement est si profonde, qu’il a moins l’air de sortir de la bouche et de la gorge, que des spacieuses cavités de la poitrine et du ventre.
Ses yeux s’allumaient d’une flamme de plus en plus ardente, pendant que nous restions immobiles et sur la défensive. Les poils ras du sommet de sa tête se hérissèrent et commencèrent à se mouvoir rapidement, en même temps qu’il découvrait ses canines puissantes et poussait de nouveaux, rugissements. Il me rappelait alors ces êtres hybrides, moitié hommes, moitié bêtes, dont l’imagination des anciens peintres a peuplé les régions infernales. Enfin, il s’avança de quelques pas, puis s’arrêta pour pousser son épouvantable rugissement ; il s’avança encore et s’arrêta à dix pas de nous, et comme il recommençait à rugir en se battant la poitrine avec fureur, nous fîmes feu et nous le tuâmes. »
Le râle qu’il fit entendre tenait à la fois de l’homme et de la bête. Il tomba la face contre terre. Le corps trembla convulsivement pendant quelques minutes, les membres s’agitèrent, puis tout devint immobile. Le cadavre mesurait 5 pieds 8 pouces anglais.
Un autre jour, étant encore en chasse, M. du Chaillu entendit d’une grande distance un bruit sourd et puissant qu’il prit pour un roulement de tonnerre. Prévoyant un orage, il se hâta de chercher un abri sous un bouquet d’ébéniers, mais il s’aperçut bientôt que ce prétendu roulement de tonnerre n’était autre que la voix d’un gorille mâle appelant sa femelle. Celle-ci lui répondit au bout d’un instant par un rugissement plus faible. Les échos se renvoyaient cette voix terrible de montagne en montagne. La forêt semblait trembler.
Notre voyageur glissa aussitôt une balle dans son fusil, alors chargé de menu plomb pour les oiseaux, et marcha dans la direction du cri. De temps en temps le bruit sourd que fait le mâle en battant sa poitrine de ses larges poings arrivait jusqu’à lui. Bientôt il entendit craquer des branches et il vit à travers les fourrés un jeune arbre, rudement secoué, tomber en quelques minutes. Mais peut-être l’animal eut-il conscience du danger, car un profond silence succéda aux rugissements, et lorsque M. du Chaillu se fut ouvert un passage dans le fourré, le gorille avait disparu.
« Je suis sûr, écrit-il, d’avoir entendu son rugissement d’une distance de 3 milles et le battement de ses bras contre sa poitrine de 1 mille au moins. Il n’y a pas de mot pour rendre l’effet de cette espèce de tonnerre. »
En examinant la forêt où ces gorilles venaient de prendre leurs ébats et leur nourriture, je compris pour la première fois, ajoute-t-il, pourquoi les dents canines de cet animal, du mâle, surtout, sont ordinairement si usées en dehors, et je trouvai en même temps des preuves étonnantes de sa vigueur. Plusieurs arbres, dont chacun avait de 4 à 6 pouces de diamètre, avaient été cassés et portaient les marques des morsures des gorilles dont les dents avaient pénétré jusqu’au cœur de l’arbre pour en extraire la moelle. C’était un bois dur, et je vis bien à la manière dont il avait été rongé, qu’il ne fallait pas attribuer à une autre cause la détérioration singulière que j’avais remarquée à l’extérieur des dents canines de ces animaux. »
Quelques jours après cette rencontre manquée, les indigènes rapportèrent à M. du Chaillu qu’un monstrueux gorille avait été vu plusieurs fois dans la forêt à 10 milles à l’est. Le voyageur, qui était justement en quête d’un sujet exceptionnel pour sa collection, prit aussitôt la résolution d’aller chercher celui-là.
Accompagné d’un nègre nommé Gambo, il chassait depuis plusieurs heures, quand dans un fourré, au fond d’un obscur ravin, il se trouva subitement en présence de deux gorilles, le mâle et la femelle. Déjà ceux-ci les avaient aperçus ; la femelle jeta un cri d’alarme et s’enfuit à travers bois. Quant au mâle, qui était précisément celui à qui M. du Chaillu en voulait, il ne montra aucune envie de fuir. Il se leva lentement, regarda en face ceux qui troublaient sa retraite, et poussa un rugissement de rage. Les chasseurs s’étaient mis côte à côte, attendant l’attaque du monstre. Entrevus dans le demi-jour du ravin, ses traits hideux, crispés par la colère, ses yeux étincelants d’un feu sombre, sa face de satyre violemment contractée, tout en lui était effroyable.
Il s’avançait par saccades, suivant la coutume de ces animaux, faisant halle de temps en temps pour tambouriner sur sa poitrine qui rendait un son creux et sourd comme ferait une grosse caisse tendue d’une peau de bœuf ; puis il poussait un court aboiement suivi de ce grondement formidable qu’on connaît déjà.
Les deux hommes restèrent fermes à leur poste pendant trois longues minutes, attendant que le gigantesque animal fût bien à portée. Arrivé à huit pas de distance, le monstre releva la tête, poussa un nouveau rugissement et se battit la poitrine. Il allait se remettre en marche, quand deux coups de feu partirent à la fois, le singe chancela, et tomba tout de son long la face contre terre ; il était mort.
« Je vis d’un coup d’œil, écrit le narrateur, que c’était bien l’animal que je voulais avoir. C’est le plus vieux de toute ma collection et presque le plus grand que j’ai jamais vu. Gambo, vieux chasseur quoique jeune homme, en avait vu quelques-uns de plus forts, mais pas beaucoup. Sa taille était de 5 pieds 9 pouces ; ses bras étendus en mesuraient 9 ; sa poitrine avait 62 pouces de circonférence. Ses mains, armes terribles, dont un seul coup éventre un homme et lui brise les membres, avaient une immense force musculaire et se recourbaient comme de véritables griffes. Je pouvais juger de la portée du coup, asséné par une telle main, emmanchée à un bras tout charpenté de gros paquets de fibres musculaires. L’orteil n’avait pas moins de 6 pouces de tour. »
Autres histoires de chasse.
C’était un matin ; la nuit avait été terrible : un orage épouvantable avait éteint les feux du bivouac ; et fort maltraité nos voyageurs. Le cri du gorille se fit entendre, et aussitôt M. du Chaillu se sentit ranimé. Il avala une tasse de café et un biscuit, rien de plus, car les vivres étaient rares, et il partit.
À peine avait-on marché un quart de mille que le rugissement se fit entendre de nouveau. L’animal n’était pas loin, et les buissons qui se courbaient pour lui livrer passage indiquaient qu’il se rapprochait. Les chasseurs s’arrêtèrent et firent silence, craignant de l’effaroucher. C’était une précaution superflue. Dès que le gorille les vit, il écarta les broussailles, se dressa sur les deux pieds, fit quelques pas, s’arrêta, s’assit, frappa de ses poings sa large poitrine, se releva, fit quelques pas, s’arrêta encore, ouvrit sa bouche caverneuse et rugit.
Quand il ne se trouva plus qu’à dix pas, M. du Chaillu jugea qu’il était temps d’en finir. Le coup l’atteignit en pleine poitrine ; il tomba la face contre terre. « Ces animaux, fait observer notre auteur, meurent sans beaucoup de peine ; ils n’ont pas la vie dure comme la plupart des bêtes féroces. C’est encore une ressemblance de plus avec l’homme. Ce gorille était un mâle d’âge moyen. »
Encore une rencontre, encore une victoire. L’animal avait annoncé sa présence par des rugissements. On le croyait tout près ; il fallut marcher plus de trois quarts d’heure avant de le rencontrer. Dès qu’il aperçut les hommes, il vint résolument à eux, poussant plusieurs fois de suite des aboiements aigus.
« À sa manière d’approcher, j’eus, encore une fois, écrit M. du Chaillu, l’occasion de remarquer la difficulté qu’il éprouve à se tenir longtemps debout. Ses jambes courtes et minces ne sont pas de force à supporter la masse de son corps ; il fléchit sous le poids, et sa marche est une espèce de dandinement où ses longs bras, gauchement manœuvrés, lui servent de balancier et le maintiennent en équilibre. Deux fois il s’assit pour rugir, comme s’il sentait que la force nécessaire pour la pleine émission du son lui manquerait s’il restait debout.
Mon fusil venait d’être chargé. Je pouvais me fier à mon arme, et je me tenais en avant des autres. J’attendis que l’énorme bête fût à dix pas de moi ; alors, comme elle s’arrêtait une dernière fois pour rugir, je fis feu, et elle tomba la face contre terre et sans vie.
C’était un jeune mâle, parvenu à toute sa croissance ; ses grosses dents canines, ses mains pareilles à des griffes, l’immense développement des muscles de ses bras et de sa poitrine, tout son extérieur enfin attestait une force gigantesque.
Je n’ai jamais pu, en face d’un gorille abattu, garder cette indifférence, et encore moins ressentir cette joie triomphante du chasseur après un bon coup. Il me semblait toujours avoir tué une créature, monstrueuse à la vérité, mais gardant encore quelque chose d’humain. C’était une erreur, et pourtant ce sentiment était plus fort que moi.
L’animal avait 5 pieds 8 pouces. »
Toutes les chasses n’ont pas cette heureuse issue. Une fois que M. du Chaillu battait les bois à la tête d’une petite troupe, un de ses hardis compagnons eut l’imprudence de s’avancer seul du côté où il pensait rencontrer un gorille. Il y avait à peu près une heure qu’on l’avait perdu de vue, quand on entendit un coup de feu tiré à peu de distance, puis un second. On courut dans la direction du bruit, espérant trouver un gorille mort, quand tout à coup la forêt retentit des plus terribles rugissements.
« Gambo me saisit le bras, tout troublé, et nous pressâmes le pas, agités de sinistres pressentiments. Nous n’allâmes pas loin sans les voir réalisés. Le pauvre camarade, qui s’était aventuré tout seul gisait à terre dans une mare de sang. Ses entrailles sortaient du ventre, affreusement déchiré. À côté de lui était son fusil ; la crosse en était brisée, et le canon, ployé et aplati, portait la marque des dents du gorille.
Le malheureux n’était pas mort. On pansa ses blessures, on lui fit boire un peu d’eau-de-vie ; il reprit ses sens et put parler, quoique avec difficulté. Il raconta alors qu’il s’était trouvé face à face avec un grand gorille mâle, à l’air très farouche, et quoiqu’il ne l’eût tiré qu’à dix pas, la forêt étant très obscure en cet endroit, il avait manqué son coup ; du moins n’avait-il fait que blesser l’animal au côté. Alors celui-ci, se battant la poitrine avec rage, s’était mis à marcher contre son agresseur.
Fuir était impossible ; l’homme eût été atteint avant d’avoir fait quelques pas. Il resta donc, rechargeant son fusil aussi vite que possible. Mais au moment où il levait l’arme, le gorille la lui fit tomber des mains, et le coup partit pendant la chute. Au même instant, l’animal poussa un rugissement, éventra le chasseur d’un seul coup de son énorme main, et lui mit les entrailles à nu. Pendant que le malheureux tombait, le monstre saisit le fusil et l’aplatit entre ses puissantes mâchoires. »
Quand M. du Chaillu arriva sur le terrain, le gorille avait disparu. « C’est l’habitude de ces animaux, quand on les attaque, de frapper un ou deux coups, puis de laisser par terre la victime de leur fureur et de se retirer dans les bois. »
Le pauvre homme fut rapporté au camp, où on lui fit répéter le récit de son aventure, et on conclut que ce n’était pas un gorille qui l’avait attaqué, mais un homme, un méchant homme changé en gorille. Personne, ajoutait-on, ne pouvait échapper à un tel être, et il ne pouvait être tué même par les chasseurs les plus intrépides…
Il fut tué cependant le lendemain. Mais sa victime succomba elle-même quelques heures après.
M. du Chaillu, qui a tué tant de gorilles adultes, n’en a jamais pris de vivants. Il regarde même comme impossible qu’on en prenne jamais. Pour les jeunes, c’est différent, quoique la chose présente des difficultés.
Quelques chasseurs que notre voyageur avait pris à son service étaient allés battre les bois pour son compte. Au nombre de cinq, ils traversaient sans bruit la forêt, lorsqu’ils entendirent le cri d’un petit gorille appelant sa mère. Il était près de midi ; un silence profond régnait. Le cri se fit entendre une seconde fois. Les hommes, sachant quelle joie la capture d’un jeune gorille causerait à leur maître, résolurent de marcher du côté d’où venait le bruit. Le fusil à la main, ils se glissèrent dans un épais fourré ; quelques indices leur firent reconnaître que la mère n’était pas loin ; il y avait même lieu de croire que le mâle était aussi dans les environs ; cependant les braves gens n’hésitèrent pas.
Silencieux comme la mort, retenant leur souffle, ils avançaient. À quelques pas devant eux, les buissons remuèrent. Bientôt ils aperçurent un jeune gorille assis et mangeant ; à peu de distance était la mère assise aussi et mangeant également. Au moment où ils levaient les fusils, celle-ci les aperçut ; les coups partirent, et elle tomba mortellement blessée.
Au bruit de la décharge, le petit gorille se précipita sur la vieille femelle, l’entoura de ses bras, se coucha sur son sein. Mais les cris de triomphe des chasseurs le rappelant à lui, il lâcha le corps de sa mère, grimpa sur un arbre, et s’enfuit jusqu’au sommet, où il s’assit en poussant des hurlements.
Les noirs étaient bien embarrassés ne voulant ni tirer sur lui, ni s’exposer à ses morsures. Enfin, ils s’avisèrent d’abattre l’arbre, et profitant au moment où celui-ci tombait, de la surprise du petit monstre, ils lui jetèrent un pagne sur la tête, ce qui n’empêcha pas que l’un d’eux ne fût mordu grièvement à la main, et qu’un autre n’eût la cuisse entamée.
Comme ce petit animal, quoique chétif de taille et tout enfant par l’âge, était d’une vigueur étonnante et que rien ne pouvait modérer sa fureur, on ne savait comment l’emporter. On finit par lui prendre le cou dans une fourche qui le tenait à distance, en même temps qu’elle l’empêchait de s’échapper, et c’est dans cet équipage qu’on l’amena à M. du Chaillu. « Je ne puis, écrit-il, décrire les émotions que je ressentis. Ce seul instant me récompensa de toutes les fatigues et de toutes les souffrances que j’avais éprouvées en Afrique. »
Le village était tout en émoi. Le jeune gorille rugissait et beuglait. Ses petits yeux lançaient des regards farouches, et s’il eût pu attraper quelqu’un, il lui eût fait un mauvais parti.
En deux heures, on construisit une cabane de bambou très forte, avec des barreaux assez espacés pour que le singe pût voir au dehors et être vu. On l’y jeta de force, et M. du Chaillu put jouir tranquillement du spectacle de sa conquête.
C’était un jeune mâle, qui évidemment n’avait pas encore trois ans. Sa face et ses mains étaient toutes noires, ses yeux moins enfoncés que ceux des adultes. Les poils de sa chevelure commençaient juste aux sourcils et s’élevaient au sommet de la tête, où ils étaient d’un brun rougeâtre, pour redescendre des deux côtés sur la face jusqu’à la mâchoire inférieure, en dominant des sortes de favoris. La lèvre supérieure était bordée d’un poil peu fourni et grossier. Les paupières étaient très minces, les sourcils droits et longs de trois quarts de pouce.
Le pelage du dos était gris de fer ; la poitrine et le ventre ôtaient également velus. Le poil était plus long que partout ailleurs sur les bras, et il y paraissait d’un noir grisâtre, ce qui provenait de ce qu’il était noir à sa racine et blanc à son extrémité. Aux poignets et aux mains le poil était noir, et il descendait sur les doigts jusqu’à la seconde phalange. Celui des jambes était d’un noir grisâtre, et devenait de plus en plus foncé à mesure qu’il se rapprochait des chevilles. Celui des pieds était tout noir.
Laissons maintenant M. du Chaillu raconter les faits et gestes de ce baby.
« Quand je vis le petit camarade solidement enfermé dans sa cage, je m’approchai pour lui adresser quelques paroles d’encouragement. Il se tenait dans le coin le plus reculé, mais dès que je m’avançai il rugit et s’élança sur moi, et quoique je me fusse retiré le plus vite possible, il réussit à saisir mon pantalon qu’il déchira avec un de ses pieds ; puis il retourna dans son coin. Cette attaque me rendit plus circonspect ; pourtant je ne désespérais pas de parvenir à l’apprivoiser.
Il était accroupi au fond de sa cage ; ses yeux gris lançaient des regards méchants ; je n’ai jamais vu une face plus sombre que celle de ce petit animal.
La première chose que j’avais à faire, c’était d’épier les besoins de mon prisonnier. J’envoyai chercher les fruits que cet animal préfère, et je les plaçai à sa portée avec un vase d’eau. Mais il ne voulut toucher à rien avant que je me fusse éloigné à une distance considérable.