Les Hôtels historiques de Paris  (Illustré) - Georges Bonnefons - E-Book

Les Hôtels historiques de Paris (Illustré) E-Book

Georges Bonnefons

0,0
3,49 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Les Hôtels de Paris, dont les historiens n’ont presque pas parlé, ont en effet joué un grand rôle dans les événements du passé. Dans leurs appartements, ont habité tour à tour les personnages les plus célèbres et les femmes les plus jolies de chaque époque, laissant derrière eux, comme trace de leur passage, un souvenir de gloire ou d’amour, de honte ou de sang ; – dans leurs salons, se sont improvisés, au moindre caprice des courtisans ou des ennemis de la Royauté, de brillantes fêtes, ou des drames sanglants, dont la Saint-Barthélemy fut le plus terrible épisode ; – dans leurs boudoirs, sont nées la causerie, cette guerre d’esprit, et la Fronde, cette guerre d’ambition dirigée par l’amour ; – dans leurs alcôves, ont été composés les madrigaux les plus galants

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Veröffentlichungsjahr: 2021

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



A M.X.-B. SAINTINE.

Permettez-moi de vous dédier cet ouvrage. Par elle-même, cette offre a sans doute bien peu de valeur, mais elle en acquerra beaucoup à mes yeux, si vous l’acceptez comme un hommage du cœur, comme un témoignage de mon amitié et de ma reconnaissance.

GEORGES BONNEFONS.

Paris, 3 Décembre 1851.

LES

HOTELS HISTORIQUES

DE

PARIS

PAR GEORGES BONNEFONS

First Editions 1852

© 2021 Librorium Editions

 

AVANT-PROPOS.

 

C’est la voix des années qui ne sont plus,

elles se déroulent, devant moi avec tous

leurs évènements. (OSSIAN).

 

Depuis deux siècles, on a certes beaucoup écrit sur Paris1 ; pourtant, dans l’histoire de cette grande cité, existait encore une lacune que nous avons essayé de combler.

Les Hôtels de Paris, dont les historiens n’ont presque pas parlé, ont en effet joué un grand rôle dans les événements du passé. Dans leurs appartements, ont habité tour à tour les personnages les plus célèbres et les femmes les plus jolies de chaque époque, laissant derrière eux, comme trace de leur passage, un souvenir de gloire ou d’amour, de honte ou de sang ; – dans leurs salons, se sont improvisés, au moindre caprice des courtisans ou des ennemis de la Royauté, de brillantes fêtes, ou des drames sanglants, dont la Saint-Barthélemy fut le plus terrible épisode ; – dans leurs boudoirs, sont nées la causerie, cette guerre d’esprit, et la Fronde, cette guerre d’ambition dirigée par l’amour ; – dans leurs alcôves, ont été composés les madrigaux les plus galants ; – dans leurs ruelles, sont écloses ces piquantes anecdotes que Tallemant des Réaux et Saint-Simon allaient écouter aux portes ; – dans leurs jardins, se sont promenés plusieurs de nos rois et de nos reines ; – dans leurs cours d’honneur, ont eu lieu des tournois et des carrousels ; – dans la salle de théâtre de l’un de ces Hôtels se sont joués successivement les Mystères de la Passion, les chefs-d’œuvre de Corneille et de Racine, les opéras de Gretry et de Philidor. Partout enfin, dans les anciens Hôtels de Paris, se retrouve quelque vestige du passé ; tantôt un drame, un assassinat, un meurtre ; – tantôt une comédie spirituelle et empreinte de fine raillerie ; – tantôt enfin une scène de la politique des salons, prélude souvent des grands événements de notre histoire.

Les Hôtels historiques évoquent tous ces souvenirs ; ils passent en revue toutes les ombres illustres, terribles ou charmantes qui les ont habités ; ils ressuscitent leurs divers maîtres avec leurs habitudes, leurs mœurs, leur esprit ; ils les replacent au milieu des événements auxquels ils ont assisté ; ils leur rendent leurs rêves d’ambition, de gloire ou d’amour ; ils leur donnent en un mot une seconde vie, – non pas cette vie de fantaisie que l’imagination du romancier prête souvent aux héros des temps passés, mais la vie réelle que l’historien doit toujours fidèlement retracer2 ; et si parfois, dans cet ouvrage, les événements entraînent dans le domaine du drame ou du roman, la vérité de l’histoire ne s’y trouve néanmoins jamais altérée.

La partie monumentale des Hôtels historiques réveille à son tour de curieux souvenirs ; – elle reconstruit au moyen de la tradition toutes ces nobles maisons dans leur état primitif, et initie aux diverses transformations que leur ont imposées la civilisation et les changements introduits par elle dans les mœurs et les habitudes ; elle révèle la distribution et l’ornementation de leurs appartements aux différentes époques de notre histoire ; – elle fait enfin admirer toutes les richesses artistiques qui se trouvaient réunies dans les galeries des anciens hôtels, et restitue à chaque architecte, peintre ou sculpteur, la gloire qui lui revient par suite de ses diverses productions.

Pour rendre en outre cette résurrection historique des monuments du passé plus complète et plus intéressante, de magnifiques gravures faites d’après d’anciens dessins reproduisent avec une exacte vérité les vues des divers chefs-d’œuvre de Ducerceau, de Philibert Delorme, de Mansard ; et un grand nombre d’autres gravures, dues au talent de nos premiers artistes, représentent les scènes les plus dramatiques dont ces Hôtels ont été le théâtre, les portraits et les costumes des principaux personnages auxquels ils ont servi de résidence.

Aussi, soit au point de vue anecdotique, soit au point de vue monumental, les Hôtels historiques sont le complément nécessaire de toutes les histoires de Paris, et s’adressent aussi bien à l’artiste et à l’archéologue par la reproduction exacte des monuments et le récit des événements du passé, qu’à l’homme du monde par le charme des anecdotes et la richessse de l’illustration.

Tel a été du reste, tel est encore notre but en recherchant tous les souvenirs qui se rattachent aux anciens Hôtels de Paris. Maintenant, dans ce volume, avons-nous su dignement le remplir ? C’est à nos lecteurs à décider.

 

G.B.

DE L’ARCHITECTURE DES ANCIENS HOTELS

DE PARIS.

Aucun art n’éprouve plus que l’architecture l’influence des mœurs, c’est un miroir où elles se réfléchissent pour se transmettre aux générations futures. Si donc les édifices publics élevés par une nation sont appelés à faire connaître les grands traits de son histoire, sa religion et ses institutions politiques, il est un genre de monuments dans lequel on suit plus intimement les modifications apportées dans les usages et les améliorations successives vers lesquelles l’homme civilisé tend toujours dans tout ce qui l’environne, – nous voulons parler des habitations privées ; là, en effet, selon le plus ou moins de faste ou de réserve que les institutions commandent, selon le plus ou moins de bien-être qui se répand chez un peuple, l’architecture étale ou resserre les moyens qui lui sont donnés d’exprimer ces variations de la société.

Déjà on reconnaît ces vérités en examinant les maisons d’habitation élevées pour le peuple et pour la bourgeoisie dans les quartiers de nos villes anciennes où les améliorations modernes n’ont pas détruit tous les vestiges de la civilisation passée ; mais c’est plus particulièrement dans les grands hôtels bâtis avec luxe et d’une manière durable par les grands et les riches, que ces phases diverses de l’architecture privée offrent de l’intérêt, parce qu’elles expriment d’une manière plus nette encore le caractère particulier à chaque période historique ; puis, parce que l’art qu’on y déploya, fournit plus d’éléments à l’étude et plus d’attrait à la curiosité. Si l’on joint à cet examen l’histoire des personnages célèbres qui habitèrent ces palais, si l’on développe les passions diverses, les intrigues dont leurs murailles furent témoins, les influences que des événements privés, resserrés dans les limites d’une habitation particulière, purent exercer sur les grands événements politiques qui se développèrent au dehors, on donne alors la vie à ce qui semblait muet d’abord et ne présentait qu’un intérêt secondaire : c’est là ce qu’on a cherché dans les Hôtels historiques de Paris.

Si, remontant aux plus anciens vestiges qui nous aient été conservés dans la capitale, on interroge les ruines des hôtels de Clisson, des ducs de Bourgogne, d’Isabeau de Bavière, et leurs tours féodales, ils rappelleront les temps de trouble et de guerres civiles des règnes de Charles VI et de Charles VII ; on ramènera l’activité dans ces lieux où se tramèrent tant d’intrigues contre le royaume, on remeublera par la pensée ces appartements obscurs, mal distribués, incommodes des XIVe et XVe siècles.

Avec Charles VIII, Louis XII, François Ier, Médicis, qui aimaient les arts et qui appelèrent d’Italie les praticiens les plus habiles, on voit pénétrer en France toutes les améliorations dont l’aristocratie italienne jouissait déjà depuis longues années dans ses palais et ses villas. L’exemple donné par nos souverains exerce sur le bon goût général une influence qui était assurée, car dans les monarchies il règne un esprit d’imitation qui porte à se modeler sur les idées du prince, parce qu’imiter c’est plaire, et plaire est le plus grand moyen de fortune qu’emploient les courtisans ; d’eux à la haute bourgeoisie, le contact facile amena bientôt dans nos villes une somme de bien-être, un amour du beau et du bon qui caractérise la renaissance de l’art. C’est alors que disparaissent des habitations princières les tours et leur appareil militaire, pour faire place à des décorations architecturales d’un goût épuré, d’une ordonnance symétrique, exprimant au dehors les distributions régulières de l’intérieur ; la sculpture, en outre, vint embellir ces formes nouvelles pour leur prêter son charme et faire entrevoir le luxe des appartements. L’hôtel de Soissons, depuis longtemps détruit, ceux des Guises, de Carnavalet, et plusieurs autres offraient ces heureuses modifications de l’architecture privée du XVIe siècle, et les événements qui s’y passèrent ne leur donnent pas moins d’intérêt qu’à ceux de la précédente période.

Héritier des perfectionnements importés de l’Italie pour ce qui concernait les grandes dispositions architecturales des habitations de la noblesse, le XVIIe siècle chercha plus encore. Renonçant en partie aux trop vastes distributions précédemment imitées des pays chauds et peu convenables à notre climat, il distribua les hôtels d’une manière plus commode, plus convenable à la vie intime, plus en harmonie avec la révolution qui s’opérait alors dans les mœurs ; on y conserva quelques grands salons pour les réceptions importantes et les fêtes, mais le reste fut distribué en petits appartements plus appropriés à l’habitation ordinaire, et c’est là qu’on doit chercher l’origine du confortable qui caractérise nos maisons modernes.

Sans nuire à la rigoureuse exactitude des descriptions locales si nécessaires pour bien faire connaître les monuments privés qu’il veut rappeler, l’auteur des Hôtels historiques a suivi dans les XVIIe et XVIIIe siècles la marche qu’il avait adoptée pour les périodes précédentes ; c’est ainsi qu’en examinant l’Hôtel de Bourgogne, tel qu’il avait été modifié sous le règne de Louis XIV, il suit toute l’histoire de notre théâtre moderne né dans cette habitation célèbre, qui avait commencé par donner asile aux premiers essais dans lesquels on cherchait à faire mieux que les auteurs des Mystères et des Parades du moyen-âge.

Dans l’histoire de l’Hôtel de Soubise, originairement construit par Olivier de Clisson et les Guises, il suit les faits historiques depuis ceux qui rappellent la vie agitée de ces princes jusqu’aux intrigues du cardinal de Rohan et de Cagliostro, à l’occasion de la célèbre affaire du collier de la reine Marie-Antoinette.

L’Hôtel de Soissons, modeste demeure au XIIIe siècle, et témoin de la mort de Blanche de Castille, se développe sous le règne de Charles VI, qui le donne au duc d’Orléans, son frère. On y voit Valentine de Milan, dans sa vie politique et privée ; Catherine de Médicis y paraît plus tard et en fait une habitation vraiment royale ; enfin, le prince de Carignan y introduit les agiotages du système de Law.

Le célèbre architecte François Mansard éleva l’Hôtel de la Vrillière, occupé depuis par la Banque de France ; sa belle galerie et ses riches appartements furent enrichis encore, lorsque le comte de Toulouse, fils de Louis XIV, en fit l’acquisition ; son héritier, le duc de Penthièvre y maria son fils à la malheureuse princesse de Lamballe.

Une chronologie plus longue se développe, sous les recherches de l’auteur, à l’occasion de l’Hôtel des Fermes, élevé par Françoise d’Orléans Rothelin, princesse de Condé. Cette brillante habitation, voisine du Louvre, reçut plusieurs fois Henri IV et sa cour ; Androuet Ducerceau la refit pour le duc de Bellegarde ; Louis XIV y assista aux fêtes du chancelier P. Séguier ; elle fut ensuite transformée par l’architecte Le Doux, à la fin du siècle dernier, en Hôtel des Fermiers généraux, et on sait quel sort la Convention nationale fit à ses nouveaux maîtres.

La place du Carrousel, traversée jadis par de nombreuses rues, dont les dernières viennent d’être supprimées, contenait l’église de Saint-Thomas-du-Louvre, puis une rue du même nom, dans laquelle l’architecte Clément Métézeau éleva, sous Louis XIII, l’Hôtel de La Vieuville. Charles d’Albert de Luynes l’acheta en 1620, et l’agrandit ; puis il devint l’habitation des ducs de Chevreuse, et fut le berceau de la Fronde ; dans ses vastes salons se réunissaient en conseil tous les seigneurs qui avaient déserté le parti de la cour pour se ranger sous les drapeaux de la duchesse de Chevreuse et de madame de Longueville, l’héroïne de cette petite guerre civile. L’hôtel prit alors son nom, qu’il a gardé jusqu’en 1832, époque de sa destruction pour l’agrandissement de la place du Carrousel.

Les brillantes productions de l’architecture civile, dont plus d’un exemple passe successivement sous les yeux du lecteur, et se développe dans ce livre avec tous ses brillants détails, n’excluent cependant pas l’examen des petits hôtels qui, à la fin du siècle dernier, s’élevèrent dans la Chaussée-d’Antin. Celui de mademoiselle Guimard, construit par Le Doux, et décoré de peintures par Fragonard, prend ainsi sa place parmi les hôtels historiques, et par ses proportions modestes, y exprime enfin les idées modernes sur le confort de l’habitation.

ALBERT LENOIR.

HOTEL SOUBISE.

HOTEL SOUBISE.

 

 

HOTEL SOUBISE.

 

Pendant toute la durée de la résidence de nos rois aux hôtels Saint-Pol et des Tournelles, la noblesse avait peuplé de riches manoirs toute la portion de Paris qu’on appelait alors le quartier Saint-Antoine ; mais, après la mort d’Henri II, l’établissement de la cour au palais du Louvre fit quitter à chaque courtisan la demeure de ses ancêtres pour se rapprocher de la puissance royale.

Malgré cet abandon, le quartier Saint-Antoine était cependant destiné à jouer encore un grand rôle dans l’histoire ; il devait voir naître dans les salons de ses hôtels le drame de la Ligue et l’épisode de la Saint-Barthélemy ; – plus tard au contraire, prenant une physionomie nouvelle et se divisant pour former le quartier du Marais, il devait réunir dans ces mêmes salons l’élite des beaux esprits du dix-septième siècle, des seigneurs les plus galants et des femmes les plus spirituellement jolies de la cour de Louis XIII et de Louis XIV. Que de souvenirs aussi, que d’ombres terribles ou charmantes ce quartier pourrait évoquer ? car depuis longtemps, tous ses appartements aux lambris dorés, aux amoureux emblèmes, sont muets. – Ses jardins magnifiques, ses cours si vastes, sont déserts ; – presque tous ses hôtels enfin sont détruits ou déshonorés par leur destination actuelle.

Seul peut-être, – parmi les résidences historiques que compte encore le Marais, – l’hôtel de Clisson, des Guise et des Rohan-Soubise n’a pas trop souffert des injures du temps ni du vandalisme des hommes : bien plus, il n’a pas eu à déroger en devenant l’hôtel des Archives nationales. Aussi étale-t-il avec un juste orgueil tous les souvenirs de sa splendeur passée écrits sur la pierre : d’abord, ses deux tourelles que l’on voit dans la rue du Chaume, en face la rue de Braque et qui paraissent dater du temps de Clisson ; la porte qui conduisait dans l’intérieur, et qui, retrouvée depuis peu de temps, a été rétablie à sa place primitive avec les armes et la devise du connétable : Pour ce qui me pleet ; – puis, le bâtiment qui fait l’angle des rues du Chaume et des Quatre-Fils et qui remonte au temps des Guise ; – enfin sa magnifique façade, la galerie couverte de sa cour et d’autres constructions élevées sous les Rohan-Soubise.

Ce sont là en effet des vestiges curieux des transformations architectoniques de cet hôtel ; mais l’intérêt qui s’y rattache augmente, quand on entend derrière ces murailles la voix des événements dont elles furent témoins, et les lointains échos de l’histoire tour à tour terrible ou galante de cette noble demeure.

En remontant donc le cours des siècles et en s’arrêtant au douzième, on trouve dans Sauval3 que les Templiers possédaient à l’endroit où fut plus tard bâti l’hôtel de Clisson une maison avec un vaste enclos, nommée le Grand-Chantier4, et qu’ils y avaient établi des boucheries ; mais ni lui, ni aucun autre historien ne nous apprend ce qu’elle est devenue après la suppression de l’ordre du Temple, et par suite de ce silence, on peut présumer qu’elle fut comprise dans le séquestre des biens des chevaliers, puis appliquée à payer les frais de leur procès ou abandonnée aux frères de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

En 1371 seulement, le Grand-Chantier du Temple fut, suivant Saint-Foix, acheté par le connétable Clisson moyennant quatre mille livres dont le roi Charles V lui avait fait présent5 ; – suivant Pasquier et Piganiol de La Force6, il fut au contraire donné au connétable par les Parisiens, lorsqu’après leur révolte connue dans l’histoire sous le nom de Journée des Maillotins, « ils se virent réduits par son moyen à venir crier miséricorde au roi dans la cour du palais ; et en effet les M d’or couronnées qu’on a vues longtemps sur les murailles et les combles de cet hôtel faisaient connaître qu’on les avait ainsi peintes pour insulter aux Parisiens et leur reprocher leur faute. Elles indiquent aussi la raison pour laquelle sous Charles VI et même après, on nommait cet hôtel l’Hôtel de la Miséricorde. »

Saint-Foix réfute cette version, et son opinion paraît plus raisonnable. L’hôtel de Clisson, dit-il, ne fut nommé Hôtel de la Miséricorde qu’en 1383, c’est-à-dire douze années après l’acquisition que le connétable en avait faite : et si ce dernier nom lui a été donné, c’est que les Parisiens allèrent y crier miséricorde, que Clisson intercéda pour eux et se mit dans la cour du palais aux genoux du roi pour obtenir leur grâce. Quant aux M d’or couronnées, ajoute-t-il, c’était un ornement militaire que les seigneurs mettaient sur les murs de leurs hôtels et qui figurait une espèce de coutelas appelé Miséricorde, que les anciens chevaliers posaient sur la gorge de leurs ennemis, après les avoir terrassés.

Quoi qu’il en soit, – le Grand-Chantier du Temple a appartenu à Olivier de Clisson ; il y avait fait bâtir un hôtel, si toutefois on peut appeler ainsi cette espèce de forteresse flanquée de tourelles et percée de meurtrières qui servait de résidence aux seigneurs du quatorzième siècle, et même il aimait beaucoup ce manoir féodal à cause de la proximité de l’hôtel Saint-Pol. Le connétable en effet était alors en très-haute faveur à la cour, et y passait plusieurs heures de la journée avec Charles VI qui se plaisait à entendre les conseils de ce digne frère d’armes de Duguesclin7. Cette préférence ostensible du roi devait du reste avoir pour conséquence de susciter au connétable bien des jalousies, bien des haines ; elle fut plus tard la cause de sa disgrâce et le 13 juin 1392 elle faillit lui coûter la vie.

Ce soir-là, – il y avait eu grande fête à la cour à l’occasion de la Fête-Dieu, et, après les danses qui s’étaient prolongées jusqu’à une heure du matin, chaque invité avait quitté l’hôtel Saint-Pol. Olivier de Clisson avait fait le dernier ses adieux à son roi bien-aimé, et s’était acheminé vers son hôtel. Sept gentilshommes seulement l’escortaient, et deux valets avec des torches éclairaient la marche, car la nuit était très-noire. Du reste la ville était plongée dans le plus profond silence, et le connétable ne paraissait nullement préoccupé du danger qu’il pouvait courir en regagnant son manoir à pareille heure : il savait pourtant qu’il était entouré d’ennemis, mais il était brave et repoussait toute idée de crainte. Il avait même en ce moment-là si peu de défiance qu’il s’entretenait avec son écuyer du dîner qu’il devait donner le lendemain au sire de Coucy, à monseigneur de Touraine et à quelques autres seigneurs. La marche au surplus s’était jusqu’alors accomplie sans le moindre accident, lorsqu’au détour de la rue Culture-Sainte-Catherine les torches s’éteignirent tout à coup, et le même cri : A mort, à mort Clisson ! fut répété par plusieurs cavaliers.

Au même instant, le connétable se sentit appréhendé par derrière, et la même menace de mort retentit à ses oreilles.

Qui es-tu donc ? demanda Clisson à cet assassin.

Je suis ton ennemi Pierre de Craon : tu m’as courroucé tant de fois que cy te le faut amender.

Et les estafiers de sire de Craon se ruèrent sur Clisson et ses gens.

La résistance ne pouvait être longue : l’escorte du connétable était sans armes, et lui-même n’avait pour toute défense qu’un petit coutelas. Un coup qui l’atteignit à la tête le renversa de cheval ; et le croyant mort, les assassins se sauvèrent du côté de la porte Saint-Antoine.

Le bruit de cet assassinat arriva bien vite à l’hôtel Saint-Pol. harles VI qui allait se mettre au lit, se vêtit aussitôt d’une houppelande ; on lui bouta les souliers ès pieds, et il courut à l’endroit où on disoit que son connétable venoit d’être occis8. Il le trouva dans la boutique d’un chaufournier contre la porte de laquelle Clisson était tombé.

Connétable, comment vous sentez-vous ? lui demanda le roi.

Petitement et foiblement, cher sire.

Et qui vous a mis en cet estat ?

Sire, Pierre de Craon.

Ah ! s’écria Charles VI, il me le paiera cher ; jamais crime ne sera si

fort amendé que celui sera, car la chose est mienne.

Puis, le roi fit transporter le connétable à l’hôtel de la Miséricorde et ne le quitta que lorsque les médecins lui eurent assuré que ses blessures n’étaient pas mortelles.

Dieu soit loué ! dit le roi en partant, c’est une heureuse nouvelle.

Charles VI aimait trop le connétable pour laisser ce lâche attentat impuni ; mais quand il voulut en tirer vengeance, Pierre de Craon était en lieu sûr : il s’était réfugié chez le duc de Bretagne son complice9. Vainement aussi le roi ordonna-t-il au duc de lui livrer l’assassin, et il allait envahir ses états, lorsque le spectre du Mans vint arrêter tous ses projets. Le connétable perdit son seul appui, le jour où Charles VI perdit la raison : et les oncles du roi, maîtres alors du pouvoir, se vengèrent de la haute faveur qu’il avait eue si longtemps à la cour. Tout, jusqu’à la fortune de Clisson, fut à leurs yeux un motif de disgrâce et d’accusation. Cela ne peut venir de bonne source, disaient-ils en parlant des dix-sept cent mille livres que le connétable possédait en outre de ses nombreux domaines, le roi de France n’en a pas autant10.

Dès lors, Clisson vit qu’il y avait pour lui danger à rester dans son hôtel, et il l’abandonna pour se retirer à son château de Josselin, où il mourut en 1407, dans l’oubli et presque dans l’exil. Mais tous ses malheurs n’étaient que les précurseurs de ceux qui allaient ensanglanter la France.

Heureusement le ciel veille sur elle. La vierge de Donremy arrive à son secours et vient expier ses exploits sur un bûcher, comme une sainte martyre. L’Italie ensuite voit nos armées victorieuses ; mais quand après l’expulsion des Anglais de tout notre territoire, la paix paraît un instant assurée, un ennemi d’autant plus terrible qu’il agit lentement et dans l’ombre met à profit tous les événements pour se populariser et fait naître la guerre civile.

– Cet ennemi qui tiendra pendant tant d’années l’autorité royale en échec, est la fière maison des Guise.

Son chef, Claude de Lorraine, avait pourtant été récompensé de ses services et de son dévouement à son roi par l’érection de son comté de Guise en duché-pairie : mais une voix plus forte étouffa jusqu’au souvenir de cette faveur, et ses descendants n’écoutèrent que celle de leur ambition. A elle ils sacrifièrent tout, – leur roi, – leur pays, – leur honneur même. La religion ne fut pour eux qu’un prétexte pour allumer la guerre civile, et leurs prétentions s’élevèrent jusqu’à une couronne.

– Quelques années après la mort de Claude, l’aîné de ses six fils, François de Lorraine, lui succéda dans son titre de duc de Guise et commença la série des rejetons de cette illustre famille dont l’éclat a rejailli sur l’ancien hôtel de Clisson.

Le 14 juin 1553, François de Lorraine acheta en effet de Philibert Babou de la Bourdaizière, évêque d’Angoulême, pour seize mille livres, l’ancienne demeure du connétable et l’augmenta peu d’années après des hôtels de la Roche-Guyon et de Laval situés vieille rue du Temple, rues du Chaume et de Paradis. Puis il fallut à ce prince, chevalier des ordres du roi, pair, grand maître et grand chambellan de France, une résidence plus somptueuse que l’ancien manoir féodal ; et tout en respectant quelques débris de leur gloire passée, il fit construire sur l’emplacement de ces trois maisons seigneuriales un vaste hôtel qui s’appela l’hôtel de Guise. Le duc ne l’habita pourtant pas : il était inachevé quand le poignard d’un fanatique protestant, du nom de Jean Poltrot de Merly ou de Méré, vint le frapper mortellement devant Orléans.

Quelques jours après, le peuple chantait dans les rues cette complainte sur la mort du duc :

 

Qui veut ouir chanson,

C’est du grand duc de Guise,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

C’est du grand duc de Guise.

 

Qui est mort et enterré (bis),

Aux quatre coins du poele,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Quatre gentilhomm’s y avoit.

 

Quatre gentilhomm’s y avoit (bis),

Dont l’un portoit son casque,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Et l’autre ses pistolets.

 

Et l’autre ses pistolets (bis),

Et l’autre son épée,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Qui tant d’hug’nots a tués.

 

Qui tant d’hug’nots a tués (bis),

Venoit le quatrième,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Qui étoit le plus dolent.

 

Qui étoit le plus dolent (bis),

Après venoient les pages,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon.

Et les valets de pied.

 

Et les valets de pied (bis),

Avecques de grands crepes,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Et des souliers cirés.

 

Et des souliers cirés (bis),

Et de beaux bas d’estame,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Et des culottes de piau.

 

Et des culottes de piau (bis),

La cérémonie faite,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Chacun s’alla coucher.

Chacun s’alla coucher (bis),

Les uns avec leurs femmes,

Et bon, bon, bon, bon,

Di dan, di dan, bon,

Et les autres tous seuls11.

 

Henri de Guise, – le Balafré, – demanda à Charles IX justice du meurtre de son père, et le jugement de Coligny dont l’assassin d’Orléans n’avait été que le vil instrument ; mais le roi ne put se décider à sacrifier l’amiral, et cette irrésolution jointe aux vues ambitieuses du duc coûta la vie à des milliers de victimes.

 

L’hôtel de Guise, qui venait d’être achevé et dont le talent du Primatice et de Jean Goujon avait fait un véritable palais, vit ainsi naître la Ligue dont il fut pour ainsi dire le berceau : il fut témoin des conciliabules mystérieux que tenaient dans ses salons les chefs de ce puissant parti, et ce fut, – par un singulier contraste, – de l’ancien hôtel de la Miséricorde, que partit l’ordre de massacre de la Saint-Barthélemy. Ce fut aussi dans un de ses appartements que le Balafré reçut l’envoyé du roi qui le priait de suspendre cette sanglante exécution, et lui répondit ce mot tristement célèbre dans nos annales : Il est trop tard. Cette réponse-là ne caractérise-t-elle pas la fierté de cette puissante maison de Lorraine qui demandait le sang de tout un peuple pour laver une injure personnelle ?

Au milieu de ces lugubres épisodes, une apparition charmante vient cependant à cette époque jeter un reflet d’amour sur l’hôtel de Guise.

Le cardinal de Guise, qui habite avec son frère, est dans son cabinet de travail et achève quelque missive bien importante sans doute, car il a défendu de laisser entrer personne. – Un bruit qu’il reconnaît se fait pourtant entendre à une issue secrète, et aussitôt le cardinal quitte tous ses papiers pour aller ouvrir. – Qui êtes-vous donc, dame mystérieuse, pour oser déranger le farouche ligueur au milieu de ses travaux ? – Quel pouvoir est le vôtre pour que votre venue soit accueillie du plus gracieux sourire et lui fasse oublier tous ses ambitieux projets ? – Otez donc ce masque qui vous cache ? – Ne craignez rien ; les verroux sont tirés et nul ne trahira votre incognito. – Oh ! vous êtes jeune et jolie ; votre teint est éclatant de blancheur ; vos yeux sont tendres et langoureux ; votre taille souple et bien prise ; et, pour couronner tant de grâces réunies, vous avez sur le visage toute la fraîcheur de la jeunesse, et tous vos gestes en ont l’ingénuité. – Viendriez-vous, belle dame, comme la duchesse de Montpensier, conspirer avec le cardinal ? Certes non ; vous n’avez d’ambition que celle qui est naturelle à votre âge ; vous voulez plaire, et vous y réussissez à merveille. Le cardinal se damne près de vous et il oublie même qu’il est trop vieux pour l’amour. Aussi lutinez tous ses papiers où se jouent les destinées de la France ; bouleversez tous ces meubles, tous ces tableaux. Un baiser vous fera tout pardonner. Vous êtes reine ici, et plus tard vous en aurez la puissance, charmante Gabrielle. – Vous avez à vos pieds un cardinal, plus tard un autre amant vous dira :

 

Partagez ma couronne,

Le prix de ma valeur,

Je la tiens de Bellone,

Tenez-la de mon cœur12.

 

Et cet amant que votre amour aura rendu poëte, sera le roi de France.

– Mais la nuit est close, jolie Gabrielle ; son ombre protégera votre fuite. Prenez garde seulement d’inquiéter par votre présence ce gentilhomme qui s’entoure de mystère et se glisse le long des murailles. C’est certes un amoureux. – En effet, une fenêtre que l’on remarque encore aujourd’hui dans le bâtiment qui fait face à la fontaine des Audriettes s’ouvre ; une échelle de soie descend du balcon, et ce gentilhomme disparaît bientôt dans la chambre de sa maîtresse. La duchesse de Guise, la belle Catherine de Clèves, a donc une intrigue amoureuse et conspire contre l’honneur de son mari. Pourquoi pas ? Doit-elle, jolie comme elle le l’est, – parce que le duc ne pense plus qu’aux affaires de la Ligue, – renoncer à trente ans à toutes les illusions ? doit-elle enfin cesser d’être femme ? sa vertu n’accepte point un pareil sacrifice. Elle veut être aimée, et le comte de Saint-Mesgrin est, parmi tous les grands seigneurs de la cour, l’heureux galant de son choix. – Idée bizarre qui a fait d’un des mignons d’Henri III l’amant de la femme du chef de la Ligue.

La vengeance du Balafré n’en fut du reste que plus terrible. Il fit jeter par la fenêtre l’amant de la duchesse qu’il surprit une nuit avec elle, et quelques jours plus tard le fit assassiner dans la rue Saint-Honoré, au moment où il sortait du Louvre. L’honneur du Balafré se trouva ainsi satisfait et son ressentiment s’arrêta devant le cadavre de Saint-Mesgrin. Il aimait du reste fort peu sa femme, et il ne lui imposa d’autre châtiment que de la voir pleurer son amant et de ternir dans les larmes l’éclat de ses beaux yeux. Mais si la douleur de la duchesse fut grande, bien plus grande encore fut celle du roi qui fit raser, dit-on, les beaux cheveux blonds du comte et les porta en bracelets. La cause de leurs regrets, de leurs larmes, était à peu près la même : Catherine de Clèves avait perdu, à la mort de Saint-Mesgrin, le plus amoureux des amants, – Henri III le plus chéri de ses mignons.

Dans ce même temps, voici venir à l’hôtel de Guise encore une autre femme jeune et jolie ; comme Gabrielle d’Estrées, comme la belle Catherine de Clèves, elle semble n’avoir été créée que pour aimer. La duchesse de Montpensier ne pense pourtant nullement aux intrigues galantes : elle a dans les veines du sang des Guise ; elle est la digne sœur du Balafré. – Son seul désir, son seul amour à elle, c’est le pouvoir ; son seul rêve, c’est une couronne pour son bien-aimé frère : aussi porte-t-elle toujours une paire de ciseaux d’or pendue à sa ceinture pour changer la couronne du Valois en une tonsure et faire d’un roi un capucin. – Derrière une des fenêtres de l’hôtel de Guise, elle entend avec plaisir le bruit lointain des arquebuses, le fracas des chaînes qui se tendent dans les rues, le tocsin dont le glas annonce peut-être l’agonie de la royauté ; – elle fait les vœux les plus ardents pour la réussite de sa sainte cause, et son visage rayonne de bonheur, quand arrive à l’hôtel de Guise un messager du roi qui s’humilie devant la puissance du Balafré et l’envoie prier de faire cesser tout ce tumulte révolutionnaire.

Le duc satisfait d’avoir fait trembler Henri III dans son Louvre, donna un seul ordre, et Paris rentra dans la tranquillité ; puis, quand il sortit le soir de son hôtel, il fut accueilli par les cris de joie de la population qui répétait unanimement : Vive Guise, vive Guise. Son triomphe n’était pas encore assez grand : il lui fallut narguer le roi, en disant à ses partisans : C’est assez, messieurs, c’est trop, criez un peu : vive le roi.

Cette journée des barricades lui donna la preuve de sa popularité,

et comme le dit Voltaire :

 

Guise en ses grands desseins dès ce jour affermi,

Vit qu’il n’était plus temps d’offenser à demi,

Et qu’élevé si haut, mais sur un précipice,

S’il ne montait au trône, il marchait au supplice.

 

Un seul obstacle l’arrêtait encore : il fallait se débarrasser du roi. Je regarde toujours avec plaisir ce Duguesclin, disait-il en se promenant dans la vieille galerie où le connétable de Clisson avait fait peindre les principales actions de ce grand capitaine, il eut la gloire de détrôner un tyran. Oui certes, lui répondit un gentilhomme qui l’accompagnait, mais ce tyran n’était pas son roi : c’était l’ennemi de son pays13.

Cette réponse inattendue fit réfléchir le duc : Néanmoins la réalisation du projet qu’il méditait depuis si longtemps ne cessa de le préoccuper, et il était à la veille de le voir réussir, quand le roi se vengea de l’arrogance du Balafré, en le faisant assassiner dans un appartement du château de Blois.

Un an après, la maison de Lorraine usa de représailles, si, – comme le prétendent Saint-Foix et la satire Ménippée, – la duchesse de Montpensier arma elle-même le bras du moine Jacques Clément et paya de ses faveurs le meurtre d’Henri III.

– Après la mort d’Henri de Guise, son hôtel cessa d’être le rendez-vous des partisans de la Ligue ; – silencieux et solitaire, il vit la douleur et les larmes de sa veuve qui n’aima jamais mieux son mari que lorsqu’il fut mort : puis, – comme tout passe, – sa tristesse diminua de jour en jour ; la galanterie reprit le dessus et, trouvant que le roi Henri III avait fait preuve de goût dans le choix de ses mignons, Catherine de Clèves se laissa encore aimer par l’un d’eux, le duc de Bellegarde qui, – soit dit en passant, – fut aussi l’amant de mademoiselle de Guise.

Le Balafré avait pourtant un fils : mais, n’ayant point l’ambition de son père, le duc Charles abandonna à son oncle le duc de Mayenne le soin de continuer la Ligue. Plus tard même quand cette lutte désastreuse se trouva terminée, il chercha le moyen de rentrer en grâce à la cour et y devint bientôt en faveur. Son esprit léger, autant que celui de son père avait été grave, se plaisait mieux à dénouer une intrigue amoureuse qu’une conspiration.

Pauvre Marcelle... vos soupirs et vos larmes viennent trop nous le prouver. L’ingrat vous a délaissée pour quelque grande dame ; pourtant vous ne pouvez croire encore à son abandon, et vous répétez en pleurant les derniers refrains de votre chanson :

 

Il s’en va, ce cruel vainqueur,

Il s’en va, plein de gloire ;

Il s’en va méprisant mon cœur,

Sa plus noble victoire.

Et malgré toute sa rigueur,

J’en garde la mémoire.

Je m’imagine qu’il prendra

Quelque nouvelle amante ;

Mais qu’il fasse ce qu’il voudra,

Je suis la plus galante.

Mon cœur me dit qu’il reviendra,

C’est ce qui me contente14.

 

Mais votre bon cœur vous trompe, Marcelle : et votre chanson n’aura pas raison, car la faveur du duc augmentera chaque jour à la cour. Bientôt même, il ira conduire madame Élisabeth à son futur époux Philippe IV et ramènera en France une jeune et jolie reine15 ; à son retour enfin, les fêtes et les plaisirs vous feront pour toujours oublier, car ce sera votre amant, avec le duc de Nevers et le comte de Bassompierre, qui commandera les joutes galantes que l’on célébrera à la place Royale en l’honneur de la nouvelle reine Anne d’Autriche. – Son regard se promènera en vainqueur sur cette guirlande de jolies femmes qui ornera cette enceinte, mais sa pensée ne vous y cherchera pas. Pauvre Marcelle. vous en mourrez alors de douleur. Mais un jour viendra, – et il n’est pas loin, – où vous serez cruellement vengée. La faveur l’abandonnera à son tour, comme son amour vous a abandonnée, et, devenu l’ennemi du cardinal de Richelieu, par suite de son attachement à la reine Marie de Médicis, le duc recevra l’ordre de se retirer en Italie et y terminera sa vie dans l’exil.

– Son fils, Henri II de Lorraine, viendra à son tour habiter l’hôtel de ses ancêtres. Les fêtes et les plaisirs y régneront sans cesse ; les boudoirs parfumés entendront, comme autrefois, échanger de doux serments d’amour, – serments souvent renouvelés, mais bien rarement tenus, et le jeune duc n’en sera pas avare. N’a-t-il pas du reste tout ce qu’il faut pour plaire ? Il est jeune, bien fait de sa personne, il a l’âme grande, la parole facile et séduisante, la tournure martiale16 : il est enfin brave et galant comme un ancien chevalier. Les belles ne pourront avoir pour lui des rigueurs, et la gloire le suivra dans les tournois et les fêtes comme dans les combats. Peut-être, comme son aïeul, rêvera-t-il aussi une couronne.

D’abord, comme cadet de famille, Henri de Lorraine avait été destiné à l’état ecclésiastique, et à quinze ans il avait été promu à l’archevêché de Reims, qui était presque héréditaire dans sa maison ; mais son caractère aventureux s’accommodait assez mal des habits épiscopaux et de la mître d’or ; et Richelieu qui haïssait le nom si puissant des Guise, lui avait même reproché de ne pas porter assez souvent la soutane. Aussi, lorsque la mort de ses deux aînés, MM. de Joyeuse et de Joinville vint le placer à son tour à la tête de la maison de Guise, le jeune duc renonça de suite à l’Église et vint habiter son hôtel de Paris. Il parut alors en habit de cour avec la fraise, le manteau, les crevés, la chevelure longue ; et, suivant les témoignages contemporains, jamais prince ne le porta avec plus de noblesse ni plus de distinction. Le duc vit du reste l’effet de son changement de costume. Un essaim de jolies femmes vint papillonner autour de lui. Laquelle choisira ce nouvel Amadis ? – Peut-être, voudrait-il les avoir toutes pour maîtresses, mais aucune ne veut de partage dans ses faveurs. Il lui faut faire un choix.

Anne de Gonzague, – cette tendre sœur de l’amante de Cinq-Mars, – est jeune et jolie. Son esprit est romanesque et son cœur sensible. Le regard du duc s’arrête amoureusement sur elle et achève la conquête d’un cœur qui était déjà soumis à son empire. Faible victime... cet amour passe comme un rêve. Elle croit se réveiller duchesse de Guise et pousse l’illusion jusqu’à en porter le titre ; mais un double bruit vient bientôt frapper douloureusement son cœur. – Guise, apprend-elle, est condamné à avoir la tête tranchée pour s’être ligué avec le comte de Soissons contre le cardinal. – Guise ne l’aime plus, car il a épousé * ne l’aime plus, car il a épousé publiquement en Flandre, le 11 novembre 1641, la belle Honorine de Glimes, veuve du comte de Bossut. Mais avec l’esprit volage du duc, cette union ne devait être qu’un éphémère passe-temps : en effet, après avoir dépensé 50,000 écus appartenant à sa femme, Henri de Lorraine, pour nous servir de l’expression pittoresque de madame de Motteville, s’en dégoûta.

Deux années après la condamnation du duc, son ennemi le cardinal qui prêchait aux autres ce qu’il ne pratiquait guère descendit dans la tombe, et Henri de Lorraine rentré en gràce reparut à la cour de la régente. Une femme y faisait alors grande sensation par sa beauté : c’était madame de Montbazon. – Peut-être, comme tous les autres seigneurs de la cour, le duc de Guise vint à son retour de Flandre lui adresser ses amoureux hommages. – Peut-être, au contraire, madame de Montbazon rechercha les faveurs du duc ; car, chez cette dame dont la vie fut une suite continuelle de galanteries, et qui fut, dit le cardinal de Retz, la personne du monde qui conserva dans le vice le moins de respect pour la vertu, il put y avoir un peu de vanité à devenir la maîtresse du petit-fils du Balafré. N’importe : Henri de Guise attacha à cette passion assez de prix pour risquer sa vie pour sa belle dans un duel avec le comte de Coligny, et voici quel en fut le ridicule motif :

Madame de Montbazon avait trouvé un soir dans son salon une lettre d’amour et avait prétendu qu’elle était adressée par le comte à madame de Longueville. De là suivirent de nombreuses et inutiles explications, car celle-ci voyant dans ce propos une atteinte portée à sa vertu, força le comte à demander une réparation. Le duc, en brave chevalier, ne sut s’y refuser, et le duel eut lieu sur la place Royale, presque sous les yeux de madame de Longueville qui s’était cachée derrière une fenêtre de l’hôtel de Rohan17. Sa susceptibilité injustement alarmée coûta ce jour-là la vie au comte de Coligny.

Madame de Montbazon occupa ainsi quelque temps les loisirs galants du duc ; mais il n’aimait en elle, que ce qu’elle aimait aussi tout bas, – sa beauté. Pour lui, c’était un chef-d’œuvre qu’il admirait avec l’enthousiasme de l’artiste, mais auquel il manquait cette émanation divine, qui, seule, peut rendre la femme parfaite. Madame de Montbazon n’avait point d’esprit, et Pygmalion aurait-il aimé sa Galatée si, après l’avoir animée, il ne l’eût pas trouvée spirituelle !

Une des filles d’honneur de la reine-mère, mademoiselle Gabrielle de Pons, avait au contraire l’esprit fin et délicat. Elle était belle comme madame de Montbazon, – sensible comme mademoiselle de Gonzague : mais, fière dans ses amours, elle ne dérogeait jamais en prodiguant ses faveurs, et si parfois la coquetterie ou un capricieux désir de plaire cherchait à l’emporter, elle avait assez de force pour faire taire son cœur. La maison d’Albret ne pouvait craindre de mésalliance en s’alliant à celle des Guise : aussi un jour le duc dit à Gabrielle qu’il l’aimait ; elle répondit de même, et madame de Montbazon fut pour toujours oubliée. Henri ne se souvint même pas, – qu’il y avait de par le monde une femme qui était la sienne, et promit à mademoiselle de Pons de l’épouser. La mémoire lui revint pourtant après, et il résolut d’aller à Rome faire casser son mariage. De nouveaux serments d’amour s’échangèrent le jour des adieux, et Gabrielle alla passer ce temps de douloureuse absence au couvent de la Visitation. Mais plusieurs mois se passèrent, et le duc attendit à Rome la rupture de son mariage sans pouvoir l’obtenir du pape.

Pendant ce temps une révolte avait éclaté à Naples : Masaniello le pêcheur, un instant l’idole du peuple, avait succombé sous les coups d’un assassin. Le duc, ambitieux comme son aïeul, mais l’esprit plus aventureux et plus chevaleresque que lui, entrevoit au milieu de l’agitation que cause ce meurtre l’espoir d’une couronne, et elle ornerait si bien le front de sa belle maîtresse ! N’est-il pas, du reste, un descendant d’Iolande d’Anjou, fille de René roi de Naples, et ses droits n’ont-ils pas un semblant de légitimité ? Il lui faut seulement payer d’audace. Une felouque démâtée qui porte Guise et sa fortune entre à Naples après avoir essuyé le feu des galères espagnoles. Le duc y est accueilli par des cris d’allégresse ; mais il trouve l’hospitalité du capitaine général Gennaro Annèse par trop primitive ; il se voit forcé de partager son lit et son repas, l’un aussi dur que l’autre est frugal. – Mais patience... le palais de Fernand Caracciolo qui servira au duc de résidence, le dédommagera de cette nuit si longue18 ; alors il aura des courtisans comme un roi : il sera un instant aussi puissant, et si ce pauvre M. le cardinal, comme l’appelait la reine19, lui avait envoyé des secours et de l’argent, il en aurait eu certainement le titre. Mais la puissance, dans les temps de révolution, a des revirements subits et de tristes lendemains. Henri de Guise passa d’un palais dans une prison. Une seule pensée pourrait adoucir sa captivité à la tour de Ségovie, et cette pensée, c’est le souvenir de Gabrielle qui l’aime toujours et attend impatiemment son retour ; mais l’ingrate n’a point tenu les serments échangés au départ. Pendant que le duc allait lui conquérir une couronne, elle l’oubliait auprès d’un de ses amis, du nom de Malicorne. Ah ! mademoiselle de Pons, qu’est donc devenue votre fierté ? – et comment avez-vous pu troquer le nom si grand de Guise contre celui de Malicorne ? Les absents ont toujours tort, n’est-ce pas, et voilà votre seule excuse.

Le duc repassa les Pyrénées, et après une si longue absence, reprit possession de son hôtel du Marais ; mais le temps des volages amours était passé pour lui, et sa passion pour les entreprises aventureuses n’attendait plus qu’un nouvel échec20 pour s’éteindre entièrement. Un jour enfin, le duc ne sachant plus que faire, pensa à se remarier21 ; il épousa la seconde fille de Monsieur, et quelque temps après Louis XIV le nomma son grand chambellan.

Favori dès lors du roi, Guise partagea son goût pour les fêtes, et n’exerça plus son esprit romanesque que dans des joutes et des tournois. Il fut ainsi chargé d’organiser une course de bagues qui eut lieu en 1656 près du Palais-Royal.

Au jour indiqué, les fenêtres et les balcons se remplirent des plus jolies femmes de la cour, et leurs galants n’eurent pas assez d’esprit pour se faire écouter, car toute l’attention était concentrée sur le jardin du Palais-Royal d’où les chevaliers devaient partir. Enfin, quand le signal fut donné, quatorze pages du roi vêtus de toile d’argent et rubans flottant au vent, parurent dans la lice ; après eux entrèrent six trompettes, le premier écuyer et douze autres pages dont les deux derniers portaient la lance et l’écu d’or du roi avec cette devise : Ne piu, ne pari (ni un plus grand, ni un égal) ; puis enfin vint le roi, à la tête de ses chevaliers. Mille applaudissements retentirent alors dans les airs. Louis XIV portait avec tant de grâce son costume à la romaine tout brodé d’or et d’argent ! Son casque, orné de plumes et d’une aigrette flottante, donnait à sa figure une expression tout à fait guerrière ; enfin, à le voir manier si habilement sa monture toute couverte de pierreries et de banderoles, on eût dit un vieil écuyer ; et Louis XIV n’avait alors que dix-huit ans.

Les ducs de Candalle et de Guise, les chefs des deux autres troupes, entrèrent ensuite dans l’arène : le premier avait choisi pour ses couleurs le vert et le blanc, et avait pour devise sur son écu une massue avec ces mots : Elle peut même me placer parmi les astres. L’autre avait pris le bleu et le blanc, et son écu représentant un bûcher sur lequel était un phénix et un soleil au-dessus qui le rendait à la vie, portait cette inscription : Qu’importe qu’il tue, s’il ressuscite. Tous deux enfin, par la grâce de leurs tournures, par l’élégance de leur maintien, étaient dignes de rivaliser avec S.M. Louis XIV ; mais une singularité qui dépeint parfaitement le caractère d’Henri de Guise, et qui rappelait les anciens usages de la chevalerie, attira sur lui tous les regards. Il se faisait suivre par deux Maures qui tenaient à la main un superbe coursier arabe, et cette monture paraissait devoir servir à quelque Abencerrage ou à quelque Zegri, disent les Mémoires du temps22.

La course alors commença : elle fut brillante, animée et longtemps disputée : mais on devine, sans le nommer, quel en fut le vainqueur, et le soir sans doute la belle Olympe de Mancini reçut l’hommage de cette victoire.

– En 1662, le 5 juin, – une fête plus magnifique, un carrousel eut lieu sur la place qui se trouve entre les Tuileries et le Louvre, et qui par son nom en perpétue encore le souvenir. – Ce jour-là, les combattants formaient cinq quadrilles représentant par leurs costumes cinq nations différentes. Le roi qui prenait grand plaisir à ces parades chevaleresques, commandait les Romains ; Monsieur, les Persans ; le prince de Condé, les Turcs ; le duc d’Enghien, les Indiens ; le duc de Guise enfin, les Sauvages de l’Amérique23. Les costumes étincelaient d’or, d’argent et de pierres précieuses, car chacun avait cherché à éclipser ses rivaux par le luxe de ses vêtements : mais en entrant dans la lice, qu’un rimeur du temps, dans un accès de mauvaise humeur, appelle un :

 

Cirque de bois à cinq croisées,

Barbouillé d’azur et d’or peint,

Amphithéâtre de sapin,

Fantôme entre les collisées

Hippodrôme de Pantagruel.

 

une ambition plus noble fit place à ce vain désir de parade. Chacun des combattants y rivalisa d’adresse et quand le carrousel fut terminé, l’un deux vint recevoir à genoux un diamant des mains de la reine mère. L’heureux vainqueur était le comte de Sault, fils du duc de Lesdiguières.

Quant au duc de Guise, cette fête fut sans doute une des dernières auxquelles il assista. Ayant eu l’imprudence de boire un jour de l’eau glacée lorsqu’il était en sueur, il fut trouvé le lendemain matin mort dans son lit. Était-ce ainsi que devait mourir celui que le cardinal de Retz nommait avec juste raison le héros de la fable et de l’histoire ?

Un malheur trop souvent en appelle un autre. Le fils d’Henri de Guise succomba peu après, emporté par la fièvre, et en lui s’éteignit le dernier rejeton direct de cette puissante maison de Guise dont l’ambition, un instant si grande, s’était élevée jusqu’au trône de France, et s’était plus tard contentée de vains applaudissements de cour.

La glorieuse destinée de l’hôtel de Guise ne finit cependant pas avec cette noble famille. Il appartint ensuite à Louis-Joseph de Lorraine et à Marie de Lorraine, duchesse de Joyeuse ; puis, au moment où la mort de cette dernière descendante de la branche de Lorraine-Guise allait le forcer sans doute à déroger en le faisant passer dans des mains roturières, il devint la propriété d’une des maisons les plus illustres de France et quitta son nom pour celui d’hôtel de Soubise.

Mis en vente par les héritiers de la duchesse de Joyeuse, il fut en effet acheté en 1700 par madame de Soubise à fort grand marché, dit Saint-Simon, que le roi aida fort à payer ; et sous ces expressions épigrammatiques du chroniqueur, on devine facilement que madame de Soubise était jolie et que Louis XIV recherchait ses faveurs ou les avait obtenues.

Madame de Soubise avait, en effet, succédé dans le cœur si volage du roi à mesdemoiselles Mancini, à mademoiselle de Lavallière, à..., à tant d’autres encore ; mais fière comme une Rohan, elle avait entouré sa défaite de tant de mystère qu’on l’avait d’abord ignorée ; puis on en avait parlé tout bas, puis tout haut, enfin partout : et le bruit en était venu jusqu’aux oreilles de madame de Montespan. Madame de Soubise, pour détourner la colère de la favorite, avait dû alors cesser de paraître à la cour, mais elle n’en avait pas moins continué ses entrevues avec le roi. Seulement, moins aimante qu’ambitieuse, elle voulut profiter de sa faveur qui semblait devoir être éphémère ; elle devint belle fort utilement, dit encore Saint-Simon, et travailla aux affaires sérieuses. Elle se fit donner pour ainsi dire l’hôtel de Guise, cette charmante demeure où elle devait trouver une excuse à sa chute dans les souvenirs de celles moins glorieuses de Gabrielle d’Estrées, de Catherine de Clèves, d’Anne de Gonzague et de mademoiselle de Pons. N’oubliant pas non plus dans les faveurs du roi son complaisant époux, elle le fit prince. Louis XIV devait bien à un Soubise un pareil dédommagement ; mais cette faveur fut appréciée par lui à son juste mérite, car il disait à tous ceux qui venaient le féliciter : Helas ! cela me vient par ma femme ; je n’en dois pas recevoir de compliment24

Riche par lui-même et par les prodigalités du roi, puis devenu prince, M. de Soubise trouva que son nouvel hôtel ne répondait ni à sa fortune, ni à sa nouvelle dignité. Il voulut l’embellir et fit venir près de lui, pour opérer cette transformation, les plus grands artistes de l’époque, Coustou, le Lorrain, Carle Vanloo, Restout, Latrémolière, Boucher. Enfin, en 1706, tous les travaux d’embellissement et d’agrandissement commencèrent sous la direction de l’architecte Lemaire.

L’entrée principale de l’hôtel, qui se trouvait du temps des Guise rue du Chaume, fut placée rue Paradis dans un enfoncement en forme d’hémicycle, et la porte où se trouvaient représentées les armes des Rohan-Soubise, fut encadrée de chaque côté par des colonnes corinthiennes dont l’entablement supporta deux statues dues au ciseau de Coustou jeune et de Bourdy. L’une représentait Pallas, l’autre Hercule. Puis, pour donner à cette entrée un aspect tout à fait grandiose, on orna de trophées d’armes sculptés les deux côtés de l’hémicycle qui venait aboutir du côté de la rue du Chaume à une fontaine placée en pan coupé. Elle portait cette inscription :

 

Ut daret hanc populo fontem certabat uterque

Subisius posuit mœnia, prætor aquas25.

 

Une cour d’honneur fort spacieuse, autour de laquelle fut construite une galerie couverte soutenue par des colonnes et couronnée par un attique en balustre, conduisit à la nouvelle façade de l’hôtel, qui fut, dit Piganiol, plaquée contre l’ancienne pour en cacher la difformité.

Cette façade fut ornée au rez-de-chaussée de huit colonnes accouplées d’ordre composite entre lesquelles on ouvrit trois larges portes cintrées donnant sur un vestibule. Au-dessus, une même rangée de colonnes, – seulement d’ordre corinthien, – fut superposée sur la première, et cette décoration fut terminée par un fronton dans le tympan duquel le Lorrain sculpta les armes des Rohan-Soubise. Sur les rebords, on posa deux figures à demi couchées ; et dans les encoignures, on groupa des génies. Enfin, pour raccorder la façade avec le portique de la cour, on mit sur les colonnes de l’arrière-corps quatre figures de grandeur naturelle représentant les Saisons et sorties du ciseau du Lorrain.

L’intérieur de l’hôtel répondit aussi au luxe que faisait attendre une si belle façade.

L’escalier qui venait aboutir dans le vestibule dont-il a été parlé plus haut, fut couvert par Brunetti de peintures à l’huile ; et l’on y admira des figures, des colonnes et d’autres ornements si habilement peints qu’ils paraissaient de relief.

La galerie où il conduisait réunit douze portraits en pied des princes de la maison de Soubise.

La porte en face cette galerie mena à la charmante chapelle, toute peinte par Nicolo del Abbate. Le plafond représentait l’Adoration des Mages ; les deux panneaux de la porte d’entrée montraient deux prophètes, et les murs latéraux, les pèlerins d’Emmaüs, une Résurrection, un Noli me Tangere, et saint Pierre marchant sur les eaux.

Par la porte située au fond de la galerie et à droite, on arriva à la salle d’assemblée dont les dessus de portes, peints par Restout, reproduisaient la dispute de Phœbus et de Borée, et celle de Pallas avec Neptune.

Boucher orna de sujets gracieux la chambre à coucher du prince. Natoire jeta sur les boiseries du salon de voluptueux fragments de l’histoire de Psyché. Dans d’autres pièces enfin, La Tremolière peignit les Grâces présidant à l’éducation de l’Amour, Minerve enseignant à une Nymphe l’art de la Tapisserie ; Carle Vanloo, Castor et Pollux, Jupiter et Junon, une Vénus à la toilette et plusieurs autres sujets.

Derrière hôtel aussi, M. de Soubise fit dessiner un magnifique jardin orné de statues, qui fut, dit-on26, une seconde place Royale.

Mais tous ces embellissements étaient à peine achevés, quand madame de Soubise mourut le 3 février 1709 ; et son mari qui la suivit de près dans la tombe, en jouit pendant bien peu de temps.

– Hercule Meriadec, duc de Rohan-Rohan et François-Jules de Rohan héritèrent alors de cette somptueuse demeure, mais ils n’y laissèrent aucune trace de leur séjour, comme ils n’ont laissé aucun souvenir glorieux de leur existence dans l’histoire ; et ce n’est qu’avec Charles de Rohan que l’hôtel Soubise apparaît ensuite dans toute sa richesse et toute sa magnificence.

Le prince de Soubise y donna des fêtes splendides : il s’entendait mieux du reste aux plaisirs qu’à commander une armée, et plût au ciel, pour la France comme pour lui, qu’il se fût contenté de dépenser royalement sa fortune sans aller chercher sur les champs de bataille une gloire qui lui échappa presque toujours : il ne serait pas devenu la risée de tous par sa défaite à Rosbach, et n’aurait pas déchaîné contre lui toute la verve satirique des rimailleurs du temps :

 

Soubise (dit l’un) agira prudemment

En vendant son hôtel dont il n’a plus que faire,

Le roi lui donne un logement

A son École militaire.

 

A Rosbach (dit un autre) le Prussien si fier

Pouvait-il jamais espérer

Me vaincre en bataille rangée,

Moi qui ne m’y rangeai jamais.

Je m’en épargnai tous les frais

L’éclair dissipa mon armée,

Battu chaud, j’ai bon dos,

Poisson soutient Soubise,

La France a payé nos sottises.

 

L’amitié de Mme de Pompadour en effet, et la faveur de Louis XV consolèrent le prince de ces plates railleries : puis la victoire de Lutzelberg vint pallier l’effet de l’échec de Rosbach. Elle lui valut même le bâton de maréchal, – nouveau sujet d’épigrammes, car cette victoire, disait-on, ne méritait point une récompense puisque la défaite n’avait point entraîné une disgrâce.

Le prince de Soubise fit, cette fois encore, peu d’attention aux chansons ; il les oublia même au milieu des fêtes qu’il donna alors dans son hôtel du Marais.