Les Mémoires - Ligaran - E-Book

Les Mémoires E-Book

Ligaran

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Beschreibung

Extrait : "L'histoire a été, dans tous les siècles, une étude si recommandée, qu'on croirait perdre son temps d'en recueillir les suffrages, aussi importants par le poids de leurs auteurs que par leur nombre. Dans l'un et dans l'autre, on ne prétend compter que les catholiques, et on sera encore assez fort ; il ne s'en trouvera même aucun de quelque autorité dans l'Eglise qui ait laissé par écrit aucun doute sur ce point."

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Seitenzahl: 321

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Les anciennes éditions des Mémoires de Saint-Simon

L’histoire de l’emprisonnement des manuscrits de Saint-Simon aux Affaires étrangères, de la communication des Mémoires à un petit cercle d’amateurs lettrés, et enfin de leur mutilation par un éditeur coutumier de pareils méfaits, a été écrite trop récemment pour qu’il y ait lieu d’y revenir ici. Ce serait d’ailleurs anticiper sur la Notice bibliographique qui viendra en son temps. Nous nous bornerons à rappeler en quelques mots qu’aucune des publications de fragments de Saint-Simon qui se succédèrent entre 1781 et 1818 ne fut préparée sur le manuscrit original : toutes eurent pour base soit la copie ou plutôt la réduction faite par ordre du duc de Choiseul, soit les extraits tirés du manuscrit par les historiographes Duclos et Marmontel, soit quelqu’une des copies de seconde main. Cette compilation informe de passages pris à l’aventure et remaniés au gré de chaque nouvel éditeur allait être encore rééditée en 1828, lorsqu’un représentant du nom de Saint-Simon, mis, par ordre du roi Louis XVIII, et surtout grâce au bon vouloir d’un ministre plus libéral que ses prédécesseurs, en possession du manuscrit original, put enfin livrer au public un texte à peu près conforme à ce manuscrit, en y pratiquant toutefois ce qu’il appelait « les corrections et les retranchements indispensables. »

Outre cette première édition, datée de 1829-1830, les Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence furent deux fois réimprimés par les soins du général de Saint-Simon, en 1840 et 1853, avant que M. Chéruel obtînt de faire sur l’original une nouvelle révision, d’où sont sorties l’édition de 1856, que depuis lors on a considérée, non sans raison, comme édition princeps, et plusieurs réimpressions successives du texte seul, en moindre format, toutes faites par la maison Hachette, qui devint en 1863 propriétaire du manuscrit des Mémoires.

Enfin une seconde édition du texte de M. Chéruel fut commencée en 1873, avec le concours d’un jeune collaborateur de la collection des Grands écrivains, Adolphe Regnier fils, qu’une mort prématurée nous a enlevé au moment où il achevait la correction du dix-neuvième volume. Le texte a été, cette fois encore, considérablement amendé par la collation la plus minutieuse : nos lecteurs, que nous renverrons constamment, quand nous aurons lieu de citer d’avance la suite des Mémoires, à cette édition de 1873-1875, bien supérieure, pour l’exactitude et la correction, à toutes les précédentes, ne manqueront pas de regretter, comme nous, qu’une collaboration aussi utile que celle d’Adolphe Regnier fils fasse aujourd’hui défaut aux Mémoires.

Quelle que soit cependant la fidélité du texte dont il vient d’être parlé en dernier lieu, celui de l’édition actuelle sera établi d’après le manuscrit même des Mémoires, qui doit, nous le sentons, être reproduit avec d’autant plus de soin qu’il n’est pas à la disposition du public. Non seulement on fera une nouvelle collation, mais nous recourrons encore à l’original chaque fois que se présentera un passage douteux, une lecture embarrassante.

Description du manuscrit des Mémoires

Le manuscrit autographe et unique des Mémoires de Saint-Simon, qui appartient, avons-nous dit, à MM. Hachette et Cie, se compose de cent soixante-treize cahiers in-folio, de 36 centimètres de haut sur 24 de large ; chaque page renferme environ cinquante-six lignes, longues de 17 centimètres et demi, et contenant parfois quarante syllabes. L’ensemble de ces cahiers, très uniformément et régulièrement écrits depuis le premier jusqu’au dernier, et paginés de 1 à 2854, est réparti dans onze portefeuilles de veau écaille, timbrés aux armes et chiffres du duc, et à l’intérieur desquels les cahiers sont retenus par des cordonnets verts. Dans un douzième portefeuille se trouve une table des matières, également autographe, que conserve encore le Ministère des Affaires étrangères, mais qu’il a permis, sur la proposition de M. le Directeur des archives, de publier en 1877, à la suite de l’édition de MM. Chéruel et Adolphe Regnier fils.

Malgré les dimensions du manuscrit, son état de netteté ne permet pas de douter que ce soit la transcription, faite par l’auteur lui-même, d’une première rédaction. L’écriture en est posée et très soutenue d’un bout à l’autre. Si, de place en place, on rencontre des changements de peu d’importance, des ratures, des mots ou des membres de phrase ajoutés en interligne, c’est que, comme le prouve presque toujours la différence d’encre, l’auteur, ayant eu à relire une dernière fois son texte pour dresser les sommaires marginaux qu’il a écrits de distance en distance, a fait en même temps un certain nombre de corrections qui portent, soit sur le style, soit sur l’orthographe, plus rarement sur des parties essentielles de la phrase ou sur le sens même du récit. Celles qui avaient été faites du premier coup, au cours de la mise au net des Mémoires, sont beaucoup plus rares. On remarque, en outre, dans un très petit nombre d’endroits, des observations marginales écrites par une main étrangère. Chose étonnante dans un manuscrit de pareilles dimensions, l’auteur, quoiqu’il se soit relu avec attention, n’a éprouvé le besoin de faire ni notes ni additions, comme on en trouve, par exemple, dans le manuscrit du marquis de Sourches ou dans celui du duc de Luynes.

Établissement du texte

Quoique régulière et soignée, l’écriture de Saint-Simon, fine, serrée, pleine d’abréviations qui semblent appartenir à des temps plus anciens, offre de constantes difficultés de déchiffrement : on conçoit que le duc d’Orléans, qui avait mauvaise vue, ne pût lire les manuscrits de son conseiller, car parfois, sur cette mise au net d’apparences si parfaites, le paléographe le plus patient épuise en vain les ressources de son expérience. Hâtons-nous d’ajouter que ce cas ne se présente pas souvent, et que nous indiquerons toujours en note nos doutes et les différentes lectures auxquelles le manuscrit peut se prêter. Il sera tenu compte de même des ratures, surcharges, corrections, additions en interligne ou à la marge, et généralement de toutes les modifications apportées par Saint-Simon à son texte, lorsqu’il l’a recopié, ou quand il l’a revu après coup, comme nous le disions tout à l’heure. Outre que ce relevé donnera aussi fidèlement que possible l’aspect du précieux manuscrit, il ne sera pas inutile, soit, de loin en loin, pour éclaircir le sens du récit, soit pour faire connaître les procédés de composition et de rédaction de l’auteur.

Quoique notre but soit, on le voit, de donner une espèce de fac-similé du manuscrit, il est trois points sur lesquels nous ne saurions le suivre d’aussi près ; ce sont : l’orthographe, la ponctuation, et les divisions du récit.

Orthographe adoptée

La grammaire et l’orthographe de Saint-Simon présentent toutes deux une telle variété de licences, d’irrégularités, et la première tant d’ellipses et de pléonasmes, de latinismes, d’enchevêtrements, d’accords extraordinaires se rapportant à l’idée plutôt qu’aux mots, qu’il serait impossible de les signaler à chaque fois. Ce sera l’affaire du Lexique qui complètera un jour l’édition. Il va sans dire que, dans l’établissement du texte, les irrégularités de grammaire, de syntaxe, seront maintenues ; nous ne corrigerons que les lapsus évidents, et encore en indiquant dans l’annotation quel est le texte du manuscrit. Mais l’orthographe, avec ses anomalies, ses inconséquences et diversités, ne saurait être conservée : Saint-Simon lui-même n’eût pas reproduit son manuscrit tel quel à l’impression. Nous suivrons la règle adoptée pour toute la collection des Grands écrivains, et emploierons partout l’orthographe moderne, sauf l’oi qui est de constant usage dans les textes antérieurs au dix-neuvième siècle, et excepté aussi un très petit nombre de mots qui, par leur forme, rappellent quelque cas intéressant d’étymologie ou de prononciation. Il en sera de même pour les textes cités dans les notes et appendices ; on nous permettra cependant quelques rares exceptions pour des pièces autographes de certains personnages célèbres ou intéressants, dont il est curieux de mettre en lumière les manières d’écrire et le savoir orthographique.

Noms de personnes et de lieux

L’orthographe des noms de personnes français ou étrangers sera l’objet d’une attention toute particulière. On l’établira d’après les documents les plus sûrs, autant que possible d’après les signatures, ou tout au moins d’après les titres de famille et les actes du temps offrant des garanties d’authenticité et d’exactitude. Cette restitution, qui n’avait pas été faite jusqu’ici, rectifiera plus d’un nom que généralement on écrit mal, et en révèlera qui étaient devenus méconnaissables sous la plume de Saint-Simon.

Pour les noms de lieux français, nous suivrons, sauf exception justifiable, l’orthographe du Dictionnaire des Postes ou des Dictionnaires topographiques qui ont un caractère officiel. De même pour les noms étrangers ; toutefois quelques-uns de ceux-ci ont été francisés par l’usage, et, sous peine de dérouter le lecteur, il faudra leur conserver la forme la plus connue chez nous. Saint-Simon, dans ce cas-là, a employé tantôt le nom francisé, et tantôt le nom étranger. Pour les localités d’Allemagne, sachant la langue du pays et ayant fait plusieurs campagnes sur le Rhin, il s’est plu de temps en temps à conserver l’orthographe originale ; mais c’est presque toujours une orthographe de son temps, qui se trouve modifiée aujourd’hui.

Comme il n’est pas sans intérêt de faire connaître sous quelles formes les noms de personnes et les noms de lieux se présentent dans le manuscrit des Mémoires, la Table donnera, en regard du nom véritable adopté dans notre texte, l’orthographe ou les orthographes (car il y en a parfois plusieurs) suivies par Saint-Simon.

Ponctuation et divisions du récit

Bien que la ponctuation eût déjà quelques règles raisonnées, Saint-Simon semble s’en être préoccupé assez peu, alors même qu’elle eût été utile pour faire comprendre son idée ou suivre sa phrase, presque toujours longue et surchargée d’appendices ou de membres incidents. C’est donc à l’éditeur qu’il convient d’établir une ponctuation suffisante, en conservant, quand elle est bonne, celle du manuscrit, et en la modifiant lorsqu’il y a eu erreur ou omission évidente.

Le texte des Mémoires ne présente absolument rien qui ressemble à une division par chapitres. C’est là sans aucun doute un fait volontaire : l’auteur n’a pas cru à propos de distribuer son récit en morceaux de dimensions à peu près équivalentes, ni de ménager de distance en distance des suspensions, des repos pour le lecteur. Les divisions par chapitres qu’offraient les précédentes éditions étant donc du fait des éditeurs, et ne répondant en rien aux intentions de l’auteur, aussi peu soucieux de coupures que de transitions, nous n’avons pas cru devoir les reproduire, aujourd’hui qu’il s’agit de donner un fac-similé aussi exact que possible de l’original. De plus, les éditeurs avaient disposé en sommaires, pour leurs chapitres, les notes marginales ou « manchettes » que Saint-Simon, révisant une dernière fois son manuscrit, a placées en regard de chaque passage principal, de chaque portrait important, soit pour guider le lecteur, soit pour se fixer à lui-même des points de repère dans une œuvre de si longue haleine, et préparer les éléments de sa table analytique. Nous reproduirons ces « manchettes » à la place qu’elles occupent dans les cahiers de l’auteur. Il ne les distribuait pas toujours avec beaucoup de soin, et il sera quelquefois nécessaire d’en rectifier un peu la position ; mais généralement il y a intérêt à constater quel est, au milieu d’une narration, d’un paragraphe, le point précis qui a attiré plus particulièrement son attention et motivé le sommaire marginal.

Si Saint-Simon n’a point fait de division par chapitres, il n’a guère multiplié non plus les alinéas, les paragraphes ; nous croyons indispensable de suppléer à cette insuffisance du manuscrit et de pratiquer un plus grand nombre de coupures, en tenant compte de l’enchaînement des récits, du passage d’un sujet à l’autre, des suspensions que parfois la phrase même fait sentir, sans que rien les indique à l’œil du lecteur.

Dans les anciennes éditions, on avait placé en titre courant une réduction plus ou moins exacte des sommaires marginaux ; nous éviterons ce double emploi, et donnerons seulement à l’angle intérieur de chaque page une date courante, qui disparaîtra momentanément quand viendra l’une de ces digressions rétrospectives si fréquentes et souvent si longues chez Saint-Simon.

Nécessité de contrôler les Mémoires

Avant même qu’on eût imprimé un texte exact et complet des Mémoires, Lémontey, seul alors à connaître le manuscrit original, insista sur la nécessité d’un contrôle attentif ; quarante ans plus tard, quand les éditions de 1829, 1840 et 1853 eurent acquis aux Mémoires une première popularité, Montalembert, qui s’était mis à la tête des plus fervents admirateurs de Saint-Simon, établit, avec une autorité, une ampleur de vues, une netteté de principes et une précision qui n’ont rien perdu depuis par l’effet du temps, qu’il était urgent de donner à l’histoire et à la vérité les satisfactions qu’avait déjà réclamées Lémontey, c’est-à-dire de joindre à un texte si précieux les annotations et les rectifications propres à lui prêter encore plus de valeur. L’illustre écrivain venait récemment d’obtenir que l’Académie française ouvrît un concours d’éloquence sur la Vie et les Œuvres de Saint-Simon. Quatorze discours avaient été présentés, dont plusieurs aussi remarquables par l’abondance des informations que par leur valeur littéraire : l’un ou l’autre des deux vainqueurs, MM. Poitou et Amédée Lefèvre-Pontalis, semblait naturellement appelé à entreprendre une édition critique, et Montalembert comptait en outre obtenir le patronage d’une Société savante qui avait songé déjà à donner un supplément aux Mémoires. Mais, engagée pour des publications de très longue haleine, la Société à laquelle il s’adressait recula devant une nouvelle entreprise qui eût achevé d’absorber ses ressources durant un temps indéfini, et qui, sans doute, se serait compliquée de certaines questions de propriété littéraire.

D’ailleurs on comptait que les Mémoires reparaîtraient prochainement par les soins d’un érudit dont la compétence faisait espérer que, cette fois enfin, les admirateurs de Saint-Simon auraient toute satisfaction. En effet, l’édition de M. Chéruel se publia l’année suivante (1856), et Montalembert lui rendit, ainsi que tant d’autres critiques s’empressèrent de le faire, un juste hommage ; mais, regrettant de ne pas y trouver une annotation courante, ou, comme on le dit maintenant, un « commentaire perpétuel, » il dressa, en quelques pages, le programme dont il réclamait la réalisation depuis plusieurs années, et que notre seule ambition ici est de suivre, comme le meilleur des guides et la plus sûre garantie du succès. Aucune partie de la tâche n’y est oubliée, aucun point négligé, et, aujourd’hui même que vingt ans de plus se sont écoulés, et que lecteurs ou travailleurs, familiarisés chaque jour davantage avec l’œuvre de Saint-Simon, lui demandent, chaque jour aussi, de nouveaux enseignements ou des jouissances nouvelles, on ne saurait mieux ni plus complètement exposer les nécessités, les avantages, les difficultés, les proportions, les conditions d’une édition critique et commentée de ces Mémoires, ou de quelque texte historique que ce soit.

Programme dressé par Montalembert

Voici d’abord, pour commencer par ce qu’on peut nommer la partie fondamentale d’une telle œuvre, par la langue, ce que Montalembert disait de l’annotation philologique et grammaticale : « Il me faudrait des notes linguistiques et philologiques, pour nous mettre au courant de tout le parti que Saint-Simon a tiré de la langue française… Je prends les mots à poignées dans un demi-volume, et je demande si les contemporains de Saint-Simon, et lesquels, s’en servaient encore. Mais ce n’est pas seulement les vieux mots qui s’en vont, ce sont les nouveaux qui arrivent, et que j’aimerais à voir saisis et marqués au passage. »

On a eu tort, en effet, de dire que la langue de Saint-Simon avait été « tout entière créée par lui. » Les notes linguistiques et philologiques que réclamait Montalembert, prouveront qu’un très petit nombre de mots ou d’expressions étaient la propriété personnelle, la création de l’auteur des Mémoires. Bien des termes et des façons de parler qui semblent des plus extraordinaires, se retrouvent dans les dictionnaires de son temps, surtout ceux de sa jeunesse, c’est-à-dire dans Richelet (1679-1680), dans Furetière (1690), dans l’Académie (1694 et 1718), dans le Dictionnaire de Trévoux (1704). La langue, le style et la grammaire de Saint-Simon restèrent, jusqu’au milieu du dix-huitième siècle, ce qu’ils avaient été dès le principe, sous le règne de Louis XIV. Cet anachronisme, sous Louis XV, étonnait fort ses amis ; aujourd’hui il ajoute beaucoup à la saveur du texte. C’est aussi, comme on l’a très bien démontré, l’emploi « d’expressions vieillies, populaires, de circonstance ou de mode ; » c’est le recours fréquent aux vocabulaires du Palais, des camps ou de la vénerie ; c’est, lorsque l’occasion le requiert, l’emprunt fait au peuple de quelque expression triviale, grossière même, mais énergique, et d’ailleurs assez couramment admise en des temps moins pudibonds que les nôtres : c’est, dis-je, ce mélange étonnant qui effarouche et déconcerte nombre de lecteurs. Il sera donc intéressant de relever au passage les mots et les locutions remarquables, de chercher s’ils sont des idiotismes de notre auteur, ou si simplement il les a pris à un autre temps, rajeunis par l’emploi, et, dans ce cas, d’en indiquer, quand on le pourra, la source et la date.

Au point de vue de la langue, souvent aussi du fond, disons ici qu’il nous paraît à propos de signaler les « redites » nombreuses dans lesquelles Saint-Simon semble s’être complu, et que le lecteur pourrait être bien aise de connaître immédiatement, avec leurs analogies ou leurs dissemblances.

Ce qui préoccupait le plus particulièrement Montalembert, c’était l’autorité, souvent usurpée selon lui, que le public et les écrivains, même les plus éclairés, attribuaient aux jugements historiques de Saint-Simon. « Sans aucun doute, disait-il, Saint-Simon a été sincère : je le crois sur parole, quand il affirme qu’il a « scrupuleusement respecté le joug de la vérité. » Il est au suprême degré ce qu’il dit que doit être l’historien, « droit, vrai, franc, plein d’honneur et de probité ; » mais il n’est pas toujours bien informé, et moins souvent encore impartial. Sa crédulité est quelquefois excessive ; sa haine vigoureuse du vice, de l’hypocrisie, de la bassesse, l’a plus d’une fois aveuglé. Ses opinions exigent donc un contrôle attentif et perpétuel. Sa popularité croissante crée aux amis de la vérité historique l’obligation de pourvoir à ce que ses jugements ne soient pas en quelque sorte parole d’Évangile pour le gros des lecteurs. D’ici à peu d’années, ses Mémoires seront aussi lus, aussi connus de tous que les lettres de Mme de Sévigné. On saura par cœur ses mots, ses portraits, ses tableaux. La jeunesse surtout croira connaître à fond son siècle de Louis XIV, quand elle se sera imbibée de cette lecture enivrante ; et peu à peu il fera loi pour le public. Il est donc urgent et nécessaire de mettre en garde le lecteur consciencieux contre les erreurs de fait et de jugement dont Saint-Simon regorge. Il faut qu’un commentaire courant, au bas de chaque page, réponde aux besoins de tout homme qui veut savoir le vrai des choses et qui n’a pas le temps d’aller vérifier chacune des assertions du terrible historien. Il faut le mettre en présence des auteurs contemporains, des correspondances officielles, du récit des auteurs ou des témoins de toutes ces scènes, dont il ne doit pas avoir le monopole. Il faut que sans cesse on rappelle à ses admirateurs qu’il n’est pas le seul qui ait vu et qui ait parlé. Audiatur et altera pars. On n’a certes pas besoin de citer tout ce qui le contredit ; mais il faut au moins avertir, indiquer, mettre sur la voie. Alors le lecteur pourra suspendre son adhésion, choisir et juger à son gré ; alors seulement la conscience de l’éditeur sera en repos. Je suis convaincu que ni la gloire ni la véracité de Saint-Simon n’ont à redouter cette épreuve, et qu’il en sortira avec plus de succès qu’aucun autre historien moderne ; mais il ne faut pas laisser croire qu’il est en tout irréprochable et donner à son autorité une infaillibilité illégitime. »

Passant au commentaire explicatif : « Tout a son importance, disait Montalembert, quand il s’agit d’un si grand écrivain et d’un si vaste monument. Il mérite, tout autant que Racine ou Molière, Rabelais ou Montaigne, une explication scrupuleuse de son texte… Aucun écrivain, aucun historien surtout, n’a plus besoin d’être commenté, éclairé, rectifié, corrigé. Son récit est souvent confus, obscur, contradictoire. On éprouve à chaque pas le désir de savoir de qui et de quoi il est question, quand l’auteur a parlé pour la première fois du sujet ou du personnage qu’il fait tout à coup reparaître, ce qu’il en dit, et surtout ce qu’il faut en croire et ce qu’on peut en savoir d’autre part. Je ne parle pas seulement des détails biographiques et chronologiques, des alliances et des parentés, des particularités d’étiquette ou de mœurs contemporaines, sur lesquelles on est arrêté littéralement à toutes les pages par l’absence d’explications ou de renseignements nécessaires. »

Et ailleurs : « Il est un autre genre de notes que l’on regrette en lisant Saint-Simon ; ce sont les notes que j’appellerais topographiques. J’ai besoin de connaître l’emplacement des lieux où se passent ces scènes qu’il fait revivre devant moi. Je vois bien encore sur le quai de la Tournelle l’hôtel de Nesmond, avec la sotte inscription moderne qui a remplacé sur la porte cet écriteau dont « on se scandalisa, mais qui demeura et est devenu l’exemple et le père de tous ceux qui, de toute espèce, ont inondé Paris. » Mais, quand il me parle de l’hôtel de Mayenne, de l’hôtel de Duras, de l’hôtel de Lorge, et de tant d’autres, je ne sais plus où j’en suis… Il faut aussi qu’il [l’éditeur] me mène à la Ferté-au-Vidame, et que je sache ce qu’est devenue cette terre, sa « seule terre bâtie, » où Saint-Simon a tant vécu… »

Ainsi, en résumant le programme dressé par Montalembert, nous voyons que le commentaire doit se composer, outre l’annotation philologique dont nous avons parlé plus haut, de quatre espèces de notes : topographiques, biographiques, généalogiques, historiques et explicatives.

Notes topographiques

Les notes topographiques, portant sur un pays, une localité, un édifice, un hôtel, un château, seront faites non seulement d’après les documents écrits, mais aussi d’après les monuments figuratifs qui existent au Cabinet des cartes et plans, au Cabinet des estampes, et dans les autres dépôts de ce genre. Il a déjà été dit que le premier soin serait de rétablir l’orthographe moderne et officielle des noms de lieux.

Notices biographiques

Chaque personnage, la première fois qu’il sera cité par Saint-Simon, aura une notice biographique (marquée par un astérisque dans la Table analytique), comprenant ses noms et prénoms, les dates principales de sa vie, la chronologie de ses fonctions ou dignités successives, son cursus honorum, diraient les épigraphistes, et souvent, en regard des portraits si vivants que trace la plume de Saint-Simon, l’indication des portraits authentiques conservés dans nos musées, gravés par les maîtres du temps, ou dessinés pour les curieux.

Personne n’ignore ce que sont en général les recueils biographiques modernes, et combien d’erreurs se transmettent de l’un à l’autre. On doit donc n’y recourir que faute de mieux, et prendre les renseignements à de meilleures sources : documents originaux, biographies spéciales, recueils du temps, tels que les dictionnaires de Moréri ou de Bayle. Malgré les pertes subies par nos archives, bien peu de personnages du siècle de Louis XIV échapperont à une recherche patiente, quel qu’ait pu être leur rang dans la société, à la cour, à la ville, en province ou dans les camps. Qu’on nous permette de citer, en forme d’exemple, nos deux premiers volumes : sur neuf cents hommes ou femmes environ qui y paraissent, il n’en est pas vingt-cinq dont nous ne soyons parvenus à établir d’abord l’identité, puis la notice biographique et chronologique, au moins dans ses parties essentielles.

Ce ne sera que dans des circonstances exceptionnelles qu’on indiquera les autorités diverses d’après lesquelles chaque notice de ce genre aura été faite. Le plus souvent, après avoir comparé ces autorités les unes aux autres, il y a lieu de remonter plus haut et de vérifier les noms et qualités sur les dossiers généalogiques du Cabinet des titres, les dates sur le Journal de Dangeau, la Gazette, le Mercure, qui, ayant inséré les faits au jour le jour, ne peuvent guère, le premier surtout, induire en erreur. Pour reconstituer une carrière militaire, on a la Chronologie de Pinard, l’Abrégé chronologique et historique de la Maison du Roi de le Pippre de Nœufville, les Essais historiques sur les Régiments d’infanterie de Roussel, les archives de la Guerre. Pour tout ce qui était de la maison du Roi ou de celles des princes, il faut consulter les diverses éditions de l’État de la France, ou bien le beau manuscrit de l’abbé de Dangeau intitulé Dictionnaire des Bienfaits du Roi ; pour les gens d’Église, le Gallia christiana ; pour l’ordre du Saint-Esprit, les deux volumes de du Chesne et d’Haudicquer de Blancourt ; pour les réformés, la France protestante des frères Haag. Citons encore les registres manuscrits du Grand armorial de 1696, où petits et grands furent forcés de faire inscrire leurs noms, qualités et armes ; puis certaines compilations modernes, comme le Dictionnaire critique de Jal, ou les Notes prises aux archives de l’État civil de Paris, par M. le comte de Chastellux, qui ne remédient que bien imparfaitement à la destruction de ce magnifique dépôt. On peut aussi tirer parti des inventaires sommaires des registres paroissiaux publiés dans quelques provinces par les archivistes départementaux, ou bien des registres eux-mêmes, qui remontent presque partout au dix-septième siècle. Enfin nous parlerons plus loin des collections historiques, comme celles de Gaignières et de Clairambault, qui renferment une foule de matériaux biographiques.

Notes généalogiques

C’est aussi dans ces collections, dans nos grands dépôts d’archives et au Cabinet des titres que se trouvent les éléments de contrôle pour tout ce qui touche aux questions nobiliaires. « Quand on nomme Saint-Simon en matière de noblesse, disait Montalembert, il est difficile de ne pas songer aussitôt, comme la mère du Régent, à ses généalogies ; et ici encore il faut reconnaître qu’aucune édition des Mémoires ne sera complète sans un certain nombre de notes destinées à rectifier ou à compléter ses assertions. On aurait tort de traiter trop légèrement ce côté de sa prodigieuse fécondité. La vraie généalogie, c’est-à-dire l’histoire exacte et détaillée des grandes familles qui ont joué un rôle prépondérant dans les sociétés anciennes, sera toujours un aspect très intéressant, et on peut ajouter très nouveau, de l’histoire générale… Comme Saint-Simon est et sera toujours de beaucoup l’auteur le plus populaire de tous ceux qui s’occupent de ces matières, on risque fort de voir le public épouser ses opinions extravagantes, injustes, ridicules même, sur des races dont les noms s’identifient avec les plus belles pages de notre histoire… Tout le monde n’a pas le courage ou l’inclination de réclamer dans un intérêt personnel… Le devoir d’un bon commentateur n’est pas d’aller fouiller le P. Anselme ou la première et sincère édition de la Chenaye des Bois, pour venir au-devant de toutes les rectifications qui pourraient être fondées, mais bien de relever les inexactitudes qui sautent aux yeux ; et cela toujours dans l’intérêt de la vérité historique et de la bonne éducation du goût public. »

Saint-Simon, qui a traité si souvent des questions de noblesse, de rangs et de prérogatives, avouait lui-même n’être pas un bon généalogiste ; mais nous verrons qu’il ne travaillait jamais sans avoir sous la main les principaux recueils publiés sur cette matière, notamment ceux du P. Anselme, d’Imhof ou de Moréri : dès que l’occasion s’en présentait, il y faisait des emprunts dont il sera facile de retrouver la trace et de constater l’origine. Ce premier contrôle ne suffirait pas toujours, quand Saint-Simon s’est servi de livres sujets à caution, ou lorsqu’il n’a fait que reproduire des chroniques médisantes, des calomnies même, qui avaient cours à l’endroit de certaines familles ou de certains personnages. En l’un et en l’autre cas, nous tâcherons de rétablir la vérité, et là encore nous nous aiderons des grandes collections de la Bibliothèque nationale. À côté des recueils de Gaignières, de Clairambault et de d’Hozier, le Cabinet des titres, où il n’est guère de famille qui n’ait quelque dossier de mémoires généalogiques ou de pièces originales, constitue une mine inépuisable, particulièrement riche pour l’époque de Saint-Simon. L’obligeance de l’archiviste auquel est confiée la garde de ce dépôt est bien connue de tous les habitués de la Bibliothèque : nous sommes sûrs qu’elle ne fera jamais défaut aux éditeurs du Saint-Simon.

Notes historiques et explicatives

Les notes historiques et explicatives porteront tantôt sur les évènements et les faits, tantôt sur les institutions, les usages, les expressions et manières de parler administratives, judiciaires, militaires, etc., dont l’interprétation, absolument nécessaire pour l’utile lecture des Mémoires, doit être mise à la portée de tous : interprétation brève et substantielle, indiquant, s’il en est besoin, à quelle source l’annotateur aura pris ses renseignements, ou à quels documents le lecteur pourrait se référer.

Il va sans dire qu’entre ces divers sujets de notes, c’est sur les évènements mêmes et les faits que se portera surtout l’attention du commentateur ; mais, avant d’indiquer sa méthode de contrôle et les instruments dont il dispose, il doit rappeler quels ont été les procédés de rédaction de Saint-Simon, de quels éléments se composent les Mémoires.

Origine et composition des Mémoires

Saint-Simon a raconté lui-même, presque au début de son œuvre, que la lecture de Bassompierre « l’invita à écrire ce qu’il verrait arriver de son temps, » et qu’il commença ces Mémoires » dans les longs loisirs de la campagne de 1694 en Allemagne. Le lecteur pourrait donc conclure qu’à partir de cette date de 1694, les récits, écrits à l’instant même, ont une authenticité comparable à celle, par exemple, du Journal de Dangeau. Naguère encore, un publiciste, qui eut cependant le rare avantage de tenir entre ses mains le manuscrit autographe de Saint-Simon, croyait et disait que l’auteur avait jeté chaque jour sur le papier ses notes, ses impressions, ses pensées ; que cette masse de notes formait un ensemble informe en 1723, quand Saint-Simon quitta la cour, et qu’il n’eut, pendant les trente dernières années de sa vie, qu’à en tirer une rédaction régulière. Nous pensons qu’il faut préciser davantage.

Saint-Simon, à son entrée dans la vie, eut l’idée d’écrire régulièrement ses mémoires, et même il donna à ce projet un commencement d’exécution : on en trouve la preuve dans sa lettre du 29 mars 1699, à M. de Rancé, qui a paru en tête de la première édition complète des Mémoires (1829). Nous y voyons qu’il travaillait depuis quelque temps à « des espèces de mémoires de sa vie ; » que son intention était d’y faire entrer tout ce qui avait « un rapport particulier » à son rôle, à son existence personnelle, « et aussi, un peu en général et superficiellement, une espèce de relation des évènements de ces temps, principalement des choses de la cour ; » que, tout en se proposant une « exacte vérité, » il ne croyait pas blâmable de « la dire bonne et mauvaise » et de « satisfaire ses inclinations et passions ; » que, pour ce motif et par crainte du scandale, il avait d’abord résolu que ces souvenirs seraient détruits après sa mort, ou même de son vivant ; mais que, reculant devant un si dur sacrifice à mesure que grossissait « cette espèce d’ouvrage, » il en avait entretenu une première fois le pieux abbé ; qu’il lui faisait remettre actuellement, par M. du Charmel, différents morceaux déjà terminés, savoir : la relation du procès des ducs et pairs contre MM. de Luxembourg (1693-1696), et deux portraits (il avait déjà communiqué « en bien » celui d’Henri Daguesseau), « pour servir d’échantillon au reste ; » et qu’enfin il se proposait, pour les Pâques prochaines, de porter à la Trappe « quelques cahiers des Mémoires mêmes. »

Quelle fut la réponse de M. de Rancé ? C’est un des points sur lesquels la divulgation des correspondances conservées aux Affaires étrangères devra faire le jour ; mais, dès à présent, ce fait est acquis que, vers 1700, Saint-Simon possédait six années de Mémoires (c’est le terme dont il se sert) écrits « selon l’ordre des temps ; » ce n’était pas un journal sec et aride, comme celui de Dangeau, ni non plus étendu à toutes les choses de la cour, mais plutôt un mémorial presque exclusivement personnel, et cependant parsemé de portraits, de jugements, d’appréciations, plus souvent satiriques que favorables.

Que Saint-Simon ait persévéré, ou non, dans sa rédaction primitive, avec l’autorisation du saint abbé, il subsiste bien peu de chose de ce « premier état » des Mémoires, au milieu du texte définitif ; mais, comme il est d’une grande importance pour la critique historique de déterminer si un récit est contemporain des évènements, ou s’il a été écrit après coup, soit à l’aide de souvenirs déjà éloignés, soit de seconde main, d’après les informations d’autrui, nous aurons soin de relever les indices qui, de distance en distance, trahissent les différences de temps et de procédés, indices faciles à trouver quand l’auteur a négligé certaines modifications par lesquelles il eût dû fondre des éléments disparates et donner à son œuvre une apparence d’origine homogène, de composition simultanée.

Il semble en somme que Saint-Simon avait pris, étant tout jeune, l’habitude de recueillir ses souvenirs et d’écrire des relations de certains épisodes importants ou des cérémonies auxquelles il venait d’assister : le récit des obsèques de la Dauphine-Bavière (1690) fut l’un des premiers produits de ce labeur. Puis, au sortir de l’académie, animé par ses lectures, enthousiasmé de ses débuts à la cour et à l’armée, et excité sans doute par un gouverneur qui a découvert en lui le goût de l’histoire et veut mettre ainsi à profit les loisirs des camps, notre duc commence à tenir une sorte de journal, limité d’abord aux évènements qui le touchent directement ou auxquels il a pris part, surtout à ce qui, dans ces évènements, se rapporte à l’étiquette, aux prérogatives, au cérémonial ; les choses de la guerre y tiennent aussi une place considérable : c’est bien le travail d’un jeune homme de dix-neuf ans, qui transforme en faits d’armes dignes d’être transmis à la postérité des escarmouches ou des marches et contremarches sans importance réelle, en affaires d’État des querelles et des conflits de courtisans !

S’il continue dans cette voie, ce ne sera guère qu’un émule des marquis de Dangeau et de Sourches, un précurseur du duc de Luynes ; mais son champ s’élargit bientôt : quoique les mémoires du cardinal de Retz, de Joly, de Mme de Motteville ne soient pas encore venus « tourner toutes les têtes, » le seizième et le dix-septième siècle ont déjà produit nombre de mémoires et de commentaires historiques d’un caractère plus élevé que l’œuvre de Bassompierre, et ce sont ces modèles que peu à peu Saint-Simon tend à imiter. Après n’avoir songé qu’à recueillir des souvenirs personnels, voici qu’il se reproche de laisser passer une foule d’évènements sur lesquels son devoir, dès qu’il peut le faire, serait de fournir des révélations et des renseignements pris de première main, auprès de ceux mêmes qui « traitent les choses. » Et enfin, quand son rôle à la cour, comme ami du duc de Bourgogne et du Régent, prend quelque importance, la politique ne pouvant plus avoir rien de caché pour lui, ses visées s’agrandissent encore : il accumule les documents d’histoire les uns sur les autres, dans des portefeuilles où viennent s’entasser chaque jour, à côté de dossiers et de papiers d’affaires, les copies ou minutes de ses lettres, ses plans politiques, ses souvenirs et ses études, ses dissertations et ses extraits analytiques d’ouvrages imprimés ou manuscrits ayant trait aux questions qui le préoccupent le plus particulièrement. C’est du moins ce que nous fait supposer de la composition de ces portefeuilles l’inventaire dressé au moment où le duc de Choiseul les confisqua pour les Affaires étrangères. Quant à des mémoires suivis, nous pensons que Saint-Simon en avait depuis bien longtemps abandonné la rédaction lorsque tomba entre ses mains le journal dont nous allons parler, et qui fit pour lui l’office d’une trame continue, solide et commode, trame toute préparée, sur laquelle il n’eut plus qu’à mettre en œuvre ses propres souvenirs, le produit de ses lectures ou les matériaux amassés par lui depuis trente ou quarante ans.

Saint-Simon et le Journal de Dangeau

C’est seulement en 1729 que son ami le duc de Luynes lui communiqua les registres originaux où Dangeau, pendant trente-six ans, de 1684 à 1720, avait consigné jour par jour tous les évènements de la cour et de l’État, et qui venaient d’être déposés dans la bibliothèque du château de Dampierre. Bien que l’existence de ce journal fût connue de presque tout le monde, et même du Roi, dès avant 1700, Saint-Simon ne l’avait point vu du vivant de Dangeau. Sa première impression ne fut guère que du mépris, et elle se trouve consignée en termes fort durs dans un passage des Mémoires où il dit, que, pour écrire tous les jours ce compte rendu « si maigre, si sec, si contraint, si précautionné, » mélange rebutant de fadeur, d’ignorance, de basse vanité, de sécheresse sur les faits et de prodigalité dans les plus serviles louanges, il fallait être Dangeau, c’est-à-dire « un esprit au-dessous du médiocre, très futile, très incapable en tout genre, » ne connaissant d’autres dieux que le Roi et Mme de Maintenon, d’ailleurs « honnête et très bon homme. » Moins injuste cependant pour l’œuvre que pour l’auteur, il ajoute : « Avec tout cela, ses Mémoires