Les Ménines Décryptages - Jean-Paul Lefebvre - E-Book

Les Ménines Décryptages E-Book

Jean-Paul Lefebvre

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Beschreibung

Dans l’axe médian du miroir au fond du tableau Les Ménines, le búcaro, ce petit pichet de grès rouge présenté sur un plateau d’argent à l’infante Marguerite, est posé par le peintre Diego Velázquez à un emplacement stratégique.

Grâce à cet objet usuel vu comme un détail accessoire dans la composition de l’œuvre, l’artiste nous offre le point de départ d’une piste aux trésors qui s’amorce par la découverte du nombre d’or.

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JEAN-PAUL LEFEBVRE

LES MÉNINESDÉCRYPTAGES

PRÉFACE

Si pour l’essentiel, le présent ouvrage résulte d’explorations historiques, une fraction prometteuse est issue d’intuitions répondant à l’analyse.

La plupart des élaborations de la première partie du livre peuvent aisément se collationner par de traditionnels calculs mathématiques et mesures géométriques.La deuxième part titrée « La théologie de la peinture » offre des items qui, s’ils ne se fondent pas sur des preuves, invitent le lecteur à épingler de façon inédite les sollicitations de cette œuvre picturale.

Passées les présentations de la toile et des intervenants, vous pourrez découvrir un agencement d’images et de conceptions spécifiques.

Parmi ces explorations, un élément se distingue particulièrement : une figure géométrique complexe liée au nombre d’or.Cette structure recèle l’ossature sur laquelle repose l’architecture du tableau.

En ce qui concerne la portée de ce recueil ponctué de références aux auteurs, il n’est pas de son rôle de reprendre à son compte le vaste champ des publications relatives à la peinture Les Ménines.Il sera donc bénéfique pour qui le désire d’en découvrir l’ample éventail en librairie ou en bibliothèque.

INTRODUCTION

Le tableau : Les Ménines 

La profusion de données relatives à cette œuvre entraîne le tournis.

Analyses et argumentations sont légion pour tenter d’élucider l’énigme visuelle de cette peinture et nombre d’ouvrages ont été réalisés. En quête de signification, historiens, philosophes et artistes espèrent extraire l’essence de cette création.

La préface nommée « les Suivantes », rédigée en 1966 par le philosophe Paul-Michel Foucault en introduction à son essai intitulé « Les Mots et les Choses », propulsa Les Ménines sur le devant de la scène.

Quant aux descriptions de « On n’y voit rien », l’historien de l’art Daniel Arasse stimule notre intérêt grâce à sa vision d’un panel d’œuvres picturales, parmi lesquelles Les Ménines.

Si Daniel Arasse apprécie à sa juste mesure les interprétations émises par d’éminents spécialistes, il développe une réflexion personnelle, sans jamais l’imposer. Mais ne semblant en fin de compte nullement convaincu d’un aboutissement, il incite le lecteur naturellement interrogateur à sortir des sentiers battus, à mettre une fois encore sous pression cette énigmatique trame delin.

*

Le peintre : Diego Rodriguez de Silva

Diego Rodriguez de Silva y Velázquez est un peintre baroque espagnol, considéré comme l’un des émissaires de premier plan de la peinture à la Renaissance.

De façon succincte, le chemin parcouru par l’artiste jusqu’à son intégration en tant que courtisan au palais du roi Philippe IV est le suivant :

Velázquez naquit en 1599 à Séville et s’éteignit à Madrid en1660.

À l’âge de dix ans, il effectua ses premières armes dans l’atelier d’Herrera le vieux qu’il quitta après une année. Il rejoignit ensuite celui de Francisco Pacheco pour une durée de sixans.

À l’âge de 18 ans, Velázquez devint le gendre de Pacheco en épousant sa fille Juana. Pacheco ne se distingue pas au plus haut point dans ses réalisations de tableaux. Ceux-ci se révélèrent exclusivement religieux, choix déterminés par la clientèle ecclésiastique des peintres sévillans de l’époque. Mais, avant tout auteur du traité L’Art de la peinture, la présence de ce maître apparut marquante dans les cercles littéraires sévillans qui réunissaient l’aristocratie locale. Cette proximité devait permettre au jeune Velázquez d’être introduit à la cour de Madrid. Il bénéficia de surcroît de l’influence d’un noble d’ascendance sévillane, le ministre Gaspar de Guzman, comte-duc d’Olivarez.

Velázquez avait atteint l’âge de 24 ans lorsque le roi Philippe IV, de six ans son cadet, réclama sa présence à Madrid. Cinq ans plus tard, l’artiste obtenait le poste de peintre de la Chambre du Roi, après avoir entretemps remporté un concours de peinture au grand dam d’autres candidats vieillissants du palais.

*

Une vingtaine d’œuvres sont conservées de la période sévillane de Velázquez. Si les thèmes religieux y demeurent, neuf tableaux peuvent quant à eux être considérés comme natures mortes. À l’époque, ils furent abondamment copiés ou imités. (Lopez-Rey)

Ville opulente dotée d’une population importante et cosmopolite, le monopole commercial de Séville avec les Amériques attirait nombre de commerçants, dont un contingent notable de Flamands et d’Italiens. C’était non seulement un centre ecclésiastique de grande renommée, mais encore un foyer de l’art nanti de nombreuses écoles locales. C’est donc dans un creuset favorable que vécut Velázquez lors de cette première phase de vie, tant par son environnement artistique que grâce à l’entourage élitiste dont il bénéficia. Mis à part la qualité de son œuvre picturale, c’est de ce fait aussi la courtoisie et la culture du peintre qui charmèrent le jeune roi Philippe IV. (Lafuente Ferrari)

Le Sévillan atteignit à la cour de Madrid le rang auquel il aspirait. De plus, dans la poursuite de son apprentissage de peintre, il put tirer parti des locaux royaux et des œuvres peintes par des artistes tant espagnols qu’étrangers. Il obtint d’autre part tous les avantages instructifs de deux longs voyages en Italie, commandités par leroi.

Par contre, la charge de travail sans cesse croissante des affectations qui lui furent octroyées par sa majesté dut entraver la satisfaction d’élans créateurs plus personnels.

Quel parcours Velázquez aurait-il suivi s’il avait passé sa vie entière à Séville ? Sans doute admirerions-nous ses tableaux en nombre important, mais nous le découvrirons en analysant Les Ménines : l’ingéniosité qu’il développa pour celer ses messages dans ce tableau n’aurait certainement pas eu raison d’être.

L’artiste vécut à l’époque de peintres espagnols, tels notamment Francisco de Zurbaran (1598-1664), Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682), José de Ribera (1591-1652).

En France œuvraient à la même époque des peintres renommés, comme Georges de La Tour (1593-1652) ou Nicolas Poussin (1594-1665), bien que ce dernier finisse sa vie d’artiste àRome.

Parmi leurs prédécesseurs, notons en Italie Michelangelo da Caravagio, surnommé le Cavarage (1571-1610) et Dominikos Theotokópoulos, appelé Le Greco (1541-1614), qui né en Crète, travailla en Italie puis passa le reste de son existence en Espagne, à Tolède.

L’École flamande se développait pour sa part depuis longtemps déjà, en interaction avec les courants italiens. Dès la fin du 15e siècle, la technique flamande de l’huile était introduite dans la péninsule. Velázquez put en bénéficier à loisir tant durant sa jeunesse sévillane que lors de ses déambulations dans les palais madrilènes. Plus tard à la cour, il eut le privilège de devenir proche avec le peintre brabançon de l’École flamande Pierre Paul Rubens. Fin diplomate, ce peintre séjourna huit mois à Madrid en 1628, sur invitation du roi Philippe IV, afin notamment de se charger d’une importante mission diplomatique.

En ce qui concerne le monde des lettres, Velázquez vécut à l’époque de dramaturges et poètes espagnols tels Lope de Vega, Miguel Cervantes ou Francisco de Quevedo, qui fut sonami.

Ajoutons à ces auteurs Pedro Calderon de la Barca né en 1600, qui demeura toute son existence à Madrid. Velázquez s’employait depuis déjà plusieurs années à la cour lorsqu’en 1636, Pedro Calderon y fut appelé à son tour par le roi Philippe IV qui avait remarqué ses talents d’écrivain. Calderon réalisa maintes œuvres théâtrales prisées par le roi, dont la plus connue « La vie est un songe ». Nous découvrirons que bien des facettes du tableau Les Ménines de Diego Velázquez paraissent faire écho au titre de cette pièce.

Sans être exhaustifs, ajoutons à cet entourage le monde de la science où la révolution copernicienne fut soutenue par Galilée, ou encore celui de la philosophie, incarné par Francis Bacon, René Descartes ou Baruch Spinoza.

La vie de Velázquez se déroulant lors de la Renaissance espagnole, ne perdons pas de vue que cette période connut des percées différenciées en fonction des pays, l’Italie offrant à ce sujet une longueur d’avance.

De son vivant, la présence du peintre se calque sur la fraction terminale du siècle d’or espagnol qui prendra fin avec la mort du roi Charles II, dernier représentant de la dynastie de Habsbourg en Espagne.

*

Principales dates biographiques de Diego Velázquez.

6 juin1599

Baptême de Diego Velázquez en l’église San Pedro de Séville.

17 septembre1611

Contrat d’apprentissage de Diego Velázquez auprès de Francisco Pacheco.

23 avril1618

Mariage du peintre avec Juana Pacheco.

6 octobre1623

Nomination au poste de peintre du roi Philippe IV.

7 mars1627

Velázquez est nommé huissier de la chambre duroi.

30 juillet1629

Départ pour le premier voyage de l’artiste vers l’Italie.

21 août1633

Mariage de sa fille Francisca avec le peintre Juan Bautista del Mazo.

6 janvier1643

Velázquez obtient le poste de valet de chambre duroi.

9 octobre1645

Mort de l’infant Baltasar Carlos à l’âge de 17 ans.

21 janvier1649

Départ du peintre pour son deuxième voyage en Italie.

12 Juillet1651

Naissance de l’infante Marguerite.

8 mars1652

Velázquez est nommé aposantador de Palacio, grand maréchal du palais.

1656

Peinture Les Ménines (musée du Prado).

12 juin1658

Le peintre obtient le brevet de l’Ordre de Santiago.

7 août1660

Décès de Diego Velázquez

1re partiePERSONNAGES et GÉOMÉTRIE

De peindre, vers l’art de peindre

Du temps de Velázquez, la majorité des peintres étaient désignés par les représentants de l’église pour réaliser des tableaux pieux selon des critères définis et incontournables, contre rétribution résultant notamment des offrandes versées par les fidèles. Historiquement, ces peintres furent considérés en la seule perspective de leur travail d’artisan.

Beaucoup plus tôt du côté italien, Léonard de Vinci s’insurgea en déclarant « La pittura è una proiezone mentale ». Dans sa pensée et sa volonté de la transmettre, il prémédite la pose de pigment sur la toile, qui s’assujettit à la création. En rupture avec la tradition artisanale, Léonard visait ainsi à consolider la place de la peinture en voulant l’élever à hauteur de l’écrit et de l’aristocratie des arts libéraux. « … mais la diversité à laquelle s’étend la peinture se montre bien plus grande que celle qui embrasse les paroles, car le peintre fera une infinité de choses que le langage ne saura jamais désigner, faute de mots appropriés ». (Chastel,1987)

Un autre personnage dut influencer Velázquez de manière significative, le peintre primitif flamand Jan van Eyck. Un de ses tableaux sur panneau de bois portant le titre de « Les Époux Arnolfini » fut accroché par le roi Philippe II parmi les œuvres de la salle Chiqua du palais. Diego eut donc tout loisir de la contempler en la détaillant.

Afin de conforter sa présence, Van Eyck apposa sur cette œuvre sa signature en lettres imposantes et la compléta par : « Johannes de Eyck fuit hic 1434 ». En guise de confirmation de son acte, l’artiste aurait réalisé un autoportrait sur un miroir convexe y figurant. (National Gallery Catalogue, édition de 1847.) La preuve n’en a pas été apportée, la représentation des deux personnages reflétés par ce miroir apparaissant minuscule.

Quoi qu’il en soit, Van Eyck devint un des premiers peintres à s’affirmer dans les Flandres moins en tant qu’artisan qu’en qualité d’artiste. Il s’agit là d’une situation témoignant d’un changement important des mentalités en ces lieux et dans cette phase de la Renaissance.

Diego Velázquez devait être subjugué par cette forme d’audace déjà exprimée par Jan Van Eyck en 1434. De plus, adepte de la formulation du maître Léonard décédé en 1519, il n’eut de cesse de désirer accéder comme ses deux prédécesseurs à une réhabilitation de son propre statut. Il voulait faire reconnaître ses réalisations d’un point de vue artistique, à valeur équivalente à la musique dans le quadrivium ou à l’écriture dans le trivium.

« Le seul grand peintre espagnol qui n’ait pas consacré habituellement ses travaux à l’Église, et qui n’ait pas demandé des sujets à la Bible ou à la vie des saints, c’est Velázquez ». (Stirling,1865)

Stirling emploie à juste titre le mot habituellement. En ce qui se rapporte aux « commandes » du clergé en vue d’orner les églises des nombreuses paroisses, le « Jésus crucifié » reste un modèle de prédilection parmi la panoplie ornementale admise par l’Église. De Diego Velázquez, on ne peut qu’admirer le Christ crucifié de San Placido.

Nombre de peintres représentèrent de cette façon le Christ mis en croix. Les plus connus dans l’intervalle se nomment Murillo, Alonso Cano (il prodigua des cours de dessin au Prince Baltasar Carlos d’Autriche) ou surtout Zurbaran. Celui-ci était l’ami sévillan d’enfance de Velázquez et vécut plusieurs années à Madrid à la fin de savie.

*

Les Ménines

Les Ménines est aujourd’hui qualifié de chef-d’œuvre par nombre de critiques et admirateurs. Nous verrons que l’énigme de la théâtralité des êtres présents sur la toile résulte, dans une large mesure, d’une mise en place très étudiée. Plusieurs figures géométriques demeurent sous-jacentes, de prime abord invisibles. Pour résultat, le moindre geste d’un seul des personnages centraux entraînerait le déséquilibre général de la construction.

Laissons-nous emporter par l’imaginaire, autorisons-nous à dévoiler comment Velázquez développe sa capacité à fondre ses conceptions dans une scène de genre dont la projection nous déconcerte.

Afin de répondre au défi de la découverte, réévaluons la signification de ce tableau avec une perception volontairement différente. Reculons de quelques pas, écartons-nous de la densité des interprétations publiées et des connaissances acquises. Pénétrons le regard de Velázquez : que fixèrent ses rétines pour réaliser son œuvre ? Traversons les couloirs et les salles du palais royal, accompagnons l’esprit de l’artiste qui y déambule jour après jour en exécutant les nombreuses tâches qui lui sont assignées. Par quelle idée directrice fut-il atteint avant d’effectuer les premières ébauches ? Mais surtout, comment structura-t-il la construction hors norme de ce tableau ?

Au palais de l’Alcázar (de l’arabe al-qaslowdotr signifiant la forteresse), si l’ameublement se sélectionne précieusement à l’époque, il se montre épars. Sur Les Ménines l’absence de mobilier surprend, hormis l’instrument de travail constitué du chevalet qui nous paraît démesuré. Vraisemblablement déplacé pour les besoins de sa composition, pareille vacuité dut le soutenir dans la projection mentale de la réalisation du tableau.

Par ailleurs, en s’appuyant sur les clichés radiographiques réalisés par la conservatrice du Prado Madame Mena Marques, une œuvre exécutée anciennement fut décelée sous la couche de peinture. À l’origine, l’ensemble de l’agencement actuel ne fut sans doute pas défini tel quel par le Sévillan, ne fut-ce que pour la place que lui-même occupe. (Mena Marqués1984)

Nous dévoilerons aussi qu’avant de manier pigments, huiles et pinceaux, une figure géométrique singulière liée au nombre d’or fut méditée, qui permit de concrétiser le tableau. D’invisibles chemins de traverse et d’interaction des espaces démontrent que si la géométrie n’avait pas de secrets pour le peintre, il s’en fit de plus une alliée.

La phase préméditée d’une réalisation revêt au moins autant d’intérêt que l’exécution de la peinture elle-même. La première se qualifie en tant qu’art de la créativité, l’autre demeure la part artisanale d’aspirer à la perfection picturale. L’adjonction des deux révèle souvent le talent et c’est certainement le cas de cet artiste.

Au musée du Prado, le spectateur est canalisé au milieu du flot des touristes et la découverte de la grande toile de Les Ménines étonne et interroge. Le châssis impressionne par ses dimensions et, cette remarque a déjà été énoncée, les personnages qui l’habitent semblent nous jauger plus que nous-mêmes ne le ferions à leur égard. Passé cet intervalle, l’observateur peut ressentir quelque déception à ne pas éprouver de justifications à une distribution aussi atypique. Disons-le, ce qu’il donne à voir au premier coup d’œil reste passablement prosaïque. D’où, débouchant dans la vaste salle du Prado en 1840,, le notoire « où est le tableau ? » de Théophile Gautier.

Singularité d’une technicité aboutie et questions sur la raison de la démarche du peintre, du mariage des deux ont germé nombre de théories conjointes ou au contraire, antagonistes. Tenter de décrypter les composantes de ce tableau ne peut aboutir sans décrocher d’abord quelques clés. Quoi qu’il en soit, le visiteur restera subjugué par la maîtrise hors norme de Velázquez.

Penchons-nous un instant sur la maestria de cette technique chromatique. Nous ne demeurons plus au naturalisme de ses peintures de jeunesse. Le biographe Palomino déclare dans ce cadre que Velázquez fut nommé « un second Caravage » (Palomino, 1715-1724), bien que sa signature baroque emprunte les clairs-obscurs avec retenue.

On le découvre en détaillant Les Ménines : en maintenant une palette de teintes restreinte, Velázquez impose son aptitude à distribuer les coloris de façon novatrice. Il le réalise soit avec des couleurs délicatement posées, soit à l’une ou l’autre place par des pigments comme mitraillés sur la toile. L’engouement des peintres modernes est suscité par la légèreté de la touche appliquée par le Sévillan. On croirait à un frôlement de papillon au ras de la trame, tandis qu’à distance, l’exécution recèle la parfaite fusion du trait et de la nuance. Il nous accorde une leçon d’impressionnisme avant l’heure, à tel point que Les Ménines fut salué par Édouard Manet lors de sa visite au Prado en 1865. S’adressant à Baudelaire, il écrit que Velázquez est le « plus grand peintre qu’il y ait jamais eu » et véritablement conquis, fait connaître cette peinture par la description qu’il en donne à son retour de voyage. Rejoignant son atelier, il va jusqu’à réaliser son autoportrait en posant de façon semblable à Velázquez dans le tableau Les Ménines.

De la sorte, le chef-d’œuvre en vient à passionner des artistes tels que Goya, Picasso, Bacon et bien d’autres qui, pour certains encore à ce jour, reprennent sur leur support le thème de cette magistrale réalisation.

Mais s’il s’agit de revisiter le sujet, aucun d’eux n’en a fourni le sésame.

*

La peinture de Velázquez nous inspire de plusieurs façons. Par la vue assurément, mais de plus, saisissez-vous ces bruits de conversations ? Écoutons ces bavardages et parfois ces appels dans certains de ses tableaux qui réunissent plusieurs individus. Prenons pour exemples « Le Christ chez Marthe », « La Forge de Vulcain », « Le triomphe de Bacchus », « Les lances », « La tunique de Joseph », « Les Fileuses » et certes Les Ménines. Créant un fond sonore, des êtres devisent et souvent le geste accompagne le verbe. Par son coup de pinceau, le maître parvient à nous décrire des personnages occupés à prononcer des mots. Il le réalise avec tant de fidélité qu’en lisant sur leurs lèvres, le spectateur pourrait entendre ce dialogue :

–« ¿Quieres agua fresca y perfumada, princesa Margarit ? »

Vous désirez de l’eau fraîche et parfumée, Princesse Marguerite ?

–« No, quiero ir a ver al pintor Diego ».

Non, je veux voir le peintre Diego.

Grâce à cette faculté de transcription des émotions de la part de Velázquez, le simple enregistrement mental du regard de la princesse s’avère suffisant pour en traduire toute la candeur et la curiosité de petite fille. Ici, tout est aussi langage dans l’expression même, dès l’instant précis où la nuance de pigments colore les yeux de Marguerite sur la toile.

Le tableau

« Les Ménines », de Diego Velázquez, peint en1656

318 x 276 cm. Huile sur toile.Musée du Prado de Madrid.

Œuvre également connue en inventaires antérieurs sous les noms de « La famille » ou « La famille de Philippe IV »*

« Les Ménines », de Diego Velázquez,1656.

Représentation éclaircie afin de lisibilité.

(IllustrationJAL)

Les intervenants

Débutons par Diego Velázquez. Près de trente ans avant la réalisation de Les Ménines