Les Minutes de sable - Alfred Jarry - E-Book

Les Minutes de sable E-Book

Alfred Jarry

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Beschreibung

Extrait : " Il est très vraisemblable que beaucoup ne s'apercevront point que ce qui va suivre soit très beau (sans superlatif : départ) ; et à supposer qu'une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu'ils ne croient point qu'elles leur aient été suggérées exprès."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. 

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : 

• Livres rares
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• Poésies
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EAN : 9782335049862

©Ligaran 2015

Linteau

Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau (sans superlatif : départ) ; et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. Car ils entreverront des idées entrebâillées, non brodées de leurs usuelles accompagnatrices, et s’étonneront du manque de maintes citations congrues, alors qu’il se compile des manuels où tout jeune homme lit ce qui est nécessaire pour suivre lesdits usages. Il est bien d’avoir fréquenté chez les siècles divers des philosophes, pour apprendre 1° l’absurdité de répéter leurs doctrines, qui, récentes, traînent aux cafés et brasseries, plus vieilles, aux cahiers des potaches ; 2° et surtout, la double absurdité de citer l’étai du nom d’un philosophe, quand chacune de ses idées, prise hors de l’ensemble du système, bave des lèvres d’un gâteux (Et ce bout de dissertation est tout aussi banal que la banalité d’il ne faut pas tout dire qu’il explique)…

Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature, auxquelles faussement on a comparé l’œuvre seule de génie, toute œuvre écrite y étant semblable, la dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau. Confusion et danger : l’œuvre d’ignorance aux mots bulletins de vote pris hors de leur sens ou plus justement sans préférence de sens. Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversité des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante ; et pour peu que la forme soit abrupte et irrégulière, par manque d’avoir su la régularité, toute régularité inattendue luit, pierre, orbite, œil de paon, lampadaire, accord final. – Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile, de l’Autre, simplicité condensée, diamant du charbon, œuvre unique faite de toutes les œuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de notre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens qu’on y puisse trouver est constant ; en celle-là, indéfiniment varié.

(DILEMME) De par ceci qu’on écrit l’œuvre, active supériorité sur l’audition passive. Tous les sens qu’y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les trouvera tous ; et l’auteur lui en peut indiquer, colin-maillard cérébral, d’inattendus, postérieurs et contradictoires.

Mais 2° Cas. Lecteur infiniment supérieur par l’intelligence à celui qui écrivit. – N’ayant point écrit l’œuvre, il ne la néanmoins pénètre point, reste parallèle, sinon égal, au lecteur du Ier Cas.

3° Si impossible il s’identifie à l’auteur, l’auteur au moins dans le passé le surpassa écrivant l’œuvre, moment unique où il vit TOUT (et n’eut, comme ci-dessus, garde de le dire. C’eût été (Cf. Pataph.) association d’idées animalement passive, dédain (ou manque) du libre-arbitre ou de l’intelligence choisissante, et sincérité, anti-esthétique et méprisable).

4° Si passé ce moment unique l’auteur oublie (et l’oubli est indispensable – timeo hominem… – pour retourner le stile en sa cervelle et y buriner l’œuvre nouvelle), la constance du rapport précité lui est jalon pour retrouver TOUT. Et ceci n’est qu’accessoire de cette réciproque : quand même il n’eût point su toutes choses y afférentes en écrivant l’œuvre, il lui suffit de deux jalons placés (encoche, point de mire) – par intuition, si l’on veut un mot – pour TOUT décrire (dirait le tire-ligne au compas) et découvrir. Et Descartes est bien petit d’ambition, qui n’a voulu qu’édifier sur un Album un système (Rien de Stuart Mill, méthode des résidus).

 

Il est bon d’écrire une théorie après l’œuvre, de la lire avant l’œuvre. –

Avant de lire ce qui est passable :

Il est stupide de commenter soi-même l’œuvre écrite, bonne ou mauvaise, car au moment de l’écriture on a tâché de son mieux non de dire TOUT, ce qui serait absurde, mais le plus du nécessaire (que jamais d’ailleurs le lecteur ne percevra total), et l’on ne sera pas plus clair. Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus.

Avant de lire ce qui ne vaut rien :

Et il y a divers vers et proses que nous trouvons très mauvais et que nous avons laissés pourtant, retranchant beaucoup, parce que pour un motif qui nous échappe aujourd’hui, ils nous ont donc intéressé un instant puisque nous les avons écrits ; l’œuvre est plus complète quand on n’en retranche point tout le faible et le mauvais, échantillons laissés qui expliquent par similitude ou différence leurs pareils ou leurs contraires – et d’ailleurs certains ne trouveront que cela de bien.

A.J.

11 août 1894.

Lieds funèbres
ILe Miracle de Saint-Accroupi

Sur l’écran tout blanc du grand ciel tragique, les mille-pieds noirs des enterrements passent, tels les verres d’une monotone lanterne magique. La Famine sonne aux oreilles vides, si vides et folles, ses bourdonnements.

Sa cloche joyeuse pend à ses doigts longs, versant sur la terre des ricanements. Et de grands loups fauves et des corbeaux graves sont sur ses talons. La Famine sonne aux oreilles vides par la ville morne ses bourdonnements.

Croix des cimetières, levons nos bras raides pour prier là-haut que l’on nous délivre de ces ouvriers qui piochent sans trêve nos froides racines. N’est-il donc un Saint, bien en cour auprès de Dieu notre Père, pour qu’il intercède ?

Croix des cimetières, votre grêle foule a donc oublié le bloc de granit perdu dans un coin de votre domaine ? Sa barbe de fleuve jusqu’à ses genoux épand et déroule, déroule sa houle, sa houle de pierre.

Et les flots de pierre le couvrent entier. Sur ses cuisses dures ses coudes qui luisent sous les astres blonds se posent, soudés pour l’éternité. Et c’est un grand Saint, car il a pour siège, honorable siège, un beau bénitier.

Il n’a point de nom. Dans un coin tapi, ignoré des hommes, seules les Croix blanches lui tendent la plainte de leurs bras dressés. Le corbeau qui vole le méprise nain, croassant l’injure au bon Saint courbé : Vieux Saint-Accroupi.

Croix des cimetières, tendons-lui la plainte de nos bras dressés : Que ces ouvriers qui tuent nos racines et peuplent les tombes de serpents coupés, se croisant les bras, regardent oisifs les torches de mort désormais éteintes.

Et que la Famine remmène sous terre son cortège noir de grands loups qui rôdent et de corbeaux graves. Que le Blanc au Noir succède partout. Que le grand œil glauque du ciel compatisse, versant sur les hommes des pleurs de farine.

Et les Croix restèrent les bras étendus, coupant de rais blancs l’ombre sans couleur. Soudain des pleurs blancs glissèrent sur l’ombre. Les nuages sont de grands sacs que vident des meuniers célestes. La manne s’accroche aux pignons ardus.

La manne fait blanches les rougeâtres tuiles. Une nappe blanche jusqu’à l’horizon sur toute la terre s’étend pour manger. Et de blanc lui-même, de blanc s’est vêtu le Saint-Accroupi ; de blanc s’est vêtu comme un boulanger.

Et les hommes puisent lourdes pelletées de farine claire que le vent joyeux leur fouette au visage. Croix des cimetières, nos vœux exaucés, nous voudrions voir quel fut le départ, le départ honteux du cortège noir…

 

La Famine est là. La Famine sonne aux oreilles vides, si vides et folles, ses bourdonnements. Et la neige étend son linceul de mort sur la ville froide que creusent des fosses… La Famine sonne ses bourdonnements.

IILa plainte de la Mandragore

C’est un petit homme vêtu de poils roux que couche et déchire un vent de rafale. Ses bras sont tordus et ses doigts coupés. Le fond de la terre le tient par les pieds. Un trousseau de clefs append au gibet, porche triomphal.

Hérissé de givre, il ne peut croiser ses bras toujours hauts. Il ne peut claquer sa bouche soudée… Castagnettes sont les dents des pendus… Battez la semelle, pendus, aux poteaux… Le fond de la terre le tient par les pieds.

« Je suis une plante et ne peux ramper, ramper comme un lierre, grimper comme un lierre sur les hauts piliers. Le fond de la terre me tient par les pieds. Nabot dont tu ris, Homme, mon grand frère, je voudrais les ailes des chauves-souris.

« Hibou dont les griffes gantées de velours tracent sur les morts leurs hiéroglyphes, prends-moi pour ton nid ! Mes pieds sont des goules au col de couleuvre, qui sucent le sang, l’exquis sang des morts. Mon corps est une outre que le sang remplit.

« Mage, tes grimoires sont clos pour tes yeux. Mes yeux sont des nœuds d’arbuste bizarre. Dans mes yeux se mire le sein de la terre. Mes yeux sont des lacs ; mes lourdes paupières sont faites de pierres qui, philosophales, versent des flots d’or.

« Des paillettes d’or couvriront tes dalles. Tout ce qui me touche se transmute en or. Les yeux des hiboux m’ont souvent fixé : éternellement ils resteront d’or… Viens, et me délivre ; le fond de la terre me tient par les pieds. »

Ainsi se lamente sous l’ombre tremblante des pendus heurtés ; ainsi se lamente le nabot planté. La rafale apporte son chant de cigale… Garde tes trésors : je viens, petit Homme, délivrer tes pieds, par Humanité.

Et voici ma main qui cherche tes mains dont l’effort figé monte au zénith blême… Mais sa main de gloire, en geste moqueur, flambe comme un phare ; la rafale emporte son ricanement… Le fond de la terre ME tient par les pieds.

IIIL’Incube

Vogue dans la coupe aux flots d’huile rose, sombre dans la coupe aux flots d’huile fauve, frémis dans la coupe aux flots de nuit noire, veilleuse, et deviens la lampe d’un mort ! Les Anges qui veillent éclairés d’étoiles remportent leurs lampes.

Il dort, et son corps, son corps d’émail aux veines bleu de Sèvres, repose très calme dans le grand lit sombre. Vogue dans la coupe aux flots d’huile rose, veilleuse, et répands ta lumière douce, lueur de parfum, sur l’enfant qui dort.

Écoutez ! La Nuit froisse son manteau. Quelque chose vient crier sur la vitre. Rideaux inquiets, ébouriffez vite vos ailes de plume sur la vitre glauque. Veilleuse mourante, sombre dans la coupe aux flots d’huile fauve.

La nuit est tombée comme une pluie grise. L’Incube a rampé comme une limace.

Vitre, épands des pleurs, pleurs amers d’absinthe. Et, Fenêtre, lève ta grande Croix sainte, cependant que grimpe et grince et grimace une grosse griffe.

Être horrible et vague, la nuit en fureur l’a vomi ainsi qu’une lourde vague qui glisse et déferle aux dalles d’un phare. La vitre frémit et son œil s’effare. Veilleuse mourante, sombre dans la coupe aux flots d’huile fauve.

L’enfant dort. Son corps, son corps d’émail aux veines bleu de Sèvres, repose très calme dans le grand lit sombre. Vogue dans la coupe aux flots d’huile fauve, veilleuse, et répands ta lumière lourde aux vapeurs de soufre sur l’enfant qui dort.

La vitre se crève, cerceau de papier. Un corps de limace oscille dans l’ombre. L’enfant se réveille, et ses grands sourcils arqués dans la nuit, font battre leurs ailes. Frémis dans la coupe, veilleuse, et deviens la lampe d’un mort !

Les ténèbres sont un filet rempli de monstres sans nom. La vitre étoilée à ses pointes claires accroche des larves. La coupe n’est plus qu’un vase de poix. Les Anges qui veillent éclairés d’étoiles ont éteint leurs lampes.

Les trois meubles du mage

SURANNÉS

IMinéral
Vase olivâtre et vain d’où l’âme est envolée,
Crâne, tu tournes un bon visage indulgent
Vers nous, et souris de ta bouche crénelée.
Mais tu regrettes ton corps, tes cheveux d’argent,
Tes lèvres qui s’ouvraient à la parole ailée.
Et l’orbite creuse où mon regard va plongeant,
Bâille à l’ombre et soupire et s’ennuie esseulée,
Très nette, vide box d’un cheval voyageant.
Tu n’es plus qu’argile et mort. Tes blanches molaires
Sur les tons mats de l’os brillent de flammes claires,
Tels les cuivres fourbis par un larbin soigneux.
Et, presse-papier lourd, sur le haut d’une armoire
Serrant de l’occiput les feuillets du grimoire,
Contre le vent rôdeur tu rechignes, hargneux.
IIVégétal
Le vélin écrit rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,
Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergé des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent par lambeaux.