Les Nouvelles Nourritures - André Gide - E-Book

Les Nouvelles Nourritures E-Book

André Gide

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Beschreibung

Les Nouvelles Nourritures se présente à la fois comme un récit en continuité et en rupture avec Les Nourritures terrestres. Tandis que l'ouvrage précédent a l'allure d'un ample carnet de voyage où romanesque et poésie se mêlent au gré des senteurs de l'Orient sans autre fil conducteur que les fluctuations sensorielles du narrateur, ce nouveau récit prend une dimension nouvelle : la dimension morale.


À PROPOS DE L'AUTEUR


André Gide (1869 - 1951) était un auteur français et lauréat du prix Nobel de littérature (en 1947). La carrière de Gide s'étend de ses débuts dans le mouvement symboliste à l'avènement de l'anticolonialisme entre les deux guerres mondiales. Auteur de plus de cinquante livres, au moment de sa mort sa nécrologie dans le New York Times le décrivait comme "le plus grand homme de lettres contemporain de France" et "jugé le plus grand écrivain français de ce siècle par les connaisseurs littéraires".

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Les Nouvelles Nourritures

André Gide

– 1935 –

LIVRE PREMIER

I

Toi qui viendras lorsque je n’entendrai plus les bruits de la terre et que mes lèvres ne boiront plus sa rosée – toi qui, plus tard, peut-être me liras – c’est pour toi que j’écris ces pages ; car tu ne t’étonnes peut-être pas assez de vivre ; tu n’admires pas comme il faudrait ce miracle étourdissant qu’est ta vie. Il me semble parfois que c’est avec ma soif que tu vas boire, et que ce qui te penche sur cet autre être que tu caresses, c’est déjà mon propre désir.

(J’admire combien le désir, dès qu’il se fait amoureux, s’imprécise. Mon amour enveloppait si diffusément et si tout à la fois, tout son corps, que, Jupiter, je me serais mué en nuée, sans même m’en apercevoir.)

La brise vagabonde

A caressé les fleurs.

Je t’écoute de tout mon cœur,

Chant du premier matin du monde.

Ivresse matinale,

Rayons naissants, pétales

Tout poissés de liqueur…

Cède sans trop attendre

Au conseil le plus tendre

Et laisse l’avenir

Doucement t’envahir.

Voici que se fait si furtive

La tiède caresse du jour

Que l’âme la plus craintive

S’abandonnerait à l’amour.

*

Que l’homme est né pour le bonheur,

Certes toute la nature l’enseigne.

Une éparse joie baigne la terre, et que la terre exsude à l’appel du soleil – comme elle fait cette atmosphère émue où l’élément déjà prend vie et, soumis encore, échappe à la rigueur première… On voit des complexités ravissantes naître de l’enchevêtrement des lois : saisons ; agitation des marées ; distraction, puis retour en ruissellement, des vapeurs ; tranquille alternance des jours ; retours périodiques des vents ; tout ce qui s’anime déjà, un rythme harmonieux le balance. Tout se prépare à l’organisation de la joie et que voici bientôt qui prend vie, qui palpite inconsidérément dans la feuille, qui prend nom, se divise et devient parfum dans la fleur, saveur dans le fruit, conscience et voix dans l’oiseau. De sorte que le retour, l’information, puis la disparition de la vie imitent le détour de l’eau qui s’évapore dans le rayon, puis se rassemble à nouveau dans l’ondée.

Chaque animal n’est qu’un paquet de joie.

Tout aime d’être et tout être se réjouit. C’est de la joie que tu appelles fruit quand elle se fait succulence ; et, quand elle se fait chant, oiseau.

Que l’homme est né pour le bonheur, certes toute la nature l’enseigne. C’est l’effort vers la volupté qui fait germer la plante, emplit de miel la ruche, et le cœur humain de bonté.

*

Le ramier qui exulte parmi les branches, – Les rameaux qui se balancent dans le vent, – Le vent qui penche les barques blanches, – Sur la mer luisant à travers les branches, – Les flots dont la crête blanchit, – Et le rire, et l’azur et la clarté de tout ceci, – Ma sœur, c’est mon cœur qui se raconte, – Qui raconte au tien son bonheur.

*

Je ne sais trop qui peut m’avoir mis sur la terre. On m’a dit que c’est Dieu ; et si ce n’était pas lui, qui serait-ce ?

Il est vrai que j’éprouve à exister joie si vive, que parfois je doute si déjà je n’avais envie d’être, alors même que je n’étais pas.

Mais nous réserverons pour l’hiver la discussion théologique, car il y a de quoi se faire beaucoup de mauvais sang là-dessus.

Table rase. J’ai tout balayé. C’en est fait ! Je me dresse nu sur la terre vierge, devant le ciel à repeupler.

Bah ! Je te, reconnais, Phoibos ! Au-dessus du gazon givré tu répands ta chevelure opulente. Viens avec l’arc libérateur. À travers ma paupière fermée, ton trait d’or pénètre, atteint l’ombre ; il triomphe, et le monstreintérieur est vaincu. Apporte à ma chair la couleur et l’ardeur, à ma lèvre la soif, et l’éblouissement à mon cœur. De toutes les échelles de soie que tu lances du zénith à la terre, je saisirai la plus charmante. Je ne tiens plus au sol ; je me balance à l’extrémité d’un rayon.

Ô toi que j’aime, enfant ! je te veux entraîner dans ma fuite. D’une main prompte saisis le rayon ; voici l’astre ! Déleste-toi. Ne laisse plus le poids du plus léger passé t’asservir.

*

Ne plus attendre ! Ne plus attendre ! Ô route encombrée ! je passe outre. C’est mon tour. Le rayon m’a fait signe ; mon désir m’est le plus sûr des guides et je suis amoureux de tout, ce matin.

Mille fils lumineux se croisent et se viennent nouer sur mon cœur. De mille aperceptions fragiles, je tisse un vêtement miraculeux. Le dieu rit au travers, et je souris au dieu. Qui donc disait que le grand Pan est mort ? À travers la buée de mon haleine, je l’ai vu. Vers lui se tend ma lèvre. N’est-ce pas lui que j’entendais murmurer, ce matin : Qu’attends-tu ?

J’écarte, de l’esprit et de la main, tous les voiles, jusqu’à n’avoir plus devant moi rien que de brillant et de nu.

*

Printemps plein d’indolence,

J’implore ta clémence.

À toi plein de langueur

J’abandonne mon cœur.

Ma pensée indécise

Flotte au gré de la brise.

Un ruissellement tendre

Me pénètre de miel.

Ah ! ne voir, ah ! n’entendre

Qu’à travers le sommeil.

À travers ma paupière

J’accueille ta lumière,

Soleil qui me caresse ;

Pardonne à ma paresse…

Bois mon cœur sans défense,

Soleil plein d’indulgence.

*

Adam neuf, c’est moi qui baptise aujourd’hui. Cette rivière, c’est ma soif ; cette ombre bocagère, c’est mon sommeil ; cet enfant nu, c’est mon désir. Par le chant de l’oiseau, mon amour prend voix. Mon cœur bourdonne dans cette ruche d’abeilles. Déplaçable horizon, sois ma limite ; sous l’oblique rayon, tu t’écartes encore, tu t’imprécises, tu bleuis.

*

De l’amour et de la pensée, c’est ici le confluent subtil.

La page blanche luit devant moi.

Et de même que le Dieu se fait homme, ainsi vient se soumettre aux lois du rythme mon idée.

Image de mon parfait bonheur, j’étale ici, peintre recréateur, la couleur la plus tremblante et la plus vive.

Je ne saisirai plus les mots que par les ailes. Est-ce toi, ramier de ma joie ? Ah ! vers le ciel, ne t’envole pas encore. Ici, pose ; repose-toi.

Je suis couché contre la terre. Près de moi, la branche, chargée de fruits éclatants, ploie jusqu’à l’herbe ; elle touche l’herbe ; elle frôle et caresse le plus tendre épi du gazon. Le poids d’un roucoulement la balance.

*

J’écris pour qu’un adolescent, plus tard, pareil à celui que j’étais à seize ans, mais plus libre, plus accompli, trouve ici réponse à son interrogation palpitante. Mais quelle sera sa question ?

Je n’ai pas grand contact avec l’époque et les jeux de mes contemporains ne m’ont jamais beaucoup diverti. Je me penche par-delà le présent. Je passe outre. Je pressens un temps où l’on ne comprendra plus qu’à peine ce qui nous paraît vital aujourd’hui.

Je rêve à de nouvelles harmonies. Un art des mots, plus subtil et plus franc ; sans rhétorique ; et qui ne cherche à rien prouver.

Ah ! qui délivrera mon esprit des lourdes chaînes de la logique ? Ma plus sincère émotion, dès que je l’exprime, est faussée.

*

La vie peut être plus belle que ne la consentent les hommes. La sagesse n’est pas dans la raison, mais dans l’amour. Ah ! j’ai vécu trop prudemment jusqu’à ce jour. Il faut être sans lois pour écouter la loi nouvelle. Ô délivrance ! Ô liberté ! Jusqu’où mon désir peut s’étendre, là j’irai. Ô toi que j’aime, viens avec moi ; je te porterai jusque-là ; que tu puisses plus loin encore.

RENCONTRES

Nousnous amusions le long du jour, d’accomplir les divers actes de notre vie comme une danse, à la manière des gymnastes parfaits dont le propos serait de ne rien faire que d’harmonieux et de rythmé. Sur un rythme étudié, Marc allait chercher de l’eau à la pompe, pompait et remontait le seau. Nous connaissions tous les mouvements qu’il fallait pour quérir un flacon dans la cave, le déboucher, le boire ; nous les avions décomposés. Nous trinquions en cadence. Nous inventâmes aussi des pas pour se tirer d’affaire dans les circonstances difficiles de la vie ; d’autres pour accuser les troubles intimes ; d’autres pour les dissimuler. Il y avait le passepied des condoléances, et celui des congratulations. Il y avait le rigodon du fol espoir et le menuet dit : des légitimes aspirations. Il y avait, comme dans les ballets célèbres, le pas de la bisbille, le pas de la brouille et celui de la réconciliation. Nous excellions dans les mouvements d’ensemble ; mais le pas du parfait copain se dansait seul. Le plus amusant que nous avions inventé était celui de la descente vers le bain, ensemble, le long de la grande prairie : c’était un mouvement très rapide, car on voulait arriver en sueur ; il se faisait par bonds et la pente du pré favorisait nos enjambées énormes, une main tendue en avant comme font ceux qui courent après le tramway, et soutenant de l’autre le flottant peignoir qui nous couvrait ; on arrivait à l’eau tout essoufflé et nous plongions aussitôt avec de grands rires, en récitant du Mallarmé.

Mais tout cela, direz-vous, pour être lyrique manquait un peu de laisser-aller… Ah ! j’oubliais : nous avions aussi l’entrechat subit de la spontanéité.

*