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Extrait : "Si les princes et les jolies femmes ont de temps à autre d'étranges fantaisies, les éditeurs en ont aussi quelquefois de bien singulières. Un jour le mien en avisa une dont il se sentit si agréablement chatouillé qu'il accourut aussitôt me la communiquer. C'était à l'époque où les mémoires étaient encore de mode; et bien que le sol littéraire fût alors couvert de ces sortes de productions comme les champs d'Égypte l'étaient de sauterelles..."
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Seitenzahl: 39
Veröffentlichungsjahr: 2015
Si les princes et les jolies femmes ont de temps à autre d’étranges fantaisies, les éditeurs en ont aussi quelquefois de bien singulières.
Un jour le mien en avisa une dont il se sentit si agréablement chatouillé qu’il accourut aussitôt me la communiquer. C’était à l’époque où les mémoires étaient encore de mode ; et bien que le sol littéraire fût alors couvert de ces sortes de productions comme les champs d’Égypte l’étaient de sauterelles au temps des sept plaies, l’ingénieux libraire croyait avoir découvert un nouveau filon, une mine-féconde, une source abondante en aventures originales ou bizarres : de son cerveau de spéculateur, de manipulateur de la pensée matérialisée, avait tout à coup jailli l’étonnante idée de publier les mémoires de la première acrobate de France, de madame Saqui, de cette femme qui a sauté devant et pour tous les princes du monde, dont la réputation a pénétré chez nous jusqu’au fond du moindre hameau et a retenti au dehors, depuis trente ans, du cap Nouk au Waigatz.
Tout émerveillé de sa conception, l’intrépide libraire m’engagea à faire une démarche auprès de la célèbre danseuse ; et comme ce jour-là il m’était aussi indifférent de flâner sur le boulevard de la Bastille que sur celui de la Madeleine, je me dirigeai vers le temple de la déesse de l’équilibre et de la voltige.
Et tout en cheminant je me demandais ce qu’il y avait, moralement parlant, à tirer d’une danseuse, et surtout d’une danseuse de corde : le proverbe Bête comme un danseur me revenait sans cesse à l’esprit. J’augurais fort mal du résultat de ma visite, et si mal que je me pris à faire comme les poltrons, qui ne se battent que quand ils ont rompu leur dernière semelle ; je résolus de n’entrer chez madame Saqui qu’à l’instant où je ne pourrais plus faire autrement.
C’était vers les six heures du soir : la queue était déjà formée à la porte de tous les théâtres, depuis le Cirque-Olympique jusqu’au Petit Lazari. Le boulevard était encombré d’affamés, qui depuis deux heures se morfondaient à attendre. Ce jour-là je me sentais une énorme démangeaison de me traiter de neuf, car ce neuf eût-il valu cent fois moins que ce qui m’était connu, je devais encore le trouver cent fois préférable par cela seul que ce serait du neuf. J’avisais donc au moyen de m’en procurer à tout prix quand mes regards, après s’être promenés sur toutes les enseignes dramatiques de l’endroit, s’arrêtèrent à l’inscription apposée au-dessus du théâtre du Petit Lazari, que j’avais pris de loin pour un comptoir de marchand de vin ; en approchant, je reconnus mon erreur et je jugeai que là, dans ce théâtre, que je ne connaissais pas, je trouverais peut-être ce que je cherchais ; je braquai mon binocle sur l’affiche, et je vis qu’on donnait Trente ans, ou la Vie d’un Jacobin ; les Amours du Pont-Neuf, et je ne sais quoi encore. Le programme était séduisant ; je consultai le tarif placardé à l’entrée du théâtre, et je vis que pour huit sous aux premières, six sous à l’orchestre, et quatre au parterre je pouvais me donner quelques-unes de ces sensations après lesquelles je courais ; je pris un orchestre et je me mis à la queue à côté de deux fashionables du faubourg Saint-Antoine, qui d’abord me toisèrent comme un intrus, et ensuite, pour se donner un air d’importance et de connaissance de la localité, entamèrent une discussion sur le théâtre et les acteurs du Petit Lazari.
– Dis donc, Polyte, i’n’y a z’un débutant z’aujourd’hui, articula un des deux faubouriens en relevant avec gravité son pantalon qui, faute de bretelles, menaçait à tout instant de lui tomber sur les talons ; i’n’y a z’un débutant z’aujour-d’hui… nous verrons voir…
– Si y n’marche pas droit c’coco-là, on l’soignera, répliqua le second faubourien… et si la cabale fait des injustices, j’leur y tombe sus la boule… une… deux… un renfoncement, mais dans le chenu…
– Un peu… Faut protéger les arts, mais z-ut pour les cabotins… c’est pas moi qu’on entortillera…
– Ni moi. Dis donc à propos… une idée !…
– De quoi ?
– As-tu un sou ?
– Oui… à cause ?…
– À cause que j’achèterions des pommes et que j’en envoyerions les trognons au débutant, s’y va mal…
– Les trognons !… au débutant !… mer-ci… je les mange, moi, les trognons…
– Messieurs, me hasard ai-je à dire… vous parlez de débutant au Lazari… je ne comprends pas… je croyais que c’était un théâtre de marionnettes.
– De quoi… de quoi, des merionnettes ?… répliqua celui auquel je m’adressais… depuis les glorieuses y a pus de merionnettes ici… c’est des acteurs vivants et naturels comme à la Gaîté et à Franconi, et qui sont crânement menés par M. Frenoy, un ancien de l’Ambigu-Comique, qu’entend son artique celui-là… Des merionnettes, excusez ! !