Lettre historique et politique sur le Commerce de la Librairie - Ligaran - E-Book

Lettre historique et politique sur le Commerce de la Librairie E-Book

Ligaran

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Extrait : "A l'issue du congrès tenu à Bruxelles pour régler les droits de la propriété littéraire, MM.Ed. Laboulaye et Georges Guiffrey eurent la pensée de réunir et d'annoter les mémoires et ordonnances que cette grosse question avait provoqués au siècle dernier."

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EAN : 9782335017038

©Ligaran 2015

(Juin 1767).

M. de Sartine ayant demandé à M. Diderot un Mémoire sur la librairie, ce dernier lui donna celui-ci, qu’il n’a sûrement composé que d’après le conseil des libraires et sur des matériaux que M. Le Breton, ex-syndic de la librairie, lui a fournis, et dont les principes sont absolument contraires à la bonne administration des privilèges et des grâces dont ils doivent faire partie.

Notice préliminaire

À l’issue du congrès tenu à Bruxelles pour régler les droits de la propriété littéraire, MM. Ed. Laboulaye et Georges Guiffrey eurent la pensée de réunir et d’annoter les mémoires et ordonnances que cette grosse question avait provoqués au siècle dernier. Pendant ses recherches, M. Guiffrey avait remarqué deux passages du Traité des droits d’auteur de M. A.-C. Renouard, où ce jurisconsulte citait quelques lignes d’un travail rédigé par Diderot et présenté par le syndicat de la librairie à M. de Sartine, travail dont il avait eu communication à la Bibliothèque. M. Guiffrey se mit aussitôt en campagne et parvint, non sans peine, à retrouver ce Mémoire si longtemps ignoré qu’il publia en 1861. (Hachette, in-8°.)

« Le manuscrit, dit-il dans sa préface, s’est enfin rencontré au département des imprimés. Comment est-il arrivé jusque-là ? C’est ce qu’on n’a jamais pu savoir ; mais que le manuscrit reste aux imprimés ou qu’il retourne aux manuscrits, peu importe ; l’essentiel pour nous, c’est qu’il est entre nos mains et que nous pouvons enfin le livrer au public. »

Il importait fort au contraire, car un double de cette Lettre copié à Saint-Pétersbourg a fourni à M. Assézat des corrections et des additions presque à chaque page ; et, bien que ce texte soit assurément préférable à celui de M. Guiffrey, nous aurions voulu les conférer l’un sur l’autre ; mais M. Guiffrey n’a pas indiqué ni conservé par devers lui le titre et le numéro du volume dont il s’était servi. Depuis 1861, la Bibliothèque a subi bien des remaniements intérieurs ; aussi, malgré la bonne volonté des conservateurs des deux départements et de M. l’administrateur général lui-même, le manuscrit se trouve-t-il de nouveau égaré. Nous le regrettons d’autant plus que nous eussions peut-être pu savoir de qui est la note préliminaire où la Lettre est sévèrement jugée et qui semble émaner du lieutenant de police lui-même.

Dans la liste, aujourd’hui impossible à dresser, des travaux dont Diderot se chargeait pour subvenir à ses menues dépenses, cette longue lettre doit tenir le premier rang par la chaleur qu’il y a répandue et qui en fait un véritable plaidoyer. Il n’est ici, en effet, il a soin de le dire, que l’avocat des libraires, car il souhaiterait pour sa part l’abolition de toutes les communautés. Ce qui frappe le plus aujourd’hui dans son mémoire, ce n’est pas l’habileté qu’il déploie à défendre une cause dont les éléments nous échappent et pour lesquels nous renvoyons d’ailleurs au livre de MM. Laboulaye et Guiffrey ; ce sont des pensées telles que celles-ci : « C’est le sort de presque tous les hommes de génie : ils ne sont pas à la portée de leur siècle, ils écrivent pour la génération suivante ; » c’est la peinture de la joie et des exigences légitimes d’un auteur quand son premier livre a réussi, ce sont enfin des détails personnels précieux comme le passage où il estime à 40 000 écus le fruit de ses occupations littéraires.

L’historien que la librairie attend encore trouvera aussi dans ce factum des renseignements à ne pas négliger sur les livres de classe, sur le colportage et sur les contrefaçons, cette plaie à peine fermée depuis quelques années. Peut-être sera-t-on surpris de voir Diderot conseiller à un magistrat d’user très fréquemment des permissions tacites ; mais c’était alors la seule ressource de la liberté de la presse ; il prêchait d’ailleurs pour sa propre paroisse, car les ouvrages « dangereux » de Montesquieu et de Rousseau avaient encore moins besoin de cette liberté que l’Encyclopédie, dont Le Breton distribuait précisément vers cette époque les derniers volumes aux souscripteurs désignés par M. de Sartine ; encore le devait-il faire en secret « pour qu’on n’abusât point de cette facilité ».

Lettre adressée à un magistrat sur le commerce de la librairie

Vous désirez, monsieur, de connaître mes idées sur une affaire qui vous paraît être importante et qui l’est. Je suis trop flatté de cette confiance pour ne pas y répondre avec la promptitude que vous exigez, et l’impartialité que vous êtes en droit d’attendre d’un homme de mon caractère. Vous me croyez instruit, et j’ai en effet les connaissances que donne une expérience journalière, sans compter la persuasion scrupuleuse où je suis que la bonne foi ne suffit pas toujours pour excuser des erreurs. Je pense sincèrement que, dans les discussions qui tiennent au bien général, il serait plus à propos de se taire que de s’exposer avec les intentions les meilleures à remplir l’esprit d’un magistrat d’idées fausses et pernicieuses.

Je vous dirai donc d’abord qu’il ne s’agit pas simplement ici des intérêts d’une communauté. Eh ! que m’importe qu’il y ait une communauté de plus ou de moins, à moi qui suis un des plus zélés partisans de la liberté, prise dans l’acception la plus étendue, qui souffre avec chagrin de voir le dernier des talents gêné dans son exercice, des bras donnés par la nature et liés par des conventions, qui ai de tout temps été convaincu que les corporations étaient injustes et funestes, et qui en regarderais l’abolissement entier et absolu comme un pas vers un gouvernement plus sage ?

Ce dont il s’agit, c’est d’examiner, dans l’état où sont les choses et même dans toute autre supposition, quels doivent être les fruits des atteintes que l’on a données et qu’on pourrait encore donner à notre librairie, s’il faut souffrir plus longtemps les entreprises que des étrangers font sur son commerce, quelle liaison il y a entre ce commerce et la littérature, s’il est possible d’empirer l’un sans nuire à l’autre et d’appauvrir le libraire sans ruiner l’auteur, ce que c’est que les privilèges de livres, si ces privilèges doivent être compris sous la dénomination générale et odieuse des autres exclusifs, s’il y a quelque fondement légitime à en limiter la durée et en refuser le renouvellement, quelle est la nature des fonds de la librairie, quels sont les titres de la possession d’un ouvrage que le libraire acquiert par la cession d’un littérateur, s’ils ne sont que momentanés ou s’ils sont éternels ; l’examen de ces différents points me conduira aux éclaircissements que vous me demandez sur d’autres.

Mais avant tout, songez, monsieur, que sans parler de la légèreté indécente dans un homme public à dire, en quelque circonstance que ce soit, que si l’on vient à reconnaître qu’on a pris un mauvais parti, il n’y aura qu’à revenir sur ses pas et défaire ce qu’on aura fait, manière indigne et stupide de se jouer de l’état de la fortune des citoyens, songez, dis-je, qu’il est plus fâcheux de tomber dans la pauvreté que d’être né dans la misère, que la condition d’un peuple abruti est pire que celle d’un peuple brute, qu’une branche de commerce égarée est une branche de commerce perdue, et qu’on fait en dix ans plus de mal qu’on n’en peut réparer en un siècle. Songez que plus les effets d’une mauvaise police sont durables, plus il est essentiel d’être circonspect, soit qu’il faille établir, soit qu’il faille abroger, et dans ce dernier cas, je vous demanderai s’il n’y aurait pas une vanité bien étrange, si l’on ne ferait pas une injure bien gratuite à ceux qui nous ont précédés dans le ministère, que les traiter d’imbéciles sans s’être donné la peine de remonter à l’origine de leurs institutions, sans examiner les causes qui les ont suggérées et sans avoir suivi les révolutions favorables ou contraires qu’elles ont éprouvées. Il me semble que c’est dans l’historique des lois et de tout autre règlement qu’il faut chercher les vrais motifs de suivre ou de quitter la ligne tracée ; c’est aussi par là que je commencerai. Il faudra prendre les choses de loin ; mais si je ne vous apprends rien, vous reconnaîtrez du moins que j’avais les notions préliminaires que vous me supposiez ; ayez donc, monsieur, la complaisance de me suivre.

Les premiers imprimeurs qui s’établirent en France travaillèrent sans concurrents, et ne tardèrent pas à faire une fortune honnête ; cependant, ce ne fut ni sur Homère, ni sur Virgile, ni sur quelque auteur de cette volée que l’imprimerie naissante s’essaya. On commença par de petits ouvrages de peu de valeur, de peu d’étendue et du goût d’un siècle barbare. Il est à présumer que ceux qui approchèrent nos anciens typographes, jaloux de consacrer les prémices de l’art à la science qu’ils professaient et qu’ils devaient regarder comme la seule essentielle, eurent quelque influence sur leur choix. Je trouverais tout simple qu’un capucin eût conseillé à Gutenberg de débuter par la Règle de saint François ; mais indépendamment de la nature et du mérite réel d’un ouvrage, la nouveauté de l’invention, la beauté de l’exécution, la différence de prix d’un livre imprimé et d’un manuscrit, tout favorisait le prompt débit du premier.

Après ces essais de l’art le plus important qu’on pût imaginer pour la propagation et la durée des connaissances humaines, essais que cet art n’offrait au public que comme des gages de ce qu’on pouvait attendre un jour, qu’on ne dut pas rechercher longtemps, parce qu’ils étaient destinés à tomber dans le mépris à mesure qu’on s’éclairerait, et qui ne sont aujourd’hui précieusement recueillis que par la curiosité bizarre de quelques personnages singuliers qui préfèrent un livre rare à un bon livre, un bibliomane comme moi, un érudit qui s’occupe de l’histoire de la typographie, comme le professeur Schepfling, ont entrepris des ouvrages d’une utilité générale et d’un usage journalier.

Mais ces ouvrages sont en petit nombre ; occupant presque toutes les presses de l’Europe à la fois, ils devinrent bientôt communs, et le débit n’en était plus fondé sur l’enthousiasme d’un art nouveau et justement admiré. Alors peu de personnes lisaient ; un traitant n’avait pas la fureur d’avoir une bibliothèque et n’enlevait pas à prix d’or et d’argent à un pauvre littérateur un livre utile à celui-ci. Que fit l’imprimeur ? Enrichi par ses premières tentatives et encouragé par quelques hommes éclairés, il appliqua ses travaux à des ouvrages estimés, mais d’un usage moins étendu. On goûta quelques-uns de ses ouvrages et ils furent enlevés avec une rapidité proportionnée à une infinité de circonstances diverses ; d’autres furent négligés, et il y en eut dont l’édition se fit en pure perte pour l’imprimeur. Mais le débit de ceux qui réussirent et la vente courante des livres nécessaires et journaliers compensèrent sa perte par des rentrées continuelles, et ce fut la ressource toujours présente de ces rentrées qui inspira l’idée de se faire un fonds.

Un fonds de librairie est donc la possession d’un nombre plus ou moins considérable de livres propres à différents états de la société, et assorti de manière que la vente sûre mais lente des uns, compensée avec avantage par la vente aussi sûre mais plus rapide des autres, favorise l’accroissement de la première possession. Lorsqu’un fonds ne remplit pas toutes ces conditions, il est ruineux. À peine la nécessité des fonds fut-elle connue que les entreprises se multiplièrent à l’infini, et bientôt les savants, qui ont été pauvres dans tous les temps, purent se procurer à un prix modique les ouvrages principaux en chaque genre.

Tout est bien jusqu’ici et rien n’annonce le besoin d’un règlement ni de quoi que ce soit qui ressemble à un code de librairie.

Mais pour bien saisir ce qui suit, soyez persuadé, monsieur, que ces livres savants et d’un certain ordre n’ont eu, n’ont et n’auront jamais qu’un petit nombre d’acheteurs, et que sans le faste de notre siècle, qui s’est malheureusement répandu sur toute sorte d’objets, trois ou quatre éditions même des œuvres de Corneille et de Voltaire suffiraient pour la France entière : combien en faudrait-il moins de Bayle, de Moréri, de Pline, de Newton et d’une infinité d’autres ouvrages ! Avant ces jours d’une somptuosité qui s’épuise sur les choses d’apparat aux dépens des choses utiles, la plupart des livres étaient dans le cas de ces derniers, et c’était la rentrée continue des ouvrages communs et journaliers, jointe au débit d’un petit nombre d’exemplaires de quelques auteurs propres à certains états, qui soutenait le zèle des commerçants. Supposez les choses aujourd’hui comme elles étaient alors ; supposez cette espèce d’harmonie subsistante de compensation d’effets difficiles et d’effets courants, et brûlez le code de la librairie : il est inutile.

Mais l’industrie d’un particulier n’a pas plus tôt ouvert une route nouvelle que la foule s’y précipite. Bientôt les imprimeries se multiplièrent, et ces livres de première nécessité et d’une utilité générale, ces efforts dont le débit continuel et les rentrées journalières fomentaient l’émulation du libraire devinrent si communs et d’une si pauvre ressource qu’il fallut plus de temps pour en débiter un petit nombre que pour consommer l’édition entière d’un autre ouvrage. Le profit des effets courants devint presque nul, et le commerçant ne retrouva pas sur les effets sûrs ce qu’il perdait sur les premiers, parce qu’il n’y avait aucune circonstance qui pût en changer la nature et en étendre l’usage. Le hasard des entreprises particulières ne fut plus balancé par la certitude des autres, et une ruine presque évidente conduisait insensiblement le libraire à la pusillanimité et à l’engourdissement, lorsqu’on vit paraître quelques-uns de ces hommes rares dont il sera fait mention à jamais dans l’histoire de l’imprimerie et des lettres, qui animés de la passion de l’art et pleins de la noble et téméraire confiance que leur inspiraient des talents supérieurs, imprimeurs de profession, mais gens d’une littérature profonde, capables de faire face à la fois à toutes les difficultés, formèrent les projets les plus hardis et en seraient sortis avec honneur et profit sans un inconvénient que vous soupçonnez sans doute, et qui nous avance d’un pas vers la triste nécessité de recourir à l’autorité dans une affaire de commerce.

Dans l’intervalle, les disputes des fanatiques, qui font toujours éclore une infinité d’ouvrages éphémères mais d’un débit rapide, remplacèrent pour un moment les anciennes rentrées qui s’étaient éteintes. Le goût qui renaît quelquefois chez un peuple pour un certain genre de connaissances, mais qui ne renaît jamais qu’au déclin d’un autre goût qui cesse, – comme nous avons vu de nos jours la fureur de l’histoire naturelle succéder à celle des mathématiques, sans que nous sachions quelle est la science qui étouffera le goût régnant, – cette effervescence subite tira peut-être des magasins quelques productions qui y pourrissaient ; mais elle en condamna presque un égal nombre d’autres à y pourrir à leur place ; et puis les disputes religieuses s’apaisent, on se refroidit bientôt sur les ouvrages polémiques, on en sent le vide, on rougit de l’importance qu’on y mettait. Le temps qui produit les artistes singuliers et hardis est court ; et ceux dont je vous parlais ne tardèrent pas à connaître le péril des grandes entreprises, lorsqu’ils virent des hommes avides et médiocres tromper tout à coup l’espoir de leur industrie et leur enlever le fruit de leurs travaux.

En effet, les Estienne, les Morel et autres habiles imprimeurs, n’avaient pas plus tôt publié un ouvrage dont ils avaient préparé à grands frais une édition et dont l’exécution et le bon choix leur assuraient le succès, que le même ouvrage était réimprimé par des incapables qui n’avaient aucun de leurs talents, qui, n’ayant fait aucune dépense, pouvaient vendre à plus bas prix, et qui jouissaient de leurs avances et de leurs veilles sans avoir couru aucun de leurs hasards. Qu’en arriva-t-il ? Ce qui devait en arriver et ce qui en arrivera dans tous les temps :

La concurrence rendit la plus belle entreprise ruineuse ; il fallut vingt années pour débiter une édition, tandis que la moitié du temps aurait suffi pour en épuiser deux. Si la contrefaçon était inférieure à l’édition originale, comme c’était le cas ordinaire, le contrefacteur mettait son livre à bas prix ; l’indigence de l’homme de lettres préférait l’édition moins chère à la meilleure. Le contrefacteur n’en devenait guère plus riche, et l’homme entreprenant et habile, écrasé par l’homme inepte et rapace qui le privait inopinément d’un gain proportionné à ses soins, à ses dépenses, à sa main-d’œuvre et aux risques de son commerce, perdait son enthousiasme et restait sans courage.

Il ne s’agit pas, monsieur, de se perdre dans des spéculations à perte de vue et d’opposer des raisonnements vagues à des plaintes et à des faits qui sont devenus le motif d’un code particulier. Voilà l’histoire des premiers temps de l’art typographique et du commerce de librairie, image fidèle des nôtres et causes premières d’un règlement dont vous avez déjà prévu l’origine.