Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient - Denis Diderot - E-Book

Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient E-Book

Denis Diderot

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Beschreibung

Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient est un essai de Denis Diderot paru en 1749.
Un essai sur la perception visuelle
Dans ce texte, Denis Diderot se penche sur la question de la perception visuelle, un sujet renouvelé à l'époque par le succès d'opérations chirurgicales permettant de donner la vue à certains aveugles de naissance. Les spéculations sont nombreuses en ce temps-là sur ce que la vue et l'usage qu'un individu peut en faire doivent à la seule perception, ou bien à l'habitude et l'expérience, par exemple pour se repérer dans l'espace, identifier des formes, percevoir les distances et les volumes, distinguer un tableau réaliste de la réalité.
Diderot explique qu'un aveugle qui se met soudainement à voir ne comprend pas immédiatement ce qu'il voit, et qu'il mettra du temps à faire le rapport entre son expérience des formes et des distances acquises par le toucher, et les images qu'il perçoit avec son œil...
|Source Wikipédia|

 

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SOMMMAIRE

NOTICE PRÉLIMINAIRE

LETTRE SUR LES AVEUGLES A L’USAGE DE CEUX QUI VOIENT

ADDITION À LA LETTRE PRÉCÉDENTE 19

PHÉNOMÈNES.

Notes

DENIS DIDEROT

LETTRE SUR LES AVEUGLES À l'USAGE DE CEUX QUI VOIENT

ESSAI

Texte établi par J. Assézat et M. Tourneux Garnier (I, pp. 279-342).

Raanan Éditeur

Livre 493 | édition 2

NOTICE PRÉLIMINAIRE

Mme de Vandeul nous a appris à quelle occasion fut composée la Lettre sur les aveugles et quelles conséquences eut pour l’auteur sa plaisanterie sur les beaux yeux de Mme Dupré de Saint-Maur. Enfermé à Vincennes pendant cent jours, Diderot se refusa obstinément à dévoiler le nom de l’imprimeur de son ouvrage, et s’il obtint après les vingt-huit premiers jours de sa détention quelques adoucissements, il ne les acheta par aucune concession aux exigences de ses geôliers. On peut ajouter, à ce que dit Mme de Vandeul des moyens que son père employa pour tromper l’ennui de la captivité par l’écriture, un trait qui peint l’homme. Toujours désireux de faire profiter ses semblables de ce qu’il avait pu apprendre, et de ce qu’il croyait pouvoir leur être utile « il écrivit, dit Naigeon, au-dessus de la porte d’un cabinet où le prisonnier seul était dans le cas d’entrer : On fait de l’encre avec de l’ardoise réduite en poudre très-fine et du vin, et une plume avec un cure-dents. »

Sans prétendre que Mme Dupré de Saint-Maur ait été pour rien dans l’affaire de la lettre de cachet lancée contre Diderot, nous croyons devoir dire qu’étant données les habitudes du gouvernement d’alors, l’intervention de cette dame n’était pas nécessaire pour exciter le zèle des magistrats contre une des productions les plus hardies du siècle, et dont, même alors, on ne comprit pas toute la profondeur et toute l’importance. Nous nous étendrons sur ce point dans l’Étude que nous consacrerons à Diderot. Dans cette courte notice préliminaire, il nous suffira de dire qu’il y a dans la Lettre sur les aveugles, non-seulement un esprit d’analyse des plus aiguisés et des plus exacts, mais en même temps des vues de génie qui ont préparé l’évolution de la science moderne dans le sens positif. C’est le même souffle qui anima l’Encyclopédie, et sans lequel cette grande entreprise n’eût jamais pu être même rêvée.

Il y eut peu de réfutations de la Lettre sur les aveugles ; nous ne citerons que la plus directe, celle qui porte pour titre : Lettre de M. Gervaise Holmes à l’auteur de la Lettre sur les aveugles, contenant le véritable récit des dernières heures de Saounderson (sic), à Cambridge, 1750, petit in-8°. L’auteur, qu’on dit être Formey, trouve la Lettre de Diderot « ingénieuse ». « Je voudrais pouvoir, continue-t-il, ajouter judicieuse. » Il entame alors l’historique qu’il a promis des derniers moments de Saunderson, et après avoir nié que, dans son état, il ait pu prononcer le long discours que lui attribue Diderot, il lui en fait tenir un autre tout contraire, mais beaucoup plus long. Le tout est daté : 14/25 décembre 1749.

Voltaire écrivit à ce même propos à Diderot une lettre fort entortillée, dans laquelle il lui déclare « qu’il n’est point du tout de l’avis de Saunderson qui nie un Dieu parce qu’il est né aveugle ». Il conclut en l’invitant à un repas philosophique qui n’eut jamais lieu : l’arrestation de Diderot, le 29 juillet, coïncidant avec le départ de Voltaire pour Lunéville. On trouvera la lettre de Voltaire et la réponse de Diderot dans la Correspondance.

La Société royale de Londres, à cause du rôle que joue dans cet ouvrage le docteur Inchlif, ne pardonna jamais à Diderot et refusa de l’admettre au nombre de ses membres.

Ce qui nous a fait penser que Diderot ne fut pas arrêté seulement par l’influence de Mme Dupré de Saint-Maur, c’est la note suivante du marquis d’Argenson, dans ses Mémoires : « Août 1749. — On a arrêté ces jours-ci quantité d’abbés, de savants, de beaux esprits et on les a menés à la Bastille, comme le sieur Diderot, quelques professeurs de l’Université, docteurs de Sorbonne, etc. Ils sont accusés d’avoir fait des vers contre le roi, de les avoir récités, débités, d’avoir frondé contre le ministère, d’avoir écrit et imprimé pour le déisme et contre les mœurs, à quoi l’on voudrait donner des bornes, la licence étant devenue trop grande. Mon frère en fait sa cour et se montre par là grand ministre. »

Dans une autre note du 21 août de la même année le marquis ajoute : « Le nommé Diderot, auteur des Bijoux indiscrets et de l’Aveugle clairvoyant (la Lettre sur les aveugles) a été interrogé dans sa prison à Vincennes. Il a reçu le magistrat (on dit même que c’est le ministre) avec une hauteur de fanatique. L’interrogateur lui a dit : « Vous êtes un insolent, vous resterez ici longtemps. » Ce Diderot venait de composer quand on l’a arrêté un livre surprenant contre la religion qui a pour titre le Tombeau des préjugés. »

LETTRE SUR LES AVEUGLES A L’USAGE DE CEUX QUI VOIENT

 

 

Possunt, nec posse videntur.Virg. Æneid., Lib. V, vers. 231.

 

Je me doutais bien, madame 1, que l’aveugle-né, à qui M. de Réaumur vient de faire abattre la cataracte, ne nous apprendrait pas ce que vous vouliez savoir ; mais je n’avais garde de deviner que ce ne serait ni sa faute, ni la vôtre. J’ai sollicité son bienfaiteur par moi-même, par ses meilleurs amis, par les compliments que je lui ai faits ; nous n’en avons rien obtenu, et le premier appareil se lèvera sans vous. Des personnes de la première distinction ont eu l’honneur de partager son refus avec les philosophes ; en un mot, il n’a voulu laisser tomber le voile que devant quelques yeux sans conséquence. Si vous êtes curieuse de savoir pourquoi cet habile académicien fait si secrètement des expériences qui ne peuvent avoir, selon vous, un trop grand nombre de témoins éclairés, je vous répondrai que les observations d’un homme aussi célèbre ont moins besoin de spectateurs, quand elles se font, que d’auditeurs, quand elles sont faites. Je suis donc revenu, madame, à mon premier dessein ; et, forcé de me passer d’une expérience où je ne voyais guère à gagner pour mon instruction ni pour la vôtre, mais dont M. de Réaumur tirera sans doute un bien meilleur parti, je me suis mis à philosopher avec mes amis sur la matière importante qu’elle a pour objet. Que je serais heureux, si le récit d’un de nos entretiens pouvait me tenir lieu, auprès de vous, du spectacle que je vous avais trop légèrement promis ! 

Le jour même que le Prussien 2 faisait l’opération de la cataracte à la fille de Simoneau, nous allâmes interroger l’aveugle-né du Puisaux 3 : c’est un homme qui ne manque pas de bon sens ; que beaucoup de personnes connaissent ; qui sait un peu de chimie, et qui a suivi, avec quelques succès, les cours de botanique au Jardin du Roi. Il est né d’un père qui a professé avec applaudissement la philosophie dans l’université de Paris. Il jouissait d’une fortune honnête, avec laquelle il eût aisément satisfait les sens qui lui restent ; mais le goût du plaisir l’entraîna dans sa jeunesse : on abusa de ses penchants ; ses affaires domestiques se dérangèrent, et il s’est retiré dans une petite ville de province, d’où il fait tous les ans un voyage à Paris. Il y apporte des liqueurs qu’il distille, et dont on est très content. Voilà, madame, des circonstances assez peu philosophiques ; mais, par cette raison même, plus propres à vous faire juger que le personnage dont je vous entretiens n’est point imaginaire. 

Nous arrivâmes chez notre aveugle sur les cinq heures du soir, et nous le trouvâmes occupé à faire lire son fils avec des caractères en relief : il n’y avait pas plus d’une heure qu’il était levé ; car vous saurez que la journée commence pour lui, quand elle finit pour nous. Sa coutume est de vaquer à ses affaires domestiques, et de travailler pendant que les autres reposent. À minuit, rien ne le gêne ; et il n’est incommode à personne. Son premier soin est de mettre en place tout ce qu’on a déplacé pendant le jour ; et quand sa femme s’éveille, elle trouve ordinairement la maison rangée. La difficulté qu’ont les aveugles à recouvrer les choses égarées les rend amis de l’ordre ; je me suis aperçu que ceux qui les approchaient familièrement partageaient cette qualité, soit par un effet du bon exemple qu’ils donnent, soit par un sentiment d’humanité qu’on a pour eux. Que les aveugles seraient malheureux sans les petites attentions de ceux qui les environnent ! Nous-mêmes, que nous serions à plaindre sans elles ! Les grands services sont comme de grosses pièces d’or ou d’argent qu’on a rarement occasion d’employer ; mais les petites attentions sont une monnaie courante qu’on a toujours à la main.

Notre aveugle juge fort bien des symétries. La symétrie, qui est peut-être une affaire de pure convention entre nous, est certainement telle, à beaucoup d’égards, entre un aveugle et ceux qui voient. À force d’étudier par le tact la disposition que nous exigeons entre les parties qui composent un tout, pour l’appeler beau, un aveugle parvient à faire une juste application de ce terme. Mais quand il dit : cela est beau, il ne juge pas ; il rapporte seulement le jugement de ceux qui voient : et que font autre chose les trois quarts de ceux qui décident d’une pièce de théâtre, après l’avoir entendue, ou d’un livre, après l’avoir lu ? La beauté, pour un aveugle, n’est qu’un mot, quand elle est séparée de l’utilité ; et avec un organe de moins, combien de choses dont l’utilité lui échappe ! Les aveugles ne sont-ils pas bien à plaindre de n’estimer beau que ce qui est bon ? combien de choses admirables perdues pour eux ! Le seul bien qui les dédommage de cette perte, c’est d’avoir des idées du beau, à la vérité moins étendues, mais plus nettes que des philosophes clairvoyants qui en ont traité fort au long.

Le nôtre parle de miroir à tout moment. Vous croyez bien qu’il ne sait ce que veut dire le mot miroir ; cependant il ne mettra jamais une glace à contre-jour. Il s’exprime aussi sensément que nous sur les qualités et les défauts de l’organe qui lui manque : s’il n’attache aucune idée aux termes qu’il emploie, il a du moins sur la plupart des autres hommes l’avantage de ne les prononcer jamais mal à propos. Il discourt si bien et si juste de tant de choses qui lui sont absolument inconnues, que son commerce ôterait beaucoup de force à cette induction que nous faisons tous, sans savoir pourquoi, de ce qui se passe en nous à ce qui se passe au dedans des autres.

Je lui demandai ce qu’il entendait par un miroir : « Une machine, me répondit-il, qui met les choses en relief loin d’elles-mêmes, si elles se trouvent placées convenablement par rapport à elle. C’est comme ma main, qu’il ne faut pas que je pose à côté d’un objet pour le sentir. » Descartes, aveugle-né, aurait dû, ce me semble, s’applaudir d’une pareille définition.