Mauvaises méthodes pour bonnes lectures - Eduardo Berti - E-Book

Mauvaises méthodes pour bonnes lectures E-Book

Eduardo Berti

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Beschreibung

Comment devenir un·e bon·ne lecteur·rice ? Dans cette méthode de lecture insolite et décalée, petit Ouvroir de Lectures Potentielles, Eduardo Berti propose 135 exercices pour lire d’une nouvelle façon. Avec des instructions tour à tour drôles, émouvantes, réconfortantes, sérieuses, ou plus hasardeuses, vous êtes invité·es à une grande leçon de désapprentissage littéraire et serez amené·es à lire dans le mauvais ordre, à mélanger les histoires, à bousculer les classiques, ou encore à inventer des auteur·rices.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Eduardo Berti est né en Argentine en 1964. Membre de l’Oulipo depuis 2014, il est l’auteur d’une oeuvre traduite en une dizaine de langues. Marqué par la transmission mémorielle et la littérature de l’exil, il se joue des codes et des genres, avec inventivité et créativité.
Après Inventaire d’inventions (inventées) (2017), Un père étranger (2021), Un fils étranger (2021) et Une présence idéale, traduit en anglais (USA) et en espagnol (Espagne, Argentine, Chili, Uruguay), Mauvaises méthodes pour bonnes lectures est son cinquième ouvrage à La Contre Allée.

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MAUVAISES MÉTHODES

POUR BONNES LECTURES

petit Ouvroir de Lectures Potentielles

© (éditions) La Contre Allée

Collection La Sente 2023

EDUARDO BERTI

MAUVAISES MÉTHODES

POUR BONNES LECTURES

petit Ouvroir de Lectures Potentielles

illustrationsÉTIENNE LÉCROART

Le lecteur inspiré est encore plus rare

que l’auteur inspiré.

Jaime Jaramillo Escobar,

Méthode rapide et simple pour devenir poète

Victorine continua sa lecture en fermant les yeux.

Edmond About, Les Mariages de Paris

1.

Commencez à lire un livre. Avant d’arriver à la moitié (à la page 130, par exemple), perdez-le.

Trouvez-en un autre. Faites comme si c’était le même livre, allez à la page 130 et lisez de là jusqu’à la fin.

Vous devrez peut-être faire un certain nombre d’adaptations : comprendre que Marie s’appelle maintenant Tania, que la ville rurale du Texas est maintenant un quartier de Novossibirsk, que monsieur Wilkinson n’a plus de poulets parce que Mme Ivanov et les deux chèvres de Mme Ivanov ont largement pris leur place. Des situations de ce genre.

Dites-vous que c’est à ça que servent les bons lecteurs.

2.

Prenez un livre que vous n’arriviez pas à terminer (que vous trouviez ennuyeux et qui « vous tombait des mains », comme on dit), découpez-le avec la complicité d’une paire de ciseaux en acier (pas en plastique bon marché), construisez avec lui une grande maison, un palais de papier.

Passez quelques jours à l’intérieur. À vivre, penser et dormir. Lisez de temps en temps ce que disent les murs, si jamais tous ces fragments de mots ou de phrases ont quelque chose à vous dire. Sentez que maintenant, oui, enfin, ce livre ne vous expulse pas, que vous êtes très à l’aise au cœur de ses mots.

Invitez un ami à habiter quelques heures dans cette maison.

3.

Exercez-vous à imiter les signatures d’autres personnes. Au début vous essayerez (convaincu d’être un autre, d’avoir une autre identité), mais de vos doigts germera à nouveau, tenace, la signature habituelle. Ce n’est pas facile, mais avec un peu de patience vous serez en mesure de tracer des signatures si diverses que personne ne se doutera qu’elles proviennent d’une seule et même main.

Passez ensuite à l’étape suivante : dédicacez-vous quelques livres de votre vaste bibliothèque. Peu importe que Walter Scott soit mort depuis des siècles, peu importe que Gustave Flaubert n’ait jamais estampillé une phrase cordiale (ou pas) en espagnol ou en italien. Prenez un livre parmi ceux que l’on considère comme « immortels » et demandez à un écrivain célèbre de vous le dédicacer, à vous, lecteur inconnu.

Lisez le livre (ou relisez-le) sous le frisson de cette dédicace.

4.

Ce roman que depuis un moment vous avez posé sur la table, comparez-le avec certains de vos amis ou, mieux encore, de vos connaissances : ces gens que vous fréquentez depuis plusieurs années et que vous ne connaissez pas vraiment.

Pensez à la quantité de choses que vous savez sur ce livre (sur les gens qui y habitent), même si vous et lui ne vous fréquentez que depuis quelques heures à peine.

Pensez à lui comme à votre meilleur ami.

Pensez à lui, plutôt, comme à une de ces amitiés fugaces que l’on noue au cours d’un voyage et qui, pendant quelques jours, semblent synthétiser chacune de nos amitiés : les présentes, les passées et les futures.

5.

Après avoir rangé votre bibliothèque de manière strictement alphabétique (première-deuxième-troisième-quatrième lettre du nom de famille de chaque auteur), étudiez la disposition générale.

En tenant doublement compte de l’ordre alphabétique et de la chronologie historique, analysez les voisinages entre auteurs.

Repérez les cas où la situation nous fait penser à quand nous étions enfants et qu’un nouveau copain débarquait dans la classe, suscitant une petite commotion.

Bolaño est-il arrivé avec ses livres pour séparer Bioy de Borges ? Mauriac est-il arrivé pour séparer Maupassant de Maurois ?

Trouvez d’autres cas semblables.

6.

Faites un confessionnal à la maison. Articles recommandés : une ou deux feuilles de papier, carton, bois, deux chaises. Invitez plusieurs amis ; s’ils sont athées, tant mieux.

D’un côté, le pécheur murmurera sa faute. De l’autre côté, au lieu d’un prêtre, vous vous installerez avec un recueil bien-aimé.

Un recueil de poèmes.

Choisissez un poème en fonction du péché ; lisez-le comme si vous lâchiez une prière, dans un murmure, pour que seul le pécheur l’entende.

7.

Écrivez sur une feuille six ou sept débuts de phrases. Par exemple :

J’ai peur de…

J’ai toujours voulu…

J’aime…

Je n’ai jamais été capable de supporter…

J’ai toujours pensé que…

La chose la plus importante…

Ouvrez un livre au hasard et cherchez des images ou des idées qui pourraient compléter ces débuts. Faites-le, si possible, en lisant sans sauter une seule ligne à partir de la page ouverte.

8.

Lecture zapping.

Placez six personnes le long d’une table, afin qu’elles lisent en silence. Positionnez-vous devant elles, de l’autre côté, avec une télécommande entre les mains. Chacune des six personnes lira à haute voix lorsque vous appuierez sur un bouton de la télécommande en la pointant. Les autres continueront à lire en silence jusqu’à ce que vous appuyiez sur un autre bouton ; alors, la personne qui lisait se remettra à le faire en silence et la personne choisie commencera, à son tour, à lire à haute voix.

Peu importe si cela donne des phrases commencées ou non terminées. Peu importe si vous mêlez poésie, essai, récit et journalisme. Au contraire, cela simulera encore mieux l’effet zapping.

9.

Prenez deux ou trois pages d’un écrivain du XIXe siècle : Ivan Tourgueniev, par exemple.

Réécrivez-les en ne changeant que la ponctuation.

Faites deux versions.

Dans la première version, le texte doit dire la même chose avec une ponctuation aussi différente que possible de l’original.

Dans la seconde version, faites en sorte que le texte dise quelque chose de très éloigné de l’original en changeant seulement la ponctuation.

Dans aucun des deux cas il n’est permis de modifier les mots.

10.

Lisez un livre et demandez à quelqu’un d’autre de vous parler pendant ce temps.

Si l’autre personne prononce un mot au moment même où vous le lisez dans votre livre, changez de rôle : maintenant vous parlerez et l’autre personne lira.

Répétez et recommencez autant de fois que vous le souhaitez.

(Étant donné que ce jeu est présenté par Milorad Pavić dans son Dictionnaire khazar, il est vivement conseillé d’utiliser le roman de Pavić pour cette expérience.)

11.

Prenez un roman publié il y a plus de trente ans. Choisissez un roman réaliste ; écartez les romans historiques, fantastiques ou de science-fiction.

Au fur et à mesure que vous lisez, soulignez les actions et les objets qui en trahissent l’âge : des objets comme une cassette audio, des actions comme celle d’appeler depuis un téléphone public, et d’autres détails semblables, que le narrateur mentionne tout naturellement.

(Vous pouvez vous amuser, si vous voulez, à « traduire » ou à adapter le roman à nos jours, en remplaçant ces choses et ces actions par d’autres plus contemporaines.)

Essayez de faire de même avec les marques linguistiques qui ont vieilli : mots, expressions, etc. Dans ce cas, penchez-vous sur un roman écrit dans votre langue maternelle.

12.

Cherchez deux textes d’auteurs différents (deux poèmes, deux nouvelles) dont l’un semble parodier l’autre.

Il doit s’agir, bien sûr, d’une parodie involontaire.

Essayez de choisir une « parodie » publiée avant le texte qu’elle est censée parodier.

13.

Ouvrez un roman au hasard. Lisez une page paire, puis la voisine impaire. Lorsque vous arrivez à la fin de la deuxième page, revenez en haut de la page paire. Répétez la procédure deux, trois, dix, cinquante, cent fois, autant de fois que nécessaire pour devenir un lecteur enfermé dans un tourbillon.

Répétez la procédure, convaincu que vous progressez. En relisant ces deux pages, vous verrez que les mots ne sont pas les mêmes, que les actions ne sont pas les mêmes, et que vous n’êtes pas le même non plus.

Découvrez le mensonge dans ce lieu commun qui parle de tourner définitivement une page.

14.

Nabokov et Rimbaud voyaient en couleur les lettres de l’alphabet.