Meurtres à la Pépinière - Mirabelle C. Vomscheid - E-Book

Meurtres à la Pépinière E-Book

Mirabelle C. Vomscheid

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Beschreibung

Alexa, trentenaire, mène une vie paisible depuis son intégration dans l'équipe du parc de la Pépinière à Nancy en tant que soigneuse jusqu'au jour où un homme est retrouvé mort à proximité de son lieu de travail. D'autres meurtres inexpliqués se produisent en l'espace de quelques semaines. Alexa décide alors de mener sa propre enquête et découvre un passage secret sur la célèbre place Stanislas qui va remettre en question toute son existence, celle de son meilleur ami Sylvain et, surtout, l'avenir de l'humanité. Parviendra-t-elle à résoudre ce mystère qui plane au-dessus de la ville de Nancy et à trouver le meurtrier ? De rebondissement en rebondissement, Meurtres à la Pépinière ne laisse au lecteur aucun moment de répit et le tient en haleine jusqu'à la dernière page.

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Illustration de couverture réalisée par RICHARD GEHENOT

Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article L.122-5, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’exploitation du droit de Copie (CFC - 20, rue des Grands- Augustins, 75006 Paris, Tél. : 01 44 07 47 70, Fax : 01 46 34 67 19).

Sommaire

Prologue

1. Une journée comme les autres

2. La disparition de Sylvain

3. Eugène Jentrelle

4. La découverte

5. La statue de Stanislas

6. Yvan Delubin

7. Le témoignage de Laura

8. Vers un monde inconnu

9. En route vers l'Alsace

10. Problèmes génétiques

11. Nouveau monde, nouvelles mœurs

12. Le projet d'Yvan Delubin

13. Révélations

14. Nouvelle découverte macabre

15. Retour dans le présent

16. Branle-bas de combat à la Pépinière

17. Nouvelle attaque

18. Début de piste

19. Filature

20. Dérapage

21. Escapade nocturne

22. Des informations essentielles

23. Crime crapuleux

24. Nouvelle révélation

25. Rencontre en miroir

26. Le coffre-fort

27. Le massacre continue

28. Course-poursuite

29. Le retour d'Alexa

30. Nouvelles informations

31. Rencontre intergénérations

32. Le début de la fin

33. Une étrange découverte

34. Nouveau départ

35. Coup de théâtre

Épilogue

Prologue

Nancy, place Stanislas, dans le futur...

Par une froide et triste journée pluvieuse de novembre, un homme emmitouflé jusqu'aux oreilles et les mains glissées dans les poches de son manteau de laine noir traversait la place Stanislas. Accusant la quarantaine, les traits de son visage trahissaient l'aigreur qui l'habitait. C'était à cause de la mission que son supérieur lui avait confiée la veille. Il pestait contre le vent glacial qui lui giflait le visage et contre le brouillard qui avalait les rues nancéiennes, enveloppait les maisons et s'infiltrait sous les portes. Même les bâtiments, ceinturant la mémorable place lorraine, disparaissaient sous cette maudite purée de pois cotonneuse. Subitement, Jentrelle stoppa sa marche lorsqu'il se trouva au pied de la célèbre statue de Stanislas. Une des têtes de lion qui ornaient le gigantesque socle avait attiré son regard. Il crut voir une étincelle jaillir de ses yeux, puis se dit que son esprit, fatigué ces jours derniers, lui jouait un mauvais tour. Il haussa les épaules, prêt à reprendre sa marche, quand une lumière minuscule se mit à briller au centre de chaque œil. Il s'approcha et plissa le front, perplexe. Le petit faisceau évolua en une spirale grandissante dans laquelle il se sentit happé. Étourdi, il ne comprit pas ce qui lui arrivait et perdit momentanément connaissance. Quand il rouvrit les yeux, il fut aveuglé par les rayons du soleil qui se reflétaient en une multitude de points lumineux sur la place Stanislas. Il mit ses mains en visière et, stupéfait, porta son regard sur la foule nombreuse se promenant sur la place. C'était inattendu et Jentrelle se demanda s'il s'était produit quelque chose d'inhabituel, qui aurait conduit toutes ces personnes à sortir de chez elles à une heure, réservée, en temps ordinaire, aux milices.

1. Une journée comme les autres...

Nancy, de nos jours...

Le visage ruisselant de sueur, Alexa se redressa et s'essuya le front du revers de la main. Le parc de la pépinière était inondé de soleil en cette magnifique journée d'octobre et, même l'ombre des arbres ne parvenait pas à rafraîchir les températures exceptionnellement estivales pour la saison. Dans l'enclos des macaques, entourée de cris stridents, la jeune femme s'affairait à remplir les bacs d'un mélange de fruits et légumes que les singes s'empressèrent de saisir. Elle les observa emmagasiner la nourriture dans leurs abajoues pour aller ensuite la déguster tranquillement, loin de leurs concurrents, sur les branches les plus hautes des arbres ou dans les cavités des rochers. Après un dernier regard vers eux, Alexa les laissa, puis contourna leur enclos. Elle longea les clôtures des chèvres, des canards et des daims et traversa d'un pas alerte la pépinière afin de regagner la sortie.

La jeune femme rentrait chez elle dans la rue Sellier, située à seulement cinq minutes de son lieu de travail. Parvenue devant une imposante porte en chêne, Alexa en poussa le battant. Derrière se cachait une cour bordée de vasques pleines de fuchsias et de géraniums avec, au centre, un magnifique tilleul. Alexa se dirigea vers la droite et monta les quelques marches qui conduisaient à sa demeure. La jeune femme occupait tout le premier étage, un appartement spacieux et de caractère, doté de poutres apparentes et d'une belle cheminée, ainsi que d'une terrasse qui avait vue sur la cour. Lorsqu'elle ouvrit la porte d'entrée, Alexa fut éblouie par les rayons du soleil qui, par la fenêtre de la cuisine américaine, pénétraient à flot dans le corridor. Elle posa son sac à main sur le muret du bar, se déchaussa et appela Cupidon, un lapin de ferme couleur fauve, qu'elle avait récupéré à la SPA de Velaine-en-Haye quelques mois plus tôt et qui partageait son existence depuis bientôt six mois. La petite boule de poils accourut au son de la voix de sa maîtresse en se déplaçant par petits bonds, se dressa sur son postérieur, fit bouger ses oreilles et ses vibrisses, puis tendit son museau vers Alexa. La jeune femme comprit le message de son compagnon et se dirigea vers le réfrigérateur pour y prendre l'une des carottes placées dans le bac. Elle revint vers Cupidon et caressa ses flancs.

— Tiens, mon pépère, tu l'as bien mérité.

Alexa prit plaisir à regarder Cupidon grignoter son légume préféré et se dit qu'il serait plus heureux en compagnie d'un autre animal. Elle était souvent absente la journée et partait très tôt le matin pour les premiers soins des animaux du parc. La présence d'un compagnon de jeu serait bénéfique à Cupidon qui trouverait ainsi le temps moins long. Le mois prochain, plusieurs lapins et cochons d'inde devaient arriver à la pépinière, suite à un abandon massif en région parisienne. Les associations étaient débordées et la municipalité s'était proposée de recueillir une dizaine de ces petites bêtes. Alexa avait alors songé à en prendre un chez elle pour divertir son lapin. Quand la jeune femme rentrait à la maison, Cupidon, en manque d'affection, accaparait toute son attention et Alexa n'était pas toujours disponible pour lui. Certains soirs, elle était si fatiguée qu'elle se couchait dés le dîner terminé.

Depuis son plus jeune âge, elle avait toujours eu un contact étroit avec les animaux. C'est ainsi qu'elle avait décidé de leur consacrer son existence et qu'elle travaillait à la pépinière en tant que soigneuse animalière depuis trois ans. Elle avait eu d'autres postes avant celui-ci, mais aucune stabilité professionnelle. Lorsque son amie Laura l'avait informée trois ans plus tôt que le parc recherchait une personne compétente pour s'occuper des bêtes, elle avait saisi cette occasion inespérée. Originaire d'Alsace, Alexa avait quitté sa région, et emménagé à Nancy dans cet appartement qu'elle avait acquis à un prix raisonnable. Les fins de mois étaient difficiles, car son travail était très mal rémunéré en dépit des compétences exigées dans son domaine. Malgré tout, Alexa ne regrettait pas son choix. Son rêve était devenu réalité. Elle vivait parmi les animaux et ne pouvait espérer mieux.

Au parc, la jeune femme était épaulée par Sylvain et Laura, ses deux collègues, et, à eux trois, ils parvenaient tout juste à gérer l'ensemble des tâches quotidiennes. Sylvain avait suivi une formation en comptabilité et se chargeait de la gestion des stocks et des commandes, ainsi que des rendez-vous avec le vétérinaire. Cela faisait dix ans qu'il était au service du parc. Laura, qui était aussi une amie d'enfance d'Alexa, était responsable de l'entretien des locaux, du curage des box et du nettoyage des enclos. Quant à Alexa, elle s'occupait de la préparation et de la distribution de la nourriture et assurait les soins hygiéniques tels que les suivis de santé, la pesée hebdomadaire des jeunes animaux et les traitements médicaux à donner aux animaux malades.

Cupidon attira à nouveau l'attention de sa maîtresse : il sauta sur l'un des hauts tabourets, s'assit droit comme un « i », puis fixa Alexa.

— Que veux-tu encore? Allez, viens!

Le lapin galopa derrière Alexa qui se rendit dans le salon et se laissa tomber dans son clic-clac. Cupidon la rejoignit, puis s'étala de tout son long en attente de nouvelles caresses.

— Tu es insatiable! Il est temps que tu aies un nouveau compagnon. Prends ton mal en patience... et le mien aussi par la même occasion.

Alexa se massa les tempes et ferma les yeux un instant, moment de détente qui fut de courte durée, car la sonnette de l'entrée retentit. La jeune femme se leva de mauvaise grâce pour aller ouvrir. Qui pouvait bien la déranger durant sa courte pause de midi? Elle regarda par le judas et haussa un sourcil quand elle reconnut madame Toussaint, sa voisine du rez-de-chaussée.

— Vous voilà enfin décidée à ouvrir! railla la visiteuse.

— Désolée, madame Toussaint, mais je me reposais.

— Appelez-moi donc Françoise, la reprit cette dernière. Cela fera bientôt trois ans en décembre prochain que nous nous connaissons. Je vous apportais seulement un colis que le facteur n'avait pas envie de ramener à la poste. Je lui ai proposé de le prendre et de vous l'apporter à votre retour.

Françoise Toussaint était une petite bonne femme d'une soixantaine d'années, à la silhouette filiforme, qui vivait seule dans un deux pièces, comme une recluse, depuis qu'elle avait perdu son époux d'un cancer généralisé quelques années plus tôt. Dans ses yeux gris où brillait une lueur difficile à soutenir, on pouvait lire la lucidité et une certaine dureté. En dépit de cette apparence sévère, madame Toussaint était une personne serviable qui, parfois, pouvait devenir envahissante, lorsque la solitude prenait le dessus. Elle ne se faisait pas prier pour s'inviter chez sa charmante voisine du premier étage et trouvait toujours un quelconque prétexte pour s'attarder chez elle. Son regard sévère, par moment, dissuadait Alexa de la mettre rapidement à la porte. En contrepartie, la jeune femme n'hésitait pas à lui tourner le dos quand cette dernière se montrait indiscrète. Elle avait remarqué que sa voisine passait des heures derrière la fenêtre de son séjour à épier les allées et venues des habitants de l'immeuble et qu'elle était friande des potins du quartier.

Aujourd'hui, Alexa n'était pas d'humeur à faire la conversation. Sa pause durait à peine une heure, et depuis une quinzaine de jours, elle devait redoubler d'efforts à son travail, car Laura était en arrêt maladie. Sylvain ne cherchait pas à l'aider, et Alexa avait deux fois plus de responsabilités qu'en temps ordinaire. La chaleur de ces jours derniers n'arrangeait pas la situation. Alexa était si épuisée et énervée qu'elle ne trouvait même pas le sommeil la nuit. C'est ainsi qu'elle somnolait la journée quand elle avait un moment de libre.

— Vous n'avez pas l'air dans votre assiette, souligna madame Toussaint, soudain préoccupée. Vous vous surmenez, ma pauvre.

— Je n'ai pas vraiment le choix, répondit Alexa, lasse. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais encore me reposer un peu avant de reprendre le travail.

— Oh, désolée, fit sa voisine, sincère. Tenez, voici votre colis.

— Je vous remercie.

— C'est normal entre voisins. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à m'appeler.

— Entendu.

Alexa allait refermer la porte lorsque Cupidon fit son apparition, ce qui retarda le départ de la voisine.

— Il est de plus en plus beau votre Poséidon.

— C'est Cupidon, la corrigea Alexa.

— Alors mon Cupidon, tu es content de voir ta voisine, hein...

La jeune femme commença à perdre patience et le fit savoir à madame Toussaint.

— Je dois vous laisser, Françoise.

Celle-ci se sentit flattée d'être appelée par son prénom, et, ravie, s'éclipsa de chez Alexa. « Ce n'est pas trop tôt! » soupira la jeune femme. Une fois seule, elle se prépara un en-cas qu'elle mangea sur le pouce dans la cuisine, puis profita des dernières minutes qui lui restaient pour regarder les informations régionales sur France 3. Alexa se sentait en meilleure forme quand elle reprit le chemin du travail. Elle arpenta les allées du parc sous un soleil éblouissant dont les rayons faisaient ressortir les couleurs chatoyantes de l'automne qui revêtait les arbres d'une parure splendide. Alexa était émerveillée par les feuilles rouges des bouleaux, l'orange des chênes et les érables teintés de jaune. Ce mélange de roux et d'or donnait une note si colorée au paysage que la jeune femme se sentit tout à coup d'humeur joyeuse pour débuter l'après-midi. Elle passa devant la buvette qui laissait flotter une agréable odeur de gaufre et eut envie de s'en offrir une, puis finalement y renonça. Elle marcha le long de la roseraie et se dirigea vers l'enclos des chèvres, dont Clochette, une petite femelle toute noire, bêla à son arrivée. Elle était tombée malade l'hiver dernier et Alexa l'avait si bien soignée, que l'animal s'était attaché à elle. La jeune femme se rendit dans le local annexe et revint avec une trousse de soins. Clochette adorait être brossée et chouchoutée.

— Voilà, ma puce, tu es toute belle maintenant.

Alexa lui tendit un morceau de pain sec et alla voir ses autres congénères. Elle aperçut Sylvain, en grande conversation avec le vétérinaire, et lui fit un signe de la main. Le quarantenaire lui répondit par un sourire et poursuivit sa discussion avec son interlocuteur.

Sylvain était un homme qui ne laissait pas les femmes indifférentes. De taille moyenne, le corps trapu et musclé, son visage était expressif. Il avait des pommettes saillantes, une bouche bien dessinée et de grands yeux bruns surmontés d'une chevelure noire de jais indisciplinée. D'allure décontractée et habillé simplement, rien ne laissait penser qu'il était issu de la lignée des Delubin, la famille la plus connue de Nancy et de l'ENSIC, l’École nationale supérieure des industries chimiques de Nancy. Le père, Yvan Delubin, un homme d'une soixantaine d'années, était le directeur de recherches du CNRS et le responsable du Département de Chimie Physique des Réactions. C'était le chercheur le plus reconnu de l'union européenne et beaucoup enviait ses travaux sur la physique quantique. Actuellement, il étudiait le déplacement de l'énergie et de l'information dans l'espace à une vitesse supra luminique. Selon certaines rumeurs, il avait mis au point, avec son équipe, un accélérateur de particules, qui serait la base de déplacements dans l'espace-temps à l'échelle quantique. Une expérience inespérée pour les astrophysiciens qui rêvent d'explorer l'univers! Pendant longtemps, Yvan Delubin avait souhaité que son fils aîné suive ses traces et intègre son équipe, mais Sylvain ne voulait pas devenir comme son père et son frère Laurent, et passer toute sa vie dans un laboratoire. En outre, être sous les ordres d'un homme autoritaire ne l'enchantait guère. Durant toute son enfance et son adolescence, il avait subi l'influence de son père et s'était senti oppressé sans avoir la possibilité de s'exprimer librement. Il ne voulait plus se sentir étouffé par le cercle familial. En refusant de faire des études scientifiques, il y était parvenu.

Au fil du temps, son père était devenu un homme imbu de lui-même. Rares étaient les chercheurs du DCPR qui obtenaient les louanges de leur supérieur. Il faisait travailler son équipe sans répit et ne tolérait aucune absence. Ce style de vie ne convenait pas à Sylvain qui aspirait à une vie simple sans contraintes. Sa maison de campagne à Ville-en-Vermois et son emploi de comptable à la pépinière lui suffisaient amplement. Il était le père de deux enfants, Justine et Lucas, une fille de sept ans et un garçon de quatre ans, marié à une femme dix ans plus jeune que lui. Son épouse, Sabine, n'était pas toujours facile à vivre, mais il était éperdument amoureux d'elle et était prêt à faire de nombreuses concessions afin de la garder près de lui.

Alexa remarqua que l'une des chèvres, Biscotte, se tenait à l'écart du groupe et cherchait un endroit tranquille où se réfugier. La jeune soigneuse songea qu'il était largement temps de lui installer un nid douillet avant que la future maman ne mette bas. Ce n'était plus qu'une question d'heures. Alexa tourna la tête et se dit que la présence du vétérinaire tombait à pic. Elle se hâta vers lui et lui demanda de passer voir Biscotte. Le vétérinaire l'examina et déclara :

— Il y a quelques écoulements vaginaux. Préparez-vous à une mise bas pour ce soir au plus tard.

La jeune femme poussa un soupir, résignée. Ce ne serait pas encore aujourd'hui qu'elle pourrait récupérer son sommeil en retard. Biscotte était née au parc et donnerait pour la première fois naissance à un chevreau. Alexa se résolut à rester à proximité. Lorsque la mise bas fut imminente, elle surveilla de près la future maman, qui se mit à bêler de douleur, puis finit par se coucher sur le côté, les pattes tendues à l'horizontale. Un chevreau se présenta en début de soirée, à la nuit tombante. Alexa assista à la naissance, le cœur rempli de joie. L'expulsion fut rapide et un seul petit naquit. La maman se releva très vite, lécha son bébé et poussa des petit cris afin qu'il s'intéresse à elle. Alexa s'assura que le chevreau n'était pas gêné par des mucosités qui l'empêcheraient de respirer et passa un doigt dans sa bouche. Puis elle rendit le petit à sa maman. La jeune femme resta encore deux bonnes heures près de Biscotte jusqu'à ce que le placenta soit expulsé, et soulagée, elle regagna son domicile, exténuée.

2. La disparition de Sylvain

Au grand soulagement d'Alexa, Laura Alvarez sortit de son congé maladie début novembre. La jeune femme avait encore le teint pâle et les yeux cernés. Suite à une mauvaise grippe, elle était restée trois semaines alitée et ne s'était pas encore remise de sa maladie. Mais elle ne supportait plus de rester cloîtrée dans son appartement du matin au soir. Même si elle aimait passer beaucoup de temps chez elle pour se consacrer à la poterie, qui était l'un de ses passe-temps préféré, elle détestait la solitude, et avait besoin de faire son jogging quotidien sur les sentiers de randonnées de la forêt de Haye. Laura avait donc décidé de reprendre le travail quoi qu'il arrive et fut heureuse de retrouver Alexa à la Pépinière.

Les deux jeunes femmes étaient des amies de longue date, qui se connaissaient depuis une vingtaine d'années, époque où elles fréquentaient le collège. Elles partageaient la même vision de l'existence et avaient les mêmes goûts. Physiquement, elles étaient à l'opposé l'une de l'autre. Laura était une femme assez grande aux épaules carrées et forte, coiffée de mèches brunes effilées encadrant un visage mutin aux jolies fossettes, alors que le visage d'Alexa dessinait un bel ovale aux traits fins et au regard bleu turquoise, qui dégageait une note de mystère insaisissable. Contrairement à Laura, Alexa était svelte et de petite taille, une chevelure rousse qui retombait en une belle cascade au milieu du dos. Elles ne formaient pas un couple assorti, mais étaient très complices.

Les deux grandes amies aimaient planifier des sorties ensemble. Il leur arrivait souvent de programmer une escapade un week-end et de partir sur les routes de la Lorraine ou de l'Alsace pour faire un peu de tourisme. Elles avaient pris l'habitude de se rencontrer une fois par semaine dans un restaurant et profitaient de cette occasion pour se faire des confidences. Mais depuis que Laura était tombée malade, elles ne s'étaient pas vues une seule fois.

Lorsque Laura reprit son service ce premier lundi de novembre, sous un ciel de plomb et pluvieux, Alexa l'accueillit avec effusion. Elle s'approcha d'elle et la prit dans ses bras, contente de retrouver son amie.

— On ne peut pas dire que tu nous apportes le beau temps! s'exclama-t-elle.

— C'est vrai qu'on est loin de l'été indien de ces deux dernières semaines où je suis restée clouée au lit à cuire derrière les vitres ensoleillées.

Un rideau de pluie se déversait sur le parc, accompagné de rafales de vent, qui dépouillaient les arbres de leur parure d'automne et projetaient les feuilles mortes contre les clôtures. Les deux jeunes femmes remontèrent leur parka jusqu'au menton et se mirent à courir jusqu'au local le plus proche. Elles étaient trempées jusqu'aux os et frigorifiées.

— Quel temps de chien! pesta Alexa.

— Typique d'un mois de novembre.

— Je vais finir par regretter octobre. Bientôt il n'y aura plus une seule feuille sur les arbres et le parc va devenir d'une tristesse mortelle. Je hais l'hiver. Il n'y a pas un chat dehors, et même les animaux rechignent à sortir de leur cabane.

— Pour nous, c'est la pire période de l'année. C'est sinistre et les arbres ont des allures de squelettes.

— Bon, assez parlé. Le travail nous attend, rappela Alexa, qui songeait déjà à tout ce qu'elle avait à faire en ce début de semaine.

Laura détourna un instant les yeux et vit Sylvain arriver vers elle. Ce dernier lui faisait toujours le même effet à chaque fois qu'elle le voyait. Elle avait le béguin pour lui, bien qu'elle refusait de se l'avouer ouvertement. Son cœur se mit à battre la chamade quand il lui fit une bise rapide sur chaque joue. Que n'aurait-elle pas donné pour qu'il soit encore célibataire! Malheureusement, il était marié depuis huit ans, et Laura savait qu'il tenait beaucoup à son épouse, une femme dotée d'un charme certain, qui lui était utile pour son métier. Sabine était une femme très féminine à la silhouette longiligne. Elle avait un teint opalescent, des yeux d'un vert clair au regard froid, des pommettes saillantes et une bouche généreuse. Ses cheveux châtain clair retombaient en une jolie cascade sur ses épaules sveltes. Laura l'avait rencontrée une seule fois lors de son passage à l'office de tourisme, le lieu de travail de l'épouse de Sylvain. Elle l'avait trouvée hautaine et se demandait comment cette dernière parvenait à se montrer chaleureuse lorsqu'elle organisait des visites guidées de la ville. Cette femme dégageait une antipathie indéniable et Laura s'interrogeait sur les raisons qui avaient poussé Sylvain à l'épouser.

Sylvain accueillit Laura joyeusement.

— Te voilà de retour! Prête pour affronter le pire moment de l'année?

— Il faudra bien faire avec, répondit la jeune femme, légèrement troublée.

Alexa observa Laura, amusée. Elle savait que son amie était éprise de Sylvain, même si elle faisait tout pour lui cacher ses sentiments. Pourquoi choisissait-elle toujours des hommes inaccessibles? Elle eut tout à coup une idée.

— Si vous veniez dîner à la maison vendredi soir? Ce serait l'occasion de se retrouver en dehors du parc.

Laura remercia son amie par un sourire, ravie à l'idée de passer un moment avec sa meilleure amie, mais aussi avec celui qui faisait tant battre son cœur. Sylvain, cependant, paraissait hésiter et finit par demander :

— Puis-je venir avec mon épouse et mes deux enfants?

Le sourire de Laura se figea. Alexa, en avisant le visage déconfit de son amie, commença à regretter d'avoir proposé cette invitation. Elle était bien la reine des gaffes!

— Bien entendu! répondit-elle, crispée. On se donne rendez-vous à 20 heures?

Les deux jeunes gens approuvèrent d'un signe de tête. Chacun partit de son côté, et Alexa se dirigea vers l'enclos des moutons d'Ouessant. Elle adorait les entendre bêler à son arrivée. Comme chaque matin, ils attendaient impatiemment leur pitance. La jeune soigneuse vérifia que les nouveaux nés se portaient bien, puis se rendit chez les singes. Ces derniers étaient moins bien lotis que les autres animaux du parc et elle déplorait leur manque de place et de confort, entièrement entourés de béton. Depuis son arrivée, trois ans plus tôt, Alexa avait entrepris un bon nombre de changements pour faire évoluer l'environnement des bêtes. Elle était parvenue à introduire pour chaque espèce un coin de verdure, semblable à leur milieu naturel. Alexa avait trouvé choquant que les quelques végétaux à portée des animaux soient totalement inaccessibles et clôturés par des barbelés. Aujourd'hui, elle s'estimait satisfaite de toutes les modifications réalisées au sein des enclos. Les animaux étaient bien plus heureux et ne manquaient pas de montrer leur bien-être à leur soigneuse préférée.

Avec le retour de Laura, Alexa eut une semaine moins mouvementée que les précédentes. Lorsque le vendredi soir arriva, elle était d'attaque pour concocter un repas digne d'un jour de fête. De bonne humeur, elle se dirigea vers le plan de travail de la cuisine et sortit tous les ingrédients dont elle avait besoin pour réaliser son dîner. Alexa avait prévu quelque chose de simple et rapide à préparer, mais aussi de très coloré afin de réveiller les papilles de ses invités. Elle commença par la confection de toasts végétariens qu'elle maria selon les couleurs, puis élabora une quiche lorraine qu'elle agrémenterait d'une belle assiette de crudités et le repas se terminerait par un fondant au chocolat accompagné d'une sauce anglaise. Quand elle eut terminé de dresser les couverts dans le séjour, elle admira son travail, satisfaite.

Comme il lui restait encore une petite demi-heure avant l'arrivée de ses convives, elle se dirigea dans la chambre et abandonna sa tenue de travail pour quelque chose de plus élégant. Elle se vêtit d'un pullover noir au col retombant gracieusement sur ses épaules et enfila un pantalon en velours de la même couleur. Le noir faisait ressortir son teint diaphane, sa chevelure rousse remontée en un superbe chignon et ses yeux bleu turquoise. Alexa pivota sur elle-même, ravie du reflet que lui renvoyait le miroir de la salle de bain.

Laura, ponctuelle, fut la première à se présenter au domicile d'Alexa. Contrairement à son amie, elle était habillée d'un simple jean et d'un sweat-shirt bleu ciel, qui soulignaient son attitude décontractée. Elle avait songé à mettre une tenue sophistiquée pour attirer l'attention de Sylvain et, finalement, elle s'était résignée au dernier moment. Elle n'avait aucune chance face à l'épouse de Sylvain. En revanche, elle observa Alexa, d'un œil contemplatif. Elle était surprise de voir son amie porter avec autant d'élégance une tenue en apparence anodine.

Les deux jeunes femmes n'avaient pas eu de moment d'intimité depuis trois semaines et profitèrent d'être seules pour se faire des confidences avant l'arrivée de Sylvain et de sa famille. Elles avaient tant de choses à se raconter qu'elles ne remarquèrent pas que l'heure passait et que les Delubin n'étaient toujours pas arrivés. Ce fut la sonnerie du téléphone qui les interrompit et Alexa alla répondre. Elle fut étonnée d'entendre l'épouse de Sylvain à l'autre bout du fil.

— Bonsoir Alexa, fit-elle, hautaine.

— Bonsoir Sabine. Un problème?

L'épouse de Sylvain, soudain mal à l'aise, ne savait comment aborder la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle finit par se lancer, faussement sereine, mais sa voix trop aiguë trahissait son manque d'assurance et une réelle inquiétude.

— Sylvain n'est pas rentré à la maison ce soir, et je me demandais si, à tout hasard, il ne serait pas venu seul à votre domicile. Il est parfois tête en l'air et oublie quelques petits détails, comme passer chez lui pour prendre sa famille, expliqua-telle, sarcastique. Je suppose que je m'inquiète pour rien et qu'il est certainement à table à discuter de tout et de rien avec vous, n'est ce pas?

— Je suis désolée, Sabine, mais je n'ai pas revu Sylvain depuis ce midi lorsque je l'ai quitté devant l'enclos des chèvres.

Perplexe, son interlocutrice garda un instant le silence, puis échangea quelques mots à voix basse avec une personne de son entourage.

— Ne vous aurait-il pas contacté pour vous informer d'un éventuel retard? demanda-t-elle, pleine d'espoir.

— Malheureusement, non. Je regrette, mais je n'ai aucune idée de l'endroit où il est...

Alexa réfléchit, puis lâcha tout à coup :

— À moins qu'il n'ait été retardé au parc au dernier moment pour une raison ou une autre. C'est assez fréquent dans notre domaine.

— Vous seriez aimable si vous pouviez vous assurer que tel est bien le cas. Vous habitez juste à côté de la Pépinière, cela ne vous demandera pas beaucoup de temps, fit-elle, condescendante.

La jeune femme n'aimait le ton altier de son interlocutrice et n'avait aucune envie de ressortir. Elle était rentrée chez elle sous un épais rideau de pluie et de fortes rafales de vent, qui avaient dépouillé les arbres des dernières feuilles automnales, encore fixées aux branches. Son regard se dirigea vers la porte-fenêtre sur laquelle l'eau dégoulinait par paquets. Elle frissonna à l'idée de devoir retourner au parc par ce temps et elle était presque certaine qu'elle allait se déplacer pour rien.

— Avez-vous contacté tous ses proches? poursuivit Alexa en ignorant la question de Sabine.

— Oui. Personne ne l'a vu.

— Dans ce cas, je vais aller voir si je le trouve dans le parc et je vous tiens au courant.

— Je vous remercie beaucoup, termina Sabine en raccrochant aussitôt.

Alexa jeta un bref coup d’œil à la table qu'elle avait préparée avec soin et fit, dépitée :

— On peut faire une croix sur le repas festif de ce soir.

— Ce n'est pas parce qu'il manque des convives que nous devons renoncer à ces délicieux mets que tu as concoctés, souligna Laura, les mains sur les hanches.

— Tu as raison, ce serait un vrai gâchis. Mais avant de penser au dîner, nous devons aller vérifier si Sylvain se trouve à la Pépinière. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé. Il était enthousiaste quand je lui ai proposé cette invitation. Pourquoi nous aurait-il fait faux bond?

Les deux jeunes femmes s'armèrent de lainages chauds, d'imperméables avec capuche et sortirent, emmitouflées jusqu'aux oreilles. Elles longèrent les murs des maisons afin de se protéger des trombes d'eau qui se déversaient par paquets sur les trottoirs et dégoulinaient ensuite dans les caniveaux. Ces derniers arrivaient à peine à juguler ces écoulements massifs et poussaient des gargouillements plaintifs. Alexa et Laura parvinrent enfin devant le parc. Alexa s'empressa de sortir son trousseau de clés pour ouvrir la grande grille en fer forgé. Elles avancèrent au pas de course sous ce déluge diluvien et arrivèrent à proximité de la zone réservée aux animaux. À l'exception de l'éclairage des lampadaires le long des allées, le parc était plongé dans la pénombre. Même les résidents de la Pépinière étaient étrangement silencieux. La pluie les avait poussés à se retrancher dans leurs abris et à ne plus en sortir. L'air était glacial et digne d'un mois de janvier. Alexa s'approcha du bureau de Sylvain, qui était dans le noir complet. L'absence de lumière dans les locaux laissait supposer que les lieux étaient déserts. Sylvain n'était certainement pas ici par un temps pareil. Par acquis de conscience, Alexa cria son nom à pleins poumons, puis décida de faire demi-tour quand elle constata que personne ne répondait.

— Cela ne fait aucun doute que notre cher collègue n'est pas ici, déclara Alexa. Nous n'avons plus qu'à retourner à la maison et nous calfeutrer bien au chaud. Je suis frigorifiée. Quel froid de canard! Que penserais-tu de passer la nuit à la maison? Ce serait plus raisonnable avec ce temps de ne pas prendre la route, et à vrai dire, je n'ai pas envie de me retrouver seule.

Laura n'écoutait pas ce que lui disait son amie et ignora sa proposition, très inquiète par l'absence de Sylvain. En pleine réflexion, son visage changea tout à coup d'expression :

— Et si Sylvain avait eu un accident de voiture sur le chemin du retour?

— Sa femme en aurait certainement été informée.

— Ça, c'est moins certain.

— On le saura bien assez tôt, conclut Alexa en poussant la grande porte de chêne.

Alors que les deux jeunes femmes pénétraient dans la cour de l'immeuble, une silhouette sombre de grande taille et aux épaules larges se profila soudain dans l'entrée de l'immeuble. Elle se faufila discrètement derrière l'immense porte avant que celle-ci ne se referme. Dans la pénombre, on pouvait seulement distinguer ses yeux qui brillaient d'une lueur étrange, presque démoniaque. Lorsque l'individu ôta sa capuche pour s'essuyer le visage, il s'avéra que c'était un homme d'une quarantaine d'années aux traits marqués par le temps.

3. Eugène Jentrelle

Après de nombreuses recherches, Eugène Jentrelle était enfin parvenu à mettre la main sur l'un des membres de la famille Delubin. Arrivé sur la place Stanislas, il s'était dirigé vers l'arc Héré. Puis il était passé sous la grande porte qui donne sur la place Carrière et le palais du gouverneur. Finalement, il avait tourné sur sa droite et s'était retrouvé devant la grille du parc de la Pépinière et en avait franchi l'entrée.

En ce vendredi après-midi de novembre, les températures étaient fraîches et de gros nuages noirs menaçants s'amoncelaient à l'horizon ; il ne tarderait pas à pleuvoir. Un vent froid s'était levé et, Jentrelle, frileux, avait remonté son caban jusqu'au menton. On ne voyait plus que la moitié de son visage, marqué de petites ridules autour de ses yeux bruns sans chaleur et de rides profondes qui lui barraient le front. L'homme devait avoir une bonne quarantaine d'années. Sa physionomie, empreint d'une dureté indéniable, n'appelait pas à la convivialité. Du haut de son un mètre quatre-vingt-dix, il marchait tel un géant au milieu des allées désertées par les promeneurs qui s'étaient certainement réfugiés au chaud. Jentrelle flânait au hasard des chemins, quand il s'était approché du domaine des animaux. Son regard s'était soudain posé sur une jeune femme qui se trouvait dans l'enclos des ânes. Il avait avancé vers elle et lui avait demandé si elle ne connaissait pas à tout hasard la famille Delubin. Elle l'avait toisé de la tête aux pieds, surprise par cette question. Jentrelle avait remarqué son hésitation et s'était empressé d'ajouter pour justifier sa demande :

— Je suis l'un de leurs amis, mais je ne les ai pas vus depuis une éternité. On m'a dit qu'ils avaient déménagé et je n'ai pas leur nouvelle adresse.

La jeune femme l’avait observé en silence, trouvant l’explication de cet inconnu surprenante. Si ce type faisait allusion à Sylvain Delubin, elle ne se souvenait pas que ce dernier ait entrepris récemment un déménagement. Elle avait fini par lui répondre et avait pointé son index vers le bureau de son collègue :

— Vous trouverez Sylvain Delubin dans son bureau là-bas, si c'est bien lui que vous cherchez.

L'homme avait hoché la tête, sans même la remercier, et l'avait laissée en plan, avant de se diriger vers le bâtiment qu'elle lui avait indiqué. Alexa l'avait regardé partir jusqu'à ce qu'il disparaisse de sa vue et elle était retournée vaquer à ses occupations, oubliant la visite de cet étrange individu.

Jentrelle avait tourné au coin de l'enclos des chèvres et avait pénétré dans un couloir sombre sans lumière, au bout duquel se trouvait le bureau de Sylvain. La porte était ouverte. Il s’était avancé jusqu’au seuil et, silencieusement, avait embrassé les lieux du regard. Puis il avait reporté toute son attention sur Sylvain et l’avait observé d’un air méprisant. Même si plusieurs générations séparaient ce Delubin de ses descendants, il n'y avait aucun doute sur son identité, il appartenait bien à cette famille!

Comment Jentrelle allait-il s'y prendre pour obtenir ce qu'il cherchait? Une brève analyse de cet homme lui avait fait rapidement comprendre qu'il n'avait vraiment pas le physique d'un scientifique, mais les apparences sont souvent trompeuses. Il avait fait un pas en avant, attirant ainsi l'attention de Sylvain.

— Que puis-je faire pour vous? demanda celui-ci en redressant le buste.

Déstabilisé par ce visage qui lui semblait si familier, Jentrelle n'avait pas su quoi répondre. Il était resté un moment silencieux, puis, paniqué, avait tout à coup sorti de son caban un objet qui ressemblait à une matraque électrique, d'un genre nouveau. Il avait alors contourné le bureau de Sylvain et s'était positionné à côté de lui, son arme pointée contre la tempe de son interlocuteur.

— Me suivre, répondit-il.

Sylvain était pâle comme un linge, ne comprenant pas ce qui se passait et ce que lui voulait cet inconnu. Alarmé par l'arme du type, il avait alors obtempéré. Un rictus hideux s'était dessiné sur les lèvres de Jentrelle. Il commençait à sentir les effets de son voyage et ses mains s'étaient mises à trembler. Il ne lui restait que très peu de temps avant de repartir. Ses voyages à répétition l'épuisaient et le faisaient vieillir prématurément si bien qu'il ne pourrait pas poursuivre à ce rythme ses escapades et devrait les modérer. Cette fois-ci, il avait espéré en apprendre plus sur les ancêtres des Delubin, mais malheureusement, son corps ne lui en avait pas laissé le temps. Il ne le portait presque plus et il avait du s'agripper au bureau pour ne pas tomber. Sylvain l'avait regardé, stupéfait. Le type en face de lui semblait vieillir à toute vitesse. De nouvelles rides s'étaient creusées sur son front et de gros cernes étaient apparus sous ses yeux. En dépit de son affaiblissement, Jentrelle avait encore pu faire quelques mises au point avant de partir. Paniqué par son état, il avait agi sous le coup de l'impulsion. Il s'était tourné vers Sylvain sans crier gare, et son arme pointée sur la tempe de son interlocuteur, il lui avait asséné une importante décharge électrique dans le cerveau. Sous la violence du choc, Sylvain avait senti sa vue vaciller et il avait perdu connaissance.

Jentrelle, les yeux écarquillés, se demanda ce qui lui était passé par la tête. Il ne voulait pas lui faire de mal, surtout pas lui! Il n'avait pas le temps de réparer son erreur, mais, par crainte de rencontrer quelqu'un, il avait déplacé le corps de sa victime, puis l'avait caché dans l'arrière du bureau où jonchaient toutes sortes de papiers. Pris d'étourdissements et de nausées, Jentrelle savait qu'il était temps de repartir. L'état de ses mains, entièrement fripées, était le signal d'alarme lui intimant de se dépêcher, s'il ne voulait pas finir centenaire avant même d'être retourné chez lui. C'est ainsi qu'il avait quitté le parc de la Pépinière comme un voleur, laissant Sylvain livré à son triste sort. Personne n'avait remarqué sa présence, à l'exception d'Alexa, qui l'avait rapidement oublié. Le soir venu, Sylvain était toujours inconscient, et personne n'avait la moindre idée de l'endroit où il se trouvait. Seule son absence au dîner d'Alexa finit par alerter ses proches.

Jentrelle, après s'être suffisamment longtemps reposé chez lui, fut de retour en milieu de soirée. Depuis son dernier passage sur la place Stanislas quelques heures plus tôt, il semblait avoir vieilli d'une décennie. Il n'était pas au mieux de sa forme et bien qu'il ait pris le temps de récupérer entre deux excursions, il se sentait vidé de ses forces. À son arrivée, Jentrelle fit une halte et s'assit sur l'un des horribles bancs qui encadrait la place. Il se délecta des deux portiques qui abritaient les fontaines de Neptune et d'Amphitrite et finit par s'installer près de la statue de Neptune. Il fut étonné de voir couler l'eau en abondance alors qu'un décret l'avait déclarée comme source rare.

Attiré par le doux murmure de la fontaine, il glissa sa main droite sous l'un des filets qui se déversaient en une jolie cascade pour aller se répandre dans la grande vasque. Ce simple geste eut pour effet de stopper les douleurs qu'il ressentait à l'extrémité de ses doigts. Il crut que son imagination lui jouait un drôle de tour quand il vit que la peau de sa main se tendait pour redevenir aussi lisse que celle d'un enfant. Il fit la même chose avec son autre main et l'effet fut immédiat. Il ne se faisait pas d'illusions : ses mains rajeunissaient! Jentrelle eut alors une curieuse idée, mais avant de la mettre en œuvre, il s'assura qu'il était seul. Il ne savait pas qu'une caméra de surveillance filmait la place nuit et jour et qu'il ne passerait donc pas inaperçu malgré toutes ses précautions. Cette capture d'images ferait bientôt la une des journaux et Jentrelle passerait pour un détraqué! Mais que craignait-il au juste? Ses origines n'étaient pas ici, peu importait. Il escalada la vasque et s'installa au milieu, les jambes repliées sous son postérieur. En dépit du froid, il se mit torse nu afin que l'eau se répande sur son corps et il la laissa se déverser sur lui comme s'il prenait une douche bien chaude. Les yeux fermés, il sentit rapidement une nette amélioration de son état physique. L'eau de la fontaine effaçait toute trace du temps sur son organisme, les traits de son visage s'affinèrent et la peau de son corps apparut plus ferme. Le plus important cependant était cette force intérieure. Il se sentait désormais vigoureux.

Et si cette eau était LA solution contre les désagréments de ses voyages? Jentrelle pourrait aller et venir aussi souvent qu'il le désirait sans craindre de vieillir à chaque fois prématurément. Un jour, il se souvenait avoir lu dans un livre ancien que certaines fontaines avaient des pouvoirs bénéfiques sur ceux qui buvaient de son eau ou s'en aspergeaient. Elles préservaient des maladies et de la vieillesse et avaient un pouvoir rajeunissant. Subissait-il les bienfaits de l'eau magique?

Jentrelle éprouvait un bien-être qu'il n'avait pas ressenti depuis son plus jeune âge. Il était prêt à escalader des montagnes et à mettre la main sur les Delubin. Il sortit du bassin de la fontaine, toujours torse nu, et se mit à frissonner. Même si cette eau avait des pouvoirs magiques sur sa santé physique, il n'en demeurait pas moins qu'il était frigorifié et qu'il risquait de finir cloué au lit avec une forte fièvre. Il n'avait rien pour se sécher, et malheureusement, les habits qu'il avait posés à côté de la fontaine, étaient, eux aussi, détrempés par la pluie. Il n'avait pas vraiment le choix, et enfila son caban, le seul vêtement qui avait été préservé de l'humidité. Il s'en contenta et se dit qu'il trouverait de quoi se vêtir dans le bureau de ce Delubin, quand il irait le retrouver. Mais lorsqu'il arriva devant la grille du parc, la porte était close depuis longtemps. Il eut juste le temps d'apercevoir à l'horizon Laura et Alexa qui venaient de s'assurer que Sylvain n'avait pas effectué des heures supplémentaires. Elles ne l'avaient pas trouvé, et ne pouvaient pas imaginer une seconde qu'il avait été la victime d'un inconnu et qu'il gisait, inconscient, dans le cagibi de son bureau.

Jentrelle les suivit des yeux et les vit remonter la rue longeant le parc, puis tourner à l'angle dans une ruelle. Ayant reconnu la jeune femme qui lui avait indiqué le bureau de Delubin l'après-midi même, il décida de les filer et poussa un sprint pour les rattraper. Il fut étonné de ses performances, et repensa aux pouvoirs des fontaines de la place Stanislas. Jamais il n'aurait cru qu'il tomberait sur une petite mine d'or en venant dans ce monde à la recherche de tout autre chose que la fontaine de Jouvence! La chance lui souriait et il s'en félicita.

Les deux jeunes femmes, éclairées par les lampadaires de la rue Sellier, s'arrêtèrent devant une lourde porte en chêne et pénétrèrent dans une cour fermée. Jentrelle, le réflexe rapide, eut juste le temps de se faufiler derrière elles avant que la porte ne se referme, sous l’œil attentif de Françoise Toussaint qui, en cette heure tardive, était encore à surveiller comme un chien de garde les allées et venues de la résidence. Elle identifia aussitôt le rôdeur comme un oiseau de mauvais augure et décida de le surveiller de près. Elle passa la nuit dans son fauteuil à bascule devant sa porte-fenêtre et l'individu disparut de sa vue au moment où elle finit par sombrer dans un sommeil profond. À son réveil, la vieille femme fut convaincue que le rôdeur était finalement parti.

En réalité, Jentrelle n'était pas sorti de la cour. Il avait épié les faits et gestes des deux jeunes femmes, qui s'étaient réfugiées au premier étage, et avait attendu calmement que toutes les lumières de l'appartement d'Alexa s'éteignent avant de s'introduire chez elle. Quand il vit la modeste serrure de la demeure, Jentrelle rit intérieurement. Ce serait un jeu d'enfants de l'ouvrir! Le rôdeur se dit que ce n'était pas la meilleure façon de se protéger des cambrioleurs. Dans son monde, ce style de verrouillage avait disparu depuis longtemps. Son intrusion se fit sans problème à l'exception de cette saleté de lapin qui avait failli tout faire capoter en se glissant entre ses jambes. Dans le noir, lorsque Jentrelle avait franchi le couloir à pas de loup, il n'avait pas vu l'animal qui faisait des cabrioles et avait failli le renverser. Il s'était rattrapé de justesse au bord du muret de la cuisine sans encombre. Puis il était passé discrètement devant le séjour et avait vu les deux jeunes femmes avachies dans la banquette du salon, endormies. Jentrelle s'était alors dissimulé dans la pièce la plus reculée de l'appartement et y avait passé la nuit. Il s'agissait en fait du bureau d'Alexa et ce fut pour lui l'occasion d'explorer les divers papiers éparpillés sur son bureau. Ses recherches ne furent pas très fructueuses, mais il réussit à obtenir quelques informations sur le Delubin qu'il avait rencontré l'après-midi même. Il sortit de sa poche quelque chose qui ressemblait à un iphone en version plus élaborée et enregistra les renseignements trouvés. Il n'avait plus rien à faire en ces lieux et il se dit qu'il était temps de partir. Seulement, l'une des deux locataires se réveilla prématurément lorsque la sonnette de l'entrée retentit. Il entendit des murmures dans le couloir et tendit l'oreille pour savoir ce qui se racontait. Son cœur fit un bond dans sa poitrine quand la visiteuse raconta à Alexa qu'un intrus avait fait irruption dans la résidence la veille au soir et qu'il l'avait suivie, elle et son amie. Jentrelle comprit immédiatement que cette mégère parlait de lui. Avait-elle pu l'identifier? Peu importait à vrai dire. En cas de problème, il lui suffirait de l'évincer de sa route tout simplement. Ce n'était pas une vieille bonne femme comme elle qui allait chambouler le cours de l'univers!

Soudain, Jentrelle ressentit d'étranges picotements aux extrémités de ses doigts, puis sa perception des sens se brouilla et il se sentit terriblement abattu. Il vit son reflet dans le miroir juste en face de lui, et ce qu'il aperçut l'horrifia. Il avait l'impression d'être face à un inconnu, un vieillard d'une centaine d'années.

« Que m'arrive-t-il? » se demanda-t-il. Puis il comprit que c'était les conséquences de ses voyages à répétition. L'eau de la fontaine n'aurait donc qu'un effet limité? Il devait partir d'ici au plus vite et regagner au pas de course la place Stanislas. Y arriverait-il dans son état? Et comment y parvenir sans se faire remarquer?

4. La découverte

Quand Alexa entendit la sonnette de l'entrée, elle bougonna. Elle et Laura ne s'étaient endormies qu'au petit matin, drapées d'une épaisse couverture pour leur tenir chaud, blotties sur le sofa. Encore sous l'emprise du sommeil, la jeune femme s'était levée d'un pas lourd, puis était allée répondre. Son visiteur matinal n'était que madame Toussaint, encore vêtue de sa robe de chambre. Que lui voulait-elle un samedi matin? Sa voisine s'empressa de lui raconter qu'un étrange individu s'était introduit la veille au soir dans la cour de l'immeuble. Alexa, à peine réveillée, ne réagit pas immédiatement au discours de son interlocutrice et lui répondit par un bâillement qui vexa Françoise Toussaint.

— Surtout, n'ayez pas peur de le dire que je vous ennuie avec mes histoires! s'indigna cette dernière. Je vous rappelle cependant que vous êtes directement concernée.

— Cela n'a rien à voir avec vous, madame Toussaint. J'ai passé une très mauvaise nuit et j'ai peu dormi. Je suis simplement très fatiguée et vous venez de me réveiller en plein sommeil.

Alexa n'avait pas envie de lui expliquer qu'elle et Laura s'inquiétaient de la disparition de leur collègue, car elle savait que sa voisine se lancerait dans un long discours à n'en plus finir sur les kidnappings ou quelque chose du style et qu'elle en profiterait, comme à son habitude, pour s'incruster chez elle. Françoise Toussaint ignora la réponse d'Alexa et poursuivit :

— Alors, qu'allons-nous faire avec cet individu?

— Mais de quel individu parlez-vous?

— Vous n'écoutez donc pas ce que je vous raconte! maugréa-telle.

— Que se passe-t-il? les interrompit Laura qui arriva les cheveux en bataille et de gros cernes sous les yeux.

— Vous n'êtes pas seule? s'étonna la voisine en haussant un sourcil.

— Moi qui pensais que vous passiez votre temps à surveiller l'immeuble! riposta Alexa, ironique. Vous n'avez même pas remarqué que j'avais de la visite hier soir?

Madame Toussaint prit un air pincé et haussa les épaules.

— Oh, mais j'ai très bien vu que vous n'étiez pas seule, mais je pensais que votre visiteuse était repartie entre temps.

— Apparemment non, répondit sèchement Alexa. Si vous nous expliquiez maintenant qui est le rôdeur dont vous parlez.

— Justement, je n'en ai pas la moindre idée, reprit la vieille femme en oubliant les remarques piquantes de son interlocutrice. Lorsque vous êtes sortie hier soir avec...

— ... mon amie, compléta Alexa.

— ...au retour de votre escapade de je ne sais où... quelle idée d'ailleurs de sortir sous une pluie battante glaciale, ne put-elle s'empêcher d'ajouter, enfin bref, pour en revenir à notre conversation, hier soir quelqu'un vous a suivie et s'est faufilé dans la cour. Cet individu peu catholique a passé une bonne partie de la nuit à surveiller votre appartement, puis il est reparti ce matin à l'aube.

Alexa était éberluée par ce qu'elle entendait.

— Vous êtes certaine de ce que vous avancez?

— Vous oseriez mettre ma parole en doute? s'exclama madame Toussaint, outrée. Ah ces jeunes, pas une once de respect à l'égard de ceux qui tentent de les aider!

Alexa se demandait ce qui la retenait de ne pas envoyer paître sa détestable voisine. Elle n'appréciait pas les piques que cette vieille pie lui lançait innocemment. Heureusement qu'elle la connaissait bien et qu'elle avait appris à prendre sur elle-même afin de ne pas créer un scandale au cœur de la résidence. Elle ne fit pas attention à ses propos et demanda :

— De quoi avait l'air cet individu?

— Pour le peu que j'en ai vu, c'était un homme de très grande taille au visage buriné.

— C'est tout?

— Dois-je vous rappeler que nous n'avons qu'un malheureux lampadaire dans la cour pour tout éclairage nocturne? Sans oublier qu'il tombait des trombes d'eau!

— C'est vrai que la visibilité était réduite. Et vous n'avez jamais rencontré cet homme avant?

— Pas que je sache, sinon je m'en souviendrai. Sa taille ne passe pas inaperçue.

— Je me demande qui cela peut-il être? s'interrogea Alexa. En tout cas, je vous remercie beaucoup de vous être déplacée pour m'informer de cet incident.

— Entre voisines, c'est normal.

Alexa grimaça un sourire et n'avait désormais plus qu'une hâte : se débarrasser de madame Toussaint au plus vite. Mais la vieille femme resta postée devant sa porte, puis, mielleuse, demanda :

— Vous n'auriez pas une tasse de café à tout hasard? Ma cafetière vient de rendre l'âme et je ne sais...

— Je suis désolée, la coupa Alexa, mais je n'ai encore rien de prêt et j'ai un emploi du temps très chargé aujourd'hui. Mon amie et moi-même devons rejoindre au plus vite la Pépinière. Nous sommes attendues.

Alexa fit mine de fermer la porte et lui dit, souriante :

— Au revoir... Françoise.

La dernière parole d'Alexa eut pour effet de ravaler la colère de la voisine qui se sentit flattée d'être appelée par son prénom. Elle se retira sans faire d'histoires.