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Beschreibung

Découvrez un nouveau numéro en version numérique de la revue littéraire belge Marginales

Assistons-nous à la projection d’un remake de « La grande Illusion » ? Admettons qu’un tiers d’année depuis son élection, le président français nous en fait voir de toutes les couleurs. Ce n’est sans doute pas étranger à ses intentions, de la part d’un penseur acquis au simultanéisme, dont le syntagme favori est « en même temps », et qui devient du fait de ce brouillage involontaire aussi insaisissable que le furet. La politique, on le sait, ne fait pas dans la dentelle, et les mailles tour à tour à l’endroit et à l’envers du nouveau capitaine de la France ne s’accommodent pas de la dictature du tweet que pratique son confrère yankee qu’il a diverti récemment en l’invitant à un régal à sa mesure : un défilé de soldatesque.

Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique de la politique d'Emmanuel Macron avec des écrivains comme Jean-Louis Lippert, Françoise Pirart ou encore Catherine Deschepper.

À PROPOS DE LA REVUE

Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit Collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.

LES AUTEURS

Jacques De Decker; Marianne Sluszny; Jean-Louis Lippert; Alain van Crugten; Marc Guiot; Chantal Boedts; Marc Meganck; Alain Dartevelle; Jean-Marc Rigaux; Alain De Kuyssche; Claude Javeau; Françoise Pirart; Hermine Bokhorst; Jean-Baptiste Baronian; Catherine Deschepper; Michel Torrekens; Philippe Remy-Wilkin; Daniel Simon; Christo Datso; Thomas Deprijck; Corinne Hoex et Jean-Pol Baras.

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Éditorial

Jacques De Decker

Assistons-nous à la projection d’un remake de « La grande Illusion » ? Admettons qu’un tiers d’année depuis son élection, le président français nous en fait voir de toutes les couleurs. Ce n’est sans doute pas étranger à ses intentions, de la part d’un penseur acquis au simultanéisme, dont le syntagme favori est « en même temps », et qui devient du fait de ce brouillage involontaire aussi insaisissable que le furet. La politique, on le sait, ne fait pas dans la dentelle, et les mailles tour à tour à l’endroit et à l’envers du nouveau capitaine de la France ne s’accommodent pas de la dictature du tweet que pratique son confrère yankee qu’il a diverti récemment en l’invitant à un régal à sa mesure : un défilé de soldatesque.

Avec son collègue de l’autre camp de ce qu’on appelait la « guerre froide », il a adopté un style différent. Le hasard a bien fait les choses : une évocation de Pierre le Grand occupant le palais de Versailles, il y a promené Vladimir Poutine. Cette façon finement ourdie de pratiquer une diplomatie à grand spectacle et aux registres contrastés lui a valu, dans un premier temps, un état de grâce qui, pour être plus court que d’ordinaire, transgressa les frontières de l’hexagone. La France n’aime rien tant que voir redoré son blason et elle en avait bien besoin, provoquée par la stupidité du Brexit et les démonstrations discrètes mais fermes d’Angela Merkel.

De cet épisode qui avait l’ampleur d’une ouverture d’opéra – la déambulation de quatre minutes chrono autour de la pyramide du Louvre en avait été le coup de cymbales inaugural – on pouvait déduire que le sixième successeur du Général savait où il mettait les pieds, du moins dans le registre des fastes et des pompes.

Il serait facile de s’en tenir là. Et, sous le coup du contraste entre le symbolique et le quotidien, se satisfaire de l’adage paradoxal selon lequel qui peut le plus ne peut pas nécessairement le moins. D’autant qu’en l’occurrence, le moins n’en est pas un : un chef d’État en est d’abord l’organisateur et pas seulement le préposé aux fêtes. Bercés par le spectacle, les Français ont été dégrisés lorsqu’on est passés aux choses concrètes. Or, là aussi, le futur président avait joué franc-jeu. Son livre, d’abord, dont le titre « Révolution » n’avait pas été compris parce qu’il prenait le terme dans son sens initial non encore déformé par ses applications pratiques ; ses déclarations publiques ensuite, avaient été longtemps négligées tant il ne semblait pas, vu son âge et sa dégaine, réellement crédible ; ses références enfin n’avaient pas été vraiment saisies, qu’elles fussent philosophiques – donc réservées aux initiés – ou économiques, donc par définition suspectes à l’opinion, en raison d’une scandaleuse démocratisation insuffisante du savoir prioritaire aujourd’hui, qu’on le veuille ou non.

Bien avant qu’il ne mette en branle son processus d’accession au pouvoir, qui a frappé par sa vélocité et son efficacité, celui qui ne devait se considérer comme un candidat possible que dans ses rêves avait formulé dans la revue « Esprit », dès 2011, une réflexion que « le Monde » a reproduite moins de trois semaines après son élection. Intitulée « Les Labyrinthes du politique », il y formulait clairement quelques questions portant sur la gestion du temps dans l’action politique. Il y posait que « la réponse à l’urgence implique une forme d’action politico-médiatique dont l’efficacité est réduite », ce qui est « d’autant plus vrai que les urgences relèvent souvent de problèmes structurels complexes à traiter et qui nécessitent des actions de fond ».

Lucide sur la « schizophrénie » que cela pouvait engendrer, il ne dissimulait pas le risque qu’il y avait à voir et à promettre trop loin quand le temps, lui, n’attend pas, et exprimait cette appréhension dans des termes on ne peut plus clairs : « une fois l’élection passée, la réalité arrive, les changements surviennent et l’application stricte des promesses, si elle a un sens politique (…), peut conduire à l’échec ou à des aberrations ». Quelque temps avant l’élection de François Hollande, qui allait par deux fois faire appel à lui, il précise qu’« on ne peut ni ne doit tout attendre d’un homme », que « l’action politique nécessite ensuite l’animation permanente du débat ».

Ces débats, dès la rentrée, n’ont pas manqué. Celui qui se voulait, pour des raisons que ses réflexions préalables éclairent, le « maître des horloges » a été tenu de sortir de la réserve qu’il s’était imposée, et a accordé l’entretien gigantesque au « Point » qui restera un modèle du genre (et auquel son meilleur ennemi Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas privé de répliquer avec la même ampleur dans « Marianne ») parce qu’il y faisait la brillante démonstration du caractère profondément réfléchi de son action.

Il en appelait à une nouvelle « héroïsation » de l’Histoire, idée que contenait déjà son article d’« Esprit » lorsqu’il y disait que « contrairement à ce qu’affirme une critique postmoderne facile des « grands récits », nous attendons du politique qu’il énonce de grandes histoires ». Visiblement, Macron est un visionnaire de la politique, un idéologue au sens innocent du terme, ce qui, par nos temps issus de l’effondrement des idéologies a quelque chose d’intempestif, de provocateur même. Dans l’article d’« Esprit » il était des plus explicites d’ailleurs : « Seule l’idéologie permet de remettre en cause l’entêtement technique, la réification d’états de fait ; seul le débat idéologique permet au politique de reposer la question des finalités, c’est-à-dire la question même de sa légitimité, et de penser son action au-delà des contraintes factuelles existantes ».

Ce texte important, Macron le ponctuait avec une expression révélatrice, celle de « naïveté assumée ». C’est cette naïveté qu’on lui récuse aujourd’hui, préférant voir dans sa démarche le fruit d’une stratégie calculatrice, voire cynique. Or, il ne s’agit probablement pas de cela. Le parcours qui l’a conduit à la position « jupitérienne » qu’il occupe actuellement est plutôt comparable à une quête initiatique. Il s’est retrouvé à divers postes qui, en toute logique, auraient été considérés par d’autres comme de plus qu’enviables aboutissements. Ils apparaissent plutôt comme des épreuves, des étapes d’apprentissage qu’il a jugées nécessaires afin d’acquérir la maîtrise de cet improbable dispositif qu’est la gestion d’un État au XXIe siècle.

Car quelles sont les pierres d’achoppement auxquelles se heurtent les candidats à cette mission impossible dont la métaphore cinématographique suppose un déploiement d’effets spéciaux qui transcendent les facultés humaines ? La maîtrise d’un appareil politique qui n’a cessé de se complexifier, la connaissance intime d’un mécanisme économique qui est la principale source d’alimentation financière de cet appareil, et la communication avec le collectif humain constituant la société dont on occupe la conduite.

Rien que l’énumération de ces défis dont la combinaison fait penser à ces visions d’Escher où l’on ne sait jamais quand les oiseaux deviennent poissons ou le contraire, ni si les escaliers mènent vers le haut ou vers le bas, esquisse le casse-tête auquel le pianiste-écrivain-philosophe dont nous parlons est confronté et dont, à la différence de certains de ses prédécesseurs, il a parfaitement mesuré les défis. Qu’il commette des bévues ou que des lapsus lui échappent est presque rassurant : c’est l’effet Tournesol qui n’épargne aucun esprit particulièrement exercé…

L’ensemble des textes que rassemble ce numéro est un florilège de réflexions poétiques et de récits spéculatifs qui témoignent de la façon dont les conteurs – tous belges – ont perçu, presque à chaud encore, ce personnage dont on sait déjà qu’il est appelé à prendre, par sa jeunesse, sa singularité, son charme, la vitesse de son ascension et son évidente réponse à une vocation indéniable, sa place dans la légende.

Le caractère improbable de son parcours conduit forcément à se frotter les yeux, à craindre que le carrosse se transforme en citrouille, à appréhender les lendemains qui déchantent. La politique est tombée souvent si bas que l’on ne peut s’empêcher d’estimer que lorsqu’elle se distingue de l’ordinaire, elle ne soit qu’un leurre. En plus, l’heure est au nivellement, au scepticisme, à la démythification, certainement pas à la célébration, la critique ayant plus que jamais la cote, mais sans appoint de raison ni de méthode.

Une chose au moins est sûre : revoilà de l’esprit soufflant en politique. Le directeur de la revue qui a placé ce beau mot à son fronton, Olivier Mongin, ne s’y est évidemment pas trompé, posant que nous nous trouvons devant « un évènement historique qui trouble et fait rupture, que cela plaise ou non ». Rappelant dans le même article (Le Monde, 27 mai) que celui dont la position non orthodoxe sur la dette grecque avait été saluée par Yanis Varoufakis et dont la candidature avait été soutenue par Jürgen Habermas affrontait « une histoire à réinventer dans un temps de la post-histoire », en tentant de situer la barre là où il estimait qu’elle se trouvait. À une hauteur qui peut passer pour illusoire, c’est vrai. Mais à quoi, au fond, aspirons-nous d’autre ?

Jacques De Decker

24 septembre 2017

Et Meso ?

Marianne Sluszny

Ce 17 avril 2017.

J-6 avant le premier tour de l’élection présidentielle.

L’aveu de Micro, quidam.

J’ai tiré une seule fois. La balle a percuté l’homme en plein crâne. Elle a eu raison de sa grande gueule. J’ai remballé mon flingue et dévalé l’escalier de secours de l’immeuble. J’ai sauté dans l’auto planquée dans la cour intérieure et pris le large. J’ai rempli mon contrat. Je suis l’assassin de Nicodème Dubois Gnangnan, un des candidats à l’élection présidentielle. Rien de plus facile après trente ans d’exercices à mon club de tir sportif. D’ici quelques petites minutes, mon commanditaire saura que j’ai réussi. Il n’a rien voulu me dire de ses motivations. Cela m’est complètement égal. L’important c’est le fric qu’il versera sur un compte off-shore aux îles Caméléon. Et la vie que je pourrai y avoir.

Je ne me fais pourtant pas d’illusions. Ce ne sont pas la plage et les cocotiers qui me rendront aimable et séduisant. Je suis laid, d’une laideur qui n’a même pas un iota d’intérêt. De plus, j’ai l’humeur toujours sombre, le caractère bilieux. Je n’ai jamais attiré une femme. Je mesure un mètre 55 avec des semelles compensées.

Enfant, j’étais la tête à claque de l’école. Microbe au micro, hurlaient mes condisciples à la récréation… C’était hier.

Macron président, crient aujourd’hui les ouailles du probable futur patron de l’Élysée. Je hais ce type. Tant qu’à faire, c’est lui que j’aurais aimé exécuter. J’aurais joui de démolir la belle petite figure de ce blanc-bec. Déjà qu’il la ramène avec son prénom : Emmanuel, Dieu avec nous.

En marche ! Comme Jésus sur les eaux de la mer morte.

En marche ! Vive le mouvement ! Vivent les golden-boys auxquels tout sourit. Qui peuvent parce qu’ils veulent. Qui obtiennent parce qu’ils décident. Des mois qu’on nous gave avec l’alpiniste Macron et son irrésistible ascension. Avec sa magnanime, jeune et lumineuse réussite ! À bas les vieux cons, les gris souris, les sans-grade ! « Les gens qui ne sont rien ». Comme c’est indécent d’être en bas de l’échelle. Comme c’est laid d’être pauvre.

Emmanuel, lui, il est riche. C’est un homme d’affaires et un banquier. Il est maître de la macrofinance du pays. Il s’est acoquiné avec Rothschild et les adorateurs du veau d’or. Je n’invente rien. C’est France La Marine, ma préférence pour occuper la fonction de Maréchal, qui l’a expliqué lors du dernier meeting du Franc National.

Oui, j’aurais bien zigouillé Macron mais ce n’était pas dans le cahier des charges de mon commanditaire. J’ai senti qu’il comptait beaucoup sur le virtuose de la marche pour la suite. Il a juste donné une explication à ma mesure, précisant le manque d’intérêt à faire disparaître un candidat menu fretin et l’impolitique de s’en prendre aux gros poissons du bassin de la démocratie.

Aux îles Caméléon, je mangerai des produits de la mer. Je les adore car ils n’émettent aucun son. C’est le top pour un homme d’images. Car jusqu’à l’événement du jour, j’ai pratiqué un métier de l’image. J’ai passé ma vie l’œil rivé à un objectif de caméra. Je n’ai été qu’un valet. Un obscur, obéissant aux ordres des autres, ces chefs d’équipe qui hurlent dans l’oreillette du casque… plan rapproché, plan moyen, plan large… avance, recule, zoom, tout de suite, plus vite…

Ma nouvelle vie, ce sera quand même la récré. Dans un univers insonore ou plutôt dépourvu de sons insanes, humiliants et agressifs. Loin du brouhaha des préaux de mon enfance dont les résonances venimeuses assourdissent encore mon ouïe d’homme cassé. Loin de la médiocrité du quotidien.

Plus besoin de m’arracher du mauvais sommeil le matin. Fini les klaxons dans les embouteillages. Adieu la boîte de conserve du soir, cette pâtée mal réchauffée, engloutie sans un regard pour les ingrédients, les mirettes aimantées par l’intérieur du cadre télé. Et enfin du fric pour me payer des femmes et du bon temps.

Je le mérite. Je le répète. Cela me fait du bien de le dire. J’ai rempli mon contrat.

Ce 18 avril 2017, matin.

Jour – 5 avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Dans la tête de Méso, journaliste à DiffuseParticipe.

Dubois Gnangnan est mort. Le politicard qui criait Debout la France est à terre. Le pays est en état d’alerte maximale. Cette formule ne veut plus rien dire. La France est avalée par la pieuvre. La lave incandescente coule à flots du volcan de la peur.

Il n’y a pas une minute à perdre. J’attends les contributeurs du journal, certain qu’ils seront nombreux à remuer leurs plumes virtuelles dans l’encre rouge de l’esprit contraire. Même s’il y a eu mort d’homme, il va falloir provoquer, choquer, polémiquer… Ce n’est pas pour ronronner que j’ai quitté un haut poste dans un quotidien de la presse alignée du pays.

Se démarquer, c’est notre fonds de commerce, notre mode de pouvoir, notre cran d’arrêt contre ceux qui s’engraissent de la récupération des crimes.

La plupart des candidats y ont déjà été de leur couplet. France La Marine a déversé ses ordures sur les immigrés. Fleury Gronchon (mon favori) a chanté son oratorio en (île) de ré majeur : Sauvagerie du capitalisme et capitalisme de la sauvagerie. Finifilou a replié ses costumes. Macron ? Ses paroles furent taillées sur mesure comme son réversible veston. Il représente désormais le seul avenir du pays, celui qui va monter au Capitole, à la fois Jupiter et roc inexpugnable. Junon (sa femme/sœur) et Minerve (son indispensable déesse de la stratégie, de l’industrie, de la pensée « élevée » et des lettres…) accompagneront. Pour l’à venir du pays…

J’aime surprendre. J’ai pourtant annoncé que si Macron passait au 2e tour, j’appellerais à voter pour lui. Pour lui ? Contre France La Marine et contre l’abstention.

Si Macron passait… Le conditionnel, c’est pour avoir du style. Car il est évident que Jupiter sera le prochain président de la République. Alors, autant avoir l’air beau prince et faire sonner trompette dans la gamme « front antifasciste ». Advienne que pourra…

Je sais m’entourer. Je m’y connais pour maîtriser les codes actuels de la critique. Je pincerais les cordes pour rendre audible le dièse du soupçon ou le bémol de complot. Juste un demi-ton, affaire de se montrer plus fin que les autres mais l’esprit blanc de toutes traces de délire.

En avant ! En marche ! Macron, c’est le champion olympique de la marche. À croire qu’il a appris à parler avec ses pieds. Quelques phrases bien ficelées et voilà que les foules lui emboîtent le pas. Dubois Gnangnan n’était même pas refroidi que le thermomètre est monté d’un cran dans les chaussures des marcheurs.

Mais, oui mais…

La fièvre et les ardeurs de tous, Tous ensemble, vont devoir se tempérer.

Le retour à la case départ est annoncé. La loi de 1976 est claire : « Si avant le premier tour, un des candidats décède, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection ». Pour combien de temps ? Nul ne le sait encore… De toute façon, ce sera pour longtemps. Jamais assez pour moi et beaucoup trop pour d’autres…

Mes pauvres amis libraires ou éditeurs…

Leurs lecteurs se sont fait rares depuis des mois. Les dévoreurs d’écrits se sont laissés bouffer par les écrans. Les chiffres d’affaires du papier partent en fumée. Les boutiques et les maisons attendaient avec impatience la fin de la grande flambée électorale. C’est partie remise. Les liquidations judiciaires ? Elles n’attendront pas pour commettre leurs autodafés.

Mes pauvres copains/rivaux/ennemis de la presse écrite et surtout des métiers de l’audiovisuel…

Épuisés qu’ils sont d’être depuis des mois nourrisseurs de spectacles de masse. Avalés par la spirale des suppléments et des compléments. Éditions spéciales et quotidiennes de JT, débats contradictoires et consensuels, documents chocs qui font ronfler.

La période se décline en multiple et au carré. Et avec le meurtre de Nicodème, ce ne sera pas demain la Saint Nicolas. C’est plutôt l’ébullition finale. Le petit écran implose de clichés. La terreur explose la République. Daesh broie le cœur de la démocratie. Incroyable ! La piste aux étoiles ne laisse aucune place pour le doute sur l’origine du crime. Encore un bourrage de crâne de la bien-pensance néolibérale, voire – je ne l’écrirai pas maintenant, il faut que je ménage mes effets et mon sens payant du scandale –, un coup pour conforter l’idée que la guerre à notre civilisation judéo-chrétienne est plus offensive que jamais. J’en suis certain… Une fois élu, Macron fera du gringue à Madame Merkel (soit), à Donald Duck et qui sait, à Benito Netamiaou. Gauche-droite toutes griffes dehors !

Mais un peu d’éveil que diable ! Le coup porté au candidat pseudo-gaulliste ne pourrait-il pas être le fait d’un de ces exilés des banlieues que la République des colons ravale au rang d’indigène ? Ou d’un vieux bébé trop français et trop gâté qui s’ennuie dans son loft de richard ? D’un jeune coloré qui n’est plus du bled et dont seuls les papiers indiquent qu’il est français ? Ou d’un jeune homme bleu blanc rouge qui étouffe dans le carcan de ses ancêtres de Navarre ? D’un gars qui n’a plus de boulot ? Ou d’un qui en a trop ? D’un pauvre type qui perd la boule parce que sa femme l’a quitté ? Ou d’un mec qui n’arrive pas à quitter sa femme ?

Personne n’ose, ne se permet d’envisager ces hypothèses. Elles sont politiquement incorrectes. Le crime ne peut être que le fait du terrorisme islamiste. Et le pays, en état d’exception, est la règle définitive qui s’impose. Pourtant l’attentat n’a pas été pas revendiqué. D’évidence, il n’est pas l’acte d’un kamikaze. L’enquête n’a pas encore été ouverte…

Et alors, qu’est-ce que cela prouve ? Et alors ? Et alors ?…

Alors, Zorro est sur le point d’arriver. Même avec un ralenti sur son projet de gouvernance 2.0. Il viendra. Et il va nous empoigner, nous ficeler et nous jouer un air de banjo. Zorro Macron, pas sur deux mais sur toutes les chaînes télé. Et qu’importe qu’il n’ait ni cheval, ni chapeau. Il a le lasso. Pour rassembler les patriotes, les vrais patriotes, ceux qui se laissent enchanter par ce roi Merlin qui promet de réconcilier la norme et la nouveauté, le capital et le travail, le marketing et l’artisanat, les multinationales et le petit commerce, les non encartés et les briscards de la politique, le gouvernement de la société civile et le règne du pouvoir par ordonnances, la banque et le troc, le loup et l’agneau, les vilaines casseroles et la bonne cuisine…

Cherchez l’erreur… En fait, j’envie son art de surfer sur les contradictions.

Ce 21 avril 2017.

Jour – 2 avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Dans la tête de Macro, directeur général adjoint aux marques et à la diversification d’une incontournable chaîne française de télévision privée.

Quelqu’un l’a vu quand il a tiré. Le signalement a indiqué que le présumé coupable ne mesurait pas davantage qu’un mètre cinquante et affichait sale gueule. Mais pourquoi donc cet imbécile est-il sorti de sa piaule la veille de son départ aux îles Caméléon ? On l’a tout de suite reconnu. C’est pas sorcier quand vos traits à peine caricaturés apparaissent sur tous les écrans du pays.

Heureusement, le microbe ne parlera pas. La police l’a abattu lorsqu’il essayait de prendre la fuite. Tant mieux. Mission accomplie.

Sans remords. Micro était un homme sans importance. Et il n’avait qu’à être plus futé. On ne peut pas faire le bonheur des autres malgré eux.

Sans remords. Dubois Gnangnan était un faux jeton. Méso m’avait confié (de source sûre), que le patron de Debout la France, le petit Saint NdG, comptait rallier France La Marine au second tour de la présidentielle.

Quel comédien ! Je le vois encore dans son rôle du 18 mars. Celui qui endosse l’indignation des braves avec la spontanéité du cœur et l’irrépressible coup de grogne…

Sous l’œil de la présentatrice impuissante et des téléspectateurs médusés, Nicodème Dubois avait quitté le plateau du journal télé. C’était sa scène magistrale de la protestation. Car, il n’avait pas été invité au spectacle des candidats que notre antenne allait donner deux jours plus tard. Oui, nous avions attribué audience préférentielle à la bande des quatre.

Quel prétentieux merle ce Dubois Gnangnan ! Et donneur de leçons avec cela : Je souhaite que par mon geste, votre chaîne renoue avec la démocratie… On ne peut pas se laisser voler la présidentielle… Il n’y a pas de grands candidats et de petits candidats, pas de grands et de petits Français… Au nom de millions de Français… j’ai le devoir de quitter votre plateau…

Formidable qu’il avait été. Exceptionnel. Merci infiniment. Pour les coulisses de l’exploit dévoilées quelques heures plus tard : 13 millions de vues pour la vidéo et 320 000 partages sur les réseaux sociaux…

C’est cette annonce de résultats qui m’a chamboulé l’esprit.

Vous rendez-vous compte de ce qu’est mon boulot ? Je suis constamment entre le marteau et l’enclume. La pression quotidienne du directeur général, plus, toujours plus de résultats qu’il veut… il ne m’a pas désigné ou plutôt élu pour que le bilan financier de l’entreprise stagne… Et 25 personnes qui travaillent sous mes ordres, moi le directeur adjoint aux marques et à la diversification, 25 personnes dont la moitié traîne les pieds, usés qu’ils sont avant l’âge, au bord du burn-out, avec des médications pour manager leur gouvernance et obéissance, oui, une pilule le soir pour dormir, une pilule le matin pour fonctionner, une pilule le midi pour digérer. Car leur programme est lourd : développer les revenus, motiver les publicitaires, offrir de nouvelles perspectives aux annonceurs, valoriser, monétiser, budgétiser, commercialiser et surtout communiquer.

Dois-je encore faire un dessin ? La clé du fonctionnement de cette moulinette, c’est l’audience. Et depuis quelques semaines, nous buvons de petit-lait. Car tous les paramètres de l’audimat affichent pleine santé. Le fil tendu à se rompre s’est assoupli. De timides sourires ont refait surface sur les visages de mes collaborateurs. Les voilà qui se sont mis à organiser des drinks pour prendre le temps d’échanger leurs inédites et fructueuses stratégies. Oui, cette campagne électorale est du pain bénit. À ne pas rompre sous peine d’inéluctable rechute financière.

Macron président ? Il le faut absolument. Pour réformer le Code du travail qui pèse sur les patrons. Pour libérer le privé de ses paralysantes contraintes. Le style mains de fer et gants de velours de Manu ? C’est vraiment la classe pour valoriser notre distinction et nos privilèges.

Oui, Macron président… J’étais certain qu’il trouverait les mots pour emballer la populace après l’assassinat de Dubois Gnangnan.

Certain aussi qu’un impromptu coup de frein dans sa marche serait tout bénéfice. Reculer pour mieux sauter. Le courage incarné.

J’étais illuminé. Je savais que prolonger le temps miraculeux du préélectoral était sans risque politique. Et c’était un devoir, un impératif, une injonction économique… La saignée spectaculaire d’un candidat enrichirait le sang de mon entreprise et de la France.

Il a fallu que je déniche mon bras armé. Quelqu’un d’insoupçonnable. Un homme dont on ne remarquerait même pas la disparition…

Et voilà que la police a débarqué dans nos locaux. Tintamarre à tous les niveaux. Et les collègues de Micro ont été interrogés.

Heureusement, l’enquête serait au point mort. Pourtant, je ne suis pas tranquille. Car j’ai commis une erreur.

Quand on est directeur, même adjoint, on porte un beau costume et on ne fréquente pas les gens qui ne sont rien. Pour trouver mon relais, j’ai alors frappé à la porte de celui dont la fonction est de simuler un intérêt pour ceux qui font beaucoup mais ne sont rien : mon directeur des ressources humaines.

Quel con j’ai été ! Je lui ai demandé des dossiers concernant les techniciens qui travaillent en studio. J’ai fait mine de vouloir/devoir connaître leurs profils pour, c’était de bonne politique, les remercier pour le travail fourni. Et les encourager à poursuivre.

Quel con j’ai été ! Je ne peux prendre le risque qu’il me soupçonne. C’est dans l’intérêt de tous. Le contrat social, je connais… Mais je n’ai pas lu que de la philo. Le polar m’a appris que le crime engendre le crime. Qui sera mon bras armé demain ? L’intérêt de la nation est en jeu. Une vie humaine ne vaut pas grand-chose quand le pauvre bourricot de monde dépend de vous pour tourner en rond.

Sens interdit

Anatole Atlas

L’Atlas vient de faire signe aux cerveaux amnésiques d’Acéphalopolis, en exhumant de son djebel Irhoud le crâne du plus vieil homo sapiens (300 000 ans). Pendant que les vivants se résignent à l’amnesthésie programmée, notre ancêtre parle : il exige d’être baptisé Amen (eau en langue amazigh).

Depuis cette lointaine source, à travers de multiples méandres, Amen est mémoire d’une histoire ouvrant, par-delà tous les horizons, sur un océanique destin commun…

« Make our planet great again ». Qui mieux qu’Atlas pouvait-il ressentir le poids sur ses épaules d’une aussi grave sentence ? Décochée par Baby Mac en réponse à Killer Donald, elle fut saluée comme la preuve d’une force de frappe jupitérienne. La tour Panoptic célébrait un nouveau leader de l’Olympe, jugé le plus apte à servir les intérêts de Kapitotal. Dans cette compétition mondiale entre deux champions ayant conquis le titre suprême, sur chaque rive de l’Atlantique, par de peu communes constructions de situations, la victoire symbolique devait aller au plus situationniste…