Mystique - Tome 3 - Francine Labrecque - E-Book

Mystique - Tome 3 E-Book

Francine Labrecque

0,0

Beschreibung

Les amis se sont finalement évadés du monastère qui s’écroulait derrière eux. Grace, Gabriel et Laurence atterrirent dans un bayou où ils furent accueillis par Mademoiselle Ste-Croix, une vieille dame aux attitudes excentriques vivant seule avec un alligator.

Charlotte et Jared, eux, se retrouvèrent à l’intérieur d’une crypte en plein milieu d’un grand cimetière de la Louisiane. Ils firent la connaissance de vieux anges à la retraite dans le quartier français. Ils apprirent alors que leurs têtes étaient mises à prix et que plusieurs anges avaient déjà été retrouvés assassinés. Il fallait maintenant retrouver qui était responsable de cet horrible génocide angélique. Et Jared et Gabriel, maintenant devenus des êtres divins, étaient aussi dans la mire du meurtrier…



À PROPOS DE L'AUTRICE

Francine Labrecque écrit du fantastique, de la science-fiction, des contes et légendes, et de l’horreur. Elle a étudié à l’Institut national de l’image et du son à Montréal à titre d’auteure télé, et en Création littéraire à l’Université du Québec à Montréal. Elle écrit aussi pour la télévision et le cinéma.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 173

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

MYSTIQUE

 

Tome III : La Nymphe du bayou

 

 

Francine Labrecque

Paranormal

Illustration graphique : Graph’L

Images : Adobe Stock

Éditions Art en Mots

 

 

Chapitre 1

 

Même à cette heure matinale, le soleil était brûlant sur la peau. Les rayons pénétraient dans le bayou comme de longs filets de lumière qui plongeaient dans les eaux peu profondes. Le marais s’animait alors d’une faune diversifiée, des plus terrifiants alligators sur ses berges aux aigrettes blanches qui fendaient le ciel bleu avec grâce et élégance.

 

Grace avait peine à garder le rythme derrière Gabriel et Laurence qui lui ouvraient le chemin. L’humidité était déjà étouffante et des nuages de moustiques attaquaient sans retenue ceux qui osaient s’aventurer dans leur habitat. Le chemin qu’avait pris Laurence était un sentier peu entretenu, parfois inondé, parfois sec, qui semblait avoir été laissé à l’abandon depuis fort longtemps. Il fallait connaître le chemin pour le pratiquer au travers des racines et de la flore qui avait repris le dessus, sans compter les nombreuses espèces de reptiles et d’insectes géants y régnant.

 

Grace se tenait le bras à la suite de la blessure à l’épaule que lui avait infligée Charlotte lors du rituel au Tibet. Elle ne saignait plus, mais la plaie était ouverte et risquait de s’infecter s’y on n’y voyait pas rapidement. Gabriel était inquiet, mais, étant donné qu’il ne connaissait pas cet environnement, la prudence l’enjoignait de suivre Laurence et de lui faire confiance. Malgré son long imper, ce dernier semblait n’avoir aucune difficulté à suivre le sentier sans trop souffrir de la chaleur intense.

 

— Mais où allons-nous comme ça ? demanda Gabriel.

— Ne vous inquiétez pas. Nous trouverons de l’aide pour Grace, lui répondit Laurence sans se retourner.

— Alors, peut-être pouvez-vous me dire où nous sommes ? Enfin, si vous en avez la moindre idée.

— Ici, c’est la Louisiane, mon jeune ami ; la Nouvelle-Orléans, pour être exact. Je connais quelqu’un ; c’est tout près.

— Et où est Jared ? demanda Grace.

— Ne vous en faites pas pour lui. Il a dû prendre un autre chemin. Nous le retrouverons plus tard.

 

En effet, Jared et Charlotte avaient été vus la dernière fois ensemble au Tibet. Ils avaient franchi le miroir après Laurence, Grace et Gabriel, et semblaient avoir pris le même chemin. Ils n’avaient pas atterri au même endroit, mais ils ne devaient pas être loin.

 

Dans le lagon, après plusieurs minutes de marche, ils débouchèrent sur une petite clairière qui longeait les marécages. Une vieille cabane, placardée de panneaux d’acier ondulés et de vieilles publicités, semblait inhabitée. Mais une vieille dame en bottes de caoutchouc qui lui arrivaient aux genoux en sortit avec un seau à la main. Elle portait un chapeau de pluie jaune trop grand pour elle malgré le beau temps. Elle fit quelques pas vers le marais, mais s’immobilisa subitement, sentant leur présence.

 

— Laurence, mon ami ! fit-elle en se retournant vers le petit groupe.

— Mademoiselle Ste-Croix ! lui répondit ce dernier, les bras grand ouverts.

 

Grace et Gabriel se contentèrent de suivre Laurence sans l’interrompre.

 

— Ça fait longtemps ! lança-t-elle en brandissant sa chaudière.

— Pouah ! Mais quelle est cette odeur ? demanda Gabriel en se bouchant le nez.

— Ah, mon garçon, c’est le déjeuner de Skippy. Mais vous, jeune fille, dit-elle en apercevant la blessure de Grace, venez avec moi que je vous arrange.

 

La vieille demoiselle tourna les talons et leur fit signe de la suivre jusqu’à sa cabane. Grace hésita. Laurence lui fit signe de passer devant lui.

 

— Mademoiselle Ste-Croix est une amie de longue date, expliqua Laurence. Ne vous inquiétez pas.

— Oh, il faut fermer la coupure avant qu’elle ne s’infecte, dit celle-ci en faisant signe à Grace de s’asseoir sur une chaise de bois qui n’avait pas servi depuis belle lurette étant donné les nombreuses toiles d’araignée qui y étaient accrochées. La vieille dame disparut dans la cabane avec sa chaudière.

 

— Bien, dis donc, ça sent mauvais ! dit encore Gabriel en se pinçant le nez.

 

Laurence se contenta de sourire. Mademoiselle Ste-Croix revint avec une deuxième chaudière dans l’autre main. Elle mit cette deuxième chaudière près de Grace, mais continua son chemin jusqu’au marais à quelques mètres devant.

 

— Skippy doit toujours manger à la même heure, ou il est de mauvaise humeur, expliqua-t-elle. Et il a un sacré caractère !

— Votre chien n’en voudra sûrement pas, lui dit Gabriel qui se pinçait toujours le nez.

— Mon chien, non, mais Skippy, oui, lui répondit-elle en riant.

 

C’est à ce moment-là qu’un alligator surgit du marais, la bouche grande ouverte, devant la petite vieille qui ne sembla nullement impressionnée. Elle demeura bien droite, avec un sourire sans dents au visage et les yeux ricaneurs d’une femme qui avait beaucoup vécu.

 

— Allez, Skippy ! dit-elle à l’animal en plongeant sa main dans son seau.

 

Elle en ressortit des morceaux de viande pourrie vieux de plusieurs jours qui marinaient dans leur jus pour être bien à point. En décomposition avancée, la chair était maintenant prête à être servie. La vieille dame lança la viande à l’alligator qui gardait la gueule grande ouverte, habitué à ce rituel du matin. Puis, la gueule pleine, il disparut aussi rapidement qu’il était venu dans les eaux peu profondes du marécage.

 

— Un alligator ? Vraiment ? fit Gabriel en la voyant revenir vers eux.

— Oui, Skippy. Vous savez que les alligators sont des reptiles très anciens ?

— Mais ne sont-ils pas extrêmement dangereux ?

 

La vieille mademoiselle se contenta de passer près de Gabriel sans lui répondre. Elle se dirigea vers Grace.

 

— Allez ! dit la vieille dame en changeant immédiatement de sujet et en se tournant vers Grace. Laissez-moi voir votre blessure.

 

Mademoiselle Ste-Croix s’agenouilla près de Grace et examina la plaie un moment. Grace sonda du regard le visage plissé de la demoiselle qui n’avait pas de dents ni de dentiers, une peau de cuir ratatinée et des yeux bleu clair surprenants pour une personne de cet âge. Il était évident que Mademoiselle Ste-Croix avait toutes ses facultés et beaucoup d’énergie malgré sa petitesse et les années qui l’avaient marquée. Grace lui sourit. Mademoiselle Ste-Croix fouilla dans le deuxième seau et en extirpa une bouteille de whisky.

 

— Non, pas pour moi, fit Grace.

— Il n’est pas un peu tôt ? renchérit Gabriel.

— Le whisky, c’est pour Laurence, dit-elle en donnant la bouteille sans étiquette au vieil ange. Ma dernière cuvée !

 

Elle retourna ensuite au seau et prit des bandages, du fil et une aiguille courbée faite spécialement pour les points de suture. Elle mit un peu d’onguent sur la coupure.

 

— Cet onguent, que je fais moi-même, désensibilisera votre plaie. À première vue, quelques points de suture suffiront. Je banderai ensuite votre blessure.

 

Grace voulut grimacer de douleur quand Mademoiselle Ste-Croix plongea l’aiguille pour la première fois dans sa peau, mais elle fut surprise de ne rien ressentir. L’onguent semblait miraculeux. Son hôte lui fit quelques points, lava la peau tout autour, puis entoura son épaule d’un bandage de coton blanc.

 

— Et voilà ! Ce ne devrait pas être trop douloureux. Alors, Laurence, d’où arrivez-vous comme ça ?

— Des plus hautes montagnes du Tibet, lui répondit-il en débouchant la bouteille et en prenant une gorgée.

— Et qui sont ces jeunes gens ? demanda Mademoiselle Ste-Croix en pointant Grace et Gabriel.

— Oh ! mes excuses, vous n’avez pas été présentés : voici Grace, et ce grand gaillard, c’est Gabriel.

— Enchantée, mes enfants.

— Vous habitez seule dans cet endroit ? demanda Gabriel en tirant sur sa chemise qui collait à sa peau à cause de l’humidité.

— Depuis bien longtemps, oui. Mon père chassait les alligators quand j’étais petite et je n’ai jamais pu quitter mon marais.

— Drôle d’endroit, quand même ! commenta Gabriel en examinant la flore tout autour.

 

Mademoiselle Ste-Croix avait érigé sa cabane sur le bord des marécages avec un petit quai de bois d’où elle nourrissait les alligators et les oiseaux. Elle n’avait pas grand-chose et tout ce qu’elle ramassait ici et là y trouvait son utilité : des panneaux publicitaires comme toiture, de vieilles chaises et un banc de voiture pour s’asseoir pour profiter des après-midis, de vieilles carpettes aux fenêtres et même une vieille lampe couleur orangé des années 70’ avec un pied de métal chromé courbé qui servait de corde à linge.

 

— Vous ne vous ennuyez pas, toute seule dans cette forêt ? demanda Grace en ne voyant aucune autre habitation.

— Pas de voisin, pas de crétin ! lança Mademoiselle Ste-Croix avec un large sourire sans dents. Et puis, je vais faire mon petit tour en ville chaque semaine, histoire d’avoir les derniers commérages et de faire des provisions.

— Et on y va comment ? s’enquit alors Gabriel qui commençait à en avoir assez de se faire piquer par les moustiques voraces.

— Aaah ! fit la petite vieille en s’éloignant. Pour sortir d’ici, nous avons besoin de Louise !

Nos trois amis suivirent Mademoiselle Ste-Croix qui s’éloigna vers l’arrière de la cabane. Là, stationnée à un autre quai et caché par une végétation abondante, un bateau-moteur rouge flamboyant les attendait, équipé d’un moteur super puissant et d’un toit en toile kaki pour éviter les coups de soleil. Sur le côté de l’embarcation, le mot « Louise » était peint en grosses lettres blanches stylisées. Mademoiselle Ste-Croix sauta habilement du quai à l’embarcation, démontrant une agilité hors pair pour son âge, et leur fit signe de la suivre.

 

— Allez ! il n’y a pas de danger, leur dit-elle en voyant leur hésitation.

 

Laurence haussa les épaules en souriant et avala une autre gorgée de son whisky qu’il ne manqua pas d’apporter avec lui pour la route. Grace et Gabriel n’en revenaient pas de voir cette vieille demoiselle au volant d’une embarcation faite pour la course et pas pour les commissions du dimanche.

 

— Épatante, n’est-ce pas ? leur murmura Laurence en passant à côté de ses deux jeunes amis.

 

Aussitôt qu’ils eurent mis pied dans l’embarcation, Mademoiselle Ste-Croix tourna la clé et fit vrombir le moteur. En quelques secondes, ils étaient sur la voie navigable en route pour la ville.

* * *

 

Pendant ce temps, Jared et Charlotte atterrissaient devant un grand miroir aux décorations macabres et placé à l’intérieur d’une crypte. Au beau milieu, un caisson de verre protégeait une tombe mise bien en évidence avec des fleurs défraichies depuis longtemps sur son couvert. Il y avait également une photo de la défunte sur la tombe à l’intérieur du caisson, et le nom « Muguet de Bellefleur », une femme visiblement bien en vue et fortunée qui était décédée au début du siècle dernier. Elle avait le sourire figé de ces photos hollywoodiennes de stars des années 1930.

 

— Bien, dis donc, fit Charlotte en se relevant, l’atterrissage est toujours aussi dur ?

— Charlotte, mais qu’est-ce que tu fais ici ?

— Tu ne pensais pas que j’allais rester là-bas ! Tout s’écroulait sur ma tête !

 

Juste avant de traverser les miroirs, les murs du temple tibétain étaient sur le point de s’effondrer à la suite d’un tremblement de terre. Grace, Gabriel et Laurence avaient été les premiers à s’échapper, suivis de Jared et de Charlotte. Ils avaient tous réussi à s’enfuir et à sauver Grace alors que Lazar avait voulu la sacrifier pour libérer la déesse Chaos de sa prison en Enfer.

 

Charlotte se regarda un moment dans la glace en époussetant la longue robe noire qu’elle portait toujours, puis s’aperçut en grimaçant que le miroir était orné de crânes et d’ossements sculptés dans son contour.

 

— Pas trop joyeux, ce miroir.

— Mais très à propos, continua Jared en regardant autour de lui les murs de marbre blanc.

 

Comme la crypte n’avait pas été ouverte depuis bon nombre d’années, des toiles d’araignée et même de la végétation s’étaient infiltrées par les fissures du caveau. Seule la tombe avait été protégée par son couvert de verre et semblait venir tout droit du cimetière.

 

— Et comment on va sortir d’ici ?

— Par la porte, lui répondit Jared en pointant la porte de fer forgé également ornée de décorations baroques.

 

Jared se mit aussitôt à pousser sur la porte et elle s’ouvrit lentement en grinçant. La poussière et les rayons du soleil s’engouffrèrent aussitôt dans la crypte, ce qui fit éternuer Charlotte.

 

— Pouah ! Quelle chaleur !

 

Jared poussa encore plus sur la porte et tous deux se retrouvèrent en plein milieu du cimetière Saint-Louis, un cimetière où les cryptes et les caveaux avaient été construits en surface des siècles auparavant. À cette heure du jour, il n’y avait encore personne, et Jared et Charlotte purent sortir de la crypte sans être vus.

 

— Tu as une idée où nous sommes, Jared ?

— Oui. J’ai vu des photos de ce genre de cimetière, en Nouvelle-Orléans, je crois. Les tombes sont mises dans des cryptes en surface à cause du risque d’inondation. Je pense que nous sommes dans l’un d’eux.

 

À perte de vue, il y avait des sépultures faites de lattes de ciment ou de pierre polie, selon les moyens du défunt ou de sa famille, qui renfermaient les dépouilles. Sur de longues allées gazonnées, les cryptes ressemblaient à de petites maisons, d’où le nom bien connu de « Cité des morts » qu’on donnait à ces cimetières. Au pas des portes, des fleurs, des lampions et des offrandes étaient laissés en guise de respect pour les ancêtres. On dénotait aussi des bougies colorées à moitié consommées qui représentaient de saints catholiques qu’on laissait brûler pour demander des faveurs.

 

— C’est humide, dis donc ! dit encore Charlotte en essuyant la sueur sur son front du revers de la main.

— En effet, il fait très chaud en Louisiane.

— Et c’est où, la Louisiane ?

— Tu n’écoutais pas dans les cours de géographie, Charlo ? C’est près de la Floride. Tu te souviens de Katrina ?

— Non. C’est qui, celle-là ?

— C’est pas une fille ! C’est un ouragan qui a complètement dévasté la côte.

— Bon, bon. Ne t’énerve pas, Jared. Les cours de géo, ça m’ennuie, c’est tout. C’est comme les cours d’histoire… et la physique… La bio non plus, ce n’est pas mon truc…

 

Jared s’arrêta net, hors de lui.

 

— Si tu as l’intention de placoter comme ça pendant tout le trajet, je te laisse ici.

— En fait, où allons-nous comme ça ?

 

Jared ne sut quoi répondre. Il avait une bonne idée de l’endroit où il se trouvait, mais aucune idée pour le reste. C’est à ce moment qu’une silhouette attira son attention. Une jeune fille habillée de blanc les observait quelques mètres plus loin derrière une statue où plusieurs oiseaux s’étaient posés.

 

— Et puis, qu’est-ce que tu fais avec mon poignard ?

 

Jared s’aperçut alors qu’il avait toujours à la main le poignard qu’il avait dérobé à Charlotte pour sauver Grace. Il le mit aussitôt à sa ceinture sous son t-shirt.

 

— Ah non ! Il est à moi ! fit Charlotte en faisant une moue.

— Tu veux arrêter deux minutes ?

Jared ne voyait plus la jeune fille, et les oiseaux s’étaient envolés. Il scruta du regard les alentours à sa recherche. Il l’aperçut à nouveau au bout de quelques secondes, cachée derrière un arbre centenaire. Elle se redressa soudainement en voyant Jared qui l’observait.

 

— Mais qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda Charlotte, ne cachant pas son impatience.

 

La jeune fille sortit de sa cachette et vint vers Jared d’un pas lent, presque hésitant. Elle avait les cheveux coupés au carré aux épaules et de beaux grands yeux bruns. Elle portait une robe blanche qui lui allait aux genoux et qui reflétait le soleil étrangement, dessinant comme une aura de lumière autour d’elle.

 

— Approche. N’aie pas peur, lui dit Jared.

— Mais enfin, à qui tu parles ? demanda encore Charlotte.

— À la fille, là ! lui répondit Jared en pointant l’étrangère.

 

Mais Charlotte ne voyait rien devant eux.

 

— Tu peux me voir ? demanda la jeune fille à Jared.

— Bien entendu. Pourquoi ne pourrais-je pas le faire ?

— Parce que j’ai trépassé il y a longtemps.

 

Alors qu’elle était à sa portée, Jared voulut lui toucher l’épaule, mais sa main passa au travers de son corps.

 

— Je suis condamnée à errer dans ce monde.

— Condamnée ? Mais pourquoi ?

 

Se sentant complètement ignorée, Charlotte se planta devant Jared, effaçant du même coup l’apparition qui disparut dans l’air du matin.

 

— Charlo !

— Mais qu’est-ce que tu fais ?

— Tu ne la voyais pas ?

— Qui ça ?

— La fille !

— Non ! il n’y a personne, Jared ! Répondit-elle, exaspérée.

— Bien, ça alors…

 

Comme ils se trouvaient dans un cimetière, Jared pensa qu’il était normal d’avoir fait la rencontre d’un esprit. Mais qu’est-ce que cette fille voulait dire par « condamnée » ? Elle semblait bien triste malgré qu’elle soit entourée d’une aura lumineuse. Jared comprit qu’il la voyait parce qu’il était mystique et, sûrement, un ange pouvait voir un esprit. Cela expliquait aussi pourquoi cette apparition semblait si surprise d’être vue, elle qui devait errer sans compagnie depuis fort longtemps.

 

— Jared? fit enfin Charlotte alors que ce dernier était songeur.

— Écoute, Charlo. Elle était juste là, devant moi, au même endroit où tu te trouves maintenant. Je pense qu’il s’agissait d’un…

— D’un fantôme ? Eh bien, le soleil tape fort en Louisiane !

 

C’est à ce moment que la jeune fille reprit forme derrière Charlotte.

 

— Pouvez-vous m’aider ? demanda-t-elle d’une voix douce.

— Si je le peux, bien sûr, répondit Jared en ignorant Charlotte qui continuait de se moquer de lui.

— Alors, si tu préfères discuter avec les morts au lieu de moi qui suis bien vivante, vas-y ! Laisse-toi aller ! tempêta cette dernière.

— Charlo, une minute…

 

L’apparition semblait avoir du mal à rester visible dans la clarté du jour et la lumière autour d’elle commença à s’assombrir.

 

— Revenez ce soir. Je serai là, dit-elle à Jared, ignorant aussi les gesticulations de Charlotte.

 

Puis, elle disparut comme une fine brume dans l’air matinal.

 

— Dis ? Tu m’écoutes ? demanda Charlotte.

— Oui. Elle est partie. Je crois que les fantômes ont de la difficulté à se manifester dans la lumière. Nous devrons revenir ce soir.

— Et en attendant, on fait quoi ?

— Nous essayons de retrouver les autres.

— Au fait, ils ne devraient pas être arrivés en même temps que nous ?

— Nous n’avons pas traversé le miroir en même temps ; c’est sûrement la cause du délai. Mais nous avons certainement pris le même chemin. Allez ! On va trouver un endroit où déjeuner. Je suis affamé !

 

Jared se dirigea vers l’entrée du cimetière et Charlotte fut contrainte de le suivre. La journée s’annonçait étouffante et pesante, et Charlotte pensa aussitôt qu’il lui faudrait se débarrasser de cette longue robe noire pour quelque chose de plus approprié à la température du Sud.

 

***

 

Pendant ce temps, Mademoiselle Ste-Croix arrimait son embarcation au quai à quelques rues du Quartier français. Les touristes arpentaient déjà les avenues, explorant les cafés, les bars et les boutiques qui vendaient de tout, des objets d’art et de culte des artisans locaux aux choses inutiles produites spécialement pour les voyageurs. Le Quartier français grouillait de gens qui zigzaguaient d’un commerce à l’autre et l’air était à la fête même si tôt dans la journée. Tout à La Nouvelle-Orléans était propice à la célébration, de sa musique jazz aux nombreux bars et restos qui comptaient déjà des dizaines de clients. Sur la rue principale, les devantures des habitations colorées étaient ornées de balcons de fer forgé aux motifs variés qui lui donnaient son caractère distinctif français et qui était connu partout dans le monde.

 

Ça sentait bon aussi. De tous les côtés, les arômes de beignets, de café au lait, de poissons et d’épices se mêlaient à la fragrance des fleurs. Malheureusement, on pouvait aussi détecter les odeurs nauséabondes de la veille, d’urine et d’alcool, provenir de certains endroits plus malfamés et du fond des ruelles.

 

— J’ai un creux, annonça tout bonnement Gabriel en se tenant le ventre.

— Par ici, les enfants ! fit Mademoiselle Ste-Croix en les dirigeant vers un petit commerce caché au coin d’une rue. On y vend les meilleurs beignets !

 

Ils entrèrent par une porte de bois recouverte de graffitis très colorés qui annonçait un mélange de musique et de nourriture locales. Ils pénétrèrent alors dans un bistro aux murs de briques avec un bar style pub dans un coin. Une toute petite scène et un piano étaient installés dans un autre coin avec quelques projecteurs parfaits pour un trio de musiciens. L’Oiseau bleu, c’était le nom de l’endroit, était reconnu pour son jazz classique. Comme fond de scène, une simple toile noire et un courant de lumières de Noël blanches qui passait devant. Sur les murs, il y avait des photos anciennes de musiciens qui avaient joué à cet endroit et des chanteuses qui en avaient été les vedettes.

 

— Mademoiselle Ste-Croix ! lui cria un grand gaillard de derrière le bar et qui était tout habillé de noir.

 

C’était un homme de race noire à la silhouette fine et élégante. Ses cheveux blancs et son sourire éclatant créaient un beau contraste avec sa peau d’ébène.

 

— Bonjour, Vincent ! Venez que je vous présente mes nouveaux amis : Laurence, que vous connaissez déjà, et ces deux-là, ce sont Gabriel et Grace.