Nicolas Barré - Collectif - E-Book

Nicolas Barré E-Book

Collectif

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Beschreibung

A l’occasion du 4° centenaire de la naissance de Nicolas Barré (21 octobre1621) s’est tenu un colloque sur le thème « Nicolas Barré, pour une mystique de la vie ordinaire ». Cet ouvrage en est la publication. De quoi s’agitil quand on parle de mystique ? Dans le contexte du christianisme, et depuis les Pères de l’Eglise, il s’agit bien d’une dimension essentielle de l’existence des croyants, offerte à tous. Elle se vit en tension féconde entre la contemplation et l’action, l’oraison et l’engagement. Dans le contexte tourmenté du XVII° siècle, Nicolas Barré a proposé ce chemin, tant dans l’accompagnement spirituel de personnes éprouvées que dans l’inspiration du courant éducatif des Ecoles Charitables du Saint Enfant Jésus. Eduquer, c’est humaniser, c’est diviniser l’humain. Les diverses approches de ce thème : historique, éducative, théologique, spirituelle, y compris d’un point de vue asiatique, sont autant de portes d’entrée sur la dimension mystique de l’existence, offerte à tous. Des textes de Nicolas Barré viennent confirmer les contributions des intervenants.

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Nicolas Barré

Pour une mystique de la vie ordinaire

Notre catalogue complet sur

saintlegerproductions.fr

© Saint-Léger éditions, 2022.

Tous droits réservés.

Nicolas Barré

Pour une mystique de la vie ordinaire

Préface de Jean-Marie Ballenghien

Ouverture sœur Brigitte Flourez

Préface

Le 16 octobre 2021, la Maison de La Salle recevait la famille barréenne. Une rencontre de voisinage, rue de Sèvres à Paris, en l’honneur de celui qui institua les Maîtresses charitables et conseilla le fondateur des maîtres d’école. Ceux-ci prirent le nom de Frères des Écoles chrétiennes ; celles-là devinrent Sœurs de l’Enfant-Jésus Nicolas Barré et Sœurs de l’Enfant-Jésus Providence de Rouen. Aujourd’hui présentes et présents sur les cinq continents, les femmes et les hommes que ces deux grandes figures religieuses du XVIIe siècle continuent d’inspirer partagent une même passion pour l’enseignement et l’éducation de la jeunesse, prioritairement la plus pauvre.

À l’occasion du quatrième centenaire de sa naissance, il était donc naturel que les unes et les autres se rejoignent pour faire mémoire, le temps d’un colloque, du bienheureux Nicolas Barré (1621-1686). Enseignants, chefs d’établissements scolaires, agents pastoraux, religieuses, religieux, prêtres et laïcs de divers horizons, les participants à cette journée mémorable ont pu redécouvrir la trace lumineuse dont la vie et les écrits du Père Barré témoignent. Au fil d’une journée riche de rencontres et de réflexion, cinq intervenants éclairèrent, sous des angles différents, le titre donné à l’événement : Nicolas Barré - Pour une mystique de la vie ordinaire.

Aujourd’hui encore, Nicolas Barré a beaucoup à nous apprendre ! « Vous cherchez Dieu. Qui ne le chercherait ? Il ne faut chercher que Lui et ne se rebuter ni lasser de rien », indiquait-il à une moniale. Cette recherche n’est-elle pas toujours actuelle ? La société du XXIe siècle est-elle définitivement matérialiste ? Sous des formes différentes, nos contemporains – les jeunes surtout – n’ont-ils plus soif d’essentiel ? Qui seront les guides qui éclaireront leurs choix de vie ? Qui leur partagera la joie du don de soi dans le service fraternel et la vie ordinaire ? Qui leur révélera le visage de Celui qui marche à leurs côtés et qu’ils cherchent sans Le connaître ?

Nicolas Barré conseilla Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) et l’affermit dans le choix de tout quitter pour se consacrer à la formation humaine et chrétienne des enfants. Dans le vaste courant de l’École Française de spiritualité, les deux prêtres avaient perçu l’appel que Dieu leur adressait à Le servir « comme des hommes et non des anges ». Saisis par la pauvreté des enfants de leur temps, ils ont consacré leur vie à l’éducation et à la direction spirituelle de celles et ceux qui s’engageaient dans cette voie. Comme une multitude de femmes et d’hommes à leur suite, ils ont fait l’expérience de la rencontre du Christ sur ces chemins d’humanité.

L’appel à ne jamais séparer l’amour pour Dieu de l’amour des pauvres résonne aujourd’hui encore, assurément, dans le cœur de nombreuses personnes, hommes et femmes de toutes cultures et états de vie. Puisse la lecture et l’approfondissement des actes de ce colloque éclairer leurs actions, renouveler leurs projets communautaires et affermir leurs engagements personnels, dans une quête toujours renouvelée du visage de Celui qui nous précède en Galilée.

Jean-Marie BALLENGHIEN

Adjoint laïc du Visiteur provincial des Frères des écoles chrétiennes

Les intervenants

Catherine Marin,historienne, maître de conférences à l’Institut Catholique de Paris, Pôle de rattachement au sein de l’Unité de Recherche « Religion, Culture et Société » : « Nicolas Barré, au cœur d’un siècle bouleversé ».

Jean-Louis Schneider, frère des Écoles chrétiennes, spécialiste de Jean-Baptiste de la Salle : « Le chemin de Léa : les Maîtresses charitables à la rencontre de Dieu ».

Père François Marxer, professeur d’histoire de la spiritualité et de théologie spirituelle au Centre Sèvres (Paris) : « Nicolas Barré : comment traverser la crise entre providence et abandon ? ».

Sœur Emmanuelle Billoteau,ermite théologienne : « Vie contemplative – vie active : de l’opposition stérile à la tension créatrice ».

Yuri Cecilia Kumagai, doctorante à l’Université de Tokyo : « Dieu du basho : une possibilité de lecture japonaise de Nicolas Barré ».

Ouverture

par sœur Brigitte Flourez, supérieure générale de l’Institut des Sœurs de l’Enfant Jésus Nicolas Barré

En cette année 2021 où nous célébrons le quatrième centenaire de la naissance de Nicolas Barré, nous avons bien conscience qu’il demeure encore un inconnu pour de nombreux historiens, théologiens, pasteurs ou éducateurs. C’est malheureusement le sort de bien d’autres figures marquantes de notre histoire sociale ou religieuse. Cette ignorance, ce grand vide, sont la source d’un appauvrissement culturel, faute des clés permettant une juste compréhension de nombreux événements du passé et des traces qu’ils ont laissées jusqu’à nos jours. Pour notre part, nous poursuivons depuis quelques dizaines d’années un travail persévérant pour sortir Nicolas Barré de l’ombre, et notre colloque se situe dans cette perspective, ainsi que quelques publications récentes ou en cours. Au moment d’en ouvrir le chantier, une première décision était à prendre : quel aspect privilégier qui puisse concerner nos contemporains au-delà de la mémoire de la vie ou de l’œuvre accomplie par cet humble et remarquable religieux minime ?

Fallait-il ici mettre en valeur sa vocation dans l’Ordre des Minimes, fondé par saint François de Paule ? Leur blason Charitas, auquel s’ajoute parfois Humilitas au fronton de leurs églises ? Leur mode de vie végétarien que l’on qualifierait volontiers, de nos jours, de sobriété heureuse ? L’histoire de cet Ordre, toujours vivant, disparu de France à la révolution, et son influence historique ? Aujourd’hui encore rues, monuments, quartiers, stades ou universités portent le nom des Minimes, mais bien peu nombreux ceux qui en connaissent l’origine…

Fallait-il à nouveau mettre uniquement l’accent sur sa contribution à l’éducation populaire ? Mettre en valeur ce mouvement du XVIIe siècle qu’il a rejoint ou suscité, avec Bourdoise, Charles Démia, Nicolas Roland, Jean-Baptiste de la Salle, Pierre Lange… et tant de femmes au nom oublié ? Évoquer leur courage, leur audace, leur force d’âme alors que l’éducation restait limitée à bien peu de bénéficiaires, ignorait le plus souvent le peuple et plus encore les filles, et ne promettait à ceux et celles qui s’y engageaient qu’une situation dépendante et toujours précaire ?

Fallait-il creuser le sillon de la direction spirituelle qu’il exerçait auprès de personnes tourmentées, angoissées, découragées, réflexion bien utile dans les tempêtes que nous traversons ? Mettre en relation ses « Maximes pour la direction des âmes » avec les textes d’autres grandes figures de ce ministère ?

Sous quel aspect aborder la vie de ce religieux Minime ? La mise en perspective adoptée pour ce colloque est celle de « La mystique de la vie ordinaire », dont il a écrit :

« On combat à présent la théologie mystique, faute de s’entendre. Elle est néanmoins plus connue que jamais, mais elle est mal comprise bien souvent, et quelquefois mal pratiquée. L’abus d’une chose bonne en soi ne la rend pas mauvaise ni condamnable. »

À l’heure où mystique et spiritualité sont proposées à un coût abordable sur les affiches publicitaires du métro parisien, où l’on peut faire ses achats sur Instagram à la « modern mystic shop », ou encore suivre sur internet une formation intitulée « Comment être mystique en 14 étapes », c’est la dimension mystique de l’existence ordinaire que nous avons choisie pour être la trame de cette journée. Et nous osons croire que cette approche de l’œuvre de Nicolas Barré, de sa vie comme de ses écrits, détient un message contemporain pour les gens ordinaires que nous sommes.

Sous des angles différents, c’est cette problématique qui sera abordée par nos cinq intervenants, auxquels j’exprime ma vive gratitude.

Présentation des interventions

Catherine Marin nous présente l’œuvre éducative de Nicolas Barré « au cœur d’un siècle bouleversé » : guerre de Trente Ans, tensions politiques et religieuses, réforme de l’Église catholique suite au concile de Trente. C’est dans ce contexte que se développe un vaste mouvement d’évangélisation des enfants et de reconstruction spirituelle et morale de l’Église.

Frère Jean-Louis Schneider (FEC) met en relief la vision de Nicolas Barré sur la relation éducative dans une présentation des « Maximes de conduite pour les Maîtresses des Écoles charitables ». L’acte d’enseigner et celui d’éduquer y sont présentés comme étant participation à l’œuvre du Salut, et le lieu même de la rencontre de Dieu et de sa propre sanctification pour qui s’y emploie dans l’Esprit de Dieu.

Le Père François Marxer interroge : l’aurait-on oublié ? Nicolas Barré lance son aventure pédagogico-apostolique alors que l’Église se déchire dans le débat autour de la question de l’amour désintéressé, question mystique par excellence. Et question qui, loin d’être purement théorique, est profondément pratique. Le Père Barré ne s’engage pas dans la controverse mais, avec sa fondation, apporte sa pierre à l’édifice d’une mystique de l’action apostolique, dont l’exigence et la générosité ne sont pas sans rappeler la mystique du pur amour que Fénelon défend contre Bossuet.

Sœur Emmanuelle Billoteau nous introduit au chemin d’unification, proposé par Nicolas Barré, entre une vie de prière fervente, qui suppose d’y passer du temps, et les sollicitations de l’existence - que ce soit dans l’exercice du ministère ordonné ou dans la tâche d’éducatrice au sein des Écoles charitables. Une unification à recevoir comme un don, qui s’enracine dans une mystique de l’Incarnation et du dépouillement. Il s’agit de se laisser configurer au Christ, lui qui « ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » pour embrasser notre condition humaine par amour (Ph 2).

Yuri Cecilia Kumagai, japonaise, doctorante à l’Université de Tokyo, s’interroge sur la possibilité de recevoir, comprendre ou vivre la spiritualité de Nicolas Barré en harmonie avec celle de sa propre culture. Elle apporte l’éclairage d’une pensée propre à la spiritualité japonaise qui ne fait pas de distinction claire entre le soi et le monde, une approche dont elle reconnaît les limites d’une présentation alors que les concepts exprimés en japonais n’ont pas leur correspondant en français, et que la pensée et la langue vont de pair.

la mystique : « ce dont on ne peut pas parler et dont on ne peut pas ne pas parler »

Avant-propos de François Marxer

Avant même que de nous livrer à quelque reconnaissance de l’univers spirituel de Nicolas Barré, donnons-nous quelques précisions sur le mot mystique. Un mot de nos jours des plus sollicités, mais qui s’avère des plus imprécis, incertains et des plus confus. Dès que l’on quitte le domaine de la vérification rationnelle et technique, que l’on s’aventure dans les parages du sublime en arpentant les contrées de l’imaginaire, le vocable « mystique » est revendiqué, sans autre justification. Sans doute parce que mystique est associé à l’extraordinaire, au miraculeux, à l’inexplicable. Ce qui provoque l’émerveillement mais peut aussi jeter le discrédit. Avec Jean de la Croix1, nous nous défierons d’une telle équivalence, propre certes à soulever l’enthousiasme des foules, mais aussi à encourager les sceptiques. C’est la raison pour laquelle nous privilégions le champ de l’existence, de l’expérience ordinaire du quotidien. Comment s’en étonner, puisque le mot mystique vient du grec myein (se taire), dont dérivera l’adjectif mystikos, caractérisant ce qui est caché et dont, en conséquence, on ne saurait parler. Suspension, abolition peut-être, du langage. Mais, comme l’ajoutera Michel de Certeau, c’est « ce dont on ne peut pas parler et dont on ne peut pas ne pas parler ». Toute la question est là : défaillance du langage, comment alors exprimer, accéder à l’inaccessible ? Sinon en ayant recours à toutes les ressources de la rhétorique, des tours de langage, des modus loquendi – donc, de façon détournée, indirecte. C’est ce qui, dès les années 1660, lors de la parution du brûlot du carme Jean Chéron2 auquel répondra le Guide spirituel du jésuite Jean-Joseph Surin3, provoquera le conflit avec les tenants d’un ordre maîtrisé de la pensée, d’une rationalité du langage ; conflit qui aboutira à l’affrontement entre Fénelon et Bossuet – ce qui est l’époque même où nous retrouvons Nicolas Barré : « crépuscule des mystiques » qui se solde par la condamnation dans l’espace catholique, tout d’abord (par la bulleCoelestis Pastor du 20 novembre 1687) du quiétisme, doctrine imputée au prêtre espagnol Miguel Molinos (1628-1696) et suspectée chez Mme Guyon (1648-1717) ; ensuite, mais à contrecœur, de l’activité mystique en général par le bref Cum alias du 12 mars 1699, qui vise Fénelon. Les terres protestantes suivront ce mouvement de réprobation et de contrôle au début du XVIIIe siècle.

Ajoutons que ce rempart de la censure n’empêchera pas la mystique de prospérer de façon discrète, en adoptant les oripeaux de la spiritualité, ni la question de la mystique (qui est celle de l’amour, dans sa pureté absolue et sans concession) de poursuivre son chemin en émigrant vers la littérature, la philosophie et la psychanalyse4.

La problématique mystique qui aura pris naissance dès l’Antiquité, sera reprise, à l’époque moderne, par les disciplines universitaires : psychiatrie, médecine, philosophie, histoire. On s’interrogera sur les qualités et compétences qu’elle met en œuvre : est-ce l’intelligence dans sa quête de la vérité (on reconnaît là la tendance spéculative de la tradition thomasienne et dominicaine) ou bien la volonté dans son élan amoureux (comme y aspirent les tenants de la tradition franciscaine voire ignatienne) ? Sans entrer dans les polémiques suscitées par ces débats, nous retiendrons comme définition minimale de l’activité mystique, à laquelle aspirent ou que pratiquent ceux qu’on appelle les mystiques5, une expérience immédiate de Dieu et de sa présence. Toute la question est dans cette immédiateté, cette absence de tout intermédiaire, de tout « moyen », de toute médiation (alors même que la pratique catholique impose, de par son système sacramentel, un dispositif médiateur dans l’expérience de Dieu, laquelle ne s’évade pas de l’histoire mais vient s’y inscrire6). Cette expérience reconfigure l’espace mais surtout le temps où le fidèle évolue : à ce titre, nous privilégierons dans la mystique une expérience de la temporalité.

Cela dit, ne nous leurrons pas : certes, nous justifions ainsi en son audace le titre donné à notre colloque, mais nous ne pouvons pas cacher que l’activité mystique, laquelle témoigne d’une promotion de plus en plus soutenue de l’autonomie du sujet spirituel qui en appelle à sa propre expérience, n’est certes pas rejetée dans la dissidence, mais, malgré tout, se voit confiner dans la marginalité de l’institution7. Position inconfortable, particulièrement dans une société d’ordres où l’autorité religieuse assure la gouvernance des conduites communes. À cet égard, on prêtera attention au débat suscité par le refus de fondation opposé par Nicolas Barré aux requêtes des protecteurs de Rouen, ce qui va entraîner la scission entre ce fief provincial qui réclame son autonomie gestionnaire et les instances de Paris, fidèles à l’intuition du fondateur. Débat combien symptomatique, qui n’est pas sans faire penser à la tactique d’un Vincent de Paul, rassemblant les premières « servantes des pauvres » pour créer en 1633 ses Filles de la charité, en tirant les leçons du ratage malheureux de la Visitation qui heurtait les coutumes sociales défendues par l’archevêque de Lyon contre le projet de François de Sales. Audace de l’aventure promue par le P. Barré et désapprobation de ceux qui défendent la sagesse raisonnable des usages en vigueur et qui assurent la pérennité de ce qui s’institue. Audace singulière, puisque le pari proposé par Nicolas Barré n’entrave nullement, mais au contraire conforte et garantit l’autonomie du choix et du risque (évangélique) assumé par chacune des Maîtresses charitables. La mystique n’est pas un long fleuve tranquille.

1Jean de la Croix, Montée du Carmel III, 33.

2Examen de la théologie mystique, qui fait voir la différence des lumières divines de celles qui ne le sont pas, et du vrai, assuré et catholique chemin de la perfection de celui qui est parsemé de dangers et infecté d'illusions, et qui montre qu'il n'est pas convenable de donner aux affections, passions, délectations et goûts spirituels, la conduite de l'âme, l'ôtant à la raison et à la doctrine, Paris, 1657-1664.

3Jean-Joseph Surin, Guide spirituel, édit. Michel de Certeau, coll. Christus, Desclée de Brouwer, 1992.

4Sur cette évolution, on lira Jacques Le Brun, Le pur amour de Platon à Lacan, Paris, Éditions du Seuil, 2002.

5C’est en 1601 que le mot, d’adjectif jusque-là, devient un substantif, désignant cette activité décrite par la théologie mystique et pratiquée par ces personnes appelées mystiques (ou les saints, comme chez Fénelon dans son Explication des maximes des saints).

6Voir les développements proposés par Le discours mystique entre Moyen Âge et première modernité, t. III, L’institution à l’épreuve (sous la direction de Véronique Ferrer, Marie-Christine Gomez-Géraud et Jean-René Valette), Honoré Champion, 2021.

7Sans pour autant prendre ses distances avec la confession de foi de celle-ci ni avec les textes de l’Écriture qui feront toujours référence, mais que le mystique s’autorise à commenter de lui-même.

Nicolas Barré, au cœur d’un siècle bouleversé

Catherine Marin

Le cheminement mystique de Nicolas Barré (1621-1686) ne peut se comprendre et s’analyser qu’en relisant sa vie à la lumière de trois sources : d’abord, la connaissance de son environnement familial et spirituel au sein de sa ville natale, Amiens ; puis l’impact sur son œuvre du militantisme ligueur qui se propage en France et particulièrement en Picardie durant la première moitié du XVIIe siècle ; et enfin le vaste mouvement d’évangélisation, fruit de ce militantisme, qui se répand en France durant cette période, et au sein duquel s’épanouit l’œuvre éducative de Nicolas Barré. L’histoire spirituelle et mystique de ce religieux s’insère, de plus, dans ce temps où « tout le XVIIe cherche Dieu » comme l’écrit Pierre Chaunu8. Remarque que l’on retrouve déjà chez Nicolas Barré, dans une lettre destinée à une religieuse « Vous cherchez Dieu ? Qui ne le chercherait ? Il ne faut chercher que Lui, et ne se rebuter ni lasser de rien »9.

L’environnement familial et spirituel de sa jeunesse

La ville d’Amiens a façonné l’esprit religieux du jeune Nicolas Barré par son dynamisme à la fois économique – ville de marchands et d’artisans spécialisés dans la fabrication du velours – et religieux. Outre le rôle tenu par la cathédrale et son chapitre, par les deux collégiales de Saint-Firmin et Saint-Nicolas, la vie chrétienne est animée par plus de vingt couvents d’hommes et de femmes, capucins, minimes, ursulines, visitandines… sans oublier les confréries de laïcs, très engagées dans les œuvres sociales.

Mgr Lefèvre de Caumartin, évêque d’Amiens de 1618 à 1652, a le souci, d’autre part, de mettre en pratique les grands axes de réforme du concile de Trente dans son diocèse. C’est le temps de toute une réflexion autour de la formation des prêtres, de la liturgie, de l’enseignement du catéchisme, de la lutte contre les pratiques et dévotions suspectes, du rejet du merveilleux quotidien au profit du culte du Sauveur incarné. Des missionnaires sillonnent les campagnes, prêchant, catéchisant les populations rurales déchristianisées après les guerres de Religion. Les capucins, les lazaristes, organisent ainsi des missions dites « intérieures », certaines financées par Gaston de Renty (1611-1649), responsable de la Compagnie du Saint-Sacrement, institution qui a joué un grand rôle en France dans le renouveau spirituel de l’Église.

Ses dix années d’études suivies au collège des Jésuites de la ville ont marqué aussi la spiritualité du jeune Nicolas Barré, au milieu d’une jeunesse dont les origines sociales étaient plus diverses qu’on ne l’a supposé. Mais surtout, il y a reçu les premiers éléments de sa dévotion envers l’Enfant-Jésus. En effet, les Jésuites ne cessent d’inviter les jeunes collégiens à méditer devant l’image de l’Enfant-Dieu. Ce culte du Christ enfant est le reflet de la réforme bérullienne qui cherche à élever spirituellement les sentiments de tendresse et d’attention envers le jeune enfant, qui s’expriment de plus en plus ouvertement dans les familles chrétiennes. Nicolas Barré le reprendra beaucoup plus tard, dans les Statuts et Règlements des Écoles chrétiennes et charitables du Saint Enfant Jésus : « En prédestinant son Fils, écrit-il, non seulement Il a voulu qu’Il fût homme, mais aussi qu’Il fût petit enfant »10. Et, en lien avec ce culte de l’Enfant Jésus est associée la dévotion mariale, dont on connaît la place prépondérante dans la formation spirituelle de tous les collèges de Jésuites, au sein des congrégations mariales où l’on retrouve l’élite des jeunes élèves qui se destinent à la vie sacerdotale. L’un des jésuites ayant enseigné au collège d’Amiens, à cette époque, est le père Jean-Baptiste Saint-Jure (1588-1657), recteur du collège de 1627 à 1633, très lié à Gaston de Renty11 et à la Compagnie du Saint-Sacrement.

Ce climat de ferveur religieuse à Amiens est entretenu aussi, il faut le rappeler, par la peur et l’inquiétude provoquées par la guerre qui sévit dans la région de Picardie. Ce qu’on appelle la guerre de Trente Ans a éclaté en 1618 au sein de l’Empire Romain Germanique, autre guerre de religion, et s’est propagée dans le nord du royaume, devenant un conflit entre Français et Espagnols, à la suite de l’entrée en guerre de la France dans le conflit en 1635. Lorsque Nicolas Barré était un jeune enfant, il a vécu l’arrivée brutale des paysans des campagnes environnantes cherchant refuge dans la ville, fuyant les combats, affamés, touchés par la peste. Cette guerre ne prendra fin qu’en 1648 après le Traité de Westphalie.

Cette éducation à la fois spirituelle et mystique reçue dans sa jeunesse convainc Nicolas Barré de donner sa vie à Dieu. Après quelques hésitations, il choisit d’entrer dans l’Ordre des Minimes, congrégation fondée en 1435 par François de Paule (1416-1507). Il existait alors plus d’une centaine de couvents en France, et le nombre ne va cesser d’augmenter pour atteindre près de cent cinquante en 1673. Celui d’Amiens est ancien, la construction a été lancée du vivant de son fondateur dont l’exemple de son humanité profonde, son sens de la justice, son attention à la misère du peuple, attirent le jeune Nicolas.

Il entre chez les Minimes à l’âge de 19 ans, s‘engageant à son tour à s’imprégner de ce charisme fait de pauvreté, d’humilité, d’amour de Dieu et du prochain. Un charisme qui est déjà visible dans l’emblème qui orne le fronton de leurs établissements associant le mot « Charitas » et la figurine de l’humble religieux au bâton de pèlerin, deux symboles qui dévoilent à qui sait les lire les aspects majeurs d’une vie contemplative et apostolique.

On connaît mal cependant les premières années de la vie cloîtrée de Nicolas Barré. Son premier biographe Claude Raffron se contente de noter qu’ayant poursuivi son noviciat à Nigeon (colline de Chaillot à Paris) puis à Vincennes, le novice prononça ses vœux en 1642, âgé de 21 ans12