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Beschreibung

« Heureux, vous les pauvres » (Lc 6, 20).
Cette béatitude affirmée par le Christ peut revêtir, pour l’homme contemporain, une contradiction intrinsèque : comment peut-on être pauvre et heureux ? Le vrai bonheur dépendrait-il de notre compte en banque ? A quoi ou à qui associons-nous notre bonheur ? Et en proclamant ainsi cette béatitude, à quelle pauvreté le Christ se réfère-t-il ? Le terme de pauvreté recouvre une multitude de réalités : de la pauvreté subie à la pauvreté choisie, de la pauvreté économique à la pauvreté spirituelle en passant par toute une palette d’autres pauvretés. Il est donc nécessaire de nous arrêter sur le sens même de ce mot. Nous découvrirons ainsi que reconnaître sa pauvreté c’est permettre au Christ de nous rejoindre en notre humanité.
Le thème de la Session Sainte-Odile 2019, « Nos pauvretés entre fragilités et richesses », souhaite nous interpeller sur Nos pauvretés et nos richesses et nous aider à prendre conscience que, quelles que soient nos richesses, nous souffrons tous de pauvretés et que tous nous quémandons l’aumône d’autrui.

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Nos pauvretés, entre fragilités et richesses

 

 

 

Service des formations Diocèse de Strasbourg

 

 

Nos pauvretés, entre fragilités et richesses

 

Actes du colloque

Mont Sainte-Odile18 au 20 février 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© mai, 2019.

Tous droits réservés.

 

 

 

 

Préambule

 

Père Frédéric LIBAUD

 

 

Dans l’avant-propos au premier rapport sur la Pauvreté en France, publié en 2018, Noam Leandri, président de l’Observatoire des inégalités, débute son propos en affirmant que « la pauvreté est l’une des inégalités les plus visibles. »1 Et au regard des chiffres communiqués, nous ne pouvons qu’abonder en ce sens. En même temps, la réalité dont il s’agit dans ce rapport ne concerne que la pauvreté économique, celle qui est estimée, en fonction des outils actuels, par rapport au niveau de vie médian des Français. Or la pauvreté n’est pas uniquement économique ; elle recouvre des situations très diverses. C’est ce que ne manque pas de souligner L. Maurin dans la suite de ce même rapport. Tout en demeurant sur le plan de la pauvreté économique, ce dernier affirme qu’il est nécessaire de « comprendre que le mot pauvreté cache des situations qui n’ont rien à voir entre elles. »2 Il en appelle alors à des politiques différenciées, ajustées à chacune des facettes de la pauvreté. Aussi est-il essentiel pour les politiques, et pour chacun de nous, de réaliser que la pauvreté est multiforme : elle peut être économique et humaine, absolue et relative, visible et cachée…

La réflexion menée durant cette Session Sainte-Odile 2019 s’enrichit de l’apport d’intervenants provenant d’horizons divers. Dans un premier temps, le Père P. Capelle-Dumont, président de l’Académie Catholique de France et professeur de philosophie de l’Université de Strasbourg, nous aide à réfléchir sur le sens du mot « pauvreté » qui bien souvent suscite de nombreuses méprises et confusions. Il souligne combien ce terme transversal est commun à une multitude de champs d’analyse, sans toujours revêtir le même sens. S’interroger sur le langage de la pauvreté s’avère donc incontournable. Dans la continuité de la doctrine sociale de l’Église, il nous encourage à replacer au cœur de notre réflexion la personne humaine, son développement complet et intégral, en adoptant une attitude d’humilité et de dialogue. À la suite de cette réflexion, le Père F. Libaud, responsable du Service Diocésain des Formations, propose un changement de perspectives. Adoptant une approche spirituelle, il aborde la pauvreté sous l’angle de ses richesses allant jusqu’à parler de « richesse originelle ». À la lumière des Écritures, il montre que la pauvreté apparaît comme une occasion offerte par Dieu d’œuvrer au bien commun dans une dynamique de fraternité et de charité. Le pauvre ne se réduit pas à une situation d’infériorité mais est présenté comme un riche, prêt à donner et à offrir. Le Père C. Kamenisch, curé de la Collégiale Saint-Martin de Colmar et membre du Prado, présente la figure du Père A. Chevrier, fondateur du Prado. Comme beaucoup de chrétiens du XIXe siècle, le Père Chevrier a été très sensible à la pauvreté des masses rurales agglutinées dans les nouvelles villes industrielles. Attentif à ces personnes en détresse humaine, économique et spirituelle, il a choisi volontairement de se mettre à leur service pour, au cœur de ces quartiers populaires, manifester la présence aimante de Dieu.

Le Père G. Catta, jésuite, directeur du Service National « Famille et Société » à la Conférence des Évêques de France et titulaire de la chaire J. Rodhain du Centre Sèvres attire notre attention sur la Doctrine Sociale de l’Église et en particulier sur la notion, mal-connue voire inconnue, d’option préférentielle pour les pauvres. Retraçant le développement historique de cette notion, de Léon XIII avec Rerum Novarum au Pape François avec Laudato Si’, en passant par Centisimus Annus de Jean-Paul II et Deus Caritas est de Benoît XVI, il montre combien peu à peu l’Église a intégré dans sa pensée théologique des éléments économiques et politiques en vue du développement intégral de l’être humain. La pauvreté apparaît comme un lieu de rencontre avec Dieu et un lieu privilégié où la fraternité, la guérison et l’espérance peuvent être vécues. C’est tout le sens de la dynamique française de Diaconia 2013. Dans la suite de cette réflexion, il s’arrête sur la vulnérabilité comme lieu de rencontre de Dieu, d’un Dieu qui par son incarnation a choisi lui-même de se faire homme vulnérable.

Notre réflexion se clôture avec Monsieur L. Hochart, délégué diocésain de Caritas Alsace Réseau Secours Catholique, et quelques membres de la Caritas Alsace. En prenant appui sur le schéma d’orientation pastorale de la Caritas, il nous propose d’aller à la rencontre des plus pauvres, entraînant chacun dans un mouvement de conversion réciproque et de révolution fraternelle. Donner, recevoir, et se laisser surprendre seront les maîtres mots.

Le thème de la Session Sainte-Odile 2019, « Nos pauvretés entre fragilités et richesses », souhaite nous interpeller sur nos pauvretés et nos richesses personnelles et nous aider à prendre conscience que, quelles que soient nos richesses, nous souffrons tous de pauvretés et que nous avons tous besoin des richesses des autres. Nous constituons une Église de pauvres, en écho aux propos du Pape François : « Je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. Il est nécessaire que tous nous nous laissions évangéliser par eux. Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux. »3

 

 

1. Ce rapport est consultable sur la page web (cf. p. 4) : https://www.inegalites.fr/IMG/pdf/web_rapport_sur_la_pauvrete_en_france_2018_observatoire_des_inegalites_et_compas.pdf

2. Ibid, p. 8.

3. François, Evangelii Gaudium, 24 novembre 2013, no 198.

 

 

 

 

 

Être pauvre, devenir pauvre

 

Petite philosophie de la pauvreté4

 

Père Philippe CAPELLE-DUMONT

 

« Heureux les pauvres »

(Lc 6,20)

 

La pauvreté se présenterait volontiers comme une question accidentelle et circonstancielle. L’histoire nous a cependant instruit : elle est substantielle et structurelle. De surcroît et paradoxalement, le christianisme en a fait le lieu de l’accomplissement humain, lui conférant une dignité incomparable, jusqu’à en faire un modèle de comportement et une promesse de bonheur.

Comment concilier ces affirmations abyssales, apparemment antinomiques, entre le rejet et l’éloge ? Le double contexte actuel, social et ecclésial, donne à notre question une acuité particulière et renforce l’opportunité d’en traiter.

Sur le versant social, il a récemment adopté le nom symbolique des « Gilets jaunes », prenant, en dépit des ambiguïtés qui le traversent, un élan dont la teneur nous oblige ; plus largement, les deux paradigmes socio-économiques qui ont régné depuis plus d’un demi-siècle, ont révélé leurs limites, voire leur incapacité à traiter du problème de la pauvreté ; l’État-Providence et le marché libéral sauvage, l’un dont la logique voulue est celle de l’égalité mais qui connaît la tendance à freiner la créativité, l’autre dont la logique est la libre créativité mais dont la tendance est de placer l’égalité en aval.

Sur le versant ecclésial, la somme des malversations relationnelles graves commises par certains responsables nous ramène, de la manière la plus écrasante, à la condition de finitude et de pécheur. Plus largement, n’en finissent pas de cohabiter les diagnostics médiatiques d’un christianisme agonisant (Chili, Belgique, Amérique du Nord, Europe) et persécuté (Pakistan, Moyen-Orient, Chine, Indonésie) et la réalité de dynamismes puissants attestés, notamment par les rassemblements massifs, et les très nombreuses instances de formation chrétienne.

Ces deux versants font certes référence à des domaines de pauvretés spécifiques : pauvreté matérielle et sociale, pauvreté psychique et spirituelle, voire institutionnelle. Les unes mettent en cause les équilibres des communautés politiques, les autres affectent le rayonnement des communautés ecclésiales. Toutes deux forment une situation générale de crise que certains estiment inédite par le délitement qu’elles traduisent et qui concerne les piliers de l’existence personnelle et collective, civique et religieuse.

Dans ces conditions, il convient de relever le lexique ecclésial qui réserve à la pauvreté une place centrale à travers des expressions popularisées à partir de Vatican II telles que : « une Église servante et pauvre », expression inspirée par Jean XXIII dès 1962, qui évoque avant l’ouverture du concile, une « Église de tous et particulièrement l’Église des pauvres » ; ou encore : « option préférentielle pour les pauvres », expression forgée dans le continent latino-américain et le contexte de la « théologie de la libération ». Avant, pendant et depuis cette époque, le monde ecclésial n’a pas hésité à exalter des figures personnelles qu’elle estimait, souvent pour de bonnes raisons, emblématiques de la vocation chrétienne à rejoindre les plus pauvres, telles les Madeleine Delbrêl, Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Joseph Wresinski, Antoine Chevrier, Jean Vanier, sans compter Vladimir Ghika récemment béatifié, Oscar Romero canonisé ou, plus anciennes, les figures de Don Bosco, de saint Vincent de Paul et de saint François d’Assise. Bref, le panthéon ecclésial de la pauvreté est richement doté et là n’est pas la moindre des fiertés chrétiennes.

Un minimum d’exercice sémantique consiste à en situer le vocable par contraste avec d’autres termes, voisins, mais non point synonymes : telle « fragilité » (du latin fragilis, de frangere : rompre, casser) qui signifie le périssable et renvoie à la condition ontologique du vivant. La pauvreté n’est pas non plus synonyme de la « vulnérabilité » (vulnerare : blesser) qui signifie la propension à être endommagé. Elle n’est pas davantage superposable à la notion de « prolétariat » (pro-les : lignée) qui renvoieàcelui qui n’a que ses enfants pour toute richesse, ou à la notion de « misérable » (de miserare : plaindre, déplorer) qui désigne littéralement celui qui inspire la compassion et la pitié. Enregistrons alors l’étymologie latine qui a donné « povre » (pauper : peu, petit) en vieux français et « paupérisation ». L’étymologie grecque nous instruit également : a-poria signifie « sans-passage », ce que nous traduisons commodément par « impasse ». Dans la Grèce antique, un tel « pauvre » était associé à l’adunatos, celui qui est sans capacité, ainsi qu’au penês, le travailleur qui ne possède pas sa propre terre. On trouve également en usage le terme de ptôchos, qui renvoie à la condition de mendiant et que reprendra le Nouveau Testament en modifiant toutefois le sens.5

Cette double étymologie nous permet de relier le concept de pauvreté, non seulement au « manque » ou à quelque insuffisance mais, plus fondamentalement, à un état qui rend impossible de trouver seul une issue, un passage, un chemin. D’où cette question la plus radicale : quand et comment le pauvre se trouve-t-il ainsi stoppé, bloqué, immobilisé, encerclé ? Certains ont voulu promouvoir la distinction entre « pauvreté absolue » qui désignerait l’état de manque vital et celui de « pauvreté relative » qui désignerait des manques non vitaux (téléphone portable, voiture, etc.). Cependant, une question préjudicielle se pose : qui a le droit d’en parler ? Le riche aime tellement parler des pauvres et s’en occuper ! Mais s’en préoccupe-t-il ? Dans son ouvrage Les pauvres au Moyen-âge, étude sociale6, l’historien Michel Mollat a autrefois mis en évidence les désastres humains et spirituels de l’instrumentalisation religieuse de la pauvreté, tendue vers la quête personnelle du salut. À cet égard comme à d’autres, en abordant un sujet aussi délicat, nous sommes avertis.

Ce sont en réalité les médiations réflexives dont nous avons besoin pour en traiter ; elles permettent d’éviter le double écueil de l’enrôlement idéologique et, inversement, celui des charités de suppléance permanente. Il ne saurait être cependant question, selon l’intention ordonnatrice de notre propos, de laisser les seules sciences « positives » – l’économie, l’histoire, la sociologie, les sciences politiques – statuer sur ce qu’il en est de la « charité ». S’il est des ordres différenciés de rationalités, il est des ordres distincts de diagnostics. Il nous revient donc de favoriser une réflexion transdisciplinaire capable d’en honorer les réquisits.

 

Pauvreté et anthropologie

Les typologies de la pauvreté sont nombreuses et marquées par les sciences particulières qui lui en fournissent les critères, souvent exogènes à son objet. Je proposerai donc de nous y employer en partant de l’anthropologie, particulièrement l’anthropologie biblique qui décline l’humain selon une unité tripartite : corps-esprit-âme, division que l’on retrouve dans les trois Ordres du grand Pascal (le sensible, l’esprit et la charité). Cette unité se traduit dans le fait que l’homme non pas a un corps, un esprit ou une âme mais est tout uniment corps, esprit et âme ; les mots hébreux qui nous y portent sont d’une richesse proprement inouïe.

 

La constitution anthropologique

Le premier, l’« âme », qui traduit nefesh, désigne originellement la gorge par où passe le souffle ; il exprime l’être de l’homme, comme le formule le Psaume 103,1a : « Bénis le Seigneur ô mon âme (nefesh) »,autrement dit« tout mon être » ; ou encore au Psaume 84,3 : « Je languis à rendre l’âme (nefesh) après les parvis du Seigneur ».

Le deuxième, l’« esprit », qui traduit ruah signifie littéralement le vent, ce que Dieu insuffle en l’homme pour lui donner la sagesse, l’intelligence, la vigueur de la connaissance ; il exprime concrètement le principe vital de l’âme.

Le troisième, basar (qui désigne aussi bien le corps que la chair), est l’incarnation du principe vital qu’est l’âme. Il se manifeste particulièrement dans la région du cœur d’où jaillit la décision, mais aussi celle des reins qui désignent les moyens de la vigueur physique nécessaire à l’action, et que Dieu vient sonder (Ps 7,10).

C’est sur cette base anthropologique que peut être sans doute le plus adéquatement entendu le lexique de la pauvreté, comme un triple déficit : déficit d’âme ou absence de principe vital ; déficit de l’esprit ou absence d’intelligence nécessaire au discernement ; déficit de corps ou absence de dynamisme dans l’action.

 

Pauvreté de l’âme

Essayons d’entrer dans cette triple compréhension. En premier lieu, la « pauvreté d’âme » qui semble être la rançon de notre temps, oublieuse non seulement de son principe vital, mais aussi de son existence même.Elle ressemble à ce que François Cheng entrevoit de ces supplétifs destinés à la fuir, à l’enfouir, voire à la neutraliser :

« L’idée de l’âme tend à s’effacer de notre horizon, pour en subsister que dans des expressions toutes faites que la langue nous a conservées : « en mon âme et conscience », la « force d’âme », un « supplément d’âme », « âme sœur », « âme damnée », « la mort dans l’âme », « sauver son âme », etc. Pour désigner la réalité que le mot « âme » avait charge de recouvrir, on a recours à une série de termes toujours plus nombreux et mal définis qui saturent notre univers mental. On nous parle du « mode intérieur », de l’« espace intérieur », ou, plus banalement, du « for intérieur ». On nous entretient du « champ » de la « profondeur » et, dans les cas particulièrement dramatiques, du « gouffre », de l’« abîme ». Plus poétique, on userait d’expressions telles que « paysage intime », « jardin secret »… Plus théorique, on partirait de l’idée de psyché pour avancer les notions d’« appareil psychique », de « centre d’identité » […]. Devant cette avalanche de notions ou concepts, le quidam modernese sent perdu. L’unité de son être est rompue. »7

Tel est le point : la désintégration de nombre de sujets, jeunes ou pas, procède d’un déficit, clef de tous les autres, qui concerne le siège premier de l’humain. Les thérapies de toutes sortes, exercées sur l’homme déchiré, schizophrène, dispersé, sont cautères sur jambe de bois, ou presque, aussi longtemps qu’elles ne remontent pas aux sources ultimes de la pauvreté de l’âme, laquelle s’exprime tristement dans sa fragmentation, sa dispersion. Je ne peux ici qu’évoquer, l’ayant décliné ailleurs, le lien essentiel entre les situations actuellement démultipliées de fragmentation du sujet, de fragmentation sociale dans notre période aujourd’hui qualifiée, faute de mieux, de « post-moderne ».8

 

Pauvreté de l’esprit

Ce second plan renvoie à deux types distincts de pauvretés : (a) la pauvreté culturelle qui concerne l’absence de repères et le défaut de transmission des héritages éthiques, esthétiques et philosophiques. Cette situation déficiente hypothèque gravement l’appropriation des significations fondamentales de l’existence ; (b) de façon corollaire, la pauvreté critique qui exprime la difficulté du sujet à prendre du recul à la fois vis-à-vis de ces repères, de ce qui lui est transmis et de son environnement culturel.

 

Pauvreté du corps

Le « pauvre de corps » est celui qui ne possède pas ou plus la force de se mouvoir, la puissance d’agir concrètement, d’aller « vers ». Précisément, l’expression qualifie trois situations de pauvretés : la pauvreté économique, la pauvreté physique et la pauvreté socio-affective. À ce triple égard, le pauvre est (a) celui qui n’a pas de quoi vivre dans la décence, qui ne possède pas le minimum vital (défaut de nourriture, de vêtement, de logement). Il est également (b) celui qui ne peut réunir les ressources physiologiques suffisantes pour « faire face » (handicap physique ou psychique). Enfin, il n’a pas (c) de quoi entretenir des relations socio-affectives stables et bénéficier du minimum de reconnaissance que fournissent habituellement les communautés locales, familiales, associatives.

Paradoxalement, cette triple pauvreté ainsi décrite en termes de déficit structurel, fait signe vers une pauvreté ontologique, constitutive du sujet humain que le philosophe peut mettre en évidence, et que le théologien relie au message évangélique des Béatitudes (Mt 5,3-12 ; Lc 6,20-26). Pour apprécier ces différents niveaux de compréhension de la pauvreté dans le contexte contemporain, nous appuyant sur la base anthropologique définie antécédemment, j’ouvrirai sept dossiers destinés à suggérer quelques pistes de réflexion et de méditation.

 

Les sept dossiers fondamentaux de la « pauvreté »

Dossier biblique

Le lexique de la pauvreté traverse, selon des vocables variés, l’ensemble de la textualité biblique. Dans l’Ancien Testament, on le trouve diversement exprimé par l’hébreu raṧ (21 occurrences) qui signifie l’« indigent », par dal (48 occurrences) qui signifie le « chétif », par èbyôn (61 occurrences) qui signifie le « mendiant » et, plus connu, anî, au (pluriel anawim), qui signifie l’homme courbé, affligé, dont la racine ’anawah évoque tout ensemble les idées de justice (So 2,3), de « crainte de Dieu » (Pr 15,33) et de fidélité (Si 1,27 ; 45,4 ou Nb 12,3) que l’on traduit habituellement par « humble ». Ce sont les Psaumes qui font retentir puissamment le « cri de ces anawim » (Ps 10,17 ; 18,28), littéralement courbés par le poids lourd des difficultés insurmontables. Mais aussi, il désigne ceux qui souffrent de leur pauvreté et indique une attitude intérieure, celle de l’humilité… Le même mot renvoie ainsi souvent dans les Psaumes à cette double signification, comme par exemple « les humbles mangent à satiété » (Ps 22,27a), dans lequel une certaine exégèse a vu une anticipation de ce qui, depuis Vatican II, s’appelle l’Église des pauvres.