Nouvelle histoire de la Commune de Paris en 1871 - Ligaran - E-Book

Nouvelle histoire de la Commune de Paris en 1871 E-Book

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Extrait : "L'événement politique le plus déplorablement triste du dix-neuvième siècle est, selon toute probabilité, celui qui sera connu dans l'histoire sous le nom de : Commune de Paris. Cet épisode sanglant, succédant au siège de cinq mois soutenu contre les Allemands, fit certainement plus de mal aux Français et plus de tort aux Parisiens que la guerre et le bombardement ne leur eu avaient causés. Il serait difficile de le raconter sans être ému..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

C’est parce qu’on a beaucoup écrit jour ou contre la Commune de Paris, que je viens à mon tour écrire quelque chose sur ce lugubre sujet. Après avoir confronté les auteurs de toute nuance et dépouillé avec soin tous les documents contradictoires, j’ai acquis la conviction que la plupart des écrivains qui ont raconté ce grand drame étaient trop près ou trop passionnés pour le bien juger.

Depuis dix ans, les premiers récits ont été modifiés par des redressements qui appartiennent désormais à l’histoire.

Les derniers travaux, s’appuyant sur des bases plus larges et des données plus justes, ont déjà éclairé une foule de points qui étaient restés dans l’ombre, mais ils sont trop considérables pour être mis entre les mains d’un public qui n’a guère le temps de lire ou de discuter, et aime à aller droit au but.

Les pages qui suivent sont un résumé simple, populaire, mais exact et véridique de ces évènements trop vite oubliés.

En les offrant aux lecteurs occupés, nous voulons les mettre à même d’apprécier sainement et promptement une époque malheureuse dont le retour n’est pas tout à fait impossible. Nous voyons pénétrer peu à peu dans les masses et même appliquer déjà dans nos lois, une partie des idées que soutint la Commune ; est-elle donc si loin de nous ? Son état-major est reconstitué et au complet, il se flatte de faire mieux la seconde fois qu’il n’a fait première ; il tiendrait certainement parole, et ce n’est pas le génie de nos hommes d’État actuels qui viendrait à bout de l’empêcher.

En mettant sous les yeux du lecteur le tableau fidèle de ce qui est arrivé en 1871, nous voudrions donner à tous les Français une idée juste de la situation, inspirer l’horreur de la démagogie et leur épargner la répétition de scènes qui présageraient la fin de la patrie.

Chapitre premier

SOMMAIRE

La plus formidable insurrection connue. – L’enquête et les témoins. – Les causes éloignées. – Les principes révolutionnaires, le soin exagéré des classes ouvrières. – Liberté d’association et de réunion. – L’internationale. – Idées ouvrières. – Les sociétés secrètes. – Les engins meurtriers. – Complaisance coupable pour les émeutiers. – La capitulation de Paris. – Les élections du 8 février. – Le Comité central de la garde nationale. – Ses proclamations. – Pillage des armes. – Les officiers élus. – Les forces de l’insurrection. – L’armée démoralisée fraternise avec les insurgés.

L’évènement politique le plus déplorablement triste du dix-neuvième siècle est, selon toute probabilité, celui qui sera connu dans l’histoire sous le nom de : Commune de Paris.

Cet épisode sanglant, succédant au siège de cinq mois soutenu contre les Allemands, fit certainement plus de mal aux Français et plus de tort aux Parisiens que la guerre et le bombardement ne leur en avaient causés. Il serait difficile de le raconter sans être ému ; et pourtant, aujourd’hui qu’il est entré dans le domaine de l’histoire, il est plus facile d’être impartial qu’au lendemain de cette grande catastrophe nationale.

Nos assemblées délibérantes font peut-être faire trop d’enquêtes ; cependant nous ne saurions les blâmer d’avoir, par la loi du 16 juin 1871, institué une commission de 30 membres, chargés de rechercher les causes de la formidable insurrection du 18 mars. Grâce à cette enquête minutieuse, la lumière a été faite rapidement sur les causes et les effets de ce grand drame révolutionnaire et c’est aux sources officielles que l’historien peut puiser ses renseignements.

Les dépositions des 63 témoins entendus fournissent les documents les plus complets et les plus sûrs, parce que ces témoins, occupant tous des positions élevées dans le gouvernement, la magistrature, l’armée et l’administration, résumaient les dépositions de 10 000 ou 20 000 témoins subalternes. Presque tous ont déclaré que les terribles évènements de Paris avaient des causes éloignées et des causes prochaines.

Nous ne disons rien des causes éloignées, il suffit de les indiquer. Les principes mal compris de la grande Révolution de 1789 ont créé le grand courant des utopies socialistes qui est en train de ravager les nations, et qui sévit en France plus qu’ailleurs. La Commune fut une explosion de passions contenues depuis plus de quarante ans.

Tout en paraissant maîtriser ces passions, l’Empire les avait flattées d’une manière déplorable. La prédominance des intérêts matériels, déjà fort sensible du temps de Louis-Philippe, avait achevé de corrompre les bourgeois, abaissé les consciences et préparé la désorganisation sociale. Les encouragements donnés par le régime impérial aux tendances socialistes et au groupement révolutionnaire des ouvriers devaient fatalement amener des catastrophes : l’état malheureux dans lequel se trouva la France au lendemain de la guerre et Paris après son premier siège hâta l’explosion ; mais elle était prévue par tous les bons esprits.

Bien avant de monter sur le trône, Napoléon III avait manifesté des tendances socialistes. On le voit dans ses écrits ; il voulait être le Messie des idées nouvelles. Louis-Philippe s’était occupé de la bourgeoisie, l’Empereur affecta de s’occuper des classes laborieuses. Ce fut pour elles qu’il embellit Paris et créa une foule d’institutions de prévoyance ou de secours dont elles lui surent assez peu de gré. C’est lui qui encouragea les associations ouvrières et même l’Internationale, croyant qu’elle se contenterait de guerroyer contre les patrons, sans faire de politique.

Il se trompait en ceci comme en bien d’autres choses, et les observations des gens plus clairvoyants que lui ne purent l’arrêter.

À l’Exposition de Londres (1862), les ouvriers français délégués n’eurent rien de plus pressé, en fraternisant avec les ouvriers anglais, que de jeter les fondements de cette association fameuse destinée à faire trembler les rois sur leurs trônes, en unissant les travailleurs de toutes les nations pour revendiquer les prétendus droits des classes ouvrières. Sous prétexte d’obéir au suffrage universel et d’améliorer le sort des prolétaires, l’Empire se livra peu à peu aux démagogues, leur fit des concessions, céda ses garanties en renonçant aux précautions traditionnelles dont les meneurs demandèrent le changement. À force de vouloir les grouper, on en fit une puissance formidable, et à Paris seulement on obtenait cette effrayante « collectivité » où l’on comptait 200 000 individus marchant comme un seul homme.

Après la liberté d’association vint la liberté de réunion. L’Empire avait permis à cette population incandescente, et déjà fort travaillée par la mauvaise presse, de se réunir pour entendre, dans les clubs, déclamer contre tout ce qu’il y a de respectable dans la société. La haine contre la religion, le renversement des institutions sociales, mariage, famille, propriété, patrie : tels étaient les thèmes obligés de ces réunions ; c’était une vraie frénésie. Les actes de 1871 ne furent que la traduction des discours tolérés en 1869.

Les cinq cents sociétés coopératives établies à Paris en 1866 n’avaient qu’un but commun : se grouper pour amener une révolution. Leurs membres ne s’en cachaient guère. Un témoin qui avait vu de près les ouvriers et les meneurs auxquels ils obéissaient, dépose ainsi :

« Ils ne cherchent nullement à améliorer leur sort par le travail et l’économie. Ils ne rêvent que l’expropriation, à leur profit, des ateliers et des machines appartenant aux patrons riches qu’ils détestent. Je les ai toujours trouvés haineux, ennemis de toute supériorité et de toute autorité. Il leur fallait un bouleversement politique pour atteindre le nivellement social. Un moment ils ont cru, par la coopération, travailler moins et gagner davantage ; quand ils ont vu qu’il fallait travailler autant et ne gagner guère plus, ils n’ont plus songé qu’à l’expropriation du bourgeois et à la suppression du capital. »

Ces associations ouvrières comptaient de 70 à 80 000 membres, réunis par le lien d’une fédération et célébrant les anniversaires significatifs du 14 juillet et du 21 janvier.

L’Internationale, proscrite en France dès 1868, s’unit à cette fédération puissante et ne tarda pas à la diriger, tout en paraissant se mettre sous sa protection. Dans les divers congrès tenus les années précédentes, les délégués ouvriers avaient condamné la société actuelle. Les évènements les surprirent en septembre 1870, mais la révolution du 4 leur fit concevoir l’espérance de procéder bientôt à l’exécution de leurs décrets, et, dès le 6, le conseil général de Londres adressait à tous ses correspondants de France l’ordre de se tenir prêts à faire la révolution sociale.

Le 28 septembre, on essaya de la faire à Lyon, mais la tentative échoua ; il fut convenu qu’on s’occuperait d’abord de la défense nationale. La liquidation viendrait ensuite.

En accordant la liberté de réunion, l’Empire avait cru diminuer le nombre des sociétés secrètes ; il comptait même les faire disparaître. Le contraire arriva : c’est surtout à partir de 1869 que les chefs révolutionnaires établirent ces sociétés. Les révolutionnaires bourgeois se rattachaient en général à Blanqui, dont un préfet de police évalue les adhérents à 50 ou 60 000 dans Paris. Miot, Tridon, Eudes, Flourens, Serizier et Sapia suivaient son drapeau. Félix Pyat, un des journalistes les plus dangereux de la démagogie, faisait bande à part et comptait moins de partisans ; il buvait depuis longtemps « à la balle ronde et polie qui tuerait le chef ennemi. » Delescluze, qui conspirait depuis vingt ans, était l’âme d’une autre société prête à faire cause commune avec l’Internationale, dont Blanqui aurait voulu devenir le chef. Divisés sur les moyens, ces hommes étaient au fond tous d’accord pour réclamer la liquidation sociale.

Ils s’y préparaient en appliquant les progrès de la science à la fabrication d’engins destructeurs. Après le 4 septembre, un décret autorisa le commerce des substances explosibles et la fabrication des armes de toute espèce. L’occasion était belle et les sociétés n’eurent garde de la laisser échapper. Aussi voyons-nous les futurs chefs de la Commune cultiver avec soin cette nouvelle branche d’industrie. Sous prétexte d’exterminer les Prussiens lorsqu’ils oseront donner l’assaut ou s’engager dans les rues de Paris, les Communistes se livrent avec ardeur à la fabrication d’engins meurtriers. Le fameux Duval y emploie jusqu’aux boutons d’uniforme de la garde nationale. C’est le XVIIIe arrondissement (Montmartre), dont M. Clémenceau est le maire, qui fournit les quantités les plus considérables.

Après la tentative d’insurrection du 22 janvier 1871, le préfet de police, M. Cresson, frappé du danger social qui résultait de cette fabrication désordonnée, fit saisir 25 000 bombes Orsini et 6 000 tubes incendiaires. On avait emmagasiné ces sinistres engins jusque dans les caveaux du cimetière Montmartre ; mais il y en avait encore 12 000 chez Lapye, fabriquant sous les ordres de M. Clémenceau, et un fondeur de Belleville en fit treize modèles différents. Beaucoup de ces pièces étaient chargées, il fallait des précautions extrêmes pour les transporter ; on les fit éclater dans les puits de l’artillerie, à Vincennes.

La disparition de ces terribles instruments, dont chaque membre de la Société des Saisons devait avoir un exemplaire dans sa poche, diminua le danger ; mais les chefs restaient, et certains membres du gouvernement eurent pour eux des complaisances coupables. Quand la police avait éventé les complots et livré les artisans du désordre au parquet, celui-ci ne manquait pas de les relâcher sur l’injonction de quelque notabilité de la Défense nationale. La plupart des chefs de la Commune avaient été entre les mains de la justice civile et même de la justice militaire. Tous furent relâchés. M. Emmanuel Arago avait voulu à tout prix délivrer son ami Félix Pyat. Serizier, l’assassin des Dominicains, était condamné à mort : il fut sauvé par M. Jules Ferry. Ni les conseils de guerre, ni les cours martiales ne prononçaient de condamnations, ou bien elles n’étaient pas suivies d’effet. M. Ernest Picard ne fait pas difficulté de reconnaître que si les rigueurs de la loi eussent été appliquées à deux ou trois cents meneurs bien connus, les choses auraient pris une autre tournure. L’inexplicable faiblesse du gouvernement, avouée par tous les bons Français, blâmée par tous les étrangers, a donc été une des causes les plus actives du désordre qui s’ensuivit. D’origine essentiellement révolutionnaire, il ne sut que flatter la Révolution et recueillit ce qu’il avait semé.

Jusqu’ici, les témoins entendus dans l’enquête sont à peu près unanimes : ils cessent de l’être lorsqu’il faut apprécier ce qui se passa au lendemain de la capitulation de Paris. Après cinq mois de souffrance et presque de famine, tous ceux qui pouvaient sortir de Paris avaient hâte de s’en éloigner et de respirer l’air de la campagne. Il partit aussi près de cent mille hommes des plus éclairés et des plus raisonnables de la garde nationale qui garda ses armes, tandis que l’armée régulière rendit les siennes et ne compta plus que 12 000 soldats pour maintenir l’ordre.

Les élections du 8 février furent mauvaises, et tandis que l’immense majorité de l’Assemblée nationale était conservatrice, les quarante-trois députés de Paris appartenaient, à peu d’exceptions près, aux opinions les plus avancées. Qu’il suffise de citer Louis Blanc, Félix Pyat. Delescluze, Malon, Millière, Rochefort, Razouat et autres chefs des sociétés secrètes. Ces hommes, en arrivant à Bordeaux, se trouvèrent comme noyés parmi les honnêtes gens que la France avait choisis pour relever ses affaires. Ils les tournèrent en ridicule, les désignant sous le nom de ruraux, et firent entendre aux Parisiens que ces ruraux les traiteraient sans pitié, et qu’en décrétant la dissolution de la garde nationale, on allait leur enlever la solde de 1 fr. 50 par jour, qu’ils touchaient sans être astreints à aucun travail, tandis que leurs femmes recevaient soixante-quinze centimes.

M. Jules Favre a été vivement blâmé d’avoir laissé les armes à la garde nationale, tandis qu’il les retirait aux troupes régulières. Pour le rendre responsable de cette dernière mesure, il aurait fallu la permission de M. de Bismarck ; le chancelier de fer, qui avait sans doute des raisons pour cela, ne voulut rien entendre et exigea la reddition des armes. En les laissant aux gardes nationaux, il prévoyait l’usage qu’ils allaient en faire et se ménageait des auxiliaires précieux pour ses projets d’abaisser la France.

Le désarmement, à supposer qu’on l’eût permis, eût-il été possible ? Les uns ont dit oui, les autres non. Dans tous les cas chacun s’accorde à reconnaître qu’il eût été extrêmement difficile. Au mois de février 1871, on ne comptait pas moins de 477 000 individus nécessiteux et secourus par les municipalités ou l’État ; tout ce monde tenait fort à la conservation des cantines nationales où la nourriture ne lui coûtait presque rien. Les meneurs représentaient habilement que ce régime ne pourrait continuer, si on se soumettait à un gouvernement qui avait trahi l’héroïque capitale, en la livrant aux Prussiens, et qui l’écraserait encore pour la livrer à la monarchie.

Dès le 3 février on lisait à Belleville des affiches demandant l’arrestation des membres du gouvernement, et le comité central de la garde nationale commentait à montrer son influence toute-puissante.

Qu’était-ce que ce comité central, et comment s’était-il constitué ?

Une grande obscurité règne sur son origine, et les dépositions des témoins ne concordent pas. Ce sont les idées de fédération émises par le fameux révolutionnaire Proudhon qui paraissent avoir prévalu pour réunir les éléments d’opposition dispersés dans les comités particuliers ; les meneurs voulurent rattacher les 260 bataillons de la garde nationale à un comité unique, dominant tous les autres.

C’était donner une tête à ce corps, une armée à la démagogie ; on appelait cela « fédérer la garde nationale. » Dès le 21 février, dans une grande réunion tenue aux Vauxhall, la fédération était un fait accompli.

Le comité fit l’essai de sa puissance en publiant le jour même une proclamation ordonnant « qu’au premier signal de l’entrée des Prussiens à Paris, les gardes nationaux en armes se réuniront pour se porter contre l’ennemi envahisseur. » Il déclarait en terminant que dans la situation actuelle « la garde nationale ne reconnaissait plus d’autres chefs que ceux qu’elle se donnerait elle-même. »

C’était injurieux pour les chefs que lui avait donné le gouvernement.

Sous prétexte de célébrer le grand anniversaire du 24 février, le comité central convoqua ses bataillons au pied de la colonne de la Bastille. Pendant huit jours ce fut un défilé continuel, des manifestations se renouvelant sans cesse au pied de la colonne dont le génie ailé tenait un drapeau rouge à la main droite, une couronne au bras et un crêpe noir sur la tête. La foule se préparait à la révolution, et, dès le 26 février, pour se faire la main, elle jetait à l’eau, après lui avoir infligé mille tortures, un homme énergique, nommé Vicenzini, dont le seul tort était d’avoir exercé l’emploi d’inspecteur dans la police de Paris.

Les 114 bataillons fédérés avaient adopté à l’unanimité l’ordre de marcher contre les Prussiens lorsqu’ils entreraient à Paris. Au moment où les vainqueurs vinrent se promener jusqu’aux Tuileries, au Louvre, les fédérés se gardèrent bien de paraître ; leur but était atteint. Ils avaient des canons et des armes, mais c’était pour les employer à la guerre civile. Les deux derniers jours de février furent marqués par des pillages d’armes et de canons dans les parcs d’artillerie et sur les remparts que les soldats ne pouvaient plus défendre. Les Parisiens faisaient semblant de croire que ces armes étaient nécessaires pour sauver la République menacée, ils s’attelaient volontiers aux canons que Duval accumulait à Montmartre pour en faire une place de guerre menaçant tout Paris.

Le Journal officiel protesta en vain contre l’intervention de ce pouvoir anonyme qui s’emparait indûment d’armes et de munitions de guerre.

Le comité central répondit le lendemain (4 mars) par une affiche déclarant qu’il avait été nommé dans une assemblée générale de délégués représentant plus de 200 bataillons ; que sa mission consistait à constituer la fédération républicaine de la garde nationale « afin qu’elle fût organisée de manière à protéger le pays mieux que n’avaient pu le faire jusqu’alors les armées permanentes, et à défendre par tous les moyens possibles la République menacée. »

Pour montrer qu’il n’était pas anonyme, le comité mettait bravement au bas de l’affiche le nom de vingt-cinq de ses membres. À part le nom de Prudhomme célébré par Henri Monnier, les vingt-quatre autres étaient tout à fait inconnus.

Le commandant en chef des gardes nationaux, général Clément Thomas, avait donné sa démission le 16 février. Le gouvernement voulut le remplacer le 4 mars par le général d’Aurelle de Paladines. Le vainqueur de Coulmiers n’était pas populaire, son autorité fut méconnue parce qu’il était monarchique et clérical, disaient les Parisiens ; en réalité parce que le comité central ne voulait plus souffrir d’autorité que la sienne propre.

En dehors des gardes nationaux déjà en pleine insurrection, il y avait dans la ville environ 280 000 soldats désarmés et désœuvrés, attendant le moment de leur départ. Les mobiles de la Seine s’étant mutinés de bonne heure, ceux de l’Hérault les imitèrent. L’insubordination augmentant à vue d’œil, les soldats se démoralisaient au contact de la population, plusieurs acceptèrent du service dans les rangs des rebelles.

La signature des préliminaires de paix ayant permis d’élever la garnison de Paris à 40 000 hommes, le comité central s’en plaignit dans une proclamation du 10 mars, prétendant que Paris était suffisamment protégé par ses 300 000 gardes nationaux, et que le gouvernement voulait la guerre civile ; il suppliait les soldats, « enfants du peuple, de ne pas tirer sur le peuple. Pour prouver son amour de la paix, le même comité central projetait d’enlever, ce jour-là, les canons rassemblés au Luxembourg, et refusait de livrer les canons entassés à Montmartre.

Le 11 mars, en vertu des pouvoirs que lui conférait l’état de siège, le général Vinoy suspendait six des journaux les plus exagérés. Cette mesure causa une nouvelle irritation même parmi les bourgeois, qui tremblèrent pour la liberté de la presse. Le comité central poursuivait son œuvre et faisait appliquer l’élection aux officiers de la garde nationale. C’est ainsi que le 11 mars on nommait chef de la XVIe légion un jeune fabricant de mannequins, déserteur, âgé de vingt et un ans, qui se donna bientôt des grades et se fit appeler le général Henry. »

L’Assemblée nationale avait bien raison de décider qu’elle n’irait point à Paris, où les émeutiers l’attendaient pour la supprimer. Elle devait se transporter à Versailles pour le 20 mars. Les Parisiens lui en firent un crime, elle manquait de confiance en eux. De tous les côtés, on élevait des barricades ; la troupe fraternisait avec le peuple ; les garibaldiens licenciés accoururent au nombre de plusieurs milliers ; l’Internationale appelait des affiliés qui se firent passer pour Alsaciens ; et quand l’insurrection préparée de longue date éclata, voici le dénombrement des forces que le comité central pouvait mettre en ligne :

1 047 pièces d’artillerie de vingt-sept types différents, dont 726 furent employées dans les rues ;

283 000 fusils chassepot ;

190 000 fusils à tabatière ;

14 000 carabines à répétition.

Si elle n’avait que 449 chevaux, son infanterie de 20 légions et 254 bataillons lui permit de mettre en ligne 140 à 150 000 gardes nationaux commandés par plus de 7 000 officiers, et 28 corps francs, agissant à leur fantaisie, sous les noms les plus bizarres, et comptant 10 820 hommes commandés par 310 officiers.

La solde de cette troupe avait coûté plus de 120 millions pendant les cinq mois du premier siège.

Les hommes de guerre sont unanimes à reconnaître que c’était payer bien cher les services qu’elle avait rendus. Dans la semaine qui précéda le 18 mars, le général commandant d’Aurelle reçut chaque jour les démissions de 70 à 80 officiers qui se retiraient ; le comité central les remplaçait aussitôt par des fédérés choisis : l’émeute était déjà moralement maîtresse de la capitale. Le 15 mars, quand le gouvernement crut pouvoir enlever les trente canons que Duval gardait sur la place des Vosges, il les trouva défendus par trois bataillons rebelles. Les troupes régulières durent plier, l’effet fut déplorable, et M. Thiers, voyant qu’on ne pouvait plus compter sur la garde nationale, résolut de faire enlever coûte que coûte les canons déposés à Montmartre.

Chapitre deuxième

SOMMAIRE

Enlèvement des canons de Montmartre. – Le 18 mars. – Lutte impossible. – Lâcheté des conservateurs. – Défection des soldats. – Retraite du gouvernement et fuite à Versailles. – Assassinat des généraux Clément Thomas et Lecomte. – Arrestation de Chanzy. – Conquête de Lullier. – Les fédérés maîtres partout. – Leurs prétentions. – Les maires de Paris sont joués. – La fusillade du 22 mars montre le danger. – Les premiers généraux de la fédération. – Le danger et le piège des élections. – Les programmes du prolétariat. – Les élections du 25 mars. – Les élus. – Appel à la France. – Jules Favre demande pardon à Dieu et aux hommes.

Avant d’opérer, M. Thiers voulut prendre les Parisiens par les sentiments :

« Que les bons citoyens, disait-il, se séparent des mauvais, qu’ils aident la force publique au lieu de lui résister.

Parisiens ! vous nous approuverez de recourir à la force, car il faut à tout prix, et sans un jour de retard, que l’ordre, condition de votre bien-être, renaisse entier, immédiat, inaltérable. »

Les Parisiens firent la sourde oreille et M. Thiers ne fut guère plus écouté que les maires et les citoyens bien intentionnés, qui avaient négocié la paix.

M. Picard s’adressa à la garde nationale en lui disant :

« Si vous n’étouffez pas la sédition dans son germe, c’en est fait de la République et peut-être de la France. »

On comptait un peu sur trente bataillons conservateurs : ils fournirent environ dix hommes chacun quand on battit le rappel. Le reste eut peur et fut de l’avis des fédérés qui disaient :

« Jamais nous ne livrerons nos canons ; ils sont la garantie de la République, de la liberté et de la solde quotidienne qui nous fait vivre. »

Ce fut dans ces conditions difficiles que l’on tenta l’enlèvement des canons de Montmartre, le 18 mars de grand matin. L’opération devait être longue, car il y avait 171 pièces réunies au sommet de la colline, enchevêtrées les unes dans les autres et quelquefois manquant d’avant-trains.

Un des témoins de l’enquête, le colonel du 88e de ligne et le général Leflô ont déclaré que l’opération fut manquée par suite du retard des attelages. Le général Vinoy a protesté contre cette accusation ; ses mesures étaient bien prises, il croyait avoir une lutte sanglante à soutenir pour s’emparer des canons ; une fois maître de l’artillerie, on dominait la ville, et les pièces pourraient être descendues à loisir.

Rien de semblable n’arriva et il n’y eut pas de lutte, parce que les troupes ne voulurent pas se battre. Maîtresses de la situation, elles foulèrent aux pieds le devoir et se laissèrent aller à la plus honteuse défection. Entourées d’une masse d’hommes, de femmes et d’enfants qui leur disaient : « Vous ne tirerez pas sur le peuple, nous sommes vos frères, nous voulons la paix, on vous trompe ; vive la ligne » les troupes fraternisèrent ; on les fit boire ; le 88e mit la crosse en l’air aux buttes Montmartre. Il en fut de mime à peu près partout, et les soldats français allaient payer cher ce moment de faiblesse.

Duval faisait tirer le canon d’alarme à la mairie du XIIIe arrondissement ; les fédérés construisaient des barricades ; des soldats isolés ou en groupes tiraient sur les officiers qu’ils voyaient passer ; on désarmait les postes, et vers dix heures du matin l’opération n’était pas seulement manquée, la cause de l’ordre était perdue, et les insurgés mêlés aux soldats parcouraient la ville en triomphe et s’avançaient menaçants.

Il fallait que la situation fût bien mauvaise pour que le chef de l’État en vint à prendre une mesure aussi grave que celle de l’abandon de Paris. La facilité avec laquelle les soldats se laissaient désarmer et passaient à l’ennemi lui montra qu’il ne fallait plus rien attendre d’eux. « Il est clair, dit-il au général Vinoy, que nos troupes vont être submergées dans cette foule. Tirons-les du chaos où elles sont plongées, faites-les revenir sur la rive gauche de la Seine. »

Les ministres firent des objections : ils parlèrent encore des honnêtes gens, des bons gardes nationaux, de l’honneur parisien, garanti à M. de Bismarck par Jules Favre. On battit de nouveau le rappel, espérant réunir 20 000 gardes nationaux pour les joindre aux troupes fidèles. Il s’en présenta cinq ou six cents ; les autres fraternisaient avec les fédérés, et les bataillons insurgés descendus des hauteurs avaient franchi la Seine, ils entouraient l’hôtel de ville et étaient maîtres de la barrière d’Enfer.

Dans ce désarroi général, on oublia bien des choses ; mais l’ordre du chef de l’État prévalut, toutes les troupes encore fidèles reçurent l’ordre d’évacuer Paris et même les forts rendus depuis huit jours par les Prussiens. On ne songea qu’à couvrir et Versailles et l’Assemblée nationale qui devait s’y réunir deux jours après. La précipitation fut telle que le soir tous les ministères étaient évacués, tous les chefs d’administration dirigés sur Versailles.

Vers l’heure où M. Thiers sortait de Paris un drame sanglant donna la mesure des cruautés dont les émeutiers seraient capables. Abandonné lâchement par ses troupes, le général Lecomte, qui commandait les deux bataillons chargés le matin d’enlever la position de Montmartre, se trouva prisonnier des insurgés, avec deux ou trois de ses officiers. Enfermé dans une maison de la rue des Rosiers, il y fut insulté par un caporal du 3e chasseurs, un soldat du 88e et deux mobiles dont l’un, lui mettant le poing sur la figure, lui dit : « Tu m’as donné une fois trente jours de prison ; c’est moi qui te tirerai le premier coup de fusil. »

Bientôt on amena dans la même maison un vieillard à barbe blanche : c’était le général Clément Thomas, commandant de la première armée pendant le siège et chef suprême de la garde nationale jusqu’au 16 février. Il avait été reconnu non loin de la butte et amené comme prisonnier du peuple.