Nouvelles de Colombie - Collectif - E-Book

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Beschreibung

À la découverte des traditions et de la culture de la Colombie.

Les écrivains américains, en général, sont des raconteurs d’histoires, des « storytellers ». Les écrivains latino-américains en particulier. Les cuentos y tiennent donc une place de premier plan dans la littérature et dans l’histoire du « boom latino-américain », qui a donné au monde tant de géants. Preuve, s’il en est, que dans les processus d’écriture de fiction, et même de fiction au long cours, la nouvelle joue un rôle essentiel.

Les conditions politico-économiques d’un pays ont fréquemment favorisé l’écriture de ces formats courts : la pauvreté, la censure, l’absence de maisons d’édition pouvant l’expliquer... Sous les dictatures, la nouvelle se porte généralement assez bien car la littérature se réfugie dans l’écriture de textes brefs mais denses. Du nord au sud de l’Amérique latine, on est à l’aise avec cette forme d’expression. Pour l’écrire et pour la lire. La Colombie ne déroge pas à cette règle. Les Français disent souvent, et cela date de Maupassant et de Marcel Aymé, qu’une bonne nouvelle est une nouvelle qui a une bonne chute. Ce n’est pas faux, mais peut-être aussi qu’une bonne nouvelle est un texte qui déploie le potentiel d’un univers de roman. Dans la densité des personnages et des décors mis en scène, dans l’action qui s’y déroule.

Laissez-vous emporter dans un formidable voyage grâce aux nouvelles colombiennes de la collection Miniatures !

À PROPOS DES ÉDITIONS

Créées en 1999, les éditions Magellan & Cie souhaitent donner la parole aux écrivains-voyageurs de toutes les époques.

Marco Polo, Christophe Colomb, Pierre Loti ou Gérard de Nerval, explorateurs pour les uns, auteurs romantiques pour les autres, dévoilent des terres lointaines et moins lointaines. Des confins de l’Amérique latine à la Chine en passant par la Turquie, les quatre coins du monde connu sont explorés.

À ces voix des siècles passés s’associent des auteurs contemporains, maliens, libanais ou corses, et les coups de crayon de carnettistes résolument modernes et audacieux qui expriment et interrogent l’altérité.

EXTRAIT DE LA PLANÈTE BOITEUSE

Estefanía a des jambes bien plus longues que celles de n’importe quelle autre femme qui vaut la peine qu’on se souvienne d’elle. Elle a de longs bras aussi. À la voir, on se dit « ces quatre ailes sont bien du même moulin ». Elle est toute en harmonie. Son cou la fait paraître plus grande qu’elle n’est en réalité. Elle a des cheveux drus et, quand elle les coiffe, elle doit les discipliner en fines nattes que quelqu’un, Dieu sait qui, doit patiemment lui tresser. Estefanía est de l’Urabá. Les gens de là-bas sont pleins d’entrain et elle danse sur la piste quand elle n’est pas occupée à courir ou à reprendre son souffle.

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Avant-propos

Les écrivains américains, en général, sont des raconteurs d’histoires, des « storytellers ». Les écrivains latino-américains en particulier. Les cuentos y tiennent donc une place de premier plan dans la littérature et dans l’histoire du « boom latino-américain », qui a donné au monde tant de géants. Preuve, s’il en est, que dans les processus d’écriture de fiction, et même de fiction au long cours, la nouvelle joue un rôle essentiel.

Les conditions politico-économiques d’un pays ont fréquemment favorisé l’écriture de ces formats courts : la pauvreté, la censure, l’absence de maisons d’édition pouvant l’expliquer… Sous les dictatures, la nouvelle se porte généralement assez bien car la littérature se réfugie dans l’écriture de textes brefs mais denses. Du nord au sud de l’Amérique latine, on est à l’aise avec cette forme d’expression. Pour l’écrire et pour la lire. La Colombie ne déroge pas à cette règle.

Les Français disent souvent, et cela date de Maupassant et de Marcel Aymé, qu’une bonne nouvelle est une nouvelle qui a une bonne chute. Ce n’est pas faux, mais peut-être aussi qu’une bonne nouvelle est un texte qui déploie le potentiel d’un univers de roman. Dans la densité des personnages et des décors mis en scène, dans l’action qui s’y déroule.

Quand on évoque ce grand pays hispanique, latino et caribéen de quarante-huit millions d’âmes, qu’est la Colombie, auquel le navigateur Christophe Colomb a donné son nom bien malgré lui, on pense pauvreté, violence, narcotrafic, enlèvements, FARC, etc. On peut d’ailleurs saluer comme il se doit l’accord historique signé en 2016 entre les autorités colombiennes et les FARC qui met fin à cinquante-deux ans de conflit ( !) et qui a valu au président Juan Manuel Santos l’attribution du prix Nobel de la paix. On pense moins spontanément à une nation littéraire, terre par exemple du prix Nobel de littérature (1982) Gabriel García Márquez, l’auteur de l’inoubliable Cent ans de solitude (1967) que tout amateur de littérature se devrait d’avoir lu, ou de Álvaro Mutis, romancier et poète qui a obtenu le prix Médicis étranger en 1989 pour La Neige de l’amiral. On ne pense pas non plus au festival international de poésie de Medelín ou au festival de littérature de Carthagène qui a mis les lettres françaises à l’honneur en janvier 2017…

La complexité ethnique (un mélange de peuples autochtones dont les descendants des Muiscas, Quimbayas et Tayronas se sont mêlés aux Espagnols arrivés en 1499, puis aux descendants d’esclaves africains), la diversité culturelle (au temps où elle s’appelait la Nouvelle-Grenade, la Colombie englobait l’actuelle Colombie, le Venezuela, l’Équateur, le Panama et le nord du Brésil) et l’engagement politique font le miel littéraire de ce pays qui redécouvre une certaine normalité sur le plan international et suscite un nouvel engouement. Sans oublier l’incontournable et durable héritage espagnol dont la courte nouvelle de Juan Esteban Constaín Croce, située pendant la bataille de Lépante et où apparaît le personnage de Cervantès, est une illustration. Dans une certaine mesure, elle peut faire écho à la dispute provoquée entre les deux pays par la découverte en décembre 2015 de l’épave du galion espagnol le San José, coulé en 1708 dans la péninsule idyllique de Baru, et de sa fabuleuse cargaison dont la valeur totale dépasserait le milliard d’euros. Le président colombien l’a qualifiée de « trésor le plus important jamais découvert dans l’histoire de l’humanité », alors que l’Espagne en réclame sa part.

Souhaitons que la découverte proposée ici de la littérature colombienne contemporaine s’inspire d’un tel enthousiasme. Univers de romans, densité des personnages et des décors, intrigue forte et puissante : on retrouve un peu tout cela dans les six nouvelles colombiennes, exclusivement d’auteurs masculins… successeurs assumés de leurs grands aînés, sélectionnées avec Marianne Millon dont nous tenons à souligner ici l’apport important à la collection « Miniatures » pour tous les titres hispaniques déjà parus. Un jour, peut-être, publierons-nous un titre 100 % féminin…

Pierre Astier

À Dieu, pour tout ce pour quoi il n’a jamais cessé de m’aider et de me protéger... en dépit de qui je suis et de ce que je suis.

LE COFFRE DE TES MISÈRES

par Andrés Candela

traduit de l’espagnol (Colombie) par Marianne Millon

Ma petite-fille : avant de t’expliquer ma décision de ne pas entrer dans un lieu aussi beau, j’aimerais tout d’abord te raconter ce qui est arrivé, ce qui arrive et ce qui arrivera sans le temps qui vient de loin et passe son chemin en accumulant nos conditionnels pathétiques : « Si on avait… si j’avais… si tu avais… » Je ne sais pas si tu me comprends, c’est très difficile à exprimer, mais en ce qui me concerne, mon temps s’est écoulé, je n’ai même plus un conditionnel me permettant de réparer au moins la partie imaginaire de tout ce temps qui est derrière moi.

J’ai suivi différentes pistes si exactes qu’elles m’ont même fait croire que mon destin, c’étaient les chemins étroits des lettres et la prose érudite, que je n’ai pourtant jamais explorés. Certaines pistes furent à leur époque trop précises et ont fini par se volatiliser dans ma tête car elles étaient trop complexes dans le monde des vivants ; d’autres fois, je les ai écartées en une seconde puis, capricieuses, elles sont revenues, défilant comme l’argument idéal qui incarnerait le meilleur mot de n’importe quel commencement et elles ont réussi à me faire croire que je dénouerais enfin ce nœud dans ma gorge avec mon discours si souvent sublimé pour pouvoir tout déballer d’une traite et… parler, parler, parler, T-E-P-A-R-L-E-R, ma petite-fille ! J’ai besoin du pardon du ciel. Toute cette misère ne peut continuer à se répandre comme la malédiction d’une lapine sans que le nombre immense de mes petits-enfants n’en perçoive le mal ! Après, Chepe, ton grand-père paternel, avide d’une patience de franciscain, lève la tête sans perdre contenance, cesse de contempler son dernier coup, remarque mon enthousiasme modéré, menace mon roi, un cavalier, une tour, et me demande…

– Nano, tu es sûr que c’est la meilleure façon de commencer à lui dire tout ce que tu veux ?

Le saut du cavalier dans ce jeu sera toujours un casse-tête et j’ai du mal à concevoir plus de cinq mouvements hypothétiques ; la tour est une tornade dotée d’un grand élan, comme celui d’une révolution, mais avec des coups de frein comme ceux de toute inflation. Je préférerai toujours sauver un cavalier ; et puis, mon roi est en échec et Chepe me fait pour la énième fois douter absolument de tout ce que je viens de lui exposer. Je fixe du regard cette table branlante à trois pattes qui a dû être confisquée à un médium repenti à son dernier soupir avant son ultime passage à la douane, mais je reconnais qu’elle nous a servi à soutenir notre échiquier pour une partie dont j’ai même oublié à quel moment elle a commencé. Je déplace ma tour pour protéger mon roi et je sauve mon cavalier, mais il décide de poursuivre la partie dans un autre quadrant, je ne sais pas si c’est par pitié ou simplement pour faire durer cette stupéfiante absence de temps et ainsi, pour que nous décidions enfin, sans nous lever, de te parler ; ou mieux, quand on pourra, quand on nous le permettra…

– Ne t’inquiète pas, Nano, on trouvera bien la meilleure façon. De ce côté de la famille, il y a beaucoup de gens à prévenir même si tu ne le crois pas, me dit-il sans se troubler.

Je lui demande d’un air fâché :

– Et si on trouve la façon de lui parler, mais qu’on nous l’interdit ?

– Ils nous laisseront faire, Nano, à un moment donné, ils nous permettront de lui parler, répond-il avec cette paix disproportionnée propre à ce qui n’est pas humain.

Je le défie d’un regard qu’il esquive pour se concentrer sur sa reine menacée. Je crois être enfin très sûr d’une chose : ton grand-père paternel a dû être un monsieur dès l’enfance, son allure irréprochable a dû naître avec lui, aucune personne saine d’esprit ne devient un saint comme ça. Sa transparence et sa capacité à faire tant de choses m’avaient toujours semblé perturbantes et humiliantes devant le si pauvre inventaire de mes fragiles volontés, de mes capacités manuelles limitées et de mes vertus évanouies. Je me rappelle aussi que la première fois où on me parla de l’origine de ton père, j’ai pensé : « une de ces canailles libérales » et j’ai imaginé toute sa famille sur le même modèle … Comme je me trompais ! Aujourd’hui… Quel jour est-on aujourd’hui, ma petite ? ! Bon… quelle importance quand le jour n’existe plus, quand, à la fin de ce début étouffant, on s’aperçoit que les misères sont également un sujet permanent ? !

***

Nano, depuis que j’ai appris à interpréter le miroir familial, je lui ai toujours dit que tout ce que toi et Chepe nous avez donné n’est qu’un chapelet de tribulations même si cela n’a jamais été la véritable intention, et tout ce dont j’ai hérité, je ne sais en vertu de quoi ou de qui, a été une volonté hallucinée qui m’utilise aujourd’hui comme interprète de cette foutue histoire. Ne t’offusque pas, mon cher Nano ; ou plutôt, comme je sais que tu dois être avec Chepe en ce moment, je vous demande de ne pas mal interpréter ces lignes !

Nano, en utilisant ton droit authentique de grand-père dépourvu de responsabilités, tu me laissais faire ce que je voulais quand tu pouvais, et j’adorais ça. Impossible d’oublier une si excellente humeur dans cette mer d’amertume qu’était malheureusement le caractère de grand-mère. Tu es le seul grand-père que la vie m’a permis de connaître et de me rappeler, et puis tu as toujours apaisé en cachette de tous les autres mon inextinguible soif. Supplice qui a traverséla mer avec moi, tapi en moi avant ma gestation et qui s’est révélé dans toute sa fureur quand ma jeune humanité a été emmenée vers la chaude Medellín des années 1980. Maintenant, Nano, tu sais très bien tout ce que je pense de notre pittoresque famille et de son lourd collier héréditaire : bourreaux impitoyables de premier rang quand il s’agit d’exécuter à tout-va sans s’apercevoir que pour de pires fautes la hache n’arrêterait pas de s’abattre sur leurs cous ; hypocrites à forte répétition, faible dévotion et sans aucune introspection vis-à-vis de Dieu ou de leur propre conscience ; ça, oui, hérauts d’une religiosité oppressante capable de condamner au feu biblique pour un dimanche sans communion. « Hypocrites, aveugles par caprice démesuré, menteurs à la double morale et chasseurs des insignifiantes fautes d’autrui ! », fut ma première sentence. Cependant, je commis la même erreur sans m’en rendre compte et répétai alors les lignes soulignées de notre rance scénario familial : le jugement, la critique, et à la fin, la condamnation. Je les ai fait venir un par un sur ma propre estrade de justice mentale. Je les ai critiqués effrontément et j’ai cassé du sucre sur leur dos. Enfin, impitoyable, sans miséricorde ni crainte de Dieu, je les ai condamnés de la même façon et sans appel ! Parvenu à la fin d’un si vindicatif jugement mental, j’ai fini par comprendre que je présentais moi aussi, en pire, les mêmes péchés, les incorrigibles vices génétiques. Devant une vérité aussi irréfutable, il ne me restait pas d’autre solution que de les gracier, me pardonner, les observer, garder le silence, me regarder, afin d’ouvrir les yeux une fois pour toutes et, de la sorte, pouvoir me connaître. Vous savez, Nano, Chepe, tout a été plus facile dans ce massacre mental contre les miens et il serait tout à fait insensé de nier que j’en ai aussi bien profité en me considérant provisoirement, grâce à quelques réussites, comme au-dessus d’eux ; ensuite, quand j’ai voulu leur pardonner et me pardonner, le plus grand trouble s’est déclaré en moi. J’ai un ennemi qui attaque et vient de très loin à l’intérieur, luttant pour sortir par des victoires qui se mesurent à la charge de conscience de chaque tribulation ; après, quand l’excès d’erreurs finissait par m’anesthésier, je m’abandonnais entièrement aux fautes sans aucune jérémiade et ce fut ainsi, dans ce puits si doux, que j’aperçus l’infortune de ce qui avait si souvent été répété le dimanche à la messe tandis que mes yeux se perdaient en comptant les briques au plafond de l’église.

Je parle de cet adagio inlassablement ratifié, analogie infiniment répétée, toujours écoutée par tous mais jamais comprise et que la Bible, dans la Genèse, a intitulée pour moi, comme la meilleure de toutes ses allégories : « le péché originel ». Moi, de mon côté, fervent croyant et pécheur sans religion, je l’appellerai… Génétique ! Une charge dont je me suis aperçu à de multiples occasions qu’elle représentait un poids considérable à porter, tenter de s’en libérer revient à s’écorcher et devient de surcroît une brutale condamnation quand on la démantèle, mais aucun membre de la famille n’a fait le moindre effort pour changer ou régénérer un tel mal... Ou si, Nano, qu’en sais-tu ? ! « Si tu vis sans la découvrir, tu es sauvé parce que tu es rustre, sot, aveugle, stupide et dans la lune ! Mais si tu la découvres par amour de Dieu, oisif, curieux, investigateur, observateur, et que le désordre perdure, démerde-toi, t’es foutu et tu vas brûler dans la cave du monde ! », c’est comme ça que je l’ai interprété pendant de nombreuses années jusqu’à ce que, grâce à Dieu en personne, arrive un ami en col romain et qu’il aie la bonté de mieux me l’expliquer : « Dieu ne nous aime pas pour qui nous sommes ou pour ce que nous sommes, il nous aime malgré ce que nous sommes », me dit-il lors d’une de nos interminables conversations.