Nouvelles de Montréal - Collectif - E-Book

Nouvelles de Montréal E-Book

Collectif

0,0

Beschreibung

À la découverte des traditions et de la culture de Montréal.

La présence des Amérindiens, les empreintes encore très fortes d’une tutelle religieuse qui a forgé les âmes, le cosmopolitisme né de la présence des dizaines de communautés qui ont trouvé refuge au pied du Mont-Royal qui trône au cœur de la ville, la frontière linguistique qui coupe la ville en deux avec un Est francophone et un Ouest anglophone, les solitudes perdues dans les couloirs bondés du métro, le déchirement des migrants qui prennent un billet aller en sachant qu’il n’y aura pas de retour, sans oublier bien sûr les tempêtes de neige et les températures polaires qui font la réputation de Montréal...
Toutes ces composantes restituent le talent de cette ville à créer des espaces de vie et d’échanges, à inventer des formes de sociabilité, à accueillir les expressions culturelles les plus diverses. Conviviale, hybride, jeune et inventive, elle est balayée par des vents violents qui ouvrent grand les imaginaires. Là, de nouvelles formes de vie sociale s’écrivent.

Laissez-vous emporter dans un formidable voyage grâce aux nouvelles montréalaises de la collection Miniatures !

À PROPOS DES ÉDITIONS

Créées en 1999, les éditions Magellan & Cie souhaitent donner la parole aux écrivains-voyageurs de toutes les époques.

Marco Polo, Christophe Colomb, Pierre Loti ou Gérard de Nerval, explorateurs pour les uns, auteurs romantiques pour les autres, dévoilent des terres lointaines et moins lointaines. Des confins de l’Amérique latine à la Chine en passant par la Turquie, les quatre coins du monde connu sont explorés.

À ces voix des siècles passés s’associent des auteurs contemporains, maliens, libanais ou corses, et les coups de crayon de carnettistes résolument modernes et audacieux qui expriment et interrogent l’altérité.

EXTRAIT DE UN SOIR D'EXIL

Je suis arrivé à Montréal un soir de mai 2001 à l’aéroport Trudeau, avec un billet aller simple.
L’avion atterrissait doucement dans une atmosphère feutrée. L’hôtesse de l’air disait d’une voix mécanique :
– Bienvenue à Montréal. Nous vous remercions d’avoir choisi Air Canada. Il fait moins huit degrés...
Cette voix m’a tiré de ma torpeur. J’étais dans un état second, vraiment mou comme un chiffon, ni content ni malheureux. J’ai essayé en vain de me
parler à moi-même. Comment parler à un homme qui décide de partir ? Quels sont les mots pour le consoler d’avoir abandonné le pays de son enfance ?

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 123

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Avant-propos

Six nouvelles pour proposer le portrait d’une ville aux multiples visages, comme les facettes d’un kaléidoscope réfléchissant à l’infini les diversités de Montréal. Six nouvelles pour restituer l’énergie, la vitalité, les complexités de cette ville insulaire qui compte parmi les plus froides au monde.

Tel est le défi relevé par ce volume exceptionnellement consacré à une ville et non à un pays. Parce que Montréal, si elle n’en est pas la capitale, est bien le cœur battant et vivant du Québec, sa principale métropole, son poumon économique, et surtout le lieu où se concentre la culture.

Avec près de quatre millions d’habitants, l’agglomération de Montréal regroupe presque la moitié de la population québécoise. C’est une ville pays, une ville monde, une ville archipélique qui dit l’Amérique en français.

Ville francophone la plus peuplée d’Amérique, elle est aussi l’une des plus grandes villes francophones du monde (quatrième après Paris, Kinshasa et Abidjan). La majorité des habitants de la communauté de Montréal (environ 65 %) ont le français pour langue maternelle, une part non négligeable (25 %) de la population est allophone, n’ayant ni le français ni l’anglais comme langue d’origine, tandis qu’environ 12 % se déclarent anglophones, faisant ainsi de Montréal une des villes les plus cosmopolites du monde.

La tendance des nouveaux immigrants à apprendre la langue française s’est accélérée depuis l’adoption de la Charte de la langue française (ou loi 101) en 1977. L’italien, le portugais, l’espagnol et le roumain, mais aussi l’allemand, le grec, le yiddish, ou encore le berbère, l’arabe, le mandarin, le vietnamien, le hindi, se côtoient dans les rues de la ville, s’entrecroisent et se mêlent au quotidien dans un ballet fascinant de sonorités.

La situation des langues est particulièrement riche et intéressante à Montréal mais, au-delà de l’apparente – et souvent trompeuse – proximité linguistique qu’elle possède avec Paris, Montréal est essentiellement « différente ». D’abord parce qu’elle est une ville américaine. Sa topographie en témoigne. Dessinée au carré comme toutes les villes du continent, l’aménagement de ses voies résulte à la fois du découpage en damier nord-américain et d’un découpage plus ancien, composé de côtes et de rangs, établi lors du régime seigneurial français. Américaine, elle l’est aussi par ses grands ciels intenses, la largeur de son fleuve, celle de ses rues, la hauteur de ses buildings réfléchissant les nuages, la traversée des rues, les arbres…

Sa différence, Montréal la doit également à un savant mélange d’urbanité et de sauvagerie, avec une présence très vive et sensible de la nature en pleine ville.

Parmi ses caractéristiques géographiques, il ne faut pas oublier qu’elle se situe sur une île, au sein d’un archipel, en bordure du puissant et majestueux fleuve Saint-Laurent, et qu’elle est dotée d’une montagne en son centre, de telle sorte qu’on peut y skier en hiver.

L’explorateur Jacques Cartier, lors de son second voyage en Amérique, en 1535, baptisa la montagne en surplomb de la bourgade qui se nommait alors Hochelaga du nom de « Mont-Royal ».

Les Montréalais se plaisent à désigner du nom de « montagne » ce qui à vrai dire ressemble plutôt à une colline, mais il faut lire derrière cet usage un peu excessif du mot, une fierté qui a tendance à se nuancer lorsqu’on évoque la croix plantée au sommet de ladite « montagne ». Cette croix, au demeurant très belle la nuit lorsqu’elle est éclairée, demeure l’une des dernières manifestations, et l’une des plus visibles, de l’emprise religieuse subie par une société dominée pendant des siècles par le clergé catholique jusqu’à la révolution tranquille des années 1960. Le Québec qui détenait un record de fécondité bascula alors dans un rejet farouche de la famille et les femmes se convertirent d’un coup au féminisme. Toutes les valeurs catholiques furent balayées comme un tas de feuilles mortes dans la tempête.

Dernier détail à propos de cette « montagne » : aucun gratte-ciel ne doit dépasser la hauteur du Mont-Royal, soit 234 mètres.

Si la bourgade d’Hochelaga est découverte en 1535, la colonisation française de Montréal ne s’amorcera vraiment qu’avec l’établissement de la Société de Notre-Dame de Montréal, une colonie missionnaire créée pour évangéliser les Amérindiens, et avec la fondation de Ville-Marie en 1642, grâce notamment à l’intervention d’une femme désormais consacrée, Jeanne Mance, cofondatrice de la ville.

Avant que Montréal n’existe, Hochelaga était peuplé par des autochtones. Les Iroquoiens y commerçaient avec les marchands de fourrure, les pêcheurs et les coureurs de bois bien longtemps avant que les Français y fondent Ville-Marie.

Longtemps occultée, la composante amérindienne du Québec est aujourd’hui de plus en plus réactivée dans la mémoire collective suivant en cela un processus général de réhabilitation des peuples autochtones aux États-Unis et au Canada, mais aussi dans d’autres pays à travers le monde.

Fondée en 1642, devenue ville anglophone après la conquête britannique de 1760, Montréal a accédé à un statut international avec l’Exposition universelle de 1967 et les Jeux olympiques d’été de 1976. Et la ville en forme de boomerang fête son 375e anniversaire en 2017.

La présence des Amérindiens, les empreintes encore très fortes d’une tutelle religieuse qui a forgé les âmes et les esprits, le cosmopolitisme né de la présence des dizaines de communautés qui ont trouvé refuge à Montréal, un terrain de baseball devenu laboratoire social et terrain d’intégration au pied de la montagne qui trône au cœur de la ville, la frontière linguistique qui coupe la ville en deux avec un Est francophone et un Ouest anglophone, les solitudes perdues dans les couloirs bondés du métro, le déchirement des migrants qui prennent un billet aller en sachant qu’il n’y aura pas de retour, sans oublier bien sûr les tempêtes de neige et les températures polaires qui font la réputation de la ville… toutes ces composantes sont présentes dans les nouvelles que vous allez découvrir. Toutes restituent le talent de Montréal à créer des espaces de vie et d’échanges, à inventer des formes de sociabilité, à accueillir les expressions culturelles les plus diverses. Ville conviviale, hybride, jeune et inventive, elle est balayée par des vents violents qui ouvrent grands les imaginaires. Là, de nouvelles formes de vie sociale s’écrivent.

Catherine Pont-Humbert

UN SOIR D’EXIL

par Rodney Saint-Éloi

L’arrivée

Je suis arrivé à Montréal un soir de mai 2001 à l’aéroport Trudeau, avec un billet aller simple. L’avion atterrissait doucement dans une atmosphère feutrée. L’hôtesse de l’air disait d’une voix mécanique :

– Bienvenue à Montréal. Nous vous remercions d’avoir choisi Air Canada. Il fait moins huit degrés…

Cette voix m’a tiré de ma torpeur. J’étais dans un état second, vraiment mou comme un chiffon, ni content ni malheureux. J’ai essayé en vain de me parler à moi-même. Comment parler à un homme qui décide de partir ? Quels sont les mots pour le consoler d’avoir abandonné le pays de son enfance ? C’était la première fois que je voyageais avec un billet aller simple. Je ne savais pas ce que signifiait simplement aller. J’avais toujours été habité par le mouvement inverse. L’idée du retour au pays natal me réconfortait. Enfant, j’avais toujours rêvé de partir. Cela voulait dire féconder sa terre et non la fuir. Ce soir de mai m’a paru étrange quand j’ai tendu à l’agent d’immigration le passeport, le billet et les papiers de résidence. Je sentais que j’avais trahi quelque chose d’essentiel, comme un testament. Paradoxe : « Partir », le mot était doux comme un cerf-volant lancé dans le ciel. Je jouais avec les nuages. J’imaginais des pays fabuleux et d’autres vies que la mienne. Ce soir de mai, j’ai compris que tout aller est sans retour. Dans ma tête flottait un parfum d’Haïti, et déjà j’étais nostalgique. Le premier soir ne m’a pas ouvert la porte de l’exil. J’ai laissé le pays, mais le pays ne m’a pas quitté. J’ai raté mon exil comme j’ai raté mon départ. Je suis un être de transit.

L’immigration

L’agente d’immigration ne m’a pas regardé.

Elle a tourné toutes les pages du passeport. M’a demandé mon nom. Mon prénom. La couleur des yeux de mes enfants. La raison du voyage. Les différentes adresses où j’ai vécu. L’université fréquentée. La race de mon chien. Le prénom de jeune fille de ma mère. Les pays visités au cours des dix dernières années. Mon dentifrice préféré. Les idéologies dont je suis l’héritier. Les maladies que j’ai à déclarer. Mon carnet de vaccination. Mon certificat de bonne vie et mœurs. Les passions qui me tourmentent. Les secrets que j’aurais à partager. Mon orientation et mes pratiques sexuelles présentes et à-venir. Mes attaches aux organisations communistes, anarchistes et socialistes.

J’ai répondu comme je pouvais. Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un voyageur intelligent. Je donnais des réponses à l’emporte-pièce. J’étais trop fatigué pour comprendre le sens des questions ou la pertinence de mes réponses. Je me contentais du strict minimum. Je souriais aussi. Mais d’un sourire niais. Grand-mère Tida disait que les Blancs aiment bien quand les Nègres rient. Cela leur donne une face d’idiot. Un visage de petit Nègre qui ne comprend pas trop les choses de la vie. Là, c’est correct… tout est normal. C’est un Nègre comme les autres qui ne sait que baragouiner… Il ne sait pas nos manières de vivre. Ne fais pas semblant de trop bien parler la langue. Ça les énerve. Ils peuvent te coincer. Ce n’est pas ta langue. Souris. Même quand les propos qui te sont adressés prennent l’allure d’une suite d’insultes. D’ailleurs, on ne peut pas condamner quelqu’un qui ne comprend rien. C’est aussi ça la démocratie. L’agente d’immigration à la fin de l’entretien avait décidé de confisquer mon passeport. Elle me disait :

– Merci monsieur, vous pouvez partir. Mais nous allons garder votre passeport.

– Pourquoi ?

Elle m’a simplement remis un bout de papier sur lequel étaient inscrits quelques numéros de téléphone pour le suivi du dossier.

– Qu’est-ce que je suis sans mon passeport ?, lui ai-je demandé.

Elle m’a regardé droit dans les yeux.

– Rien, a-t-elle répondu.

– Rien, a-t-elle insisté.

Je suis sorti de l’aéroport Trudeau, avec ce petit mot dans la tête. Rien. Rien. Rien.

Je ne suis personne

Je suis dans le taxi qui m’amène chez Contita, au quartier Parc-Extension, rue Bloomfield. Le chauffeur de taxi est un jeune Haïtien, un médecin venu ici il y a dix ans. Après cinq années de sa vie à passer des examens pour intégrer l’ordre des médecins, il s’est résigné à oublier l’exercice de la médecine. Quand on n’est pas chez soi, on doit revoir à la baisse ses prétentions. On se parle au passé. Accepter de descendre la pente de la vie en douceur, et se retirer sans trop poser de question. Ne plus se dire à longueur de journée : Je suis jeté, je suis ramassé… « En Haïti, j’étais médecin, mon frère était architecte, ici, nous avons acheté un taxi et nous sommes devenus taximen. C’est ça ou rien. Vois-tu, mon frère, c’est ça l’exil. Bienvenue à Montréal ! Nous laissons aux enfants les rêves et les ambitions. Nous nous contentons de rêves simples comme manger et boire, l’école pour les enfants, et ensuite nous vivons, sans plus. Un jour, si Dieu le veut, nous retournerons chez nous. Nous serons une vraie famille. Nous aurons un nom et une situation. Mais pour l’instant, nous serrons notre ceinture pour traverser l’hiver. Pour survivre. Si les Haïtiens le savaient, ils se seraient battus contre les dictateurs et les cancres, mais jamais au grand jamais, ils n’auraient abandonné leur pays. »

Le chauffeur m’avait donné son nom, mais je ne l’ai pas retenu. Il a poursuivi sa prédication, avec le même débit rapide, mais je ne le suivais plus, je pensais à ma propre situation de migrant. Rien. Rien. Rien. Je ne suis personne. Je débarque dans cette ville poudrée par la neige. Je regarde par la vitre les flocons se bousculer. Je respire. Je vais apprivoiser toute cette neige. Cela prend combien de temps à un Nègre pour sentir la neige dans sa peau ? Je pense déjà à demain. Il me faudra peut-être planter un arbre pour devenir quelqu’un. La voiture s’approche du quartier Parc-Extension. Contita, ma grand-mère, la fille de Tida, et Tino, mon grand-père, m’attendent, anxieux. Ils vont sûrement m’accueillir à la maison comme un roi. L’odeur de la cuisine monte déjà dans mes narines. Un gâteau assurément. Du riz aux pois. Du poulet frit. Une salade jardinière. Des plantains et de l’igname. Ils doivent se dire que le jour de gloire est arrivé. Nous devons fêter ce jour. Ils sont contents pour moi, car selon eux je suis un héros, je suis arrivé à fuir l’enfer et je débarque ici comme un grand. Je ne pourrai pas leur dire que je ne suis pas Ti Pèpi, leur petit prince du quartier de Saint-Antoine. Je ne pourrai pas leur dire que je n’ai pas mon document de voyage. Je ne pourrai pas raconter mes échanges avec l’agente d’immigration. Je devrai faire la fête avec eux ce soir, et me taire ; à chaque jour suffisent sa bravoure et sa peine, demain je vais me mettre déjà à chercher la vie. Je ne veux pas rater mon métier d’exilé. Je me contente alors d’être simplement là et de regarder tomber la neige.

Vivre dans la confusion

J’apprends les mots pour nommer l’exil.

Je suis venu ici pour apprendre. Je recompose mon visage. De nouveaux mots enrichissent mon lexique. Tuque. Mitaine. Slush. Grésil. Tempête. Pluie verglaçante… Il faut bien se couvrir pour ne pas mourir de froid. Tous les jours, il faut aussi capter Météomédia ou suivre dans les bulletins de nouvelles les prévisions météorologiques, pour être parfaitement connecté à la température. Cette conscience du corps est nouvelle pour moi. Ici, mon corps est étouffé dans des vêtements chauds. Tino, mon grand-père, me disait que ce pays est une grande école. Il faut faire ses classes. Il me file quelques astuces sur l’hiver, par exemple s’habiller en ajoutant entre les trois couches obligatoires du papier journal. Mon corps au pays était un corps nu qui devait chasser la chaleur. Je passais mon temps à chercher de l’eau glacée pour apaiser ma soif, et je me promenais sans chemise pour laisser respirer les pores. L’hiver aussi, c’est autre chose en Haïti. Cela existe. On dit souvent qu’il fait froid. Quand j’allais chez ma sœur Katia à Laboule, dans les montagnes, les gens avaient l’habitude de mettre un gros manteau. Ils portaient également des bas en laine et des foulards. La colline était couverte de brume, surtout de décembre à février. Il faisait froid. La température baissait de seize degrés, cet hiver-là, quand, au bas de la ville, il en faisait au moins trente-deux (attention : on est ici en Haïti, et le point de vue haïtien sur l’hiver est extraordinaire.