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À la découverte des traditions et de la culture de Suisse.
Pour certains, la Suisse est un trait d’union entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, une sorte de balcon sur l’Italie et sur le monde méditerranéen. Pour d’autres, elle est la partie la plus à l’ouest de l’épine dorsale de la Mitteleuropa, s’inscrivant dans une succession de montagnes et de vallées séparées par le Danube, de la chaîne des Alpes à celle des Carpates, de Genève à Odessa. Derrière la carte postale, la Suisse est ce pays étonnant au centre de l’Europe, mais pas dans l’Union européenne. Comment devient-on écrivain dans un pays si singulier ? Comment écrit-on aujourd’hui au pays de Nicolas Bouvier, Ella Maillart, Robert Walser, Friedrich Dürrenmatt, Charles-Ferdinand Ramuz, Albert Cohen ?
Dans les six nouvelles présentées ici, la question de l’identité suisse est omniprésente, elle court en filigrane. Un regard clinique, parfois sans concession, est posé. Avec humour, avec détachement. Société à la fois ultramoderne et traditionnelle, méconnue et exotique, la Suisse vaut un voyage littéraire.
Laissez-vous emporter dans un formidable voyage grâce aux nouvelles suisses de la collection Miniatures !
EXTRAIT
Nous dépassons la fontaine de l’esplanade du palais du Gouverneur, une fontaine de glace que des petites lumières piégées allument de bleu et de rouge. Le mémorial est derrière le décor imposant que forment les bâtiments administratifs. Les réverbères n’éclairent pas jusque-là, et la neige n’a pas été foulée sur la large allée jalonnée de stèles, qui conduit à une flamme vive au creux d’une vasque de marbre rouge sombre dont débordent des roses en plastique. Dans cette nuit soudain intimidante, dans ce froid qui peu à peu vous pétrifie, les lieux font monter les larmes aux yeux. Le mémorial n’a que quelques années. Cette guerre dont la Suisse a été miraculeusement épargnée a causé tant de souffrances ici que le temps n’y peut rien. Pas une famille, me dit Maria, qui ne soit encore endeuillée. Il y a là quelque chose d’immense, qu’on ne mesure pas, et qui ne se partage pas.
À PROPOS DES ÉDITIONS
Créées en 1999, les éditions Magellan & Cie souhaitent donner la parole aux écrivains-voyageurs de toutes les époques. Marco Polo, Christophe Colomb, Pierre Loti ou Gérard de Nerval, explorateurs pour les uns, auteurs romantiques pour les autres, dévoilent des terres lointaines et moins lointaines. Des confins de l’Amérique latine à la Chine en passant par la Turquie, les quatre coins du monde connu sont explorés. À ces voix des siècles passés s’associent des auteurs contemporains, maliens, libanais ou corses, et les coups de crayon de carnettistes résolument modernes et audacieux qui expriment et interrogent l’altérité.
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Veröffentlichungsjahr: 2018
Volume réalisé avec le concours des élèves de l’ÉMI. Nous remercions chaleureusement Raphaël Domergue, Hubert Dupont, Marjorie Karagueuzian, Caroline Kuhar, Dominique Maillard, Camille Marie, Magalie Trébuchet, David Pereira, Vanessa Sfez, Étienne Sorlot-Massa, Valérie Tarte et Vahagn Terzian. Merci également à Valérie Cabridens et Jacqueline Peragallo pour leur précieuse collaboration et à Marianne Millon pour son implication dans la réalisation de ce volume.
Pour certains, la Suisse est un trait d’union entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, une sorte de balcon sur l’Italie et sur le monde méditerranéen. Pour d’autres, elle est la partie la plus à l’ouest de l’épine dorsale de la Mitteleuropa, s’inscrivant dans une succession de montagnes et de vallées séparées par le Danube, de la chaîne des Alpes à celle des Carpates, de Genève à Odessa. Olivier Barrot, dans Mitteleuropa, écrit ceci : « En matière de personnes déplacées, il n’est de pays plus accueillant, quoi qu’on en dise, que celui que la géographie et l’histoire ont placé au milieu, Mittel de l’Europe, la Suisse. Et ce n’est point paradoxe de ma part que de considérer la Confédération comme la plus méconnue et la plus exotique des destinations européennes, d’un point de vue français en tout cas. […] Dans Livret de famille, un recueil de nouvelles au fond, Patrick Modiano invente une expression tellement juste, la “Suisse du cœur”, cet apaisement si particulier qu’il éprouve dès la frontière franchie. »
Derrière la carte postale – les lacs bleus, les montagnes enneigées, les sapinières, les routes et les cols vertigineux, les pâturages et les vaches, les trains à crémaillère –, derrière les clichés – les banques, les montres, les tablettes de chocolat, les couteaux suisses, le coucou, la précision –, la Suisse est un pays étonnant. Un pays au centre de l’Europe, mais pas dans l’Union européenne. Un pays partenaire de l’Otan, mais pas dans l’Otan. Un pays neutre depuis 1815, indépendant, mais tout sauf isolé, puisque vingt-cinq organisations internationales (dont l’ONU) y ont leur siège.
Comment devient-on écrivain dans un pays si singulier ? Comment écrit-on au pays des écrivains voyageurs que sont Nicolas Bouvier, Ella Maillart – car le voyage est une constante de la littérature suisse –, au pays de Robert Walser, Friedrich Dürrenmatt, Charles-Ferdinand Ramuz, Charles-Albert Cingria, Albert Cohen, mais aussi de Joël Dicker ? Réunir six auteurs suisses aujourd’hui, si on voulait respecter l’équilibre linguistique de ce pays, signifierait une majorité d’auteurs alémaniques, au moins un auteur écrivant en italien et un écrivant en romanche. Ce n’est pas le cas dans ce recueil – et on nous le pardonnera – où cinq auteurs sont francophones. Ce multilinguisme dit bien la place centrale qu’occupe ce pays en Europe. Rattachée au monde germanique, rattachée au monde francophone, rattachée au monde italien, la Suisse est en soi un melting-pot.
Dans les six nouvelles présentées ici, la question de l’identité suisse est omniprésente, elle court en filigrane au travers des textes. Un regard clinique, parfois sans concession, est posé. Avec humour, avec distance. Société à la fois ultramoderne et traditionnelle, « méconnue et exotique », la Suisse vaut un voyage littéraire.
Pierre Astier
Ta ville est un point. Une excroissance encerclée par les montagnes, posée à l’extrémité d’un lac et d’un pays. Un territoire circulaire, une cité qui se déploie en communes sur les côtés, jusqu’à la frontière.
Tu l’aimes depuis toujours, tu y vois autre chose que ce qui la rend célèbre – banques, assurances, boutiques de luxe, fric fric fric, ONG qui lui valent l’adjectif « internationale ». Mais c’est un point, une pastille ronde comme celles qui signalent les agglomérations dans les atlas. Pour ta génération issue d’Internet, de la crise, et du 11-Septembre, l’avenir semble parfois sombre, et tu as peur qu’il ne consiste, un jour, à ne plus sortir de ce point. Tes amis enfoncés plus loin dans le pays ne ressentent pas ce malaise, être enfermés en Suisse ne les alarmerait nullement. Car les autres cantons sont de vraies surfaces, des territoires convenables. Genève ne partage que quatre kilomètres de frontière terrestre avec le reste de la Suisse, alors qu’une ligne de plus de cent kilomètres la découpe comme un confetti dans le territoire français. Genève est un point sorti d’une perforatrice.
Tu t’en éloignes régulièrement, tu y reviens toujours, avec la sorte de fascination qu’on a pour les montgolfières ou les hautes tours, plateformes flottant dans le vide, mais d’où l’on voit tout. Et pourtant là-haut, au moins, on est tranquille, te semble-t-il. Dans Le Loup de Wall Street, Jean Dujardin accueille Leonardo DiCaprio dans une banque supposément genevoise avec une vue à couper le souffle. En réalité, tout Genevois aura remarqué que cette vue n’existe pas, aucun bâtiment n’est assez haut pour la rendre plausible – les recherchistes de Martin Scorsese ont mal fait leur boulot. Il en est de même du luxe et de la tranquillité : des mythes.
Dans le train constitué de deux wagons qui te mène à ta résidence d’écriture, à seulement une heure et dix minutes de trajet de chez toi en transports publics, tu ignores encore que tu porteras la responsabilité de ces mythes. Des esprits curieux te demanderont de les présenter et de les disséquer, comme lorsque tu voyageais dans des auberges de jeunesse et que la première question posée entre backpackers, loin devant le « What’s your name ? », était « Where are you from ? ». Aujourd’hui, le train sillonne la campagne vaudoise, s’élève sur les coteaux, replonge dans un vallon, s’arrête à la perpendiculaire d’une route bétonnée qui fait office de gare. Une adolescente en descend, pianotant avec deux pouces sur son smartphone comme si elle manipulait une baguette de sourcier. Tu vis en ville depuis l’enfance, tu connais relativement bien la montagne pour y avoir passé tous tes jours de congé pendant quinze ans, mais cette campagne, ces fermes bio et ces villas cossues, ces hangars agricoles et ces trains minuscules, c’est un tout nouvel univers.
Il y a quelques années, tu t’étais émerveillée de la découverte de ces petits trains en te rendant à Bulle pour rencontrer une classe qui étudiait ton premier livre. Ça te rappelait la Roumanie – été 2005 – et tu t’énervais toi-même de ces associations géographiques. Ne peux-tu pas être dans un seul lieu à la fois ? Ta carte personnelle de la Suisse était constituée de points mis en réseau, l’axe Genève-Lausanne en train, l’autoroute jusqu’en Valais, la fête des Vendanges à Neuchâtel. En une décennie, cette carte a éclaté, s’est ramifiée en suivant tes activités professionnelles – une lecture à Pully, un texte de commande à Twann, une rencontre scolaire à Bercher. Au final, c’est en écrivant sur des régions lointaines que la littérature t’a permis de visiter ton pays : Morges, Bulle, Fribourg et La Chaux-de-Fonds découlent de Sydney, Ouagadougou, Damas et Simferopol.
La petite gare est une ancienne maison de campagne, verte, à deux étages parfaitement symétriques liserés de bleu Majorelle. L’administrateur qui t’y attend t’indique l’emplacement des vélos électriques, charge ta valise dans une grosse jeep qui file droit à travers champs, avale la pente qui s’élève à travers le village, bifurque à l’unique carrefour pour rejoindre un ensemble de bâtiments futuristes, légèrement à l’écart. Le principe d’une résidence, tu as dû l’expliquer à ton entourage : tu seras nourrie et logée pendant un mois pour écrire, on te fera la lessive et le ménage, tu recevras même un défraiement pour tes frais annexes. Ils ont ouvert de grands yeux envieux, sans se douter que tu portes le même regard sur leurs fiches de salaire.