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Beschreibung

Alors que la mondialisation des échanges progresse, que le monde devient un pour tous, des mondes-miniatures s’imposent, des pays et des régions entières affirment leur identité, revendiquent leur histoire ou leur langue, réinvestissent pleinement leur espace. Quoi de plus parlant qu’une miniature, la nouvelle, pour lever le voile sur ce monde-là, celui d’une diversité infinie et porteuse d’espoir ? Par ses paysages, par son histoire, par sa culture, on dit du Cameroun qu’il est une « Afrique en miniature » ou une « Petite Afrique ».
Il est vrai que les composantes principales de ce pays d’Afrique centrale sont celles de toute l’Afrique. Ce nouveau recueil de la collection « Miniatures » se devait de refléter cette diversité. Ainsi, deux nouvelles sont traduites de l’anglais, celles de Dipita Kwa et Peter W Vakunta, tandis que les quatre autres sont écrites en français, celles de Patrice Nganang, François Nkémé, Gertrude Obinong et Elvis Edouard Bvouma.
On aura avec eux quelques aperçus du « camfranglais », mélange de français, d’anglais, de locutions dialectales camerounaises et de pidgin, savoureux argot que la jeunesse urbaine a créé et qui varie selon les villes. Nation littéraire, le Cameroun l’est à l’évidence. Une jeune génération, au contact des littératures européennes et américaines, s’inscrit désormais dans la littérature mondiale avec vigueur.
Les six nouvelles de ce volume en témoignent. Pétri de traditions et ouvert culturellement sur le monde, le Cameroun possède parmi les écrivains les plus prometteurs du continent.
Alors que la mondialisation des échanges progresse, que le monde devient un pour tous, des mondes-miniatures s’imposent, des pays et des régions entières affirment leur identité, revendiquent leur histoire ou leur langue, réinvestissent pleinement leur espace. Quoi de plus parlant qu’une miniature, la nouvelle, pour lever le voile sur ce monde-là, celui d’une diversité infinie et porteuse d’espoir ?

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Veröffentlichungsjahr: 2021

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Couverture

Page de titre

À Théo

Avant-propos

Dans son dernier roman, Mont-Plaisant1, le romancier Patrice Nganang fait dire à l’un de ses personnages, dans les années 1920 : « Nous n’avons même pas encore commencé notre propre guerre, mon fils, comment pouvons-nous déjà être défaits ? Regarde une carte de notre continent, avait-il dit en l’entraînant vers une grande carte. Les seuls noms que tu y trouves, tu les as également ici en Europe. Regarde, tu as ici le Soudan français, le Congo belge, le Cameroun allemand, ou alors, les Camerouns français et anglais, comme ils disent aujourd’hui, le Mozambique portugais. Vois, même une petite Guinée espagnole ! La seule chose qui manque encore, c’est une Nubie suisse ! Et nous dans tout cela, nous les Africains ? Crois-tu que nous avons cessé d’exister pour autant ? Tu vois, l’erreur des coloniaux c’est toujours de se représenter l’Afrique sans les Africains, comme sur cette carte. Ne commets pas la même erreur, car il viendra le jour où nous Africains allons réinventer notre continent ! Et ce jour-là, le monde se réveillera aux canons de nos fiers enfants ! »

Ancien protectorat allemand, l’actuelle République du Cameroun, placée sous la tutelle de la Société des Nations à la fin de la Première Guerre mondiale et confiée à l’administration de la France et du Royaume-Uni, accéda à l’indépendance en 1960 et fut rejointe par une partie du territoire sous administration britannique (Cameroons) en 1961. Avant cette longue parenthèse coloniale, au XIXe siècle, différentes formes d’organisation sociale allant de royaumes structurés à des ethnies nomades caractérisaient ce pays.

Par ses paysages, par son histoire, par sa culture, on dit du Cameroun qu’il est une « Afrique en miniature » ou une « Petite Afrique ». Il est vrai que les composantes principales de ce pays d’Afrique centrale sont celles de toute l’Afrique. Il convenait alors que, pour sortir d’une vision strictement francophone ou franco-centriste, ce nouveau titre de la collection « Miniatures » reflète cette diversité. Ainsi, deux nouvelles sont traduites de l’anglais, celles de Dipita Kwa et Peter W. Vakunta, tandis que les quatre autres sont écrites en français : Patrice Nganang, François Nkémé, Gertrude Obinong et Elvis Edouard Mbvouma. Aucune n’est écrite dans l’une des deux cents langues du Cameroun.

Cette dualité, qui peut être une difficulté, il en est fait état dans la nouvelle de Peter W. Vakunta. Du « camfranglais », mélange de français, d’anglais, de locutions dialectales camerounaises et de verlan, savoureux argot que la jeunesse urbaine a créée et qui varie selon les villes, on aura quelques exemples dans ce volume.

Une nation littéraire, le Cameroun l’est à l’évidence. Mongo Beti, Ferdinand Oyono, Francis Bebey, Calixthe Beyala, Leonora Miano ont marqué la culture de ce pays. Une jeune génération, au contact des littératures européennes et américaines, s’inscrit désormais dans la création mondiale avec une vigueur qui ne se dément pas. Les six nouvelles de ce volume en témoignent. Ouvert culturellement sur le monde, à défaut de l’être politiquement, le Cameroun possède parmi les écrivains les plus prometteurs du continent.

Pierre ASTIER

1Mont-Plaisant, Éd. Philippe Rey, 2011.

LES RÊVERIES DU BÛCHERON SOLITAIRE

par Patrice Nganang

Évidemment, Hebga ne s’était pas attendu à ce que Pouka redevienne le troubadour à son service qu’il avait été durant son enfance. Il y avait réfléchi un instant, souri à ce que son cousin était devenu, un écrivain, mais avait été distrait par la voix des femmes qui traversaient la forêt. Il avait arrêté de faire ses exercices et avait regardé dans la direction du bruit. Dans la dizaine de femmes qui marchaient l’une derrière l’autre à travers la brousse, il avait reconnu sa mère, la Sita, qui était en tête, et puis, derrière elle, il avait également reconnu Bernadette. C’était août, avec son rituel des fêtes de récoltes.

– À plus tard, mesdames, s’excusa-t-il.

Il sourit en pensant à la relation de complicité qui liait la femme de Fritz à sa mère. « Elles n’ont pas besoin de moi, ces deux-là », continua-t-il, dans ses pensées. Elles étaient au fond des « mari-et-femme », se dit-il, et cela l’amusa. Il salua les femmes d’une phrase polie. Toutes sursautèrent quand elles le virent dans les broussailles, mais lui répondirent avec profusion. Il crut aussi voir les grimaces de l’une d’elles qui sans doute pensait qu’il chiait dans le coin.

« Bernadette est la femme de main de la Sita, hein ? » se dit-il quand les femmes se furent éloignées, leurs voix n’étant plus qu’un écho.

Il croyait que ce genre de relation était plutôt masculine, et pourtant cela ne l’étonnait pas. Sa mère pour lui était un homme, l’avait toujours été, même du vivant de son père. Il sourit encore en pensant que la Sita avait besoin d’un bras droit, lui qui avait toujours cru qu’elle avait plutôt besoin d’un pantalon. À ce moment, il revint sur Pouka, peut-être parce qu’il n’avait cessé d’admirer les pantalons bien repassés que celui-ci portait depuis son arrivée. Comment faisait-il pour éviter la poussière ? Il le revit enfant, frappant le sol de sa main droite pour compter les pompes qu’il faisait, lui, Hebga, et apprenant à compter ainsi. Il le revit chantant des airs de son invention, et secoua la tête, car il le voyait aujourd’hui, au milieu de ses écoliers au bar de Mado, enseignant la poésie aux paysans. Le temps passe très vite, Hebga dut s’en rendre compte. Oui, Pouka était devenu bien bizarre ces jours-ci. Ses actions depuis son retour au village laissaient tout le monde circonspect.

Il était un poète, ah !

Hebga avait entendu parler de l’histoire du garçon à femmes que tout le monde racontait au village, car qui ne la connaissait pas ? La réplique du gamin de jadis le fit planter sa machette au sol : « Maman, je vis avec une wolowoss. » Il répéta la phrase que celui-ci avait prononcée, mais ne dit pas « une femme », car bien sûr pour lui Virginie n’était qu’une wolowoss. Les hommes qui se racontaient cette histoire y mettaient du leur eux aussi. « Maman, je vis avec une mamy nyanga », disait untel, ou alors « avec une mbrakata », disait tel autre, et tous avaient leurs raisons. La réponse d’Antoine, le garçon à femmes, ne les amusait pas moins, car, le tout factorisé, cela revenait à : « Maman, je vis avec une bordelle. » Ah, les enfants d’aujourd’hui ont la bouche, hein ? C’est le mot « bordelle » qui s’était disséminé partout, avec la répartie de celui que certains appelaient Antoine, d’autres plutôt Charles. Tous les hommes cependant s’extasiaient de sa réplique placidement limée. Car une sentence pareille, il fallait pouvoir la dire « à sa propre maman », et ce en plus devant les oreilles de la Sita, ajoutait Hebga, « au nom de Dieu ».

– Le petit là est fort, hein ? disait-on, et c’est ce qu’il pensait lui aussi.

– Quel âge a-t-il encore ?

– Dix ans.

– Tu mens !

– Dix ans et il baise déjà, papa.

Les hommes tombaient d’accord sur « treize-quatorze ans », mais concluaient tout de même que c’était plutôt précoce de se servir déjà de son bangala, « à cet âge, pour autre chose que pisser », même s’ils s’accordaient pour dire que ce ne l’était pas pour « un bon bassa ». Hebga connaissait bien Virginie. Il l’avait couillée plusieurs fois, et une fois elle lui avait d’ailleurs sucé ça. Y penser lui donna une érection. Il arrêta les gestes de gymnastique qu’il faisait alors, d’étendre et de croiser les bras dans le vide, tout en marquant le pas comme un tirailleur. Il contempla son cache-sexe qui gonflait doucement, comme propulsé par sa révision de Virginie, partie par partie, de ses pieds, de son bassin, de son ventre, de ses seins, de ses yeux surtout, ces yeux, aïe ! ses yeux de chat qui le regardaient quand… quand elle lui faisait quoi ? Il conclut qu’il ne pouvait pas continuer ses exercices dans une atmosphère pareille. Il n’arrivait plus à se concentrer, voilà ce qu’il se dit, et il décida d’arrêter.

Les bois peuvent vous faire sauter l’esprit comme un bon alcool, non, un arki fort, et la solitude vous perdre dans les plus époustouflantes rêveries. Il avait cependant déjà fait sa ration de mouvements pour la journée. Hebga arracha donc sa machette du sol pour s’en retourner au village. À ce moment-là, il entendit un cri strident dans le lointain. Et puis des pleurs de femmes. Il sursauta et pensa aux femmes qui l’avaient passé tout à l’heure. Le cri se répéta. Inutile de dire que son érection disparut aussitôt quand il pensa à sa mère. Au troisième cri, il fendait la brousse de sa machette. Il ne sentait plus ses pieds, ses mains, ni les branches qui lui lacéraient le corps, ni les feuilles d’arbre qui le giflaient, alors que les cris des femmes étaient maintenant des pleurs dispersés mais distincts.

– Sita ! disait une voix.

– Sita-o !

Le cœur d’Hebga battit follement.

– Au secours !

Bientôt une femme courait vers lui. En courant, elle retenait ses seins. Il l’arrêta, lui prit les épaules, chercha dans son regard, mais ne put y voir que la peur.

– Au se-secours ! bégaya-t-elle.

La femme tremblait de tout son corps.

– Au se-cours ! continua-t-elle de dire, comme possédée. Au secours !

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Hebga. Dis-moi !

– Au secours !

Hebga n’attendit pas la suite. La machette levée, il s’élança dans les broussailles. Il sauta sur des ustensiles de champ qui étaient éparpillés dans les herbes. Il ne vit même pas le sang qui salissait le chemin. Il n’entendait plus que les voix affolées des femmes autour de lui. Mais surtout il entendait un cri unique.

– Sita-o !

Les mains de toutes les femmes montraient les broussailles. Il s’y enfonçait, la tête vide.

– Sita-o !

– Sita-o ! disait la voix des femmes.

– Sita !

– Sita-o !

– Sita-o !

Hebga ne sentait plus son corps. Il était un animal, une panthère, un lion. Le nom de sa mère dans la brousse avait saisi son esprit, son corps, ses pieds, ses mains. Il avait reconnu sa voix, sa voix qui l’appelait : « Hebga, au secours ! » C’est ce cri de détresse qu’il entendra toute sa vie. Son cri enfantin de « Mama ! » qui dans un infini pleur l’arrachera au sommeil, faisant rire ses camarades, et le laissera gigotant et couvert de sueur.

Il déboucha dans une clairière, regarda alentour. Il recherchait le lieu du cri, la cachette du cri. Il regarda partout, mais le cri s’était tu. Il regarda au sol, et vit une ligne de sang, et puis un bras. Oui, un bras.

– Mama ! s’écria-t-il.

Aucune voix ne lui répondit.

– Mama !

La forêt était coite dans sa conspiration criminelle. Les arbres tournoyaient au-dessus de sa tête. Les oiseaux, qui d’habitude à cette heure les animaient de leurs chansons, s’étaient tous tus.

– Mama ! cria Hebga, et il entendit une voix.

La voix lui disait : « Mon fils ! »

Il se lança à ses trousses, et se retrouva devant Bernadette. Elle était nue, debout, là, au milieu de la brousse. Elle avait le corps lacéré et couvert de sang. De ses bras en forme de croix renversée, elle se retenait la poitrine, secouait sa tête de gauche à droite, de droite à gauche. Quand elle le vit, ce fut comme si soudain elle perdait l’équilibre qui jusque-là l’avait fait tenir debout. Elle n’entendit même pas l’interrogation de ses gestes précipités. Doucement, silencieusement, elle s’effondra dans les mains qui la retenaient. Ah, comme Hebga aurait préféré avoir rêvé tout ça !

– Mama ! s’écria-t-il, mais c’est dans le vide qu’il appelait.

Au fond des bois, il entendit un grognement.