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Extrait : "Vous renvoyez en deux mots tous mes possibles dans la région des songes. Pressentiments, propriétés secrètes des nombres, pierre philosophale, influences mutuelles des astres, sciences cabalistiques, haute magie, toutes chimères déclarées telle par la certitude une et infaillible."

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Veröffentlichungsjahr: 2015

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Lettre XLVII

Lyon, 18 août, VI.

Vous renvoyez en deux mots tous mes possibles dans la région des songes. Pressentiments, propriétés secrètes des nombres, pierre philosophale, influences mutuelles des astres, sciences cabalistiques, haute magie, toutes chimères déclarées telle par la certitude une et infaillible. Vous avez l’empire ; on ne saurait mieux user du sacerdoce suprême. Cependant je suis opiniâtre comme tous les hérésiarques : il y a plus, votre science certaine m’est suspecte, je vous soupçonne d’être heureux.

Supposons un moment que rien ne vous réussit : vous souffrirez alors que je vous expose jusqu’où vont mes doutes.

On dit que l’homme conduit et gouverne, que le hasard n’est rien. Tout cela se peut : voyons pourtant si ce hasard ne ferait pas quelque chose. Je veux que ce soit l’homme qui fasse toutes les choses humaines : mais il les fait avec des moyens, avec des facultés ; d’où les a-t-il ? Les forces physiques, ou la santé, la justesse et l’étendue de l’esprit, les richesses, le pouvoir composent à-peu-près ces moyens. Il est vrai que la sagesse ou la modération peuvent maintenir la santé, mais le hasard donne et quelquefois rétablit une forte constitution. Il est vrai que la prudence évite quelques dangers, mais le hasard préserve à tout moment d’être blessé ou mutilé. Le travail améliore nos facultés morales ou intellectuelles ; le hasard les donne, et souvent il les développe, ou les préserve de tant d’accidents dont un seul pourrait les détruire. La sagesse fait parvenir au pouvoir un homme dans un siècle ; le hasard l’offre à tous les autres maîtres des destinées vulgaires. La prudence, la conduite élèvent lentement quelques fortunes ; tous les jours le hasard en fait rapidement. L’histoire du monde ressemble beaucoup à celle de ce commissionnaire qui gagna cent louis en vingt ans de courses et d’épargnes ; et qui ensuite mit à la loterie un seul écu, et en reçut soixante-quinze mille.

Tout est loterie. La guerre n’est plus qu’une loterie pour presque tous, à l’exception du général en chef, qui cependant n’en est rien moins que tout à fait exempt. Dans la tactique moderne, l’officier qui va être comblé d’honneurs et élevé à un grade supérieur, voit auprès de lui le guerrier aussi brave, plus savant, plus robuste, oublié pour jamais dans le tas des morts.

Si tant de choses se font par hasard, et que pourtant le hasard ne puisse rien faire ; il y a dans la nature, ou une grande force cachée, ou un nombre de forces inconnues qui suivent des lois inaccessibles aux démonstrations des sciences humaines.

On peut prouver que le fluide électrique n’existe pas. On peut prouver qu’un corps aimanté ne saurait agir sur un autre sans le toucher ; et que la faculté de se diriger vers tel point de la terre est une propriété occulte et par trop péripatéticienne. On avait prouvé que, l’on ne pouvait voyager dans les airs, que l’on ne pouvait brûler des corps éloignés de soi, que l’on ne pouvait précipiter la foudre ou allumer des volcans. On sait encore aujourd’hui que l’homme qui fait un chêne, ne peut pas faire de l’or. On sait que la lune peut causer les marées, mais non pas influer sur la végétation. Il est prouvé que tous les effets des affections de la mère sur le fœtus sont des contes de vieilles, et que tous les peuples qui les ont vus, ne les ont pas vus. On sait que l’hypothèse d’un fluide pensant n’est qu’une impiété absurde ; mais que certains hommes ont la permission de faire avant déjeuner une sorte d’âme universelle ou de nature métaphysique, que l’on peut rompre en autant d’âmes universelles que bon semble, afin que chacun digère la sienne.

Il est certain qu’un Châtillon reçut, selon la promesse de St. Bernard, cent fois autant de terres labourables à la charrue d’en haut, qu’il en avait donné ici-bas aux moines de Clairvaux. Il est certain que l’empire du Mogol est dans une grande prospérité, quand son maître pèse deux livres de plus que l’année précédente. Il est certain que l’âme survit au corps, excepté s’il est écrasé par la chute subite d’un roc, car alors elle n’a pas le temps de s’enfuir, et il faut qu’elle meure là. Tout le monde a su que les comètes sont dans l’usage d’engendrer des monstres, et qu’il y a d’excellentes recettes pour se préserver de cette contagion. Tout le monde convient qu’un individu de ce petit globe où rampent nos génies impérissables, a trouvé les lois du mouvement et de la position respective de cent milliards de mondes. Nous sommes admirablement certains, et c’est pure malice, si tous les temps et tous les peuples s’accusent mutuellement d’erreur.

Pourquoi chercher à rire des Anciens qui regardaient les nombres comme le principe universel. L’étendue, les forces la durée, toutes les propriétés des choses naturelles ne suivent-elles pas les lois des nombres ? Ce qui est à-la-fois réel et mystérieux, n’est-il pas ce qui nous avance le plus dans la profondeur des secrets de la nature ? N’est-elle pas elle-même une perpétuelle expression d’évidence et de mystère visible et impénétrable, calculable et infinie, prouvée et inconcevable, contenant tous les principes de l’être et toute la vanité des songes ? Elle se découvre à nous et nous ne la voyons pas ; nous avons analysé ses lois, et nous ne saurions imaginer ses procédés ; elle nous a laissé prouver que nous remuerions un globe, mais le mouvement d’un insecte est l’abîme où elle nous abandonne. Elle nous donne une heure d’existence au milieu du néant ; elle nous montre et nous supprime ; elle nous produit pour que nous ayons été. Elle nous fait un œil qui pourrait tout voir ; elle met devant lui toute la mécanique, toute l’organisation des choses, toute la métaphysique de l’être infini : nous regardons, nous allons connaître ; et voilà qu’elle ferme à jamais cet œil si admirablement préparé.

Pourquoi donc, ô hommes qui passez aujourd’hui ! voulez-vous des certitudes ? et jusques à quand faudra-t-il vous affirmer nos rêves pour que votre vanité dise : Je sais ? Vous êtes moins petits quand vous ignorez. Vous voulez qu’en parlant de la nature, on vous dise comme vos balances et vos chiffres : ceci est, ceci n’est pas. Et bien, voici un roman : sachez, soyez certains.

Le Nombre…… Nos dictionnaires définissent le nombre une collection d’unités : en sorte que l’unité qui est le principe de tous les nombres, devient étrangère au terme qui les exprime. Je suis fâché que notre langue n’ait pas un mot qui comprenne l’unité, et tous ses produits plus ou moins directs, plus ou moins complexes. Supposons tous deux que le mot nombre veut dire cela : et puisque j’ai un songe à vous conter, je vais reprendre un peu le ton des grandes vérités que je veux vous envoyer par le courrier de demain.

Écoutez : c’est de l’antiquité ; mais elle ne savait pas le calcul des fluxions.

Le nombre est le principe de toute dimension, de toute harmonie, de toute propriété, de toute agrégation ; il est la loi de l’univers organisé.

Sans les lois des nombres, la matière serait une masse informe, indigeste ; elle serait le Chaos. La matière arrangée selon ces lois est le Monde. La nécessité de ces lois est le Destin : leur puissance et leurs propriétés sont la Nature : et la conception universelle de ces propriétés est Dieu.

Les analogies de ces propriétés forment la doctrine magique, secret de toutes les initiations, principe de tous les dogmes, base de tous les cultes, source des relations morales et de tous les devoirs.

Je me hâte ; et vous me saurez gré de tant de discrétion, car je pourrais suivre la filiation de toutes les idées cabalistiques et religieuses. Je rapporterais aux nombres les Religions du feu : je prouverais que l’idée même de l’Esprit pur est le résultat de certains calculs : je réunirais dans un même enchaînement tout ce qui a pu asservir ou flatter l’imagination humaine. Cet aperçu d’un monde mystérieux ne serait pas sans intérêt ; mais il ne vaudrait pas l’odeur numérique exhalée de sept fleurs de jasmin que le souffle de l’air va porter et perdre dans le sable sur votre terrasse de Chessel.

Cependant sans les nombres, point de fleurs, point de terrasse. Tout phénomène est nombre ou proportion. Les formes, l’espace, la durée, sont des effets, des produits du nombre mais le nombre n’est produit, n’est modifié, n’est perpétue que par lui-même. La musique, c’est-à-dire la science de toute harmonie, est une expression des nombres. Notre musique elle-même, la musique des sons, source des plus fortes impressions que l’homme puisse éprouver, est fondée sur les nombres.

Si j’étais versé dans l’astrologie, je vous dirais bien d’autres choses ; mais enfin toute la vie n’est-elle pas réglée sur les nombres : sans eux, qui saurait l’heure d’un office, d’un enterrement ; qui pourrait danser, qui saurait quand il est bon couper les ongles ?

L’Unité est assurément le principe, comme l’image de toute unité ; et dès-lors de tout ouvrage complet, de tout concept, de tout projet, de tout achèvement, de la perfection, de l’ensemble. Ainsi tout nombre complexe est un, ainsi toute perception est une, ainsi l’univers est un.

Un est aux nombres engendrés, comme le rouge est aux couleurs, ou Adam aux générations humaines. Car Adam était le premier et le mot Adam signifie rouge. C’est ce qui fait que la matière du Grand-Œuvre doit se nommer Adam lorsqu’elle est poussée au rouge, parce que la quintessence rouge de l’univers est comme Adam qu’Adonaï forma de quintessence.

Pythagore a dit : Cultivez assidûment la science des nombres ; nos vices et nos crimes ne sont que des erreurs de calcul. Ce mot si utile et d’une vérité si profonde, est sans doute ce qui peut être dit de mieux sur les nombres. Mais voici ce que Pythagore n’a point dit.

Sans Un, il n’y aurait ni deux ni trois : l’unité est donc le principe universel. Un est infini par ce qui sort de lui : il produit co-éternellement deux et même trois, d’où vient tout le reste. Quoiqu’infini, il est impénétrable ; il est assurément dans tout ; il ne peut cesser, nul ne l’a fait ; il ne saurait changer : de plus il n’est ni visible, ni bleu, ni large, ni épais, ni lourd : c’est comme qui dirait.…. plus qu’un nombre.

Pour Deux, c’est très différent. S’il n’y avait pas deux, il n’y aurait qu’un. Or, quand tout est un, tout est semblable ; quand tout est semblable, il n’y a pas de discordance ; là où il n’y a pas de discordance, là est la perfection : c’est donc deux qui brouille tout. Voilà le Mauvais Principe, c’est Satan. Aussi, de tous nos chiffres, le chiffre deux est celui qui a la forme la plus sinistre, l’angle le plus aigu.

Cependant sans deux, il n’y aurait point de composition, point de rapports, point d’harmonie. Deux est l’élément de toute chose composée en tant que composée. Deux est le symbole et le moyen de toute génération. Il y avait deux Chérubins sur l’Arche, et les oiseaux ont deux ailes ; ce qui fait de deux le principe de l’élévation.

Trois réunit l’expression de l’ensemble set celle de la composition ; c’est l’harmonie parfaite. La raison en est palpable, c’est un nombre composé qui ne peut être divisé que par un. De trois points placés dans des rapports égaux, naît la plus simple des figures. Cette figure triple n’est pourtant qu’une, ainsi que l’harmonie parfaite. Et, dans la sagesse orientale, la puissance qui créa, Brahma ; la puissance qui conserve, Vitsnou ; et la puissance qui détruira, Routren ; ces trois puissances réunies, n’est-ce pas Trimourti ? Dans Trimourti, ne reconnaissez-vous pas trois, c’est ce qui fait Chiven, l’Être-Suprême.

Dans les choses de la terre, trente-trois, nombre exprimé par deux trois, n’est-il pas celui de l’âge de perfection pour l’homme ? et l’homme, qui est bien la plus belle œuvre de Chiven, n’a-t-il pas eu trois âmes autrefois ?

Trois est le principe de perfection : c’est le nombre de la chose composée, et ramenée à l’unité, de la chose élevée à l’agrégation, et achevée par l’unité. Trois est le nombre mystérieux du premier ordre : aussi y a-t-il trois règnes dans les choses terrestres ; et pour tout composé organique trois accidents, formation, vie, décomposition.

Quatre ressemble beaucoup au corps, parce que le corps a quatre facultés. Il renferme aussi toute la religion du serment : comment cela ? je l’ignore, mais puisqu’un maître l’a dit, sans doute ses disciples l’expliqueront.

Cinq est protégé par Vénus : car elle préside au mariage, et cinq a dans sa forme quelque chose d’heureux qu’on ne saurait définir. De-là vient que nous avons cinq sens, et cinq doigts ; il n’en faut pas chercher d’autres raisons.

Je ne sais rien sur le nombre Six, sinon que le cube a six faces. Tout le reste m’a paru indigne des grandes choses que j’ai rassemblées sur d’autres nombres.

Mais Sept est d’une importance extrême. Il représente toutes les créatures ; ce qui le rend d’autant plus intéressant qu’elles nous appartiennent toutes, droit divin transféré depuis longtemps et que prouvent la bride et le filet, malgré ce qu’en disent quelquefois les ours, les lions, les serpents. Cet empire a manqué être perdu par le péché ; mais il faut mettre deux sept ensemble, l’un détruira l’autre ; car le baptême étant aussi là-dedans, soixante-dix-sept signifie l’abolition de tous les péchés par le baptême, comme St.-Augustin l’a démontré aux académies d’Afrique.

On voit facilement dans sept, l’union de deux nombres parfaits, de deux principes de perfection ; union complétée en quelque sorte et consolidée par cette unité sublime qui lui imprime un grand caractère d’ensemble, et qui fait que sept n’est pas six. C’est là le nombre mystérieux du second ordre ; ou si l’on veut, le principe de tous les nombres très composés. Les divers aspects de la lune l’ont prouvé, et en conséquence on a choisi le septième jour pour celui du repos. Les fêtes religieuses rendirent ainsi ce nombre sacré chez tous les peuples. De-là ridée des cycles septénaires, liée à celle du grand Cataclysme. Dieu a imprimé partout dans l’univers le caractère sacré du nombre sept, dit Joachitès. Dans le ciel étoilé, tout a été fait par sept. Toute la mysticité ancienne est pleine du nombre sept : c’est le plus mystérieux des nombres apocalyptiques, des nombres du culte Mithriaque et des mystères d’initiation. Sept étoiles du génie lumineux, sept Gâhanbards, sept Amschaspands ou anges d’Ormusd. Les Juifs ont leur semaine d’année ; et le carré de sept était le vrai nombre de leur période jubilaire. On remarquait que, du moins pour notre planète et même pour notre système planétaire, le nombre sept était le plus particulièrement indiqué par les phénomènes naturels. Sept planètes du premier ordre ; sept métaux ; sept odeurs ; sept saveurs ; sept rayons de lumière ; sept tons ; sept articulations simples de la voix humaines.

Sept années font une semaine de la vie ; et quarante-neuf la grande semaine. L’enfant qui naît à sept mois, peut vivre. À quatorze soleils, il voit : à sept lunes, il a des dents : à sept ans les dents se renouvellent ; et l’on fait commencer alors le discernement du bien et du mal. À quatorze ans, l’homme peut engendrer : à vingt-un, il est parvenu à une sorte de maturité qui a fait choisir ce temps pour la majorité politique et légale. Vingt-huit ans est l’époque d’un grand changement dans les affections humaines et dans les couleurs de la vie. À trente-cinq, la jeunesse finit. À quarante-deux, la progression rétrograde de nos facultés commence. À quarante-neuf, la plus belle vie est à sa moitié, quant à la durée extrême, et à son automne pour les sensations : on aperçoit les premières rides physiques et morales. À cinquante-six, commence la vieillesse. Soixante-trois est la première époque de la mort naturelle. (Je me rappelle que vous blâmez cette expression : nous dirons donc, mort nécessaire, mort amenée par les causes générales du déclin de la vie.) Je veux dire que si l’on meurt de vieillesse à quatre-vingt-quatre, à quatre-vingt-dix-huit ans, on meurt d’âge à soixante-trois : c’est la première époque où la vie finisse par les maladies de la décrépitude. Beaucoup de personnages célèbres sont morts à soixante-dix ans, à quatre-vingt-quatre, à quatre-vingt-dix-huit, à cent-quatre, (ou cent-cinq.) Aristote, Abeilard, Héloïse, Luther, Constantin, Schah-Abbas, Nostradamus et Mahomet, moururent à soixante-trois ; et Cléopâtre sentit bien qu’il fallait attendre vingt-huit jours pour mourir après Antoine.

Neuf ! si l’on en croit les hordes Mongoles et plusieurs peuplades de la Nigritie, voilà le plus harmonique des nombres complexes. C’est le carré du seul nombre qui ne soit divisible que par l’unité : c’est le principe des productions indirectes : c’est le mystère multiplié par le mystère. On peut voir dans le Zend-Avesta combien neuf était vénéré d’une partie de l’Orient. Dans la Géorgie, dans l’Iranved, tout se fait par neuf : les Avares et les Chinois l’ont aimé particulièrement. Les Musulmans de la Syrie comptent quatre-vingt-dix-neuf attributs de la Divinité : et les peuples de la partie orientale de l’Inde connaissent dix-huit mondes, neuf bons, neuf mauvais.

Mais le signe de ce nombre a la queue en bas, comme une comète qui sème des monstres ; et neuf est l’emblème de toute vicissitude funeste : en Suisse, particulièrement, les bises destructives durent neuf jours. Quatre-vingt-un, ou neuf multiplié par lui-même, est le nombre de la grande climatérique ; tout homme qui aime l’ordre doit mourir à cet âge, et Denis d’Héraclée donna en cela un grand exemple au monde.

J’avoue que dix-huit ans passe pour un assez bel âge ; et pourtant c’est la destruction multipliée par le mauvais principe : mais il y a moyen de s’entendre. Dans dix-huit ans il y a deux cent-seize mois, nombre très funeste et très compliqué. On y voit d’abord quatre-vingt-un multiplié par deux, ce qui est épouvantable. Dans l’excédent cinquante-quatre, on trouve un serment et Vénus. Quatre et cinq réunis, ressemblent donc fort au mariage, état qui séduit à dix-huit ans ; qui n’est bon à rien pour l’un et l’autre sexe, vers quarante-cinq ou cinquante-quatre ; qui ne laisse pas d’être ridicule à quatre-vingt-un ; et qui peut, en tout temps, par ses plaisirs même, altérer, désoler, dégrader la nature humaine d’après les horreurs attachées au culte du nombre cinq. Qu’y a-t-il de pire que d’empoisonner sa vie par une jouissance de cinq ? c’est à dix-huit ans que ces dangers sont dans leur force ; il n’est donc point d’âge plus funeste. Voilà ce qu’on ne pouvait découvrir que par les nombres ; et c’est ainsi que les nombres sont le fondement de la morale.

Que si vous trouvez dans tout cela quelque incertitude, repoussez le doute, redoublez de foi ; voici maintenant ce que disait la première lumière des premiers siècles. Dix est justice et béatitude résultant de la créature qui est sept, et de la Trinité qui est trois. Onze, c’est le péché parce qu’il transgresse dix ou la justice. Vous voyez le plus haut point du sublime ; après quoi il faut se taire : St.-Augustin lui-même n’en a pas su davantage.

S’il me restait assez de papier, je vous prouverais l’existence de la pierre philosophale. Je vous prouverais que tant d’hommes savants et célèbres n’étaient pas des radoteurs : je vous prouverais qu’elle n’est pas plus étonnante que la boussole ; qu’elle n’est pas plus inconcevable que le chêne provenu du gland que vous avez semé ; mais qu’il l’est, ou qu’il devrait l’être, que des étourdis qui en finissant leurs humanités ont fait un madrigal, décident que Sthall, Becher, Paracelse, ont mérité les Petites-Maisons.

Allez voir vos jasmins : laissez mes doutes et mes preuves. Je cherche un peu de délire, afin de pouvoir au moins rire de moi : car il y a un certain repos, un plaisir, bizarre si l’on veut, à considérer que tout est songe. Cela peut distraire de tant de rêves plus sérieux, et affaiblir ceux de notre inquiétude.

Vous ne voulez pas que l’imagination nous entraîne, parce qu’elle nous égare : mais quand il s’agit des jouissances individuelles de la pensée, notre destination présente ne serait-elle pas dans les écarts ? Tous les hommes ont rêvé ; tous en ont eu besoin : quand le Génie du Mal les fit vivre, le Génie du Bien les fit dormir et songer.

Lettre XLVIII

Méterville, 1.er septembre, VI.

Dans quelque indifférence que l’on traîne ses années, il arrive pourtant que l’on aperçoive le ciel dans une nuit sans nuages. On voit les astres immenses ; ce n’est pas une fantaisie de l’imagination, ils sont là sous nos yeux : on voit leurs distances bien plus vastes, et ces soleils qui semblent montrer des mondes où des êtres différents de nous naissent, sentent et meurent.

La tige du jeune sapin est auprès de moi, droite et fixe, elle s’avance dans l’air, elle semble n’avoir ni vie ni mouvement ; mais elle subsiste, et si elle se connaît elle-même, son secret et sa vie sont dans elle ; elle croît invisiblement. Elle est la même dans la nuit, et dans le jour ; elle est la même sous la froide neige, et sous le soleil des étés. Elle tourne avec la terre ; elle tourne immobile parmi tous ces mondes. La cigale s’agite pendant le repos de l’homme, elle mourra : le sapin tombera ; les mondes changeront. Où seront nos livres, nos renommées, nos craintes, notre prudence, et la maison que l’on voudrait bâtir, et le blé que la grêle n’a pas couché ? Pour quel temps amassez-vous ? pour quel siècle est votre espérance ? Encore la révolution d’un astre, encore une heure de sa durée, et tout ce qui est vous ne sera plus : tout ce qui est vous, sera plus perdu, plus anéanti, plus impossible que s’il n’eût jamais été. Celui dont le malheur vous accable, sera mort. Celle qui est belle, sera morte. Le fils qui vous survivra sera mort.

Vous avez rassemblé les moyens des arts ; vous voyez sur la lune comme si elle était près de vos télescopes ; vous y cherchez du mouvement ; il n’y en a point : il y en a eu, mais elle est morte. Et le lieu, le globe où vous êtes sera mort comme elle. À quoi vous arrêtez-vous ? Vous auriez pu faire un mémoire pour votre procès, ou finir une ode dont on eût parlé demain au soir. Intelligence des mondes ! qu’ils sont vains les soins de l’homme ! Quelles risibles sollicitudes pour des incidents d’une heure ! Quels tourments insensés pour arranger les détails de cette vie qu’un souffle du temps va dissiper ! Regarder, jouir de ce qui passe, imaginer, s’abandonner ; ce serait là tout notre être. Mais, régler, établir, connaître, posséder ; que de démence !

Cependant celui qui ne veut point s’inquiéter pour des jours incertains, n’aura pas le repos qui laisse l’homme à lui-même, ou le délassement qui peut distraire de ces dégoûts qu’on préfère à la vie tranquille : il n’aura pas, quand il la voudra, la coupe pleine de café ou de vin qui doit écarter pour un moment le mortel ennui. Il n’y aura point d’ordre et de suite dans ce qu’il sera forcé de faire : il n’y aura pas de sécurité pour les siens. Parce que sa pensée aura embrassé le monde dans ses hautes conceptions, il arrivera que son génie, éteint par la langueur, n’aura plus même ces hautes conceptions : parce que sa pensée aura cherché trop de vérités dans la nature des choses, il ne sera plus donné à sa pensée elle-même de se maintenir selon, sa propre nature.

On ne parle que de réprimer ses passions, et d’avoir la force de faire ce qu’il faut : mais, au milieu de tant d’impénétrabilité, montrez donc ce qu’il faut. Pour moi, je ne le sais pas, et j’ose soupçonner que plusieurs autres l’ignorent. Tous les sectaires ont prétendu le dire, et le montrer avec évidence ; leurs preuves surnaturelles nous ont laissé dans un doute plus grand. Peut-être une connaissance certaine et un but connu, ne sont-ils ni selon notre nature, ni selon nos besoins. Cependant il faut vouloir. C’est une triste nécessité, c’est une sollicitude intolérable d’être toujours contraint d’avoir une volonté, quand on ne sait sur quoi la régler.

Souvent je me repose dans cette idée que le cours accidentel des choses et les effets directs de nos intentions ne sauraient être qu’une apparence, et que toute chose humaine est nécessaire et déterminée par la marche irrésistible de l’ensemble des choses. Il me semble que c’est une vérité dont j’ai le sentiment : mais quand je perds de vue les considérations générales, je m’inquiète et je projette comme un autre. Quelquefois au contraire, je m’efforce d’approfondir tout ceci, pour savoir si ma volonté peut avoir une base, et si mes vues peuvent se rapporter à un plan suivi. Vous pensez bien que dans cette obscurité impénétrable, tout m’échappe, jusqu’aux probabilités elles-mêmes : je me lasse bientôt ; je me rebute ; et je ne vois rien de certain, si ce n’est peut-être l’inévitable incertitude de ce que les hommes voudraient connaître.

Ces conceptions étendues qui rendent l’homme si superbe, et si avide d’empire, d’espérances et de durée, sont-elles plus vastes que les cieux réfléchis sur la surface d’un peu d’eau de pluie qui s’évapore au premier vent ? Le métal que l’art a poli, reçoit l’image d’une partie de l’univers ; nous la recevons comme lui. – Mais il n’a pas le sentiment de ce contact. – Ce sentiment a quelque chose d’étonnant qui nous plaît d’appeler divin. Et ce chien qui vous suit, n’a-t-il pas le sentiment des forêts, des piqueurs et du fusil, dont son œil reçoit l’empreinte en répercutant les figures ? Cependant après avoir poursuivi quelques lièvres, léché la main de ses maîtres, et déterré quelques taupes, il meurt ; vous l’abandonnez aux corbeaux, dont l’instinct perçoit les propriétés des cadavres, et vous avouez qu’il n’a plus ce sentiment.

Ces conceptions dont l’immensité surprend notre faiblesse, et remplit d’enthousiasme nos cœurs bornés, sont peut-être moins pour la nature que le plus imparfait des miroirs pour l’industrie humaine : et pourtant l’homme le brise sans regret. Dites qu’il est affreux à notre âme avide de n’avoir qu’une existence accidentelle ; dites qu’il est sublime d’espérer la réunion au principe de l’ordre impérissable : n’affirmez rien de plus.

L’homme qui travaille à s’élever, est tomme ces ombres du soir qui s’étendent pendant une heure, qui deviennent plus vastes que leurs causes, qui semblent grandir en s’épuisant ; et qu’une seconde fait disparaître.

Et moi aussi j’ai des moments d’oubli, de force, de grandeur : j’ai des besoins démesurés ; sepulchri immemor ! Mais je vois les monuments des générations effacées ; je vois le caillou soumis à la main de l’homme, et qui existera cent siècles après lui. J’abandonne les soins de ce qui passe, et ces pensées du présent déjà perdu. Je m’arrête étonné : j’écoute ce qui subsiste encore ; je voudrais entendre ce qui subsistera : je cherche dans le mouvement de la forêt, dans le bruit des pins, quelques-uns des accents de la langue éternelle.

Force vivante ! Dieu du monde ! J’admire ton œuvre, si l’homme doit rester ; et j’en suis atterré, s’il ne reste pas.

Lettre XLIX

Méterville, 14 septembre, VI.

Ainsi, parce que je n’ai point d’horreur pour vos dogmes, je serais près de les révérer ? Je pense que c’est tout le contraire. Vous avez, je crois, projeté de me convertir : et vous n’avez pas ri !

Dites-moi, me savez-vous quel qu’intérêt à ne pas admettre vos opinions religieuses ? Si je n’ai contre elles ni intérêt, ni partialité, ni passion, ni éloignement même : quelle prise auront-elles pour s’introduire dans une tête sans systèmes, et dans un cœur que le remord ne leur préparera jamais.

C’est l’intérêt des passions qui empêche d’être chrétien. Je dirais volontiers que voilà un argument bien misérable. Je vous parle en ennemi : nous sommes en état de guerre, vous en voulez un peu à ma liberté. Si vous accusez les non-crédules de n’avoir pas la conscience pure, j’accuserai les crédules de n’avoir pas un zèle sincère. Il résultera de tout cela de vains mots, un bavardage répété partout jusqu’à la satiété, et qui jamais ne prouvera rien.

Et si j’allais vous dire qu’il n’y a de chrétiens que les médians, puisqu’il n’y a qu’eux qui aient besoin de chimères pour ne pas voler, égorger, trahir. Certains chrétiens dont l’humeur dévote et la croyance burlesque ont dérangé le cœur et l’esprit, se trouvent toujours entre le désir du crime et la crainte du diable. Selon la méthode vulgaire de juger des autres par soi-même, ils sont alarmés dès qu’ils voient un homme qui ne se signe point : il n’est pas des nôtres, il est contre nous ; il ne craint pas ce que nous craignons, donc il ne craint rien, donc il est capable de tout ; il n’a pas les mains jointes, c’est qu’il les cache ; il y a sûrement un stylet dans l’une et du poison dans l’autre.

Je n’en veux point à ces bonnes gens : comment croiraient-ils que l’ordre suffise, le désordre est dans leurs idées ? D’autres parmi eux me diront : Voyez tout ce que j’ai souffert, d’où aurais-je tiré ma force, si je ne l’avais pas reçue d’en haut ? – Mon ami, d’autres ont souffert davantage, et n’ont rien reçu d’en haut : il y a encore cette différence qu’ils n’en font pas tant de bruit, et ne se croient pas bien grands pour cela. On souffre, comme on marche. Quel est l’homme qui peut faire vingt mille lieues ? Celui qui fait une lieue par jour et qui vit soixante ans. Chaque matin ramène des forces nouvelles ; et l’espérance éteinte, laisse encore un espoir vague.

Les lois sont évidemment insuffisantes. Eh bien, je veux vous montrer des êtres plus forts que vous, et qui sont presque toujours indomptés ; qui vivent au milieu de vous, non seulement sans frein religieux, mais même sans lois ; dont les besoins sont souvent très mal satisfaits ; qui rencontrent ce qu’on leur refuse, et ne font pas un mouvement pour l’arracher : et parmi eux, trente-neuf au moins sur quarante mourront sans avoir nui, tandis que vous prônez l’effet de la grâce, si, parmi vos chrétiens, il y en a dans ce cas, trois sur quatre. – Où sont ces êtres miraculeux, ces sages ? – Ne vous fâchez point ; ce ne sont pas des philosophes, ce n’est pas du tout des êtres miraculeux, ce n’est pas des chrétiens ; c’est tout bonnement ces dogues qui ne sont ni muselés, ni gouvernés, ni catéchisés, et que vous rencontrez à tout moment, sans exiger que leur gueule terrible fasse, pour vous rassurer, un signe sacré. – Vous plaisantez. – De bonne-foi que voulez-vous qu’on fasse autre chose.

Toutes les religions s’anathématisent, parce qu’aucune ne porte un caractère divin. Je sais bien que la vôtre a ce caractère, mais que le reste de la terre ne le voit point, parce qu’il est caché : je suis comme le reste de la terre, je discerne fort mal ce qui est invisible.

On ne dit pas que la religion chrétienne soit mauvaise ; mais que pour la croire, il faut la croire divine, ce qui n’est pas aisé. Elle peut être fort belle, comme ouvrage humain ; mais une religion ne saurait être humaine, quelques terrestres que soient ses ministres.

Pour la sagesse, elle est humaine ; elle n’aime pas à s’élever dans les nues pour retomber en débris ; elle exalte moins les têtes, mais elle ne les expose point à l’oubli des devoirs par le mépris de ses lois démasquées. Elle ne défend point d’examen, et ne craint point d’objections ; il n’y aura pas de prétexte pour la méconnaître ; la dépravation du cœur reste seule contre elle : et si la sagesse humaine était la base des institutions morales, son empire serait à-peu-près universel, puisqu’on ne pourrait se soustraire à ses lois sans faire par-là même un aveu formel de sa turpitude. – Nous ne convenons pas de cela ; nous n’approuvons pas la sagesse. – C’est que vous êtes conséquents.

Je laisse les hommes de parti qui font semblant d’être de bonne-foi, et qui vont jusqu’à se faire des amis pour qu’on sache qu’ils les ont convertis : je reviens à vous qui êtes vraiment persuadé, et qui voudriez me donner ce repos que je n’aurai point.

Je n’aime pas plus que l’on soit intolérant contre la religion qu’en sa faveur. Je n’approuve guères davantage ses adversaires déclarés, que ses zélateurs fanatiques. Je ne décide pas que l’on doive se hâter, dans certains pays, de détromper un peuple qui croit vraiment, pourvu qu’il ait passé le moment des guerres sacrées, et qu’il ne soit déjà plus dans la ferveur des conversions. Mais quand un culte est désenchanté, je trouve ridicule qu’on prétende ramener ses prestiges : quand l’arche est usée, quand les lévites embarrassés et pensifs autour de ses débris, me crient : n’approchez pas, votre souffle profane les ternirait ; je suis obligé de les examiner, pour voir s’ils parlent sérieusement. – Sérieusement ? Sans doute ; et l’Église qui ne périra point, va rendre à la foi des peuples, cette antique ferveur dont le retour vous paraît chimérique ? – Je ne suis pas fâché que vous en fassiez l’expérience : je n’en conteste point le succès ; et je le désirerais volontiers ; ce serait un fait curieux.

Puisque c’est toujours à eux que je finis par m’adresser, il est temps de fermer une lettre qui n’est pas pour vous. Nous garderons chacun nos opinions sur ce point ; et nous nous entendrons très bien sur les autres. Les manies superstitieuses et les écarts du zèle, n’existent pas plus pour un véritable homme de bien, que les périls tant exagérés de ce qu’ils appellent ridiculement athéisme. Je ne désire point que vous renonciez à cette croyance ; mais il est très utile qu’on cesse de la regarder comme indispensable au cœur de l’homme ; car si l’on est conséquent, et qu’on prétende qu’il n’y a pas de morale sans elle, il faut rallumer les bûchers.

Lettre L

Lyon, 22 juin. Septième année.

Depuis que la mode n’a plus cette uniformité locale qui en faisait aux yeux de tant de gens une manière d’être nécessaire, et à-peu-près une loi de la nature ; chaque femme pouvant choisir la mise qu’elle veut adopter, chaque homme veut aussi décider celle qui convient.