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Alors que le succès tombe sur le nez de Victor sans qu'il s'y attende avec son premier roman qui vient d'être publié par un véritable éditeur, il ne sait pas encore qu'il va être plongé dans un monde impitoyable. Alors que son éditeur lui fait une considérable avance sur son prochain roman, il va être confronté au syndrome de la page blanche. Jusqu'au jour où au cours d'une séance de dédicace, il décèle dans une de ses fans le grand Amour. Alors qu'il l'a installée chez lui, au bout de quelque temps, il la demande en mariage. Là, elle lui avoue qu'elle est déjà mariée et son mari risque de la tuer si elle lui propose le divorce. C'est la raison pour laquelle elle s'est enfuie de chez elle. Une seule solution pour Victor, éliminer le mari... Et si, pour retrouver l'inspiration, il devait se mettre dans la peau d'un assassin ? Ou peut-être devenir assassin lui-même ?...
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Seitenzahl: 315
Veröffentlichungsjahr: 2019
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À mes amis de Plume,
C'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan.
Patrick Modiano
(Discours de réception de son Prix Nobel de littérature)
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Épilogue
REMERCIEMENTS
C’était un lycée parisien comme un autre. Pas mieux, pas pire. Avec ses sonneries aux intercours. Avec ses grappes d’élèves d’où s’échappent des nuages de fumée pendant les pauses. Avec ses blagues de potaches. Sauf que l’heure n’était pas à la rigolade. Tout le monde avait en tête les terribles images médiatiques de la veille sur le génocide de Srebrenica en Yougoslavie et sur les corps de soldats américains mutilés, traînés dans les rues de Mogadiscio. Les conversations ne tournaient qu’autour de cette actualité brûlante. Certains estimaient que le monde était en pleine mutation depuis la guerre du Golfe et que ce n’était qu’un début…
Juste un lycée comme les autres. Avec ses profs plus ou moins empathiques. Avec ses cours plus ou moins attractifs, mais aussi son atelier théâtre, ses groupes de musiciens, son ciné-club. Et puis aussi ses couples ici et là, main dans la main, échangeant de longs baisers. Parfois des mots tendres. Ou des regards maladroits pleins de promesses et d’espoir.
Alors que, dans son groupe, les discussions tournaient sur la nécessité d’une intervention de l’Europe dans le conflit en ex-Yougoslavie, Victor, un lycéen de dix-neuf ans en section littéraire, repéra Karen, à une dizaine de mètres, qui le fixait avec intensité. Tous connaissaient Karen avec sa mini-jupe, ses bottes et son boléro blancs. C’était une fille de l’âge de Victor, en terminale scientifique, dont il avait déjà croisé le regard. Bien que troublé, il avait choisi de ne pas l’aborder, car il la savait en couple avec Lorenzo Ferrer, un garçon de terminale technique dont il avait appris le nom uniquement parce qu’il était avec elle.
Là, il fut interpellé par son insistance. Elle dut percevoir son trouble à distance, car elle lui décocha un sourire qui l’ébranla au plus profond de son être.
Sonnerie de fin de pause.
Elle détourna la tête, puis s’éloigna avec ses amies. Un dernier coup d’œil décoché et elle disparut dans le bâtiment où les cours allaient reprendre.
*
*
—Ça va, s’inquiéta Victor ?
Elle ne répondit pas, se retourna et regarda de l’autre côté de l’avenue. Victor l’imita. Il comprit ce qui se passait. Lorenzo Ferrer les observait sur le trottoir d’en face, les mains dans les poches.
—Tu m’as bien dit que c’était fini tous les deux ?
—Oui, c’est fini. Je le lui ai fait comprendre. Mais je crois qu’il a du mal à accepter. Allez, viens ! Il finira par m’oublier, va…
*
—Ne bouge pas, Victor ! Je vais régler une fois pour toutes le problème avec lui.
—Et vous allez où ?
—Il voulait qu’on discute à sa table. Je ne veux pas que cela s’éternise. Je vais lui mettre les points sur les I dehors. Le froid freinera ses ardeurs. Je n’en ai pas pour longtemps.
—S’il te fait des embrouilles, tu m’appelles, hein ?
—Il n’y aura pas d’embrouilles, ne t’inquiète pas !
Karen quitta le café en compagnie de Lorenzo par une porte qui donnait sur une cour intérieure. Bien que Victor soit sûr des sentiments de Karen à son égard, il ne put s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie. Il suivit distraitement les discussions à sa table, avec un œil en permanence sur la porte par laquelle ils étaient sortis. Au bout de dix minutes, ils n’étaient toujours pas rentrés. L’attente était interminable. Victor décida d’aller voir ce qui se passait. Il se trouvait à trois mètres de la porte quand elle s’ouvrit. Lorenzo apparut en premier, traversa le café d’un pas rapide et nerveux, sans un mot ni même un regard à Victor lorsqu’il passa près de lui. Son visage était blême. Karen prit Victor par le bras.
—Viens, allons-nous asseoir ! C’est fini. Cette fois il a compris.
—Que lui as-tu dit ?
Elle lui sourit et secoua la tête.
—Laisse tomber. Il ne nous ennuiera plus maintenant.
*
*
Il fut jugé six mois plus tard aux assises, écopa de vingt ans de prison, abandonnant de ce fait à leur sort sa femme et ses deux derniers enfants, des jumeaux, un garçon et une fille de dix ans. Le frère de Marco Ferrer avec qui il était associé assuma seul l’affaire familiale et plus personne n’entendit parler d’eux.
*
Il envoya une demande de permis de visite au directeur de la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où Marco Ferrer purgeait sa peine. Outre les documents d’identité qu’il dut produire, il lui fallut motiver sa demande par écrit pour le rencontrer. Ses remords dans cette histoire furent sans doute convaincants, car il reçut une réponse positive quinze jours plus tard. La rencontre aurait lieu le samedi 10 septembre 1994 à 14h15.
*
— Qui t’es, toi ?
— Je m’appelle Victor. J’étais le petit ami de Karen.
Silence lourd. Pesant. Malgré la haine qu’il éprouvait pour le meurtrier, Victor se décida à expliquer la raison de sa présence.
— Je sais pourquoi vous avez… enfin… je sais pourquoi Karen n’est plus là… Elle a quitté votre fils Lorenzo et c’est pour cela qu’il s’est… qu’il est mort…
Marco Ferrer serra les dents sans le quitter des yeux.
— C’est peut-être à cause de moi qu’elle a rompu avec lui… enfin, je ne sais pas… mais ça me travaille depuis… depuis tout ça… Alors je ne sais pas si… enfin je… je suis venu vous… vous présenter mes… mes excuses… Je sais que ça ne les refera pas revenir, mais… voilà, quoi…
Marco Ferrer n’avait pas bougé d’un cil. Les jointures de ses mâchoires étaient blanches à force de contraction. Comme il se murait dans un silence obstiné, Victor estima qu’il valait mieux qu’il parte. Il se leva donc et sans un mot supplémentaire, lui tourna le dos.
— Hé, toi…
Victor fit volte-face, tétanisé.
— Approche !...
Le garçon revint s’asseoir.
— Non… Approche là… viens près de la vitre…
Victor n’était pas rassuré. Bon, il ne risquait rien, mais il ne put résister au ton péremptoire.
— Plus près… Viens… N’aie pas peur… Oui, là… Approche… Mets ton oreille là…
Victor hésita, puis s’exécuta. L’oreille collée contre les trous du plexiglas, il attendait, peu rassuré. Du coin de l’œil, il vit approcher la bouche de l’homme de l’autre côté. Il entendit son souffle court à quelques centimètres. Puis lentement, Marco Ferrer chuchota.
— Un jour, je sortirai… Et tu paieras…
Victor se recula brusquement et dévisagea, effaré, celui qui, pour lui, avait tout du psychopathe. Ferrer affichait un sourire sardonique et ses yeux étaient injectés de sang.
Ce masque et ces mots allaient devenir le cauchemar permanent de Victor.
— Tu n’as pas l’impression d’être un peu le centre du monde ?
La question était posée à Victor par son meilleur ami, Lié-Loïc Courbet dit Yellow, commissaire de police à la crim’. Son incontournable indic. Il éclata de rire.
— ‘Faudrait être un peu con pour penser une chose pareille, non ?…
Tout bien réfléchi, il devait être un peu con, ce soir-là, car il avait vraiment l’impression d’être le centre du monde.
Il avait beaucoup de mal à comprendre ce qui lui arrivait. C’était tellement… Ah là, là ! Même dans ses rêves les plus fous, il n’aurait osé imaginer que cela puisse lui arriver un jour, pour user de la formule consacrée. Même si au fond, tout au fond de lui…
— Ah ! Monsieur Victor Hugo n’était pas en forme aujourd’hui ?... Deux fautes, hé, hé !
Hilarité générale. Évidemment.
Aussi, quand son éditeur lui proposa de prendre Greg Swift comme pseudonyme, il en fut ravi. D’autant plus qu’avec la notoriété qui se profilait, il préférait ne pas attirer l’attention sur lui ni raviver les plaies de son passé plus ou moins bien cicatrisées.
De bonne grâce, il saisit le livre que lui tendait la femme maquillée outrageusement : visage taillé à coups de bistouri, remodelé au botox et dont le résultat permettait, à défaut de la rajeunir, de rendre indéfinissable son âge. Il afficha à contrecœur son sourire idoine.
– Comment vous appelez-vous ?
— Marguerite Von Doooooooooorf, mais vous pouvez écrire Maggyyyyyyyyyy… Cela suffira…
— Va pour Maggy…
Il songea un instant avec humour à prolonger par écrit le "y" au prénom qu’il venait d’entendre, lui rédigea quelques mots et lui rendit l’ouvrage toujours avec ce sourire qu’il arborait sur sa photo en quatrième de couverture.
Celui qu’elle tenta de lui adresser en échange ne fut qu’une ébauche figée, comme si elle craignait que la peau de son visage se fissurât.
À chacun sa croix…
La sienne, il l’avait portée pendant quinze ans. Quinze longues années de solitude à écrire des romans policiers, surtout pour tenter d’occulter le drame vécu dans son adolescence ; de l’écriture thérapie comme il se plaisait à s’en convaincre, sans toutefois rencontrer de véritables succès ; un petit millier d’exemplaires à chaque fois, pas plus, même s’il n’ignorait pas que la plupart de ses pairs en quête de reconnaissance, à défaut de célébrité, s’en seraient contentés. Vendre ses romans sur son nom était une ambition légitime. En tout cas, il l’estimait comme une juste récompense. Ce jour-là, pour la première fois, il savait qu’il en prenait peut-être le chemin.
C’était Olaf. Son éditeur. Olaf Solberg. Solberg Éditions, c’était lui. D’origine norvégienne par son père et française par sa mère, il était implanté sur Paris depuis quarante ans. Sa spécialité : le roman noir et le polar. Hormis une vingtaine d’auteurs dont il publiait un livre par an, il avait eu la chance — le nez aussi, sans doute — d’asseoir sa notoriété en s’appuyant sur cinq romanciers de réputation nationale, voire internationale. Six mois avant, suite à un avis favorable du comité de lecture, Victor avait eu le bonheur de voir son dernier manuscrit accepté et devenir ainsi son huitième roman publié. Mais le premier qui compte vraiment dans une carrière.
— Avec plaisir !
Il lui servit une flûte de champagne qu’il lui tendit. Ils trinquèrent.
— Aviez-vous imaginé cette soirée dans vos visions ?
— Pas une fois, répondit-il en souriant.
Son éditeur ne s’intéressait pas à ses éventuels pouvoirs prémonitoires, même si, dorénavant, il allait prendre soin de lui. Il faisait juste une allusion à son livre « Visions mortelles » qui venait d’obtenir le Prix du Polar de Cognac. Jamais il n’aurait pensé obtenir ce trophée prestigieux. Mais c’était ainsi. Vous écrivez, vous écrivez. Rien ne se passe. Et puis un jour, paf ! Ça vous tombe dessus sans que vous sachiez vraiment pourquoi. Alors, bien sûr, le premier réflexe est de croire que vous avez du talent. En tout cas, Olaf y avait cru, lui, et il était bien l’artisan de cette récompense. Les premières ventes en librairie, l’accueil des médias, les critiques positives l’avaient incité à proposer son roman au jury du festival. Et ils avaient eu la joie de le voir retenu officiellement pour la compétition pour obtenir finalement le fameux prix tant convoité.
Ce dimanche de fin octobre, c’était la fête. Olaf avait invité le gotha littéraire et médiatique chez lui dans sa propriété en bord de Seine. Un soleil d’été indien inondait l’immense maison en surplomb d’une terrasse couverte à proximité du fleuve. Sur les nappes blanches des tables dressées sur la pelouse étaient proposés petits fours et boissons aux pique-assiettes qui s’y agglutinaient. Des extras, pantalons noirs et vestes blanches, déambulaient avec des plateaux parmi les personnalités que Victor connaissait plus ou moins. Il saisit un toast au passage de l’un d’eux.
— Alors ? C’est la consécration… Heureux ?
— Tout à fait. Je ne vous remercierai jamais assez…
Olaf le gratifia d’une moue paternaliste.
— En même temps, c’est bizarre, remarqua Victor. J’ai l’impression qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. Enfin, je sais pourquoi nous sommes là, mais lorsque je me dis que tout cela est pour moi…
Il se contenta de prolonger sa phrase d’un sourire béat.
— Non, non, je vous assure… C’est bien vous qui êtes à l’honneur… D’ailleurs, vous allez en avoir confirmation…
— Que voulez-vous dire ?
— Suivez-moi !
Sa flûte de champagne à la main, il l’entraîna à l’intérieur de la maison. Ils gravirent jusqu’au premier étage un escalier en bois ciré dont l’odeur le renvoya à des souvenirs d’enfance diffus, traversèrent une pièce dont les murs étaient tapissés de livres anciens dans des bibliothèques vitrées. Au passage, Olaf saisit un micro sans fil posé sur un bureau. Une porte-fenêtre était grande ouverte. Ils la franchirent et se retrouvèrent à l’extérieur sur un balcon d’environ un mètre cinquante de largeur avec une magnifique balustrade en fer forgé qui courait autour de la maison en surplomb de la propriété. De l’endroit où ils étaient, le point de vue était superbe. Au-delà des arbres aux feuilles ocre, l’eau de la Seine coulait, paisible. Les invités étaient éparpillés sur la pelouse ou sur la terrasse et personne ne semblait les avoir remarqués. Olaf lui sourit.
— Tous ces gens sont là pour vous, Greg…
Malgré lui, une question se formula dans son esprit. Étaient-ils là pour lui ou pour eux-mêmes ? N’était-il pas de bon ton de se montrer là où l’on était censé se faire remarquer ?
Olaf connecta son micro et vérifia avec l’incontournable « un, un… un, deux » qu’il fonctionnait bien, puis enchaîna aussitôt.
— S’il vous plaît… Mesdames… Messieurs… s’il vous plaît…
Sa voix dans les haut-parleurs dissimulés dans les arbres interrompit les conversations et chacun chercha des yeux où se trouvait Olaf, car tous l’avaient parfaitement identifié. Une femme en longue robe blanche les repéra.
— Là-haut, regardez ! Sur le balcon…
Tous se tournèrent dans la direction qu’elle indiquait de son doigt. Olaf profita du silence relatif pour intervenir.
— Merci, mes amis ! Merci ! Pardonnez-moi de vous interrompre, mais j’aimerais porter un toast… à Greg ! À son prix, bien sûr, à son talent, mais aussi à son entrée dans l’écurie…
Victor le regarda, ahuri. Il ne comprenait pas. Tout le monde connaissait l’écurie. Il s’agissait des cinq auteurs qui explosaient les ventes et grâce auxquels Solberg Éditions avait assis sa réputation. Il lui sourit et poursuivit.
— C’est officiel. Les chiffres des ventes me sont remontés hier après-midi. Son roman Visions mortelles vient d’atteindre les trois cent mille exemplaires…
Un tonnerre d’applaudissements accueillit cette nouvelle. Les jambes flageolantes, Victor semblait assister de loin à une de ces soirées folles du gratin artistique qu’on ne voit qu’au cinéma. Il était sur un nuage, mais avec cette impression bizarre de voir tout ce qui se passait sans y être vraiment.
Et il n’était pas près d’en descendre.
Olaf s’adressa à ses « étalons ».
— Éva… Marc… Alexander… Bernard… Sam… Venez, mes amis ! Venez nous rejoindre ! Nous allons faire une photo de famille.
Plusieurs hommes et une femme se détachèrent des invités, entrèrent dans la maison et les rejoignirent quelques secondes plus tard sur le balcon sous les applaudissements redoublés. C’est quand ils furent près de lui que Victor commença à réaliser. Il y avait là, la grande Éva de Breuil que d’aucuns disaient être la digne héritière d’Agatha Christie, Marc d’Angelo, célèbre grâce à son personnage de Jacques Lamarche alias Jack Walker, jeune commissaire tombeur de femmes et héros récurrent de ses romans, Alexander Lewis, le seul romancier étranger — il était Américain — de l’écurie Solberg et qui habitait à New York. Olaf avait aussi signé pour lui avec une maison d’édition outre-Atlantique. Il parlait parfaitement notre langue et ses romans étaient écrits dans un français impeccable. Il avait l’avantage de situer ses histoires au cœur même du FBI pour y avoir sévi vingt ans dans une vie antérieure. Enfin, Bernard Cavalier ; lui s’était fait un nom grâce à des enquêtes menées par la police scientifique à la tête de laquelle il avait installé une femme haute en couleur, la Reine Mère. Il avait imaginé que son équipe lui avait donné ce surnom, car elle répondait au doux patronyme d’Héloïse Foucaud d’Alembert de Montezuma. Hormis le premier roman qui s’intitulait « Poussières infernales », tous les titres qui avaient suivi étaient composés autour de ce pseudonyme comme argument de vente : « La Reine Mère se surpasse », « Coup de sang pour la Reine Mère », « La Reine Mère fait profil bas » pour ne citer que les plus célèbres. Le public en raffolait.
Les quatre auteurs de l’écurie congratulèrent Victor et lui souhaitèrent la bienvenue. Même si l’ambiance était festive, il ne manqua pas de noter une certaine crispation de la part de Cavalier et d’Angelo. Il supposa qu’ils imaginaient qu’un nouveau poulain — loin de lui l’idée de se prendre pour un étalon — pouvait nuire à leur carrière ou à leurs ventes. L’égocentrisme ne se partage pas. Tout le monde sait cela.
— Il manque Sam, fit remarquer Olaf.
Il l’appela au micro.
Victor repéra le cinquième étalon de la bande qui sembla quitter à contrecœur le groupe d’admirateurs qui l’avait accaparé. Il se dirigea à son tour vers la maison dans laquelle il s’introduisit.
Sam Bookman, le bien nommé — un pseudo, Victor l’apprendrait ultérieurement — habitait Londres six mois par an depuis son sixième best-seller. Il faisait mouche à chaque fois en dépassant allégrement les quatre cent mille exemplaires par roman. Le dernier approchait même les cinq cent mille.
Il apparut dans l’encadrement de la porte-fenêtre et Olaf leur demanda de se mettre côte à côte contre la balustrade. Il s’installa au centre, invita Victor à venir près de lui et plaça les autres de part et d’autre. Lorsqu’ils furent tous alignés dans une position qu’il estima satisfaisante, le photographe officiel de Solberg Éditions immortalisa l’événement au téléobjectif depuis la pelouse. Olaf souriait de toutes ses dents au milieu de son écurie. Il invita ensuite tout le monde à redescendre.
Par politesse, et surtout par respect pour ces pointures du roman policier, Victor attendit qu’ils aient tous franchi la porte-fenêtre. Sam Bookman fut le dernier. Il s’arrêta à son niveau et planta ses yeux gris bleu dans les siens.
— Trois cent mille exemplaires, c’est bien. Le plus difficile n’est pas de les atteindre, mais de réitérer l’exploit. Et de durer… Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde…
Il ponctua sa phrase d’un clin d’œil appuyé et s’engouffra dans la maison. Victor le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse. S’il avait voulu le déstabiliser, il ne s’y serait pas pris autrement. Le passage de l’ombre à la lumière s’ouvrait devant lui avec ses promesses de gloire et de popularité, mais aussi ses incertitudes, ses angoisses, ses coups bas et ses jalousies plus ou moins cachées.
Il rejoignit les invités à son tour. Une fois sur la pelouse, il avait la gorge sèche. Pas soif. Juste une amertume à laquelle Sam Bookman n’était évidemment pas étranger. Il allait se diriger vers une table pour s’enquérir d’un jus de fruit quand on l’interpella.
— Bonjour Greg…
Il se retourna et, stupéfait, se retrouva nez à nez avec Jérôme Marceau, le célèbre animateur de la célèbre émission télévisée C’est samedi soir, on veille consacrée à l’actualité dans des domaines divers comme la politique, le cinéma, la musique et bien sûr la littérature. Le piment de l’émission reposait sur deux chroniqueurs — des journalistes — qui épluchaient sans concession les disques, les romans, les essais que les invités venaient présenter. Jérôme Marceau… Impossible de ne pas le reconnaître avec ses lunettes rondes façon Lennon, sa coupe en brosse et son cheveu sur la langue. Victor déglutit.
— Vous permettez que je vous appelle Greg, lui glissa-t-il, l’œil malicieux ?
— Je vous en prie, lâcha-t-il d’une voix à peine voilée par l’émotion.
— Félicitations !
— Merci.
Il mit sa main dans la poche intérieure de son veston et sortit un smartphone.
— On va fixer une date tout de suite, vous voulez bien ?…
— Une date ? Euh…
Marceau lui jeta un coup d’œil, dubitatif, comme s’il pouvait être inconcevable qu’il n’ait pas saisi le message.
— Ben oui, quoi ! Pour mon émission ! Vous serez mon invité littéraire. Assez rapidement d’ailleurs, parce que si on attend janvier, votre Prix du Polar, ce sera du réchauffé… Bon, voyons… la semaine prochaine, j’ai Anna Sherova ! Mmm... je ne peux pas annuler… La semaine d’après ? Ah, ben voilà…
Il tapota son écran, choisit un contact dans son répertoire et lança l’appel. Il obtint rapidement la communication.
— Oui, Julie, c’est moi… Je suis avec Greg Swift. Tu me le programmes le 7 novembre à la place de Bennet, OK ?... Ben oui, William Bennet, tu en connais d’autres ?... Ah ben, ça, c’est ton job, ma belle… Mais non, il est déjà passé deux fois chez nous, il ne dira rien… Je t’embrasse, mon chou…
— Voilà ! Le 7 novembre, vous serez mon invité Greg… Tâchez de vous rendre disponible ! Nous enregistrons le jeudi 5. L’émission n’est pas en direct.
— Je… j’y serai, balbutia Victor.
— Parfait. Appelez demain ! Je vous laisse la carte de ma prod’. Demandez Julie, mon assistante. Elle réglera les détails avec vous… Allez ! Encore toutes mes félicitations… Bonne fin de soirée ! Profitez-en ! C’est peut-être le début d’une grande carrière… À bientôt !
Et Jérôme Marceau se noya parmi les convives. Victor le suivit des yeux quelques instants, subjugué par son charisme et l’idée du pouvoir qu’il semblait persuadé d’avoir. Ou qu’il avait réellement. Allez savoir !
À vrai dire, il était sidéré. Tout allait trop vite. Sa vie était chamboulée. Par ce prix. Par ces trois cent mille exemplaires vendus. Par cet animateur télé. Sa dernière phrase résonnait encore dans sa tête et le laissait songeur. Ce « peut-être » qu’il avait volontairement, ou pas, utilisé était-il censé jeter le trouble dans son esprit pour freiner son ambition, ou au contraire évoquait-il la fragilité des carrières naissantes ? Marceau avait dû en voir plus d’un se casser les dents sur les premières marches qui conduisent au panthéon des écrivains. Finalement, il admit qu’il avait juste voulu le mettre amicalement en garde, lui ouvrir les yeux sur les difficultés qui l’attendaient. Mais il avait un pied à l’étrier et il ne comptait pas s’arrêter là.
Il envoya au diable son idée de jus de fruit, saisit une flûte sur le plateau d’un serveur qui passait à proximité et se fit le serment, à cet instant, qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour atteindre les sommets que son prix lui faisait entrevoir. Il ne comptait pas en rester là.
— Alors, Superman…
Il tourna la tête vers son interlocuteur. Son ami le commissaire.
— Ah, Yellow ! Tu sais que si j’en suis là, c’est en partie grâce à toi ?
— Non, c’est toi l’artiste, répliqua son ami modestement.
— Allez ! Si tu n’avais pas été là pour m’expliquer la logique du déroulement de l’enquête menée conjointement par mon héroïne et mon flic névrosé dans Visions mortelles, la force de leur union n’aurait pas été aussi déterminante. Au fait, tu l’as lu ?
— Ben oui, quand même ! Dans la semaine après que tu me l’as offert…
— Alors ?
— Alors, nous ne serions pas là s’il n’avait pas été excellent…
— Tu es trop gentil…
— Sinon… ça va, toi ?
— Euh… oui. Pourquoi cette question ?
— Non, comme ça…
Victor sentit que quelque chose le titillait.
—Allez… accouche !
—Non, c’est juste comme ça… Je voulais juste savoir si tu faisais encore des cauchemars…
Victor s’était épanché par le passé auprès de son ami sur ses nuits agitées mises sur le compte du drame qu’il avait vécu autrefois, et sur la menace proférée par Ferrer.
—Non, ça va… Ils se sont estompés avec le temps…
—Bon, alors tant mieux… Parce que tu sais que Ferrer sort bientôt ?
Victor ne put maîtriser la force avec laquelle il réagit.
—Comment ?
—Chut… Calme-toi !
—Je … je suis calme, répliqua Victor, un ton en dessous.
—Ta réaction m’inquiète. Il semblerait que tu n’aies pas complètement tourné la page… Tu ne risques rien, tu sais. Ferrer s’est acheté une conduite en vingt ans. Il a repris des études. Il a même passé une maîtrise de… d’économie, je crois…
—Ah bon ? J’espère alors que lui aussi aura tourné la page…
—Mais oui… Allez, rassure-toi, il ne viendra pas t’ennuyer…
—J’espère que tu dis vrai.
—De toute façon, j’aurai un œil sur lui ! Mais sois confiant… Il a changé…
C’est à cet instant que quelqu’un attrapa le bras de Victor. Il tourna la tête. Éva de Breuil !
— Je peux vous accaparer quelques instants ?
— Bien… bien sûr, bafouilla-t-il de surprise.
— Je vous laisse, s’excusa Yellow, avec tact. On se voit plus tard…
— Je t’appelle ! J’aurai sans doute des tuyaux à te demander…
Victor interpréta son sourire comme un accord de principe et il le regarda se fondre parmi les invités.
— Je ne vous dérange pas au moins ? réitéra Éva.
— Non, non, pas du tout, Madame, excusez-moi !
— Appelez-moi Éva, voulez-vous ! Après tout, nous allons être amenés à nous croiser souvent dans la maison…
— Euh… oui, je… je le crois aussi…
— Allons, ne soyez pas timide ! Si vous êtes d’accord, je serai votre guide pour entrer dans les arcanes de l’édition. Une sorte de marraine…
— C’est un honneur, répliqua-t-il avec plus d’assurance.
— Alors, venez ! Allons faire quelques pas en bord de Seine…
Toujours accrochée à son bras, elle l’entraîna sur l’allée de gravillons blancs qui conduisait à la terrasse, puis jusqu’à un chemin qui longeait le fleuve. Des saules pleureurs plongeaient dans l’eau leurs longues branches sèches qui ondulaient avec paresse au fil du courant. Des couples se baladaient en barque. Les hommes portaient des canotiers et les femmes des ombrelles.
— On se croirait dans un tableau impressionniste, fit remarquer Victor, subjugué par le décor environnant.
— Tout juste. Notre ami Olaf est un fan de Renoir. La maison, la terrasse, les bateaux… ça ne vous rappelle rien ?
— Ses tableaux ?
— Oui, bien sûr. Mais surtout vous êtes ici dans une reconstitution de la maison Fournaise à Chatou. Olaf a fait reconstruire à l’identique le cadre dans lequel Renoir a peint ses célèbres toiles « Le déjeuner des canotiers » et « Les canotiers à Chatou ».
— Et cette maison était dans le coin…
— Non, plus en aval, dans les Yvelines. Et la maison Fournaise existe toujours. Elle abrite aujourd’hui un restaurant et un musée municipal dédié à l’impressionnisme par le biais d’expositions temporaires. Lorsqu’Olaf vous emmènera dans son appartement parisien, il ne manquera ni de vous expliquer sa passion ni de vous montrer ses originaux de Renoir.
— Il possède les tableaux dont vous m’avez parlé ?
Elle pouffa devant son ingénuité.
— À son grand regret, non. Les deux sont à Washington. Un au musée d’Art et le second dans une collection privée. Olaf en possède tout de même cinq, moins connus, et quelques esquisses. Inutile de vous dire qu’il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Il les cache dans une petite galerie secrète dans laquelle on ne peut entrer que s’il pose sa main sur un détecteur d’empreintes digitales. L’intérieur est austère : un simple banc, sans dossier, couvert de cuir rouge, posé au milieu de la pièce en face de sa petite exposition personnelle accrochée au mur. La lumière est tamisée pour ne pas altérer les huiles.
Ils parvinrent à un embarcadère où des invités prenaient place à bord de barques avec l’aide du personnel qui leur fournissait canotiers et ombrelles. Le photographe officiel immortalisait avec un reflex numérique le moment où des barques s’éloignaient du ponton, ou quand d’autres s’en rapprochaient.
— Chacun de nous pourra repartir avec sa photo sur papier glacé en fin de soirée, lui expliqua Éva. Olaf aime imprégner Renoir dans nos esprits jusque-là.
— C’est incroyable de l’admirer à ce point…
— Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises… Un petit tour en barque… cela vous tente ?
Au point où il en était…
Et c’est ainsi qu’il se retrouva à ramer dans un tableau de Renoir, un canotier sur la tête, Éva de Breuil assise en face de lui avec une ombrelle. Comme d’autres couples, ils s’éloignèrent de l’embarcadère et remontèrent le fleuve dont le débit était peu élevé.
— Vous voulez bien vous éloigner des autres barques, lui chuchota-t-elle d’un air faussement détaché ?
— Pardonnez-moi toute cette mise en scène, mais je ne vous ai pas demandé de vous éloigner pour vous parler de Renoir. Ne croyez pas non plus que mes intentions sont inavouables ou que j’ai prémédité une déclaration enflammée. J’ai passé l’âge. Quoique ! Vous êtes bien mignon. Non, je plaisante. Enfin, mignon vous l’êtes. Ce que je veux dire, c’est que je n’ai pas des habitudes de… comment dit-on aujourd’hui déjà ?... cougar ?... oui, c’est cela… Eh bien, voilà ! Je ne suis pas une cougar.
Victor lui décocha un sourire angélique de façade, mais au fond de lui, son entrée en matière l’interpellait.