Paris en songe - Ligaran - E-Book

Paris en songe E-Book

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Extrait : "Il y a dix ans que j'ai quitté Paris et la France. Débarqué à Marseille le 30 décembre, je ne fais qu'un bond du navire éteint au wagon qui s'allume pour m'emporter à Lyon. C'est là que j'ai donné rendez-vous à un ami, Parisien comme moi, accouru à ma rencontre. A l'embarcadère de Lyon, la première figure que j'aperçois, figure verte de froid, collé entre deux barreaux, est celle de mon homme, de planton à attendre."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran :

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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IVoyage fantastique

Chemin de fer. – Sécurité. – Bien-être.

Il y a dix ans que j’ai quitté Paris et la France. Débarqué à Marseille le 30 décembre, je ne fais qu’un bond du navire éteint au wagon qui s’allume pour m’emporter à Lyon. C’est là que j’ai donné rendez-vous à un ami, Parisien comme moi, accouru à ma rencontre.

À l’embarcadère de Lyon, la première figure que j’aperçois, figure verte de froid, collée entre deux barreaux, est celle de mon homme, de planton à m’attendre.

Nous embrasser deux et trois fois, nous serrer les mains, est l’affaire d’un moment. Au contact de ma joue, cette bonne joue verte s’empourpre de plaisir.

Nous dînons ensemble, comme dînent deux bons amis heureux de se revoir ; puis, impatients de retourner au logis, nous repartons, le soir même par le convoi express qui entrera dans Paris à cinq heures du matin. Une nuit en wagon qu’est-ce que cela ? Tant de choses à nous dire ! Le temps nous fera défaut.

La vapeur siffle. On part.

Nous voici installés dans notre compartiment de première classe, rompus de fatigue, mais contre, face à face, capitonnés jusqu’aux oreilles, jambes entrelacées, une bouilloire aux pieds, un coin pour chaque tête.

– Tu vas être bien surpris en revoyant ton Paris.

– Pourquoi ?

– Parce que je te défie de le reconnaître, mon cher ; il tant une boussole pour s’y orienter, ni plus ni moins.

– Allons, si Paris n’est plus le même, tu n’es pas changé, toi, du moins. Toujours l’œil derrière une loupe !

– Je dîne chez un ami, très bien. Huit jours après, je me mets poliment en route pour lui rendre visite. Mais, bah ! l’ami, la maison, la rue, tout est évanoui. Et bien d’autres histoires encore. Que te dirai-je ? c’est un splendide changement à vue de Ciceri.

– Trêve d’exagérations. Paris est ma patrie : un fils n’a pas de peine à reconnaître sa mère.

– Tu verras, tu verras. En attendant, je me charge, à notre arrivée, de te servir de cicerone, monsieur l’étranger.

– Eh bien, soit…

 

Tout à coup une transfiguration s’opère autour de nous.

Notre compartiment s’est élargi. Comment ? je n’en sais rien. D’obscur, il est devenu rayonnant. Au lieu de deux compagnons endormis, une société éveillée, choisie, bien mise. On se croirait dans quelque coquet boudoir de quelque faubourg Saint-Honoré roulant. Là-bas, un notaire, si j’en crois sa cravate blanche, lit un journal, comme il le lirait dans son cabinet, en face de sa lampe Carcel. À côté, un jeune couple, devant le couple, un guéridon volant, et sur le guéridon deux carafes fumantes, dites bavaroises. Comment diable ont-ils fait pour trouver dans leur sac de nuit une friandise si brûlante, si peu voyageuse de sa nature ? Mais voici bien autre chose ! Depuis cinq minutes, les yeux de ma voisine, un peu trop épanouie, semblaient soupirer. Pour qui ? pour moi, sans doute. Fat que j’étais ! Les yeux s’éteignent, ma voisine évanouie repose doucement sur mes bras.

– Pressez le ressort, monsieur, me crie-t-on de toutes parts.

– Quel ressort ?

– Là, près de vous, dans l’angle du compartiment.

J’y mets la main docilement. Ô surprise ! un surveillant en uniforme paraît, disparaît, reparaît, un verre d’eau à la main.

On s’empresse autour de la dame. La syncope résiste. Je gagerais qu’elle trouve mes deux bras plus moelleux que ceux de son fauteuil. Survient un monsieur, aussi bien mis que le tabellion, un médecin sans doute. Il la fait emporter hors du compartiment. Tout le monde la suit.

Cependant le train file, file, sans souci de ce qui se passe en dedans. Pas un holà, pas une hésitation. L’air siffle, comme devant.

Je suis tout le monde. On dépose ma voisine dans le cabinet du docteur. Là, elle se décide à ouvrir les yeux. Sur ce, je m’esquive, rassuré, curieux aussi de savoir comment peut s’opérer, en pleine vapeur, ce va-et-vient de voyageurs, paisible, sans casse-cou. Voici ce que je remarque :

Notre train est flanqué, dans toute sa longueur, de deux galeries latérales, découvertes, éclairées comme à l’intérieur. Elles aboutissent aux deux bouts. À l’avant, un buffet de consommation, le cabinet du médecin, celui du conducteur ; à l’arrière, des sièges très utiles en maintes occasions, particulièrement en chemin de fer : les dames s’y rendent d’un côté, les messieurs de l’autre. Sur chaque galerie, une façon de valet surveillant se tient en sentinelle, prêt à répondre aux appels des sonnettes.

Durant que j’admirais, notre évanouie rentrait dans le compartiment, avec nos compagnons de voyage. En passant devant moi, elle m’adressa un regard peu reconnaissant. Pourquoi ? ma conscience était pure, aussi pure que l’air matinal qui me glaçait le visage, que le ciel, en demi-deuil, qui perdait ses étoiles une à une. Je crus bon de ne pas la suivre. Donc, je me promenais, le cigare allumé, sur la fraîche galerie, quand le conducteur vint me réclamer mon billet. Le convoi entrait en gare ; nous étions à Paris !

IIArrivée à Paris

Gare de Lyon. – Nouveau boulevard de Lyon

À Paris, non, je me trompe, nous n’étions qu’aux portes de Pans, en vue des remparts, à l’endroit où s’élevait autrefois le château de Bercy.

La gare, chassée du boulevard Mazas, a rétrogradé jusque-là. Elle est spacieuse et commode. Comme nous causions, assis à notre aise, dans une salle bien chauffée, bien éclairée, un employé en uniforme nous abordait, chapeau bas ; il nous demandait nos bulletins de bagage, nos instructions, nos clefs, se faisait délivrer les malles, les soumettait à l’œil de l’octroi, payait les droits, faisait tout charger sur une voiture de place, puis recevait de nous son salaire et celui de ses gens, suivant un tarif placarde. Nous apprîmes de lui, qu’il est défendu aux hommes de peine de se mettre personnellement en contact avec les voyageurs, qu’il leur est interdit, ainsi qu’à lui-même, de rien accepter pour bonne-main, sous peine d’expulsion.

Notre nocturne entrée dans Paris se fît par le nouveau boulevard de Lyon, voie large, ayant grand air, aussi pleine de lumière qu’en plein midi, bordée, de droite et de gauche, de constructions au style uniforme. Ce boulevard, je n’en soupçonnais même pas l’existence. Il n’est autre chose que l’ancien parcours du chemin de fer, soudé à l’ancien ne rue de Lyon.

Les horloges publiques sonnaient six heures. Plus une étoile au ciel. Le jour paresseux et frileux n’était pas encore levé. Mais n’oublions pas que nous étions au 31 décembre.

IIIProgrès populaires

Boutiques du nouvel an. – Fontaines publiques. – Omnibus des ouvriers. – Chants du foyer. – Almanach parisien. – Bulletin parisien. – Ordonnance sur les cabaretiers. – Église.

– Cocher, s’écrie mon ami, halte-là, au centre de la place de la Bastille.

Puis, se tournant vers moi :

– Je t’ai promis d’être ton cicerone, de te montrer les plus jolis verres de la lanterne magique parisienne. Descendons, c’est ici notre point de départ.

– Quel spectacle !

– Oh ! ne t’enflamme pas sitôt, à ton tour. Il n’est pas temps encore. Nous y reviendrons. Pour le moment, occupons-nous de ce qui intéresse les classes laborieuses, et de cela seulement.

Tu vois ces deux files de boutiques en plein vent, qui s’étendent, à perte de vue, le long du boulevard Beaumarchais. Elles ont pour hôtes, du 25 décembre au 15 janvier, des ouvriers et des ouvrières, élevés au rang de commerçants, pour la saison des étrennes.

Approchons. Tu remarques qu’elles sont toutes les mêmes, d’une élégance pittoresque, bien couvertes, bien closes, munies d’un petit appareil de chauffage, éclairées par le gaz. Déjà les petits marchands sont à leur poste. L’aube n’est pas levée, et les étalages se parent. Regarde, quelles jolies étrennes, fraîches, agaçantes pour le passant !

– On croirait voir des rangées de maisonnettes suisses en bois de sapin. C’est comme un jouet d’enfant, colorié, sortant de sa boîte. J’ai peine à m’expliquer cet ensemble coquet.

– Rien de plus simple.

La ville de Paris a mis en adjudication la fabrication en bloc, sur dessins fournis, de ces villages d’opéra-comique, et le droit de les louer pendant un certain nombre d’années. Elle se charge de les remiser dans ses magasins, et fournit le gaz.

L’entrepreneur livre chaque boutique, tout installée, clefs en mains, à raison d’un franc par jour. C’est donc, pour la durée de ce petit négoce, vingt francs, payables par semaine. Exclusion de tout commerçant patenté. Préférence aux vieillards, aux femmes, aux ménages chargés d’enfants. Pour les marchandises, ceux qui, trop nécessiteux, ne pourraient se les procurer, s’adressent à une société bienfaisante établie flans chaque quartier. Elle les achète en gros, et les remet à ces malheureux, avec des facilités de payement. C’est, dit le peuple, notre moisson d’hiver.

– La ville alloue sans doute une subvention annuelle à son entrepreneur.

– Je ne crois pas. Mais, soit. Admettons, si tu veux, une subvention, il y aurait encore économie. Tu vas en juger toi-même : à la fin de janvier, l’hôpital était le rendez-vous de ces braves gens, exposés, pendant le jour, à la bise, à la pluie, à la neige ; forcés, pendant la nuit, de coucher, en sentinelles, sur leur misérable trésor. Et l’hôpital coûte cher ! Aujourd’hui il n’en est plus de même. Témoin ces visages qui respirent la santé et la satisfaction.

 

Sur ce, montrant les talons à la place de la Bastille, nous prenons la route de la Colonie ouvrière, établie au-dessus de la place du Trône.

Chemin faisant, le long du faubourg Saint-Antoine, je remarquai, à chaque coin de rue, une fontaine. Il y avait tout autour encombrement de Rachels matinales, puisant l’eau de la journée.