Philoctète - André Gide - E-Book

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André Gide

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Beschreibung

Philoctète n’a pas été écrit pour le théâtre. C’est un traité de morale, que je joins à ces trois autres traités, pour mieux montrer qu’il n’a pas de prétentions scéniques.
Philoctète a paru dans la Revue Blanche du 1er décembre 1898.

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ANDRÉ GIDE

PHILOCTÈTE

LE TRAITÉ DU NARCISSE LA TENTATIVE AMOUREUSE EL HADJ

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385742492

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PHILOCTÈTE

PHILOCTÈTE ou LE TRAITÉ DES TROIS MORALES

PREMIER ACTE

DEUXIÈME ACTE

TROISIÈME ACTE

QUATRIÈME ACTE

CINQUIÈME ACTE

I

II

III

LA TENTATIVE AMOUREUSE ou LE TRAITÉ DU VAIN DÉSIR

I

II

III

EL HADJ ou LE TRAITÉ DU FAUX PROPHÈTE

PHILOCTÈTEouLE TRAITÉ DES TROIS MORALES

A Marcel Drouin.

Philoctète n’a pas été écrit pour le théâtre. C’est un traité de morale, que je joins à ces trois autres traités, pour mieux montrer qu’il n’a pas de prétentions scéniques.

Philoctète a paru dans la Revue Blanche du 1er décembre 1898.

 

PREMIER ACTE

Ciel gris et bas sur une plaine de neige et de glace.

SCÈNE I

ULYSSE et NÉOPTOLÈME

NÉOPTOLÈME

Ulysse, tout est prêt. La barque est amarrée. J’ai choisi l’eau profonde, à l’abri du Nord, de peur que le vent n’y congelât la mer. Et, bien que cette île si froide semble n’être habitée que par les oiseaux des falaises, j’ai rangé la barque en un lieu que nul passant des côtes ne pût voir.

Mon âme aussi s’apprête ; mon âme est prête au sacrifice. Ulysse ! parle, à présent ; tout est prêt. Durant quatorze jours, penché sur les rames ou sur la barre, tu n’as dit que les brutales paroles des manœuvres qui devaient nous garer des flots ; devant ton silence obstiné mes questions bientôt s’arrêtèrent ; je compris qu’une grande tristesse oppressait ton âme chérie parce que tu me menais à la mort. Et je me tus aussi, sentant que toutes les paroles nous étaient trop vite emportées, par le vent, sur l’immensité de la mer. J’attendis. Je vis s’éloigner derrière nous, derrière l’horizon de la mer, la belle plage skyrienne où mon père avait combattu, puis les îles de sable d’or ou de pierre, que j’aimais parce que je les croyais semblables à Pylos ; treize fois j’ai vu le soleil entrer dans la mer ; chaque matin il ressortait des flots plus pâle et pour monter moins haut plus lentement ; jusqu’à ce qu’enfin, au quatorzième matin, c’est en vain que nous l’attendîmes ; et depuis nous vivons comme hors de la nuit et du jour. Des glaces ont flotté sur la mer ; et ne pouvant plus dormir à cause de cette constante lueur pâle, les seuls mots que j’entendais de toi, c’était pour me signaler les banquises dont un coup d’aviron nous sauvait. A présent, parle, Ulysse ! mon âme est apprêtée ; et non comme les boucs de Bacchus qu’on mène au sacrifice couverts des ornements des fêtes, mais comme Iphigénie s’avança vers l’autel, simple, décente et non parée. Certes, j’eusse voulu, comme elle, pour ma patrie, mourant sans plaintes, mourir au sein des Grecs, sur une terre ensoleillée, et montrer par ma mort acceptée tout mon respect des dieux et toute la beauté de mon âme : elle est vaillante et n’a pas combattu. Il est dur de mourir sans gloire… pourtant, ô dieux ! je suis sans amertume, ayant lentement tout quitté, les hommes, les plages au soleil… et maintenant, arrivés sur cette île inhospitalière, sans arbres, sans rayons, où la neige couvre les verdures, où toutes choses sont gelées, et sous un ciel si blanc, si gris, qu’il semble au-dessus de nous une autre plaine de neige étendue, loin de tout, loin de tout… il semble que ce soit là déjà la mort, et, tant ma pensée à chaque heure devenait plus froide et plus pure, la passion s’étant abandonnée, qu’il ne reste ici plus qu’au corps à mourir.

Au moins, Ulysse, dis-moi que, par mon sang fidèle, le mystérieux Zeus contenté va permettre aux Grecs la victoire ; au moins, Ulysse ! tu leur diras, dis, que pour cela je meurs sans crainte… tu leur diras…

ULYSSE

Enfant, tu ne dois pas mourir. Ne souris pas. A présent je te parlerai. Écoute-moi sans m’interrompre. Plût aux dieux que le sacrifice de l’un de nous deux les contentât ! Ce que nous venons faire ici, Néoptolème, est moins aisé que de mourir…

Cette île qui te paraît déserte ne l’est point. Un Grec l’habite ; il a nom Philoctète et ton père l’aimait. Jadis il s’embarquait avec nous sur la flotte qui, pleine d’espoir et d’orgueil, quittait la Grèce pour l’Asie ; c’était l’ami d’Hercule et l’un des nobles parmi nous ; si tu n’avais vécu jusqu’ici loin du camp, tu saurais déjà son histoire. Qui n’admirait alors sa vaillance ? et qui ne la nomma plus tard témérité ? Ce fut elle qui sur une île inconnue, devant qui s’arrêtèrent nos rames, l’emporta. L’aspect des bords était étrange ; les présages mauvais avaient altéré nos courages. L’ordre des dieux ayant été, nous dit Calchas, de sacrifier sur cette île, chacun de nous attendait que quelque autre voulût descendre ; c’est alors que s’offrit en souriant Philoctète. Sur la plage de l’île un perfide serpent le piqua. Ce fut en souriant d’abord que Philoctète rembarqué nous montra près du pied sa petite blessure. Elle empira. Philoctète cessa bientôt de sourire ; son visage pâlit, puis ses regards troublés s’emplirent d’une angoisse ignorée. Au bout de quelques jours son pied tuméfié s’alourdit ; et lui, qui ne s’était jamais plaint, commença de lamentablement gémir. D’abord chacun s’empressait près de lui pour le consoler, le distraire ; rien n’y pouvait ; il aurait fallu le guérir ; et, quand il fut prouvé que l’art de Machaon n’avait sur sa blessure aucune prise, — comme aussi bien ses cris menaçaient d’affaiblir nos courages, — le navire ayant approché d’une autre île, de celle-ci, nous l’y laissâmes, seul avec son arc et ses flèches qui vont nous occuper aujourd’hui.

NÉOPTOLÈME

Quoi ! seul ! vous le laissâtes, Ulysse ?

ULYSSE

Eh ! s’il eût dû mourir, nous eussions pu je crois le garder quelque temps encore. Mais non — sa blessure n’est pas mortelle.

NÉOPTOLÈME

Mais alors ?

ULYSSE

Mais alors devions-nous soumettre la vaillance d’une armée à la détresse, aux lamentations d’un seul homme ? On voit bien que tu ne l’entendis pas !

NÉOPTOLÈME

Ses cris étaient-ils donc affreux ?

ULYSSE

Non, pas affreux : plaintifs, humectant de pitié nos âmes.

NÉOPTOLÈME

Quelqu’un ne pouvait-il du moins rester, veiller sur lui ? Malade et seul ici, que peut-il faire ?

ULYSSE

Il a son arc.

NÉOPTOLÈME

Son arc ?

ULYSSE

Oui : l’arc d’Hercule. Et puis je dois te dire, enfant : son pied pourri exhalait par tout le navire la plus intolérable puanteur.

NÉOPTOLÈME

Ah !

ULYSSE

Oui. Puis il était absorbé par son mal, incapable à jamais de nouveau dévouement pour la Grèce…

NÉOPTOLÈME

Tant pis. Et nous alors, Ulysse, nous venons…

ULYSSE

Écoute encore, Néoptolème : tu sais, devant Trojà longuement condamnée, combien de sang versé, et de vertu, de patience et de courage ; les foyers délaissés et la chère patrie… Rien de tout cela n’a suffi. Par le prêtre Calchas les dieux ont enfin déclaré que seuls l’arc d’Hercule et ses flèches, par une dernière vertu, permettraient la victoire à la Grèce. Voilà pourquoi tous deux partis — que béni soit le sort qui nous a désignés ! — il semble qu’à présent abordés sur cette île si reculée, toute passion étant abandonnée, nos grands destins enfin vont se résoudre, et notre cœur ici plus complètement dévoué va parvenir enfin à la vertu la plus parfaite.

NÉOPTOLÈME

Est-ce tout, Ulysse ? Et maintenant, ayant bien parlé, que comptes-tu faire ? car mon esprit se refuse encore à comprendre complètement tes paroles… Dis : pourquoi sommes-nous venus ici ?

ULYSSE

Pour prendre l’arc d’Hercule ; ne l’as-tu pas compris ?

NÉOPTOLÈME

Ulysse, est-ce là ta pensée ?

ULYSSE

Non la mienne, mais celle que les dieux m’ont donnée.

NÉOPTOLÈME

Philoctète ne voudra pas nous le donner.

ULYSSE

Aussi nous en emparerons-nous par la ruse.

NÉOPTOLÈME

Ulysse, je te hais. Mon père m’apprit à ne jamais me servir de la ruse.

ULYSSE

Elle est plus forte que la force : celle-ci n’attend pas. Ton père est mort, Néoptolème ; je suis vivant.