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Pierre Corneille

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Beschreibung

Les "Œuvres complètes" de Pierre Corneille, dramaturge emblématique du XVIIe siècle, constituent un monument de la littérature française. Dans ces textes, Corneille (1606-1684) se distingue par une écriture riche et raffinée, mêlant poésie et dramaturgie. Ses pièces, telles que "Le Cid" et "Horace", explorent des thèmes universels comme l'honneur, la passion et le conflit entre le devoir et le désir, tout en s'inscrivant dans le contexte du classicisme, qui valorise la raison et la cohérence dramatique. La structure de ses œuvres, souvent en vers, témoigne d'un style rigoureux et d'une musicalité particulière, engendrant une profonde réflexion sur la condition humaine et les valeurs morales de son époque. Né à Rouen dans une famille de juristes, Pierre Corneille a d'abord poursuivi des études de droit, mais sa passion pour le théâtre l'a conduit à écrire des œuvres qui deviendront des références incontestées. Influencé par la tradition théâtrale italienne ainsi que par les débats contemporains sur la nature de l'héroïsme et de l'honneur, Corneille a su dépeindre des personnages complexes dans des situations tragiques, cherchant à concilier la réalité et l'idéal moral, ce qui témoigne de son engagement envers les valeurs de son temps. Cette anthologie est fortement recommandée à quiconque désire comprendre les fondements de la tragédie classique française et les enjeux émotionnels et éthiques qui la traversent. La profondeur des réflexions de Corneille et la beauté de son écriture enrichiront les amateurs de littérature, invitant à une méditation sur la lutte entre l'individu et les forces qui le dépassent. Les "Œuvres complètes" représentent une occasion précieuse de découvrir les racines du théâtre français et d'apprécier l'art de l'une de ses figures majeures. Dans cette édition enrichie, nous avons soigneusement créé une valeur ajoutée pour votre expérience de lecture : - Une Introduction approfondie décrit les caractéristiques unifiantes, les thèmes ou les évolutions stylistiques de ces œuvres sélectionnées. - La Biographie de l'auteur met en lumière les jalons personnels et les influences littéraires qui marquent l'ensemble de son œuvre. - Une section dédiée au Contexte historique situe les œuvres dans leur époque, évoquant courants sociaux, tendances culturelles и événements clés qui ont influencé leur création. - Un court Synopsis (Sélection) offre un aperçu accessible des textes inclus, aidant le lecteur à comprendre les intrigues et les idées principales sans révéler les retournements cruciaux. - Une Analyse unifiée étudie les motifs récurrents et les marques stylistiques à travers la collection, tout en soulignant les forces propres à chaque texte. - Des questions de réflexion vous invitent à approfondir le message global de l'auteur, à établir des liens entre les différentes œuvres et à les replacer dans des contextes modernes. - Enfin, nos Citations mémorables soigneusement choisies synthétisent les lignes et points critiques, servant de repères pour les thèmes centraux de la collection.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Pierre Corneille

Pierre Corneille: Oeuvres complètes

Édition enrichie. Passion, honneur et pouvoir : Le théâtre classique de Corneille
Introduction, études et commentaires par Brice Perrot
Édité et publié par Good Press, 2023
EAN 8596547685302

Table des matières

Introduction
Biographie de l’auteur
Contexte historique
Synopsis (Sélection)
Pierre Corneille: Oeuvres complètes
Analyse
Réflexion
Citations mémorables

Introduction

Table des matières

Pierre Corneille: Oeuvres complètes réunit l’ensemble des pièces et des principaux écrits en prose et en vers de Corneille, du premier succès de 1630 aux ultimes tragédies. Le projet vise l’intégralité dramatique: comédies, tragédies, tragi‑comédies, pièces à machines, œuvres de collaboration (La Comédie des Tuileries, Psyché), et textes de réflexion et de piété (Œuvres critiques, Excuse à Ariste, Imitation de Jésus‑Christ). L’ordonnancement restitue un parcours cohérent, où se lisent la naissance du théâtre classique français, ses audaces et ses règles. Cette réunion propose un paysage continu, afin de rendre sensible la variété des tons, l’évolution des techniques scéniques et l’unité d’une voix qui a façonné durablement la scène européenne.

Les premières comédies — Mélite (1630), Clitandre ou l’Innocence persécutée (1631), La Veuve (1632), La Galerie du Palais (1633), La Suivante (1634) et La Place Royale — fixent un théâtre de la conversation, de l’adresse et de l’intrigue. Dans des milieux urbains et mondains, Corneille observe le jeu des passions naissantes, la circulation des réputations et les pièges de l’esprit. Sans dépasser la prémisse amoureuse, il met en place un art du quiproquo, de la feinte et de la décision rapide, déjà tendu vers une grandeur morale. Ces pièces font entendre une langue nerveuse, précise, qui prépare la haute tenue de la tragédie.

Avec Médée (1635), première tragédie, la voix change d’échelle: la violence des choix y affronte la mesure des règles. L’Illusion comique (1636) pousse plus loin l’expérimentation, multipliant les miroirs du théâtre et la magie des dispositifs scéniques, tout en restant lisible comme fable sur l’art dramatique. La Comédie des Tuileries, œuvre de collaboration, témoigne d’une pratique de troupe et d’un dialogue entre styles. Dans ce moment d’essais, Corneille teste les limites de la vraisemblance, des unités et de l’ornement, posant les bases d’un théâtre à la fois spectaculaire et raisonneur, sensible aux sortilèges de la scène et aux débats d’idées.

Le Cid (1636) marque une conquête décisive. Tragi‑comédie inspirée d’une tradition espagnole, elle installe au cœur de la scène française l’affrontement de l’honneur et de l’amour, et fait entrer le public dans une délibération dramatique portée à son point d’incandescence. Sans dévoiler l’issue des choix, on en mesure la tension logique, la netteté des alternatives, la rapidité des revirements. La querelle qu’elle suscita fixa durablement les termes d’une poétique classique en train de se forger. L’œuvre, ici restituée dans son contexte, demeure l’un des seuils majeurs de la dramaturgie européenne.

Horace (1640), Cinna ou la Clémence d’Auguste (1641) et Polyeucte Martyr (1643) confirment un modèle où la grandeur morale s’éprouve dans l’instant de la décision. Famille, cité, foi et État y entrent en concurrence, selon des prémisses claires qui guident l’action sans l’alourdir. La forme versifiée impose une cadence mémorable à l’argumentation, et l’échange dramatique, serré, fait surgir les dilemmes dans la lumière de l’alexandrin. Ces pièces installent Corneille au centre du classicisme naissant, en montrant comment la liberté humaine se mesure à des nécessités supérieures, sans manichéisme, et avec un constant souci de dignité.

Les tragédies et tragi‑comédies historiques comme La mort de Pompée (1644), Héraclius empereur d’Orient (1647), Don Sanche d’Aragon (1650), Nicomède (1651) et Pertharite (1652) déplacent l’enjeu vers la politique, la légitimité et l’identité. Intrigues de cour, reconnaissances, rivalités de princes y composent des figures d’autorité en situation d’épreuve. Corneille y explore les zones obscures du pouvoir, sans quitter la clarté argumentative qui définit son théâtre. La géographie s’élargit, de Rome à Byzance et à l’Espagne, et les dispositifs d’action se complexifient, toujours au service d’une interrogation sur ce que signifie gouverner, obéir, et rester fidèle à soi.

Rodogune princesse des Parthes (1644) et Théodore vierge et martyre (1646) approfondissent la dramaturgie des volontés irréconciliables, tandis qu’Andromède (1650) et La conquête de la Toison d’or (1660) manifestent l’ambition du spectacle à machines. Ces pièces proposent un théâtre de la vision et de la stupeur maîtrisée, où la scénographie appuie la logique morale sans l’éclipser. L’invention des situations, l’art du suspense et l’économie de la révélation demeurent ordonnés à une question éthique directe. Ici, Corneille prouve que l’élévation et la magnificence ne sont pas un détour mais une voie pour rendre sensibles les choix qui engagent toute une destinée.

Le Menteur (1644) et La Suite du Menteur réactivent le versant comique de l’œuvre, avec une modernité d’observation et une précision d’horloger. Le mensonge y devient moteur de sociabilité et d’invention scénique, révélant l’écart entre désir, apparence et vérité. En transposant des ressorts venus d’Espagne dans un cadre parisien, Corneille donne à la comédie un raffinement d’argumentation rare, sans perdre la vivacité de l’espièglerie. Le langage quotidien s’y hisse à une tenue théâtrale qui fera école. Ces pièces complètent l’image d’un auteur capable d’embrasser la gamme entière, du badinage au sérieux le plus haut.

Le dernier cycle tragique — Œdipe (1659), Sertorius (1662), Sophonisbe (1663), Othon (1664), Agésilas (1666), Attila (1667), Tite et Bérénice (1670), Pulchérie (1672) et Suréna (1674) — resserre l’action autour d’enjeux politiques et sentimentaux d’une grande sobriété. Les conflits y sont plus obliques, les triomphes plus précaires, les voix plus intériorisées. Sans effets spectaculaires superflus, la dramaturgie gagne en densité logique et en gravité. On y lit une méditation tardive sur la liberté, la fidélité et l’exercice du pouvoir, où chaque prémisse pèse et chaque réplique engage. Cette phase, souvent moins éclatante, n’en est pas moins décisive pour l’arc d’ensemble.

Transversalement, l’art de Corneille tient à une rhétorique de l’action: l’alexandrin scande la délibération, l’antithèse ordonne les possibles, la stichomythie aiguise l’affrontement. La scène n’est jamais simple illustration: machines, entrées, ballets et tableaux — jusqu’à la tragédie‑ballet Psyché (1671), conçue en collaboration — prolongent la pensée dramatique. Le style allie fermeté logique et imaginaire héroïque, sans renoncer à l’ironie légère des commencements. Cette tension entre raison, volonté et spectacle fonde l’unité des pièces, du rire des comédies au sublime des tragédies, et explique la résistance de l’œuvre à l’usure du temps et des modes.

Les Œuvres critiques, parmi lesquelles l’Excuse à Ariste (1633 ou 1636), offrent la contrepartie théorique et polémique d’un praticien qui interroge ses propres moyens. Défense des choix, analyse des effets, souci de clarté: ces textes accompagnent les pièces et en éclairent la fabrique. À côté d’eux, l’Imitation de Jésus‑Christ témoigne d’un versant spirituel, sous la forme d’une paraphrase poétique d’un texte de dévotion. On y retrouve la discipline de la langue, un goût de la précision doctrinale, et l’orientation vers l’édification. L’ensemble montre un auteur pour qui la forme, au théâtre comme en poésie, est une éthique.

Réunir ces titres en un seul volume, c’est restituer une aventure continue: naissance d’un écrivain, conquête d’un langage, dialogue constant avec les attentes d’un public et les cadres d’une époque. Les genres représentés — comédies, tragédies, tragi‑comédies, pièces à machines, tragédie‑ballet, écrits critiques et texte spirituel — dessinent un territoire complet. On y suit la cohérence d’une pensée dramatique appuyée sur l’action et la décision, attentive à l’honneur, à l’amour, à la foi et au pouvoir. Parce qu’elle conjugue clarté et ampleur, cette œuvre demeure un repère vivant, offert ici dans sa continuité pour nourrir la lecture et la scène.

Biographie de l’auteur

Table des matières

Pierre Corneille (1606-1684) s’impose comme l’une des grandes voix du théâtre français au XVIIe siècle, âge de formation du classicisme. Son œuvre, abondante et variée, explore les tensions entre honneur, devoir et passion, et a durablement modelé l’esthétique dramatique en France. De la comédie de mœurs à la tragédie politique, il invente des situations exemplaires et des héros à la volonté inébranlable. Des pièces comme L’Illusion comique, Le Cid, Horace, Cinna ou la Clémence d’Auguste et Polyeucte Martyr ont fixé des repères durables pour la scène et la critique, tandis que ses écrits réflexifs ont clarifié les règles, la visée morale et l’efficacité oratoire du théâtre.

Formé dans un cadre humaniste et juridique, Corneille s’initie très tôt à la rhétorique et aux lettres, ce qui nourrit sa maîtrise de l’argument et du vers. Il débute avec des comédies vives et galantes qui observent la société urbaine et ses intrigues: Mélite, Clitandre ou l’Innocence persécutée, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, puis La Place Royale. Ces premières pièces révèlent un sens aigu des caractères, un art du dialogue et une attention au public naissant d’un théâtre professionnel. À Paris comme en province, elles imposent un jeune auteur capable d’unir vivacité comique, finesse psychologique et précision de l’intrigue.

Aux alentours du milieu des années 1630, Corneille élargit son registre. Il participe à l’ouvrage collectif La Comédie des Tuileries, signe la tragédie Médée et conçoit L’Illusion comique, œuvre hybride qui réfléchit joyeusement aux pouvoirs de la scène. Le Cid marque ensuite un tournant: succès immense, triomphe d’une dramaturgie de l’honneur et de l’énergie, il installe Corneille au premier rang. Dans cette période d’expérimentations, l’auteur cristallise une poétique où la décision héroïque et la grandeur d’âme deviennent des moteurs dramatiques. Son théâtre aspire à concilier plaisir du spectacle, exemplarité morale et efficacité persuasive du vers.

Le retentissement du Cid déclenche un débat public sur règles et bienséances qui oriente l’esthétique du temps. Corneille répond par des tragédies plus strictes, sans renoncer à l’élévation des âmes. Horace approfondit la tension entre devoir civique et liens du sang; Cinna ou la Clémence d’Auguste fait de la clémence un sommet de la politique; Polyeucte Martyr explore la ferveur spirituelle et la liberté intérieure. Dans ces œuvres, l’architecture des actes, l’art des scènes de décision et la densité des maximes s’allient à une langue sobre et énergique, créant un modèle de grandeur dramatique constamment imité.

La décennie suivante confirme sa maîtrise des sujets historiques et des enjeux politiques. La mort de Pompée et Rodogune princesse des Parthes déclinent, avec variété, ambition et rivalités dynastiques. Parallèlement, Corneille renouvelle la comédie avec Le Menteur et La Suite du Menteur, où l’entrelacs des récits, la virtuosité verbale et l’observation sociale inaugurent une veine moderne. Théodore vierge et martyre et Héraclius empereur d’Orient prolongent son goût pour les situations d’épreuve et de reconnaissance. Son théâtre associe ainsi la complexité des motifs à une claire intelligibilité scénique, toujours soucieuse d’instruire autant que de plaire.

Du milieu du siècle à ses dernières années, il multiplie les voies: spectacle à machines avec Andromède, intrigues d’État et d’honneur dans Don Sanche d’Aragon et Nicomède, puis une éclipse après Pertharite avant un retour affirmé avec Œdipe. S’ensuivent La conquete de la toison d’or, Sertorius, Sophonisbe, Othon, Agésilas, Attila, Tite et Bérénice, Psyché, Pulchérie et Suréna. À côté des pièces, ses Œuvres critiques clarifient sa poétique et dialoguent avec la pratique scénique; Excuse à Ariste témoigne de ses pièces liminaires; et l’Imitation de Jésus-Christ, en vers français, révèle une veine méditative accordée aux thèmes de la constance et de la foi.

Dans ses dernières années, Corneille demeure une référence pour les comédiens, les lecteurs et les théoriciens. Il poursuit des révisions, veille à la diffusion de ses textes et voit s’imposer durablement ses « héros de volonté ». Sa mort en 1684 clôt l’itinéraire d’un dramaturge qui aura donné au théâtre français des formes, des sujets et une langue d’autorité. De Mélite à Suréna, son œuvre éclaire la naissance d’un art dramatique soucieux d’ordre, d’éloquence et de grandeur. Aujourd’hui encore, ses pièces majeures sont régulièrement montées et étudiées, preuve d’une vitalité critique et scénique intacte.

Contexte historique

Table des matières

La collection couvre la trajectoire de Pierre Corneille, né en 1606 et actif surtout entre 1630 et 1674, sous Louis XIII, puis pendant la régence d’Anne d’Autriche et le long règne de Louis XIV. Elle rassemble ses premières comédies urbaines, ses grandes tragédies dites « héroïques », des pièces à machines et des écrits critiques, ainsi qu’une traduction poétique de l’Imitation de Jésus-Christ. Les intrigues, souvent situées dans l’Antiquité romaine, le monde hispanique ou l’Orient tardo-antique, dialoguent avec les réalités politiques de la France du XVIIe siècle: centralisation de l’État, guerres européennes, Réforme catholique, normes littéraires naissantes et institutionnalisation du spectacle.

Au début des années 1630, Corneille écrit pour un public parisien élargi par l’essor du Théâtre du Marais et de l’Hôtel de Bourgogne. Les comédies Mélite (1630), Clitandre (1631), La Veuve (1632), La Galerie du Palais (1633), La Suivante (1634) et La Place Royale observent la sociabilité urbaine, le commerce des galeries et la conversation mondaine liée aux salons naissants. Elles reflètent l’idéal d’honnêteté et l’ascension d’un public lettré alimenté par l’imprimerie. Les réseaux de mécénat et la demande de divertissement sous Louis XIII favorisent alors un théâtre où l’esprit, le langage et l’adresse sociale deviennent des valeurs majeures.

Sous Richelieu, qui voit dans la scène un outil de prestige et d’ordre, la cour encourage des expériences dramaturgiques contrôlées. La Comédie des Tuileries (vers 1635), œuvre collective de cour, témoigne de cette régulation et de l’ambition d’un art national. Médée (1635) marque chez Corneille un tournant tragique: l’auteur sollicite les modèles antiques pour penser passion, crime et souveraineté. Le climat politique, tendu par la raison d’État et la guerre, exige une esthétique de la mesure et de la vraisemblance. Le théâtre devient un lieu de réflexion civique, où l’exemplarité antique sert de miroir aux débats contemporains sur l’autorité.

L’Illusion comique (1636) s’inscrit dans une esthétique baroque encore très vivante à Paris: goût du merveilleux, jeux d’optique, mise en abyme du théâtre. Cette liberté poétique coexiste avec de nouvelles exigences morales et institutionnelles, alors que l’Académie française (fondée en 1635) prétend ordonner la langue et le goût. Entre désir de spectacle et appels à la bienséance, Corneille explore la puissance de la fiction tout en observant ses limites. La pièce témoigne d’un moment de transition où la scène parisienne expérimente, avant l’emprise croissante d’un classicisme normatif qui cadrera plus strictement les genres et les comportements scéniques.

La guerre franco-espagnole (ouverte en 1635) nourrit une attention marquée pour les sources ibériques et les thèmes d’honneur. Le Cid (1636), adapté de Guillén de Castro, rencontre un immense succès public, puis déclenche la Querelle du Cid, qui, dès 1637, mobilise critiques et Académie autour de la vraisemblance et des bienséances. L’épisode hâte la codification d’un théâtre « régulier ». Plus tard, Don Sanche d’Aragon (1650) prolonge l’intérêt pour l’univers hispanique. Corneille compose ainsi au contact d’un espace culturel européen partagé, où les comedias espagnoles (Lope, Alarcón) alimentent les scènes françaises et servent de laboratoire d’intrigues et de caractères.

Dans un royaume en voie de centralisation, les modèles romains fournissent un réservoir d’exempla politiques. Horace (1640) médite l’obéissance civique et la violence légitime; Cinna ou la Clémence d’Auguste (1641) met en scène l’art du pardon souverain; La mort de Pompée (1644) observe la guerre civile et ses transferts de pouvoir. Ces tragédies, situées dans l’Antiquité, permettent d’examiner la discipline des passions et la raison d’État sans attaquer frontalement l’actualité. Elles coïncident avec une demande de stabilité, à l’heure où Richelieu, puis la monarchie, cherchent à fixer un imaginaire d’ordre, de grandeur et de maîtrise de soi.

Le XVIIe siècle français est dominé par la Réforme catholique et une pédagogie jésuite qui façonne le goût pour l’éloquence et l’exemple moral. Polyeucte Martyr (1643) et Théodore vierge et martyre (1646) s’inscrivent dans ce climat dévot, en transposant l’épreuve spirituelle et la conversion dans des cadres antiques. Ces pièces dialoguent avec une culture de la sainteté, de la grâce et du libre arbitre alors discutée. La traduction en vers de l’Imitation de Jésus-Christ (achevée vers le milieu du siècle) prolonge cet engagement, offrant à des lecteurs francophones un classique de la piété, adapté aux sensibilités littéraires françaises.

Le milieu des années 1640 voit la poursuite des grandes tragédies, telles Rodogune (1644), Héraclius (1647), tout en approchant une période de troubles. La Fronde (1648–1653), durant la régence d’Anne d’Autriche sous Mazarin, perturbe circuits de représentation et vie des troupes. Andromède (1650), spectacle à machines, offre un divertissement spectaculaire prisé des publics de cour. Nicomède (1651) et Pertharite (1652) paraissent dans un climat politique mouvant; des contemporains y ont perçu des résonances avec l’actualité, sans que l’auteur n’en fasse profession. Ces années testent la capacité du théâtre à subsister entre divertissement, allusion et prudence.

Les progrès techniques modifient la scène: décor à changements rapides, volées, machineries importées d’Italie dans les années 1640–1650 transforment l’attente du public. Corneille y répond par des pièces à machines, notamment Andromède (1650) et La Conquête de la Toison d’or (1660), où le merveilleux visuel rejoint l’érudition mythologique. L’essor des fêtes de cour et des salles adaptées (comme de grands espaces parisiens accueillant décors et ballets) encourage l’alliance du théâtre, de la musique et de la danse. Ces innovations, portées par des artistes et ingénieurs italiens, imposent un nouveau standard spectaculaire dans le royaume.

La comédie demeure un laboratoire d’observation sociale. Le Menteur (1644) et La Suite du Menteur, adaptés de Juan Ruiz de Alarcón, s’appuient sur la tradition espagnole pour peindre mensonge, réputation et mobilité urbaine. En amont, des pièces comme La Galerie du Palais avaient déjà saisi la dynamique des lieux de commerce et de rencontre. Sous l’influence des salons et de la préciosité, la conversation raffinée, la politesse et l’art de persuader gagnent en centralité. Par ce biais, Corneille participe à une culture de l’honnête homme, attachée à la maîtrise du langage et à l’économie des affects.

La paix des Pyrénées (1659) clôt un long cycle de guerre et ouvre une période favorable à la codification classique. Œdipe (1659) manifeste un retour au modèle grec à travers la médiation latine, dans un cadre de régularité plus strict. Sous Colbert, les milieux lettrés insistent sur l’ordre et la clarté; Corneille publie ses Discours du poème dramatique (vers 1660) et des Examens, qui commentent sa pratique. Sertorius (1662) et Sophonisbe (1663) puisent chez Plutarque et Tite-Live, en resserrant l’action et les caractères. Le théâtre devient un lieu de pédagogie civique et rhétorique, conforme aux nouvelles attentes du goût royal.

Le début du règne personnel de Louis XIV (années 1660) voit paraître Othon (1664), Agésilas (1666), Attila (1667) et, plus tard, Tite et Bérénice (1670). Ces pièces explorent successions, alliances et légitimités impériales, dans un univers de cour où la maîtrise des passions est requise. La concurrence s’aiguise avec de nouveaux auteurs, dont Racine, qui propose une autre économie de la passion. La coïncidence entre Tite et Bérénice et la Bérénice de Racine (1670) témoigne d’un débat esthétique vif: concision, pathos, agencement de l’intrigue et des règles, sous l’œil d’un public de plus en plus averti.

La collaboration interartistique s’intensifie sous l’impulsion royale. Psyché (1671), tragédie-ballet portée par Molière, Lully et Quinault, associe théâtre, musique et danse, dans le cadre d’une politique du spectacle centralisée. La création de l’Académie royale de musique (1669) consacre l’essor de formes hybrides et les chantiers scéniques à grand appareil. Corneille y contribue par son art du vers et de la dramaturgie, adapté à des nécessités chorégraphiques et visuelles nouvelles. Le théâtre rejoint alors le programme monarchique: célébrer la magnificence, ordonner le divertissement, instruire noblement, et façonner une identité culturelle commune.

Les dernières tragédies, Pulchérie (1672) et Suréna (1674), paraissent dans un paysage transformé par la faveur de nouvelles sensibilités tragiques. Le public, désormais rompu à une dramaturgie plus épurée et à l’esthétique racinienne, reçoit diversement ces œuvres. Corneille demeure fidèle à une grandeur politique et morale qui assume l’argument historique et la tension entre devoir et amour. Ces pièces concluent une carrière qui a traversé révoltes, règnes et mutations du goût. Elles témoignent d’une fidélité à l’idéal d’élévation par l’exemple, au moment où la scène affirme d’autres voies de l’émotion et de la simplicité.

Les normes linguistiques se renforcent avec l’Académie française et les Remarques de Vaugelas (1647), qui stabilisent l’usage et la clarté. Corneille en est un artisan majeur: son alexandrin, ses préfaces et ses Examens contribuent à la pédagogie du « bon goût ». L’essor de l’édition parisienne, les privilèges d’impression et les dédicaces lient étroitement théâtre et monde du livre. Les troupes professionnelles structurent le répertoire; des acteurs marquants, tels ceux du Théâtre du Marais, popularisent ses pièces. L’institutionnalisation s’accentue jusqu’à la Comédie-Française (1680), qui organisera durablement la transmission et la mémoire des auteurs.

Les écrits critiques de Corneille offrent un témoignage rare sur la fabrique du théâtre au XVIIe siècle. Ses Discours et Examens discutent Aristote, Horace, la vraisemblance et la bienséance, en s’appuyant sur ses propres pièces pour justifier choix d’action et de caractère. L’Excuse à Ariste (rédigée dans les années 1630) éclaire ses positions face aux reproches de ses contemporains. Par ces textes, l’auteur s’inscrit dans un espace de débats stimulé par l’Académie française et par un lectorat critique grandissant, pour qui le théâtre doit à la fois plaire, instruire et répondre à des normes de plus en plus explicites.

La diversité des sujets—Rome républicaine et impériale, Orient byzantin, royaumes barbares, Espagne contemporaine—répond à des contraintes politiques et morales. En déplaçant les conflits dans des temps et des lieux éloignés, Corneille interroge les principes d’obéissance, de clémence, d’honneur et de foi sans heurter directement l’actualité. Cette stratégie, courante alors, protège l’auteur et libère une réflexion d’ordre général. Des pièces comme Héraclius, Othon ou Attila scrutent les périls de la succession, Rodogune ceux de la maternité politique, tandis que Nicomède ou Sertorius examinent la résistance à l’usurpation et la négociation du pouvoir légitime.—tactiques dramatiques lisibles par les contemporains avertis, destinées à rester recevables au regard du pouvoir centralisateur, et constamment reprises et discutées par la critique postérieure, en France comme en Europe (Racine, Boileau, Voltaire), faisant de Corneille un point de référence pour penser le théâtre politique classique et sa réception jusqu’au XIXe siècle inclusivité, dans la tradition française du tragique politique et moral, que sa collection met en lumière par ses choix de sources, ses dispositifs scéniques et ses interventions théoriques.

Synopsis (Sélection)

Table des matières

Premières comédies et tragi-comédies urbaines (Mélite – Clitandre – La Veuve – La Galerie du Palais – La Suivante – La Place Royale – La Comédie des Tuileries)

Intrigues galantes, quiproquos et portraits d’une jeunesse citadine composent un théâtre vif où l’esprit et la civilité règlent les rapports amoureux. Corneille y éprouve la souplesse du vers, l’art du rebondissement et un comique de situation déjà sensible à l’honneur et à l’honnêteté. Ce cycle installe ses thèmes de prédilection — liberté, réputation, choix — avant leur durcissement tragique.

Médée (1635)

Tragédie du mythe antique où la passion blessée affronte l’ordre social et politique. Le langage tendu et les images violentes dessinent une héroïne aux prises avec l’excès, au seuil de la grandeur et de l’inhumain. Corneille y affirme une poétique de la hauteur de ton et de la nécessité dramatique.

L’Illusion comique (1636)

Fable à tiroirs où le théâtre se regarde lui-même, mêlant enchantement, comique et pathétique. Les métamorphoses de l’illusion explorent la frontière entre apparence et vérité, jeu et existence. La pièce annonce une modernité réflexive tout en célébrant la puissance de la scène.

Le Cid (1636)

Tragicomédie du dilemme où l’élan de l’amour se heurte à l’impératif de l’honneur. Panache, tension morale et éclat oratoire font naître une héroïcité à la fois intime et publique. La pièce cristallise la signature cornélienne: liberté conquise, grandeur du choix et énergie du vers.

Horace – Cinna – Polyeucte Martyr

Triptyque central où s’affrontent civisme, clémence et foi dans des architectures oratoires rigoureuses. Les conflits privés y prennent la mesure de la cité et de la souveraineté, jusqu’au point de décision qui fait un destin. Tirades et duels de logique exaltent une vertu active, lucide et exigeante.

La mort de Pompée (1644)

Tragédie de la fin d’un grand homme envisagée par le prisme de la politique et de la gloire. Alliances, prudence et calculs révèlent la fragilité des puissants au moment de la bascule. Le ton grave médite sur ce que le succès doit au jugement et au temps.

Le diptyque du Menteur (Le Menteur – La Suite du Menteur)

Comédies de la parole où un héros façonne sa destinée par l’art du mensonge et la virtuosité sociale. Les identités se déplacent au fil des récits contradictoires, entre séduction, satire des usages et retour à soi. Rythme alerte, répliques étincelantes et mécanique de quiproquos en sont la signature.

Rodogune princesse des Parthes (1644)

Tragédie des passions extrêmes et des rivalités de pouvoir, tendue par un suspense de volontés irréconciliables. Reconnaissances, ultimatums et affrontements oratoires y orchestrent la montée de la nécessité. L’écriture y brille par sa densité et sa fermeté tragiques.

Théodore vierge et martyre (1646)

Portrait d’une ferveur intransigeante confrontée à l’épreuve et à la coercition. La pièce oppose douceur spirituelle et dureté du monde dans une ligne austère et recueillie. La dramaturgie resserrée exalte la constance et la dignité.

Héraclius empereur d’Orient (1647)

Intrigues byzantines et brouillage des identités posent la question de la légitimité. Révélations et faux-semblants rythment une dramaturgie de l’incertitude souveraine. Corneille y sonde la force des noms, du sang et de l’apparence dans l’exercice du pouvoir.

Mythes et merveilles à machines (Andromède – La conquete de la toison d’or – Psyché)

Fables antiques portées par l’éclat du merveilleux et la féerie scénique, où l’épreuve amoureuse prend la forme d’aventures grandioses. Les enchantements, périls et délivrances s’ordonnent à une élégance lyrique et à une clarté régulière du vers. Le spectacle élève l’âme tout en célébrant l’ingéniosité dramatique.

Don Sanche d’Aragon (1650)

Roman d’honneur et de galanterie dans un cadre hispanisant, où la noblesse se mesure à l’épreuve. Les identités sociales se déplacent entre bravoure, délicatesse et apparence. La pièce marie souplesse comique et noblesse héroïque.

Nicomède (1651)

Prince libre face aux pressions d’un ordre impérial, il oppose l’ironie et la fermeté à la contrainte. Le débat politique y prime, fait de feintes, de lucidité et d’audace verbale. Une énergie d’insoumission encadre la méditation sur l’autorité.

Pertharite (1652)

Conjugalité et fidélité affrontent tyrannie et raison d’État dans une tension grave. L’émotion, contenue, chemine avec la rigueur des décisions nécessaires. La pièce cultive l’épure et la constance des caractères.

Œdipe (1659)

Relecture du mythe de l’oracle où l’enquête vers la vérité se heurte à la fatalité. Le drame oppose clairvoyance et aveuglement dans un mouvement implacable. Le tragique s’y présente nu, sans fard, au plus près de la nécessité.

Sertorius (1662)

Figure de chef en marge, lucide et stratégique, aux prises avec l’emprise d’un pouvoir dominant. Alliances fragiles, éthique de commandement et patience du politique structurent l’action. Une gravité mesurée accompagne le calcul et la prudence.

Sophonisbe (1663)

Héroïne antique partagée entre amour, serment et raison d’État, sous la loi de l’histoire. La poésie du noble dépouillement soutient un conflit sans outrance. L’honneur y devient mesure du choix irrévocable.

Othon (1664)

Pièce de cour sur la délicatesse du pouvoir naissant et des préférences dangereuses. L’équilibre entre inclination et politique se joue à voix basse, dans la nuance. Un art discret de la décision gouverne les échanges.

Agésilas (1666)

Roi stratège confronté aux intrigues et aux devoirs concurrents. La brièveté des scènes sert une poétique de la décision et de la maîtrise. L’idéal d’autorité tempérée en forme la ligne de force.

Attila (1667)

Conquérant au centre de rivalités amoureuses et diplomatiques, entre rudesse et calcul. La pièce oppose énergie brute et civilité intéressée. Ton sombre et tension continue scandent la confrontation des ambitions.

Tite et Bérénice (1670)

Amour souverain affronté aux exigences d’un pouvoir romain attentif à ses devoirs. La pièce privilégie la délicatesse classique, les nuances et la retenue. Le conflit se dit dans la mesure, la clarté et la musique du vers.

Pulchérie (1672)

Pouvoir impérial au féminin, tissé de loyautés, de piété et de prudence. Débats de conscience et alliances gouvernent une politique de l’équilibre. La sobriété tardive du style met en relief la justesse et la discrétion.

Suréna (1674)

Général victorieux piégé par l’orgueil et les passions qui l’entourent. Tragédie d’une grandeur menacée où le ton se fait mélancolique. L’écriture élève l’élégie au rang de décision morale.

Œuvres critiques

Ensemble de réflexions où Corneille examine la vraisemblance, les règles et les effets du théâtre. Il y défend ses choix, précise ses méthodes et éclaire ses pièces. Le ton didactique articule le double impératif de plaire et d’instruire.

Excuse à Ariste (1633 ou 1636)

Texte apologétique dans lequel l’auteur répond à des objections et précise une esthétique en formation. Confidence et argumentation s’y entremêlent pour définir l’honnêteté, le plaisir et la justesse scéniques. Il esquisse déjà une éthique de l’écrivain dramatique.

Imitation de Jésus-Christ

Transposition spirituelle d’une voix de dévotion en un français clair et recueilli. L’accent porte sur l’intériorité, le dépouillement et l’examen de soi. La langue se fait sobre, orientée vers la ferveur et la constance.

Pierre Corneille: Oeuvres complètes

Table des Matières Principale
THÉÂTRE
Mélite (1630)
Clitandre ou l'Innocence persécutée (1631)
La Veuve (Corneille) (1632)
La Galerie du Palais (1633)
La Suivante (1634)
La Place Royale
La Comédie des Tuileries
Médée (1635)
L’Illusion comique (1636)
Le Cid (1636)
Horace (1640)
Cinna ou la Clémence d'Auguste (1641)
Polyeucte Martyr (1643)
La mort de Pompée (1644)
Le Menteur (1644)
La Suite du Menteur
Rodogune princesse des Parthes (1644)
Théodore vierge et martyre (1646)
Héraclius empereur d’Orient (1647)
Andromède (1650)
Don Sanche d’Aragon (1650)
Nicomède (1651)
Pertharite (1652)
Œdipe (1659)
La conquete de la toison d’or (1660)
Sertorius (1662)
Sophonisbe (1663)
Othon (1664)
Agésilas (1666)
Attila (1667)
Tite et Bérénice (1670)
Psyché (1671)
Pulchérie (1672)
Suréna (1674)
THÉORIE LITTÉRAIRE
Œuvres critiques
POÉSIE
Excuse à Ariste (1633 ou 1636)
TRADUCTION
Imitation de Jésus-Christ

Mélite (1630)

Table des matières
Contenu
ACTE I
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
ACTE II
Scène I
Scène II
Scène IV
ACTE III
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
ACTE IV
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI
Scène VII
Scène VIII
Scène IX
Scène X
ACTE V
Scène I
Scène II
Scène III
Scène IV
Scène V
Scène VI

ACTE I

Scène I

Table des matières

Éraste, Tircis

Éraste

Je te l’avoue, ami, mon mal est incurable; Je n’y sais qu’un remède, et j’en suis incapable Le change serait juste, après tant de rigueur; Mais malgré ses dédains, Mélite a tout mon coeur; Elle a sur tous mes sens une entière puissance; Si j’ose en murmurer, ce n’est qu’en son absence, Et je ménage en vain dans un éloignement Un peu de liberté pour mon ressentiment D’un seul de ses regards l’adorable contrainte Me rend tous mes liens, en resserre l’étreinte, Et par un si doux charme aveugle ma raison, Que je cherche mon mal et fuis ma guérison.

Son oeil agit sur moi d’une vertu si forte, Qu’il ranime soudain mon espérance morte, Combat les déplaisirs de mon coeur irrité, Et soutient mon amour contre sa cruauté; Mais ce flatteur espoir qu’il rejette en mon âme N’est qu’un doux imposteur qu’autorise ma flamme, Et qui, sans m’assurer ce qu’il semble m’offrir, Me fait plaire en ma peine, et m’obstine à souffrir.

Tircis

Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable!

Pour paraître éloquent tu te feins misérable: Est-ce à dessein de voir avec quelles couleurs saurais adoucir les traits de tes malheurs?

e t’imagine pas qu’ainsi sur ta parole, D’une fausse douleur un ami te console: Ce que chacun en dit ne m’a que trop appris Que Mélite pour toi n’eut jamais de mépris.

Éraste

Son gracieux accueil et ma persévérance Font naître ce faux bruit d’une vaine apparence Ses mépris sont cachés, et s’en font mieux sentir, Et n’étant point connus, on n’y peut compatir.

Tircis

En étant bien reçu, du reste que t’importe?

C’est tout ce que tu veux des filles de sa sorte.

Éraste

Cet accès favorable, ouvert et libre à tous, Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux Elle souffre aisément mes soins et mon service; Mais loin de se résoudre à leur rendre justice, Parler de l’hyménée à ce coeur de rocher, C’est l’unique moyen de n’en plus approcher.

Tircis

Ne dissimulons point; tu règles mieux ta flamme, Et tu n’es pas si fou que d’en faire ta femme.

Éraste

Quoi! tu sembles douter de mes intentions?

Tircis

Je crois malaisément que tes affections, Sur l’éclat d’un beau teint qu’on voit si périssable, Règlent d’une moitié le choix invariable.

Tu serais incivil de la voir chaque jour Et ne lui pas tenir quelque propos d’amour; Mais d’un vain compliment ta passion bornée Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée.

Tu sais qu’on te souhaite aux plus riches maisons, Que les meilleurs partis…

Éraste

Trêve de ces raisons;

Mon amour s’en offense, et tiendrait pour supplice De recevoir des lois d’une sale avarice; Il me rend insensible aux faux attraits de l’or, Et trouve en sa personne un assez grand trésor.

Tircis

Si c’est là le chemin qu’en aimant tu veux suivre, Tu ne sais guère encor ce que c’est que de vivre.

Ces visages d’éclat sont bons à cajoler, C’est là qu’un apprenti£, doit s’instruire à parler; J’aime à remplir de feux ma bouche en leur présence; La mode nous oblige à cette complaisance; Tous ces discours de livre alors sont de saison Il faut feindre des maux, demander guérison, Donner sur le phébus, promettre des miracles; jurer qu’on brisera toutes sortes d’obstacles; Mais du vent et cela doivent être tout un.

Éraste

Passe pour des beautés qui sont dans le commun C’est ainsi qu’autrefois j’amusai Crisolite; Mais c’est d’autre façon qu’on doit servir Mélite.

Malgré tes sentiments, il me faut accorder Que le souverain bien n’est qu’à la posséder.

Le jour qu’elle naquit, Vénus, bien qu’immortelle, Pensa mourir de honte en la voyant si belle; Les Grâces, à l’envi, descendirent des cieux, Pour se donner l’honneur d’accompagner ses yeux; Et l’Amour, qui ne put entrer dans son courage, Voulut obstinément loger sur son visage.

Tircis

Tu le prends d’un haut ton, et je crois qu’au besoin Ce discours emphatique irait encor bien loin.

Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore Que bien qu’une beauté mérite qu’on l’adore, Pour en perdre le goût, on n’a qu’à l’épouser.

Un bien qui nous est dû se fait si peu priser, Qu’une femme fût-elle entre toutes choisie, On en voit en six mois passer la fantaisie.

Tel au bout de ce temps n’en voit plus la beauté Qu’avec un esprit sombre, inquiet, agité; Au premier qui lui parle ou jette l’oeil sur elle, Mille sottes frayeurs lui brouillent la cervelle; Ce n’est plus lors qu’une aide à faire un favori, Un charme pour tout autre, et non pour un mari.

Éraste

Ces caprices honteux: et ces chimères vaines Ne sauraient ébranler des cervelles bien saines, Et quiconque a su prendre une fille d’honneur N’a point à redouter l’appas d’un suborneur.

Tircis

Peut-être dis-tu vrai; mais ce choix difficile Assez et trop souvent trompe le plus habile, Et l’hymen de soi-même est un si lourd fardeau, Qu’il faut l’appréhender à l’égal du tombeau.

S’attacher pour jamais aux côtés d’une femme!

Perdre pour des enfants le repos de son âme!

Voir leur nombre importun remplir une maison!

Ah! qu’on aime ce joug avec peu de raison!

Éraste

Mais il y faut venir; c’est en vain qu’on recule, C’est en vain qu’on refuit’, tôt ou tard on s’y brûle; Pour libertin qu’on soit, on s’y trouve attrapé: Toi-même, qui fais tant le cheval échappé, Nous te verrons un jour songer au mariage.

Tircis

Alors ne pense pas que j’épouse un visage le règle mes désirs suivant mon intérêt.

Si Doris me voulait, toute laide qu’elle est, je l’estimerais plus qu’Aminte et qu’Hippolyte; Son revenu chez moi tiendrait lieu de mérite: C’est comme il faut aimer. L’abondance des biens Pour l’amour conjugal a de puissants liens: La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine, Échauffent bien le coeur, mais non pas la cuisine; Et l’hymen qui succède à ces folles amours, Après quelques douceurs, a bien de mauvais jours.

Une amitié si longue est fort mal assurée Dessus des fondements de si peu de durée.

L’argent dans le ménage a certaine splendeur Qui donne un teint d’éclat à la même laideur; Et tu ne peux trouver de si douces caresses Dont le goût dure autant que celui des richesses.

Éraste

Auprès de ce bel oeil qui tient mes sens ravis, A peine pourrais-tu conserver ton avis.

Tircis

La raison en tous lieux est également forte.

Éraste

L’essai n’en coûte rien: Mélite est à sa porte; Allons, et tu verras dans ses aimables traits Tant de charmants appas, tant de brillants attraits, Que tu seras forcé toi-même à reconnaître Que si je suis un fou, j’ai bien raison de l’être.

Tircis

Allons et tu verras que toute sa beauté Ne saura me tourner contre la vérité.

Scène II

Table des matières

Mélite, Éraste, Tircis

Éraste

De deux amis, Madame, apaisez la querelle.

Un esclave d’Amour le défend d’un rebelle, Si toutefois un coeur qui n’a jamais aimé, Fier et vain qu’il en est, peut être ainsi nommé.

Comme dès le moment que je vous ai servie, J’ai cru qu’il était seul la véritable vie, Il n’est pas merveilleux que ce peu de rapport Entre nos deux esprits sème quelque discord.

je me suis donc piqué contre sa médisance, Avec tant de malheur ou tant d’insuffisance, Que des droits si sacrés et si pleins d’équité N’ont pu se garantir de sa subtilité, Et je l’amène ici, n’ayant plus que répondre, Assuré que vos yeux le sauront mieux confondre.

Mélite

Vous deviez l’assurer plutôt qu’il trouverait En ce mépris d’Amour qui le seconderait.

Tircis

Si le coeur ne dédit ce que la bouche exprime, Et ne fait de l’amour une plus haute estime, je plains les malheureux: à qui vous en donnez, Comme à d’étranges maux par leur sort destinés.

Mélite

Ce reproche sans cause avec raison m’étonne.

je ne reçois d’amour et n’en donne à personne.

Les moyens de donner ce que je n’eus jamais?

Éraste

Ils vous sont trop aisés, et par vous désormais La nature pour moi montre son injustice A pervertir son cours pour me faire un supplice.

Mélite

Supplice imaginaire, et qui sent son moqueur.

Éraste

Supplice qui déchire et mon âme et mon coeur.

Mélite

Il est rare qu’on porte avec si bon visage L’âme et le coeur ensemble en si triste équipage.

Éraste

Votre charmant aspect suspendant mes douleurs, Mon visage du vôtre emprunte les couleurs.

Mélite

Faites mieux: pour finir vos maux et votre flamme, Empruntez tout d’un temps les froideurs de mon âme.

Éraste

Vous voyant, les froideurs perdent tout leur pouvoir, Et vous n’en conservez que faute de vous voir.

Mélite

Et quoi! tous les, miroirs ont-ils de fausses glaces?

Éraste

Penseriez-vous y voir la moindre de vos grâces?

De si frêles sujets ne sauraient exprimer Ce que l’amour aux coeurs peut lui seul imprimer, Et quand vous en voudrez croire leur impuissance, Cette légère idée et faible connaissance Que vous aurez par eux de tant de raretés Vous mettra hors du pair de toutes les beautés.

Mélite

Voilà trop vous tenir dans une complaisance Que vous dussiez quitter, du moins en ma présence, Et ne démentir pas le rapport de vos yeux, Afin d’avoir sujet de m’entreprendre mieux.

Éraste

Le rapport de mes yeux, aux dépens de mes larmes, Ne m’a que trop appris le pouvoir de vos charmes.

Tircis

Sur peine d’être ingrate, il faut de votre part Reconnaître les dons que le ciel vous départ.

Éraste

Voyez que d’un second mon droit se fortifie.

Mélite

Voyez que son secours montre qu’il s’en défie.

Tircis

je me range toujours avec la vérité.

Mélite

Si vous la voulez suivre, elle est de mon côté.

Tircis

Oui, sur votre visage, et non en vos paroles.

Mais cessez de chercher ces refuites frivoles, Et prenant désormais des sentiments plus doux, Ne soyez plus de glace à qui brûle pour vous.

Mélite

Un ennemi d’Amour me tenir ce langage!

Accordez votre bouche avec votre courage; Pratiquez vos conseils, ou ne m’en donnez pas.

Tircis

J’ai connu mon erreur auprès de vos appas Il vous l’avait bien dit.

Éraste

Ainsi donc, par l’issue

Mon âme sur ce point n’a point été déçue?

Tircis

Si tes feux en son coeur produisaient même effet, Crois-moi que ton bonheur serait bientôt parfait.

Mélite

Pour voir si peu de chose aussitôt vous dédire Me donne à vos dépens de beaux sujets de rire; Mais je pourrais bientôt, à m’entendre flatter, Concevoir quelque orgueil qu’il vaut mieux éviter.

Excusez ma retraite.

Éraste

Adieu, belle inhumaine,

De qui seule dépend et ma joie et ma peine.

Mélite

Plus sage à l’avenir, quittez ces vains propos, Et laissez votre esprit et le mien en repos.

Scène III

Table des matières

Éraste, Tircis

Éraste

Maintenant suis-je un fou? mérité-je du blâme?

Que dis-tu de l’objet? que dis-tu de ma flamme?

Tircis

Que veux-tu que j’en die? elle a je ne sais quoi Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.

Mon coeur, jusqu’à présent à l’amour invincible, Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible; Tout autre que Tircis mourrait pour la servir.

Éraste

Confesse franchement qu’elle a su te ravir, Mais que tu ne veux pas prendre pour cette belle Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.

Rien que notre amitié ne t’en peut détourner; Mais ta muse du moins, facile à suborner, Avec plaisir déjà prépare quelques veilles A de puissants efforts pour de telles merveilles.

Tircis

En effet, ayant vu tant et de tels appas, Que je ne rime point, je ne le promets pas.

Éraste

Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime?

Tircis

Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.

Éraste

Mais si sans y penser tu te trouvais surpris?

Tircis

Quitte pour décharger mon coeur dans mes écrits.

J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes, De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson; Mais j’en connais, sans plus, la cadence et le son.

Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre Cet agréable feu que tu ne peux éteindre; Tu le pourras donner comme venant de toi.

Éraste

Ainsi ce coeur d’acier qui me tient sous sa loi Verra ma passion pour le moins en peinture.

le doute néanmoins qu’en cette portraiture Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.

Tircis

Me prépare le ciel de nouveaux châtiments, Si jamais un tel crime entre dans mon courage!

Éraste

Adieu. je suis content, j’ai ta parole en gage, Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.

Tircis, seul.

En matière d’amour rien n’oblige à tenir; Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse, Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.

Scène IV

Table des matières

Philandre, CLORIS

Philandre

je meure, mon souci, tu dois bien me haïr Tous mes soins depuis peu ne vont qu’à te trahir.

Cloris

Ne m’épouvante point: à ta mine, je pense Que le pardon suivra de fort près cette offense, Sitôt que j’aurai su quel est ce mauvais tour.

Philandre

Sache donc qu’il ne vient sinon de trop d’amour.

Cloris

eusse osé le gager qu’ainsi par quelque ruse on crime officieux porterait son excuse.

Philandre

Ton adorable objet, mon unique vainqueur, Fait naître chaque jour tant de feux en mon coeur, Que leur excès m’accable, et que pour m’en défaire J’y cherche des défauts qui puissent me déplaire.

J’examine ton teint dont l’éclat me surprit, Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit; Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me charme.

Cloris

Et moi, je suis ravie, après ce peu d’alarme, Qu’ainsi tes sens trompés te puissent obliger A chérir ta Cloris, et jamais ne changer.

Philandre

Ta beauté te répond de ma persévérance, Et ma foi qui t’en donne une entière assurance.

Cloris

Voilà fort doucement dire que sans ta foi Ma beauté ne pourrait te conserver à moi.

Philandre

je traiterais trop mal une telle maîtresse De l’aimer seulement pour tenir ma promesse Ma passion en est la cause, et non l’effet; Outre que tu n’as rien qui ne soit si parfait, Qu’on ne peut te servir sans voir sur ton visage De quoi rendre constant l’esprit le plus volage.

Cloris

Ne m’en conte point tant de ma perfection Tu dois être assuré de mon affection, Et tu perds tout l’effort de ta galanterie, Si tu crois l’augmenter par une flatterie.

Une fausse louange est un blâme secret je suis belle à tes yeux; il suffit, sois discret; C’est mon plus grand bonheur, et le seul où j’aspire.

Philandre

Tu sais adroitement adoucir mon martyre; Mais parmi les plaisirs qu’avec toi je ressens, A peine mon esprit ose croire mes sens, Toujours entre la crainte et l’espoir en balance, Car s’il faut que l’amour naisse de ressemblance, Mes imperfections nous éloignant si fort, Qui oserais-je prétendre en ce peu de rapport?

Cloris

Du moins ne prétends pas qu’à présent je te loue, Et qu’un mépris rusé, que ton coeur désavoue, Me mette sur la langue un babil affété, Pour te rendre à mon tour ce que tu m’as prêté Au contraire, je veux que tout le monde sache Que je connais -en toi des défauts que je cache.

Quiconque avec raison peut être négligé A qui le veut aimer est bien plus obligé.

Philandre

Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable?

Cloris

Sans doute; et qu’aurais-tu qui me fût comparable?

Philandre

Regarde dans mes yeux, et reconnais qu’en moi On peut voir quelque chose aussi parfait que toi.

Cloris

C’est sans difficulté, m’y voyant exprimée.

Philandre

Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.

Tu n’y vois que mon coeur, qui n’a plus un seul trait Que ceux qu’il a reçus de ton charmant portrait, Et qui tout aussitôt que tu t’es fait paraître, Afin de te mieux voir, s’est mis à la fenêtre.

Cloris

Le trait n’est pas mauvais; mais puisqu’il te plaît tant, Regarde dans mes yeux, ils t’en montrent autant, Et nos feux tous pareils ont mêmes étincelles.

Philandre

Ainsi, chère Cloris, nos ardeurs mutuelles, Dedans cette union prenant un même cours, Nous préparent un heur qui durera toujours.

Cependant, en faveur de ma longue souffrance…

Cloris

Tais-toi, mon frère vient.

Scène V

Table des matières

Tircis, Philandre, Cloris

Tircis

Si j’en crois l’apparence, Mon arrivée ici fait quelque contre-temps.

Philandre

Que t’en semble, Tircis?

Tircis

Je vous vois si contents, Qu’à ne vous rien celer touchant ce qu’il me semble Du divertissement que vous preniez ensemble, De moins sorciers que moi pourraient bien deviner Qu’un troisième ne fait que vous importuner.

Cloris

Dis ce que tu voudras; nos feux n’ont point de crimes, Et pour t’appréhender ils sont trop légitimes, Puisqu’un hymen sacré, promis ces jours passés, Sous ton consentement les autorise assez.

Tircis

Ou je te connais mal, ou son heure tardive Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive.

Cloris

Ta belle humeur te tient, mon frère.

Tircis

Assurément.

Cloris

Le sujet?

Tircis

J’en ai trop dans ton contentement.

Cloris

Le coeur t’en dit d’ailleurs.

Tircis

Il est vrai, je te jure

J’ai vu je ne sais quoi…

Cloris

Dis tout, je t’en conjure.

Tircis

Ma foi, si ton Philandre avait vu de mes yeux, Tes affaires, ma soeur, n’en iraient guère mieux.

Cloris

J’ai trop de vanité pour croire que Philandre Trouve encore après moi qui puisse le surprendre.

Tircis

Tes vanités à part, repose-t’en sur moi Que celle que j’ai vue est bien autre que toi.

Philandre

Parle mieux de l’objet dont mon âme est ravie; Ce blasphème à tout autre aurait coûté la vie.

Tircis

Nous tomberons d’accord sans nous mettre en pourpoint’.

Cloris

Encor, cette beauté, ne la nomme-t-on point?

Tircis

Non, pas si tôt. Adieu: ma présence importune Te laisse à la merci d’Amour et de la brune.

Continuez les jeux que vous avez quittés.

Cloris

Ne crois pas éviter mes importunités Ou tu diras le nom de cette incomparable, Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.

Tircis

Il n’est pas fort aisé d’arracher ce secret.

Adieu: ne perds point temps.

Cloris

Ô l’amoureux discret!

Eh bien! nous allons voir si tu sauras te taire.

Philandre (Il retient Cloris, qui suit son frère.) C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère?

Cloris

Philandre, avoir un peu de curiosité, Ce n’est pas envers toi grande infidélité Souffre que je dérobe un moment à ma flamme, Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.

Nous en rirons après ensemble, si tu veux.

Philandre

Quoi! c’est là tout l’état que tu fais de mes feux?

Cloris

le ne t’aime pas moins pour être curieuse, Et ta flamme à mon coeur n’est pas moins précieuse.

Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.

Philandre

Ah, folle! qu’en t’aimant il faut souffrir de toi!

ACTE II

Scène I

Table des matières

Éraste

le l’avais bien prévu que ce coeur infidèle Ne se défendrait point des yeux de ma cruelle, Qui traite mille amants avec mille mépris, Et n’a point de faveurs que pour le dernier pris.

Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur son visage De sa déloyauté l’infaillible présage; Un inconnu frisson dans mon corps épandu Me donna les avis de ce que j’ai perdu.

Depuis, cette volage évite ma rencontre, Ou si malgré ses soins le hasard me la montre, Si je puis l’aborder, son discours se confond, Son esprit en désordre à peine me répond; Une réflexion vers le traître qu’elle aime, Presque à tous les moments le ramène en lui-même; Et tout rêveur qu’il est, il n’a point de soucis Qu’un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.

Lors, par le prompt effet d’un changement étrange, Son silence rompu se déborde en louange.

Elle remarque en lui tant de perfections, Que les moins éclairés verraient ses passions, Sa bouche ne se plaît qu’en cette flatterie, Et tout autre propos lui rend sa rêverie.

Cependant chaque jour aux discours attachés, Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés Ils ont des rendez-vous où l’amour les assemble; Encore hier sur le soir je les surpris ensemble; Encor tout de nouveau je la vois qui l’attend.

Que cet oeil assuré marque un esprit content!

Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire; Rends, sans plus digérer, ta vengeance exemplaire; Mais il vaut mieux t’en rire, et pour dernier effort Lui montrer en raillant combien elle a de tort.

Scène II

Table des matières

Éraste, Mélite

Éraste

Quoi! seule et sans Tircis! vraiment c’est un prodige, Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige, Laissant ainsi couler la belle occasion De vous conter l’excès de son affection.

Mélite

Vous savez que son âme en est fort dépourvue.

Éraste

Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue, Il en porte dans l’âme un si doux souvenir, Qu’il n’a plus de plaisir qu’à vous entretenir.

Mélite

Il a lieu de s’y plaire avec quelque justice L’amour ainsi qu’à lui me parait un supplice; Et sa froideur, qu’augmente un si lourd entretien, Le résout d’autant mieux à n’aimer jamais rien.

Éraste

Dites: à n’aimer rien que la belle Mélite.

Mélite

Pour tant de vanité j’ai trop peu de mérite.

Éraste

En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu?

Mélite

Un peu plus que pour vous.

Éraste

De vrai, j’ai reconnu,

Vous ayant pu servir deux ans, et davantage, Qu’il faut si peu que rien à toucher mon courage.

Mélite

Encor si peu que c’est vous étant refusé, Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.

Éraste

Vos mépris ne sont pas de grande conséquence, Et ne vaudront jamais la peine que j’y pense; Sachant qu’il vous voyait, je m’étais bien douté Que je ne serais plus que fort mal écouté.

Mélite

Sans que mes actions de plus près j’examine, A la meilleure humeur je fais meilleure mine, Et s’il m’osait tenir de semblables discours, Nous romprions ensemble avant qu’il fût deux jours.

Éraste

Si chaque objet nouveau de même vous engage, Il changera bientôt d’humeur et de langage.

Caressé maintenant aussitôt qu’aperçu, Qu’aurait-il à se plaindre, étant si bien reçu?

Mélite

Éraste, voyez-vous, trêve de jalousie; Purgez votre cerveau de cette frénésie; Laissez en liberté mes inclinations.

Qui vous a fait censeur de mes affections?

Est-ce à votre chagrin que j’en dois rendre conte?

Éraste

Non, mais j’ai malgré moi pour vous un peu de honte De ce qu’on dit partout du trop de privauté Que déjà vous souffrez à sa témérité.

Mélite

Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.

Éraste

Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche Aux légitimes voeux de tant de gens d’honneur, Et d’ailleurs” si facile à ceux d’un suborneur?

Mélite

Ce n’est pas contre lui qu’il faut en ma présence Lâcher les traits jaloux de votre médisance.

Adieu: souvenez-vous que ces mots insensés L’avanceront chez moi plus que vous ne pensez.

Scène III

Éraste

C’est là donc ce qu’enfin me gardait ton caprice?

C’est ce que j’ai gagné par deux ans de service?

C’est ainsi que mon feu s’étant trop abaissé, D’un outrageux mépris se voit récompensé?

Tu m’oses préférer un traître qui te flatte; Mais dans ta lâcheté ne crois pas que j’éclate, Et que par la grandeur de mes ressentiments le laisse aller au jour celle de mes tourments.

Un aveu si public qu’en ferait ma colère Enflerait trop l’orgueil de ton âme légère, Et me convaincrait trop de ce désir abjet Qui m’a fait soupirer pour un indigne objet.

je saurai me venger, mais avec l’apparence De n’avoir pour tous deux que de l’indifférence.

Il fut toujours permis de tirer sa raison D’une infidélité par une trahison.

Tiens, déloyal ami, tiens ton âme assurée Que ton heur surprenant aura peu de durée, Et que par une adresse égale à tes forfaits Je mettrai le désordre où tu crois voir la paix.

‘esprit fourbe et vénal d’un voisin de Mélite Donnera prompte issue à ce que je médite.

A servir qui l’achète il est toujours tout prêt, Et ne voit rien d’injuste où brille l’intérêt.

Allons sans perdre temps lui payer ma vengeance, Et la pistole en main presser sa diligence.

Scène IV

Table des matières

Tircis, Cloris

Tircis

Ma soeur, un mot d’avis sur un méchant sonnet Que je viens de brouiller’ dedans mon cabinet.

Cloris

C’est à quelque beauté que ta muse l’adresse?

Tircis

En faveur d’un ami je flatte sa maîtresse.

Vois si tu le connais, et si, parlant pour lui, J’ai su m’accommoder aux passions d’autrui.

Sonnet

Après l’oeil de Mélite il n’est rien d’admirable…

Cloris

Ah! frère, il n’en faut plus.

Tircis

Tu n’es pas supportable

De me rompre sitôt.

Cloris

C’était sans y penser;

Achève.

Tircis

Tais-toi donc, je vais recommencer.

Sonnet

Après l’oeil de Mélite il n’est rien d’admirable; Il n’est rien de solide après ma loyauté.

Mon feu, comme ion teint, je rend incomparable, Et je suis en amour ce qu’elle est en beauté.

Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté, Mon coeur à tous ses traits demeure invulnérable, Et bien qu’elle ait au sien la même cruauté, Ma foi pour ses rigueurs n’en est pas moins durable.

C’est donc avec raison que mon extrême ardeur Trouve chez cette belle une extrême froideur, Et que sans être aimé je brûle pour Mélite;

Car de ce que lei Dieux, nous envoyant au jour, Donnèrent pour nous deux d’amour et de mérite, Elle a tout le mérite, et moi j’ai tout l’amour.

Cloris

Tu l’as fait pour Éraste?

Tircis

Oui, j’ai dépeint sa flamme.

Cloris

Comme tu la ressens peut-être dans ton âme?

Tircis

Tu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur N’a de part en mes vers que celle de rimeur.

Cloris

Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse; De la langue ou des yeux, n’importe qui t’accuse Les tiens m’avaient bien dit malgré toi que ton coeur Soupirait sous les lois de quelque objet vainqueur; Mais j’ignorais encor qui tenait ta franchise, Et le nom de Mélite a causé ma surprise, Sitôt qu’au premier vers ton sonnet m’a fait voir Ce que depuis huit jours je brûlais de savoir.

Tircis

Tu crois donc que j’en tiens?

Cloris

Fort avant.

Tircis

Pour Mélite?

Cloris

Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite Au coeur de cette belle aucun embrasement.

Tircis

Qui t’en a tant appris? mon sonnet?

Cloris

Justement.

Tircis

Et c’est ce qui te trompe avec tes conjectures, Et par où ta finesse a mal pris ses mesures.

Un visage jamais ne m’aurait arrêté, S’il fallait que l’amour fût tout de mon côté.

Ma rime seulement est un portrait fidèle De ce qu’Éraste souffre en servant cette belle; Mais quand je l’entretiens de mon affection, J’en ai toujours assez de satisfaction.

Cloris

Montre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie, Et rends-toi moins rêveur, afin que je te croie.

Tircis

je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter; Car sitôt que je viens à me représenter Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite, Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite, Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival, Et toujours balancé d’un contre-poids égal, J’ai honte de me voir insensible, ou perfide Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.

Entre ces mouvements mon esprit partagé Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.

Cloris

Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte, Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.

Tu présumes par là me le persuader; Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder.

A la mode du temps, quand nous servons quelque autre, C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre.

Chacun en son affaire est son meilleur ami, Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.

Tircis

Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie, Si rien que ce rival cause ma rêverie!

Cloris

C’est donc assurément son bien qui t’est suspect Son bien te fait rêver, et non pas son respect, Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse.

Tircis

Tu devines, ma soeur: cela me fait mourir.

Cloris

Ce sont vaines frayeurs dont je veux te guérir.

Depuis quand ton Éraste en tient-il pour Mélite?

Tircis

Il rend depuis deux ans hommage à son mérite.

Cloris

Mais dit-il les grands mots? parle-t-il d’épouser?

Tircis

Presque à chaque moment.

Cloris

Laisse-le donc jaser.

Ce malheureux amant ne vaut pas qu’on le craigne; Quelque riche qu’il soit, Mélite le dédaigne: Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection, Tu ne dois plus douter de son aversion; Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte.

On prend soudain au mot les hommes de sa sorte, Et sans rien hasarder à la moindre longueur, On leur donne la main dès qu’ils offrent le coeur.

Tircis

Sa mère peut agir de puissance absolue.

Cloris

Crois que déjà l’affaire en serait résolue, Et qu’il aurait déjà de quoi se contenter, Si sa mère était femme à la violenter.

Tircis

Ma crainte diminue et ma douleur s’apaise; Mais si je t’abandonne, excuse mon trop d’aise.

Avec cette lumière et ma dextérité, J’en veux aller savoir toute la vérité.

Adieu.

Cloris

Moi, je m’en vais paisiblement attendre Le retour désiré du paresseux Philandre.

Un moment de froideur lui fera souvenir Qu’il faut une autre fois tarder moins à venir.

Scène V

Éraste, Cliton

Éraste, lui donnant une lettre.

Va-t’en chercher Philandre, et dis-lui que Mélite A dedans ce billet sa passion décrite; Dis-lui que sa pudeur ne saurait plus cacher Un feu qui la consume et qu’elle tient si cher.

Mais prends garde surtout à bien jouer ton rôle Remarque sa couleur, son maintien, sa parole; Vois si dans la lecture un peu d’émotion Ne te montrera rien de son intention.

Cliton

Cela vaut fait, Monsieur.

Éraste

Mais après ce message,

Sache avec tant d’adresse ébranler son courage, Que tu viennes à bout de sa fidélité.

Cliton

Monsieur, reposez-vous sur ma subtilité; Il faudra malgré lui qu’il donne dans le piège Ma tête sur ce point vous servira de piège; Mais aussi vous savez…

Éraste

Oui, va, sois diligent.