Place de la République - Michel Yahiel - E-Book

Place de la République E-Book

Michel Yahiel

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"Place de la République" lève le voile sur le déroulement du quinquennat 2012-2017, à travers le témoignage rare du conseiller chargé des dossiers sociaux, souvent les plus sensibles, auprès du chef de l’État. De l’élaboration des réformes à la gestion de plusieurs grandes crises, ce récit captivant révèle, avec acuité et finesse, les rouages méconnus de la décision publique. À travers une immersion au cœur de l’appareil d’État, l’auteur brosse également des portraits vivants des figures politiques, syndicales et médiatiques qui ont marqué ces années charnières. Une plongée passionnante dans les coulisses du pouvoir, là où se conçoivent, se négocient et se forgent les choix essentiels pour le pays et les Français.



À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Yahiel, ancien haut fonctionnaire, qui a occupé plusieurs postes importants dans la sphère sociale, retrace son expérience à l’Élysée entre 2012 et 2017, avec pour objectif d’éclairer une période marquée par d’importants enjeux sociaux. Cet ouvrage inédit, reposant sur une approche historique et objective, n’est donc pas un exercice autobiographique, mais une réflexion qui peut aussi éclairer bon nombre des défis que le pays va devoir relever, dans la perspective des présidentielles de 2027.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Michel Yahiel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Place de la République

Chronique sociale de l’Élysée, 2012-2017

Essai

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Michel Yahiel

ISBN : 979-10-422-7485-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il nefautpoint menerleshommespar lesvoiesextrêmes.

 

Montesquieu

 

 

L’État, non seulement tient les leviers du changement, maisproclame aussi que la modernisation est son but.

 

Stanley Hoffmann

 

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

 

Je n’ai jamais aimé prendre des notes, sauf dans ma vie étudiante, par nécessité, puis par plaisir, notamment lors des cours magiques de Stanley Hoffmann à Sciences Po.

 

Isabelle m’avait dit, peu après mon arrivée à l’Élysée, « n’oublies pas de noter, tu vas vivre des choses historiques ». J’ai donc écrit plus ou moins au fil de l’eau, durant toute cette période, de mai 2012 à janvier 2017, mettant généralement à profit les petits matins au « 55 », où j’arrivais le plus souvent parmi les premiers, depuis ma lointaine banlieue.

De fait, ce « presque quinquennat » en ce qui me concerne, fut riche de grands événements, de réformes marquantes, mais aussi d’épisodes moins glorieux, de détails et d’émotions diverses, dont il me semblait justifié de rendre compte sur un même pied.

Ma seule règle aura été de ne citer personne et surtout pas le président. De raisonner comme si ces lignes ne devaient jamais paraître, au fond d’en faire une sorte d’exercice introspectif, ne serait-ce que pour mettre un peu d’ordre dans mes idées, rendues confuses par la pression du quotidien. Ces années furent heureuses, mais pas insouciantes, enrichissantes, mais pesantes, exaltantes, mais parfois décourageantes, comme si toutes ces étapes devaient depuis le début mener au terme d’un mandat non renouvelé.

 

Si ce fut un échec politique, ce fut un bel échec, de ces défaites qui grandissent leurs protagonistes : j’en suis ressorti sans nul doute vieilli et éreinté, inévitablement assez triste, mais fier. Comme on l’est du devoir accompli.

Mais au fond, pourquoi avoir attendu sept ans, comme en écho à Billy Wilder, pour revenir sur le mandat de François Hollande vu « de l’intérieur » ?

Sans doute, d’abord, pour disposer du recul nécessaire, car la tenue d’un journal, sur une base irrégulière et peu formalisée, appelle une mise au clair en aval, assez fastidieuse à mesure, justement, que le temps passe.

 

Autre explication, le scrupule à ne pas s’enfermer dans l’immédiateté, même si l’objectif n’était pas de conduire une vaste introspection, de prétendre à une authentique analyse politique. On peut penser que les historiens en feront leur affaire le moment venu, avec, je n’en doute pas, un regard sensiblement plus positif sur les années 2012-2017 que cela n’a été le cas jusqu’à présent (ainsi, le thème de la fermeté de l’ancien président face à Poutine est désormais largement partagé par les observateurs, dans le contexte de la guerre en Ukraine, tandis que même le fameux retournement de la courbe du chômage est enfin daté de 2016 et pas de 2017…).

 

Pour finir, il m’a semblé justifié, en adoptant un calendrier cohérent avec ces préoccupations, d’attendre mon départ en retraite pour « sortir du bois », afin de livrer ce témoignage sans condition, en toute liberté : en somme, un exercice suffisamment mûri pour être de quelque utilité à qui s’intéresse à la chose publique dans notre pays, mais nécessairement ponctuel, voire anecdotique, sans pouvoir prétendre à l’exégèse de ce fragment d’histoire contemporaine.

Car le moins que l’on puisse dire est que bien des ressorts de cette aventure nous échappent encore, y compris sinon surtout à celles et ceux qui l’ont vécue et partagée, dont je fus, en définitive, un rouage notable, mais modeste, avec une motivation constante et le sentiment d’un rare privilège.

 

Telle fut mon ambition, mesurée, mais assumée. Le risque est évidemment que cette narration chronologique apparaisse parfois quelque peu éventée, voire déformée par un anachronisme consistant à regarder le passé récent avec les lunettes du jour, bref à juger ou jauger des circonstances, des comportements, des choix, à l’aune de ce que sont devenus les protagonistes : l’exemple le plus emblématique est évidemment celui d’Emmanuel Macron, dont le rôle au sein du cabinet présidentiel, entre 2012 et 2014, peut difficilement être distrait de ce que nous connaissons maintenant de sa trajectoire ultérieure, pour le moins inédite.

 

Ce risque, j’ai tenté de le circonscrire en ne me détachant que très rarement des épisodes vécus durant ces cinq ans et des réflexions qu’ils avaient alors pu m’inspirer. En outre, à défaut de pouvoir prétendre à l’objectivité à la faveur de cet exercice de mémoire et de partage, je n’ai certes pas fait le choix de dresser globalement le bilan de l’action du chef de l’État et de ses gouvernements successifs : si un tableau apparaît peu à peu, même fragmentaire, c’est donc sous l’effet de petites touches successives plutôt que d’un large coup de brosse. Chacun y trouvera son compte, je l’espère, qui, pour mieux appréhender une période marquée par bien des angles morts, qui, pour confirmer l’habituel réquisitoire dénonçant la « mollesse » de l’élu de 2012, qui, au contraire, pour se forger une opinion plus équilibrée et même… favorable de ce mandat, à la lecture des événements.

Un dernier mot. Cette aventure n’aurait jamais été engagée et encore moins menée à terme sans le soutien de mes proches, qui m’ont, à tous les sens du terme, supporté pendant la traversée : mon épouse, Isabelle, complice constamment en première ligne, combinaison exceptionnelle d’intelligence et de sens de l’organisation ; mes parents toujours présents et invariablement positifs – avec une pensée pour ma mère, trop tôt disparue –, mes trois enfants, Marie, Thomas, qui peuvent être fiers de leurs petits comme je suis fier d’eux, enfin Léa, qui a tout pour réussir de grandes choses au service de l’intérêt général. Merci aussi à Etienne et Marine.

 

Ce témoignage leur est dédié.

 

 

 

 

 

I

Parole présidentielle et mémoire

 

 

 

Les discours

 

Cela devient une sorte de jeu. Au sommet de l’État, on s’en étonne quand même, surtout quand tant d’expériences et de talents sont réunis au sein d’une équipe. Mais le rapport à l’écrit du président est singulier. Il travaille et retravaille ses interventions presque à l’infini. Je me souviens d’un échange avec Stéphane Le Foll : pendant la campagne, il nous a prévenus, ayant pendant dix ans au PS assumé cette exigence au quotidien, un discours de François Hollande, c’est une rude aventure pour son entourage. Parfois un enfer.

 

D’ailleurs l’intéressé, lors de l’inauguration en 2013 du nouveau bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte, évoquant les manuscrits de ses prédécesseurs, aura l’occasion de sourire publiquement des souffrances infligées à ses collaborateurs dans cet exercice.

On démarre d’un projet déjà bien en forme, charpenté et nourri des idées collectives. La satisfaction est en général de courte durée, car le premier retour est rarement amène : trop long, trop court, pas assez précis, pas présidentiel. Ensuite commence le ping-pong des versions, on se croit tiré d’affaire lors de la dernière nuit qui précède le moment clé, mais il y aura d’autres modifications, dans l’avion ou la voiture, ou dans les deux. Celui qui souffre le plus stoïquement est l’aide de camp chargé, où qu’il se trouve (voiture, avion, autre…) de recoller les morceaux pour fournir, parfois à la toute dernière minute, la version propre qu’il aura retapée, impavide, en liaison avec le secrétariat particulier de l’Élysée, lui-même soumis à rude épreuve.

Parfois, on a la surprise de retrouver en bout de course une version très proche du premier jet. Mais, dans tous les cas ou presque, ce qu’il dira sera d’une bien meilleure facture que ce que nous lui avions soumis et il se sera, assurément, tout approprié, sur le fond et sur la forme, pouvant ainsi s’échapper d’un texte désormais pleinement maîtrisé.

Rien d’artificiel là-dedans, comme dans ces nombreux discours « plaqués » par les principaux responsables politiques, souvent interchangeables. Qu’il parle de dialogue social à Paris, d’abord le 12 juin, puis le 9 juillet 2012 devant la Grande conférence sociale, ou de santé à Nice fin octobre, qu’il fasse au contraire de courtes interventions, dans une PME de l’Essonne début juin, à Chelles le 8 novembre pour lancer les emplois d’avenir, à Blois le 4 mars 2013 sur les questions de formation, la mécanique est la même, seul le nombre de versions préliminaires varie un peu. Il n’y a jamais d’intervention anodine, la moindre préface, le plus banal communiqué, l’hommage républicain, sont l’objet d’une attention scrupuleuse et se trouvent le plus souvent remis aussi vingt fois sur le métier.

 

Ce soin extrême dans le choix des mots, de la charpente du propos, la nécessité ressentie de faire des annonces, ne se démentiront pas, avec pour les sujets sociaux de nombreux points d’orgue, comme le discours du 11 juin 2015 devant l’OIT à Genève dont j’ai pu croire, pour une fois, que nous ne parviendrions jamais à l’achever, après avoir pourtant répondu aux commandes passées successivement – et contradictoirement – en quelques heures. Et qui, au bout du chemin harassant des réécritures, sera un grand moment d’éloquence, salué debout par les 3000 participants dans la grande salle du Palais des Nations, dont les partenaires sociaux français au grand complet, soudainement réunis – pour certains presque à leur corps défendant – sous le drapeau tricolore…

 

Hommage à Stéphane Hessel

 

Ce discours-là, j’aurais aimé l’écrire ou y participer activement, mais je suis le seul dans l’équipe à savoir que je connaissais bien Stéphane Hessel et je ne tiens pas à en tirer un titre de gloire. Ce vieux monsieur si digne et rebelle à la fois, qui eut la gentillesse d’être mon parrain de Légion d’honneur en 2002, m’avait depuis longtemps séduit par son insondable culture, son courage, sa droiture, dont l’incroyable succès de son petit opuscule « Indignez-vous » ne fut, en réalité, qu’un bien partiel et tardif aperçu. Je me souviens de son appartement, dans le 14e arrondissement, où il recevait, entouré de ses livres, toujours sanglé sans un impeccable costume à gilet. Un soir de 2009, je l’avais in petto convié à une grande réunion devant… des DRH, auxquels il avait délivré son analyse de l’état du monde. Puis, éblouis, ils l’avaient écouté réciter un très long poème de Baudelaire, debout et dans un assourdissant silence : certains participants m’en parlent encore.

 

Jeudi 7 mars 2013, dans la cour des Invalides battue par un léger crachin, la France salue solennellement cette incroyable figure, dont il me plaît de penser qu’elle est partie d’un coup, dans son sommeil, en pleine possession de ses moyens, emportant avec elle, le BCRA et la poésie allemande, le désir de paix au Proche-Orient et les camps, l’Église Saint Bernard et les jeunes révoltés du monde entier.

 

La sonnerie aux morts nous glace tous et j’observe devant moi plus d’épaules voûtées que de jeunes silhouettes, sauf, bien sûr, les détachements de différentes armes, qui nous font face, stoïques dans le mauvais temps. Jean-Louis Cremieux-Brilhac, 96 ans, nous délivre un puissant hommage à son ami disparu, rappelant leur commune jeunesse et cet après-midi de 1940, où ils déambulaient tous deux dans les rues de Londres avec Jacques Bingen. Soudain, nous voici replongés, humbles forçats du temps court, dans le temps long et l’épaisseur d’une Histoire qui nous ramène à nos justes proportions, nous et nos modestes dossiers.

 

Et puis le Président prend la parole, prononçant un discours sobre et fort où il a manifestement mis une énergie toute personnelle. En ce moment suspendu, le voici à la hauteur de l’événement et je ne regrette plus du tout de n’avoir été, ce matin-là, que le spectateur attristé d’une belle cérémonie.

 

L’humour

 

Les anciens comme moi sont un peu frustrés de l’apparat, du sérieux des lieux, inévitables. L’équipe est joyeuse et rigole régulièrement. Évidemment, pour le président, la retenue s’impose. Et, de temps à autre, le plus souvent dans une pièce où nous sommes peu nombreux, ou dans l’avion, le sourire revient, une blague fuse, comme un rayon de soleil lors d’une éclaircie…

Avec Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur (et donc des Cultes), qui craint de s’ennuyer à Rome en rendant visite aux cardinaux français pour une béatification et se demande de quoi il va bien pouvoir leur parler, on risque un facile « de leurs enfants ? ». Alors, le président enchaîne : « tu leur demanderas s’ils sont scolarisés dans le public ou le privé ! ».

 

Nous aurons aussi droit, après une nouvelle averse lors d’un déplacement et alors que les journalistes commencent à l’affubler du surnom de « Rainman », à un très mendésiste : « gouverner, c’est pleuvoir ».

 

Hommage à René Teulade

 

Février 2014, appel de Michel Debout, ami médecin, qui vient d’assister au malaise de René Teulade, auquel il a prodigué les premiers secours avant qu’il ne soit hospitalisé à Georges Pompidou.

Comme souvent dans ces circonstances, les nouvelles contradictoires se succèdent, jusqu’à l’issue fatale assez rapidement prévisible. Une onde d’émotion parcourt l’équipe du cabinet de 1992-1993, que je préviens aussitôt.

Il me revient assez naturellement de préparer le discours que prononcera le président, lequel annonce sans tarder qu’il se rendra aux obsèques après avoir immédiatement réagi par communiqué et affirmé, chose rare, qu’il « perdait un ami ». J’écrirai le projet rapidement, comme si les mots, les anecdotes, les souvenirs coulaient de source. Il y ajoutera évidemment bien d’autres éléments.

 

Le 18 février, nous partons dans le Falcon présidentiel pour l’aéroport de Brive, que je connais bien pour le fréquenter régulièrement à destination du Lot. Isabelle, faute de place dans l’appareil où se trouvent notamment le président du Sénat, François Rebsamen, et Harlem Desir, va faire le trajet aller-retour en voiture dans la journée, avec notre ami Laurent. Cela nous vaudra de nous retrouver à Argentat, dans le cortège funèbre, et de nous arrêter le cœur serré devant la mairie où René nous a mariés, 18 ans plus tôt. Les souvenirs publics et privés se mêlent donc inextricablement dans cette journée particulière.

 

Lors de son hommage, où se pressent plusieurs centaines de personnes dans une ville morte dont chaque commerce a baissé son rideau, le président, qui a comme prévu assez largement remanié mon texte, est manifestement ému, au point de résumer à mon avis un peu trop sèchement le bilan de l’action gouvernementale du défunt. Pour lui aussi, le départ de René c’est une tranche de vie et un peu de sa jeunesse qui s’envolent, tant leurs routes se sont croisées, en Corrèze et au-delà, depuis 30 ans. C’est un beau discours, simple et humain, qui gomme la tristesse des amis et met en relief les valeurs et enseignements que le disparu nous aura si clairement légués.

Je dois dire qu’après les péripéties judiciaires traversées par René et qui l’auront tant affecté dans ses dernières années, entendre du chef de l’État insister aussi manifestement sur l’honnêteté de l’homme nous aura tous rassérénés et enlevé un peu du poids qui écrase sa famille, notamment son épouse, Bernadette, dont la dignité impressionne chacun en cet après-midi gris.

 

6 juin 1944 - 6 juin 2014

 

Je profite, pour une fois, d’un privilège : assister sans raison majeure autre que mon intérêt personnel pour cette période, aux cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie. Plus exactement à la séquence prévue sur la plage d’Ouistreham (Sword) l’après-midi, en présence de l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement conviés, mais aussi d’un grand nombre de vétérans, dont nous savons tous qu’ils ne seront plus là, sauf miracle, dans dix ans.

 

Sous un soleil de plomb et malgré un inévitable retard sur le programme, le spectacle, car c’en est un, se déroule sans anicroche. L’équipe de l’Élysée, qui occupe un angle de la tribune présidentielle, observe le chef de l’État, stoïque dans la chaleur, accueillir un par un ses homologues arrivant dans une procession dont le minutage a dû mobiliser bien des talents logistiques. La massive Bentley d’Elisabeth II et le quasi-char d’assaut du président américain captent évidemment l’attention des curieux. Et la nôtre.

J’ai fait le voyage dans le train spécial affrété pour l’occasion à Saint-Lazare et où se croisent officiels, civils et militaires, avec de nombreux acteurs de l’époque, en particulier de vieux messieurs russes bardés de décorations, au milieu desquelles je distingue le plus souvent une batterie d’ordres de Lénine. Je remarque aussi un des rares survivants du commando Kieffer, béret vert vissé sur le crâne.

 

En gare de Caen, nous montons dans des bus spéciaux où je me retrouve côte à côte avec… le patron du MEDEF. Nous avons en effet invité tous les partenaires sociaux, après avoir reçu une demande insistante de la CGT, ce qui me vaudra de tous les saluer lors de leur arrivée sur le site.

Cette rencontre renforce le caractère quelque peu irréel de cette matinée, qui me paraît comme suspendue entre deux orages, au sens propre et figuré d’ailleurs. Nous rentrons en fin d’après-midi à tombeau ouvert dans la voiture de la directrice de cabinet, car il faut être à Paris à temps pour le dîner d’État avec la reine d’Angleterre, incontestablement la grande vedette de ces festivités, effet ou non de ses tenues de couleur vive, qui semblent apporter aux Français moroses une touche de fraîcheur apaisante.

Nous aurons en outre le plaisir de constater, pour une fois, que la presse crédite le président non seulement de la bonne tenue de ce 6 juin, mais surtout du bon coup diplomatique qu’il a réalisé, en faisant se rencontrer in petto ses homologues russe et ukrainien ainsi que le tandem pourtant pas au mieux de ses relations, Obama-Poutine, version inaugurale du désormais célèbre « format Normandie », dont seront baptisées les rencontres à venir.

En cette soirée radieuse, où flotte sur Paris comme une légèreté retrouvée, nous nous plaisons à croire que le changement météorologique puisse se prolonger sur le terrain politique : mais aucun de nous n’est vraiment dupe de la durée de cette accalmie.

 

Camp du Struthof

 

Ce dimanche 26 avril commence pour moi à Strasbourg par une audience avec les syndicats de l’entreprise Lohr, fabricant de wagons, qui s’inquiètent du sort réservé au projet d’autoroute ferroviaire entre le Sud-Ouest et le Nord, dont la réalisation doit lui garantir d’importants carnets de commandes. Discussion grave, mais respectueuse : je sais que le projet est très compromis, parce que, notamment, les Landais n’en veulent pas, dénonçant les nuisances liées aux ouvrages d’art à construire pour adapter le gabarit des voies et surtout le ralentissement prévu, aux passages à niveau, avec des convois beaucoup plus longs. Je ne connais pas suffisamment le dossier pour l’évoquer plus au fond, d’autant que la consigne est de rester discrets, à quelques jours de l’échéance qui a été fixée au 30 avril.

 

Je profite de ce déplacement pour effectuer la suite du programme, dont le point d’orgue est la visite du Struthof à l’occasion du 70e anniversaire de sa libération, en cette journée de la déportation.

Comme on me l’avait indiqué, la petite taille relative du site, son emplacement en plein cœur du magnifique paysage vosgien, la bonne conservation des bâtiments, tout fait de ce lieu un endroit assez extraordinaire, vivant dans son écrin pourtant glaçant, majestueux malgré le gris qui domine. La cérémonie est émouvante depuis le chant incroyable d’une fillette tzigane qui saisit l’assistance, jusqu’au discours d’un ancien déporté, soutenu par ses petits-enfants, dont la voix de stentor se brise finalement sous l’émotion. Le président délivre ensuite un message très tourné vers l’Europe, dont plusieurs hauts responsables se tiennent d’ailleurs à ses côtés, sous le crachin qui nous enveloppe, comme pour mieux éviter toute distraction.

 

Peu avant, à l’issue du buffet servi à la préfecture du Bas-Rhin et alors que la journée prend du retard pour cause de panne d’avion du secrétaire d’État aux anciens combattants, une visite improvisée s’effectue au pas de course dans la nouvelle bibliothèque universitaire de Strasbourg. Dans cette très belle réalisation architecturale, des dizaines d’étudiants studieux travaillent et révisent. Le calme est à l’image de celui qui règne au centre-ville en cette fin de semaine, mais la rumeur prend corps quand le président s’approche et va rapidement enfler, au point de créer une joyeuse cohue. Chacun se lève, abandonne son livre, et cherche une photo, mieux un selfie. En une petite demi-heure, ce sont des dizaines de mains qui auront été serrées, de nombreux clichés pris, des sourires et mots de sympathie échangés, parenthèse joyeuse, spontanée et authentique, dans une journée chargée d’histoire et d’émotions.

 

Hommage à Michel Rocard

 

Durant le même week-end de juillet, la France perd Rocard et Elie Wiesel. Comme d’autres de ma génération et des précédentes, j’ai été successivement captivé, intrigué, voire agacé par la « machine Rocard », dont il m’a toujours paru évident qu’à la différence de nombre de ses amis, mais surtout de ses adversaires, il resterait pendant longtemps présent dans l’Histoire de la gauche.

 

Certes, la pluie d’hommages peine à noyer les rancœurs et les vilenies dont s’est repue la lutte au couteau entre les deux gauches : les haines que ce visionnaire exalté du progrès et du dialogue social aura suscitées semblent soudain céder le pas aux souvenirs pieux de la gauche conquérante, au combat des idées, à toute la geste du socialisme autogestionnaire puis au pouvoir. Comme Laurent Berger me l’a demandé, tous les patrons successifs de la CFDT sont présents dans la cour des Invalides pour assister à l’hommage national, durant lequel, conformément aux dernières volontés très précises du défunt, Edmond Maire prendra la parole juste avant le chef de l’État. Nous sommes des centaines, sous un soleil de plomb qui vaudra aux malheureux soldats au garde-à-vous une série d’évanouissements, à saluer la dépouille de celui qui est déjà entré de plain-pied dans notre histoire contemporaine.

 

Mémoire et familles

 

Samedi 10 décembre 2016, nous enchaînons deux événements.

Le second est devenu un classique : la remise de la médaille des Familles, désormais répartie entre familles nombreuses et acteurs associatifs de l’enfance. La nouveauté de ce millésime se trouve dans l’ampleur de l’assistance : chacun sait que c’est la dernière cérémonie de ce genre pour François Hollande et se souvient que son prédécesseur avait curieusement interrompu la tradition, de sorte que l’avenir est incertain. Contrairement à une idée répandue, la droite n’est pas systématiquement l’amie de la politique familiale !

 

Auparavant s’est tenue une émouvante cérémonie au Trocadéro, en mémoire des victimes malades et handicapées de la Seconde Guerre mondiale. Au terme d’un long processus, marqué par une pétition en faveur de cette reconnaissance et un nouveau rapport du grand historien Jean-Pierre Azema, établi à la demande du président, nous sommes parvenus à construire cet hommage avec force et sobriété.

Tout le mérite en revient à mes collègues Nathalie Destais et Pierre- Yves Bocquet, qui s’impliquent toujours pleinement dans tout ce qu’ils font. L’équipe de Ségolène Neuville et le secrétaire général du comité interministériel du Handicap, avec lesquels la complicité est de mise, ont une nouvelle fois été au rendez-vous. Une de mes satisfactions, à l’heure des bilans, sera d’avoir pu, tant de fois, éprouver l’apport et l’efficacité du collectif, qui a guidé toute ma vie professionnelle ; le plus satisfaisant est que ces petites réussites effacent aisément les phases plus délicates, les rencontres improductives où les interlocuteurs apportent les problèmes avant les solutions. La présence attentive et souriante de ma fille aînée complète ce tableau positif.

 

1945–2015 : 70 ans de sécurité sociale

 

Avoir contribué à organiser le 40e anniversaire de la Sécurité sociale en 1985 avait été une grande aventure, avec François Mitterrand en invité vedette. Du reste, à cette époque, je n’ai pas souvenir que l’Élysée ou Matignon aient beaucoup pesé dans les arbitrages sur l’événement lui-même, au-delà des discours. Cette fois, il nous faut manifestement prendre les choses en main, et, durant plusieurs mois, après avoir œuvré pour que l’ancien directeur de la Sécurité sociale, Dominique Libault, soit adoubé comme cheville ouvrière, lui le moine-soldat de la « sécu », nous allons passer beaucoup de temps à concevoir l’événement, notamment son volet destiné aux jeunes, avec un concours très réussi pour les scolaires. Mais c’est le casting international qui nous prendra le plus d’énergie, en raison, malheureusement, de défaillances des services spécialisés du ministère des Affaires sociales, que nous constatons avec effarement.

 

Grâce à l’allant de l’équipe en charge, les choses vont heureusement prendre tournure et, très vite, nous choisissons de retenir le palais de la Mutualité comme lieu de l’événement principal. Il y a aussi de petits plaisirs, comme celui de revoir Jean-Pierre Azema, grand spécialiste des années 40, auquel va logiquement échoir l’introduction de la journée.

Le discours va se révéler encore plus périlleux que d’habitude, avec un nombre de versions inédit en ce qui me concerne, alors pourtant que les annonces, si recherchées d’habitude, ne manquent pas (dont la protection universelle maladie, ou « PUMA », qui va doter chaque citoyen d’une carte Vitale à vie, ou encore le Compte personnel d’activité…), que les grands principes sont convoqués comme pour toute commémoration importante et qu’enfin, j’ai pu obtenir que soit discuté en amont un plan détaillé, en sorte que nous puissions nous lancer en étant éclairés sur les demandes et orientations du patron.

 

La malchance s’en mêle, car, alors que nous accusons déjà un retard de vingt minutes sur l’horaire de départ et que le président vient à peine de nous rendre sa nième réécriture manuscrite, l’imprimante du secrétariat particulier fait des facéties. Je l’ignore encore, mais, en attrapant fébrilement la liasse de feuilles avant de pénétrer dans la voiture où le président vient de prendre place, il me manque la page 2 ! Heureusement, un des motards en civil qui nous escorte attrape la bonne version dans la voiture suiveuse, que lui tend l’aide de camp, puis arrive à notre niveau à tombeau ouvert, la transmet par la fenêtre au « siège » situé devant le président, permettant à celui-ci de me remettre la bonne version. Au final, les feuilles sont mélangées, le convoi s’immobilise quelques instants puis repart. En arrivant à la Mutualité, alors que tous me pressent d’accélérer – tandis que le journaliste des Echos, Etienne Lefebvre, notre animateur, tente avec brio de meubler – le président s’assied tranquillement à son bureau de passage, entouré de Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem, pour relire de nouveau son texte.

 

Après cinq minutes d’attente quelque peu surréalistes, le président fait enfin mouvement. Il remet des prix à une brochette de jeunes qui ont mené des travaux originaux sur le thème du jour, puis prononce un discours dense et bien accueilli par une salle, il est vrai, très institutionnelle.

De cet anniversaire, que restera-t-il ? Peu de choses dans la presse, quoique plusieurs journaux aient réalisé les jours précédents des articles de fond sur la protection sociale, ce qui n’est pas si fréquent. Encore moins dans l’opinion, car rien de tout cela n’est bien visuel. Mais imagine-t-on n’avoir pas marqué cette journée avec un minimum d’éclat ?

 

 

 

 

 

 

II

Gouverner

 

 

 

Le gouvernement gouverne

 

En mai 2012, notre installation est collective : équipes de l’Élysée, de Matignon, des ministères, tout sent le neuf, l’encaustique, après dix ans de droite.

 

Mais, outre les inévitables questions de « casting » (certains ministres demandent conseil, d’autres s’en gardent bien ; je sais pour ce qui me concerne que l’on guigne ici ou là, ici et là, mon propre poste…), le grand enjeu est le réglage du moteur de cette singularité française : la dyarchie de l’Exécutif.

 

Nous sortons d’un quinquennat effervescent, pour tout dire agité. On a parlé d’hyperprésidence, j’y ai plutôt vu un hypo- gouvernement. Quoi qu’il en soit, François Hollande a bien indiqué (« moi, Président de la République… ») que sa pratique des institutions serait respectueuse des principes de la Vème République. Autrement dit, il entend – et nous le rappelle à plusieurs reprises – que le gouvernement gouverne et le Premier ministre arbitre, même si, au fil du temps, le curseur de ce discours variera quelque peu, en fonction aussi des réactions au fil de l’eau du Premier ministre.

Le ton est donné et si quelques journalistes, par bienveillance ou calcul, font d’emblée mine de me comparer à Raymond Soubie, il est clair que mon rôle sera plus modeste, en tout cas beaucoup moins dans la lumière (« conseiller de l’ombre », comme le titrera peu après Le Monde), ce qui vaudra pour tous mes collègues en charge d’un secteur important.

 

Le président ne me semble pas porter une importance extrême au groupe qui l’entoure : il a confiance en certains, c’est évident, apprécie leur présence familière, mais il donne le sentiment qu’il sait pouvoir se débrouiller seul. Est-ce une réminiscence de son propre statut du début des années 80, lorsque, jeune chargé de mission, il ne croisait que très rarement François Mitterrand, au point, de son propre aveu, de n’avoir jamais mis les pieds dans son bureau ? À moins qu’il ne s’agisse d’une indifférence complète au milieu ambiant, un collaborateur ou un bureau en valant un autre. Je penche pour cette hypothèse, qui permet seule de comprendre comment le président élu va se lester de personnages pourtant assez suspects, qui ne tarderont pas à exploser en vol en lui nuisant gravement… Il cloisonne, comme d’autres avant lui, mais surtout ne penche pas spontanément pour le travail collectif. C’est pour moi un sujet d’interrogation et parfois de doute, puisque ma conception du travail a toujours reposé sur l’attachement au groupe.

 

Laisser le gouvernement gouverner, donc. Pour nous, qui partageons tous d’emblée cette exigence de bon sens, une question va cependant rapidement émerger : comment, dans ces conditions, nous assurer, comme il le souhaite évidemment avec une égale attention, que « le président préside ? ». En regardant s’opérer les ajustements, parfois les heurts, que ce subtil équilibre va provoquer, submergeant en quelque sorte nos grands principes et la bonne entente – voire l’amitié ancienne – entre les personnes, je suis assez rapidement ramené vers une de mes convictions personnelles : le « tandem » Président-Premier ministre n’a plus vraiment de sens, dans le cadre du quinquennat, hors bien sûr période de cohabitation. Le président le reconnaîtra d’ailleurs lui-même dans ses échanges avec les journalistes Davet et Lhomme, qui feront tant de bruit fin 2016.

En effet, quand le chef de gouvernement est très proche du chef de l’État (ce sera le cas de Jean-Marc Ayrault et, dans un style différent, de Manuel Valls), il lui est très difficile de prendre ses marques, surtout dans un système médiatique plus que jamais concentré sur les faits et gestes de l’Élysée ; pour peu qu’il s’en éloigne, c’est alors la crise politique inévitable. Sans même parler des affres de la cohabitation.

Pourtant, comme la situation de la France ne rend pas probable avant bien des années une réforme constitutionnelle tirant parti de cette réalité, il va falloir nous en accommoder et, petit à petit, accréditer l’idée que le changement de leadership voulu par le chef de l’État ne signifie en rien une absence de volonté ou un déplacement brutal des centres de décision.

De ce point de vue, la guerre au Mali, bien que naturellement circonscrite à un domaine réservé que nul ne conteste au Chef des armées, aura sans aucun doute contribué à remettre en perspective cette organisation ; la voix de la présidence est devenue clairement plus audible – ce sera plus flagrant encore après les attentats de janvier 2015-sans qu’il soit besoin de rappeler ce truisme parfois oublié par quelques-uns, notamment au parlement : un homme et un seul a été élu par les Français le 6 mai 2012.

 

Le travail Élysée-Matignon

 

Nous passons beaucoup de temps à nous coordonner. Chaque jeudi matin, les équipes sociales se retrouvent à Matignon, pour un point santé, suivi d’un autre sur les problèmes financiers de la Sécurité sociale. Toutes les deux semaines, la même opération se répète, d’une part sur les sujets purement sociaux (exclusion, handicap, personnes âgées…), d’autre part sur les questions de travail et d’emploi. S’y ajoutent une réunion sur la fonction publique tous les quinze jours et des contacts réguliers avec les équipes des secrétaires d’État : sous le dernier gouvernement Valls, j’en serai à 4 ministres (Travail, Affaires sociales, Famille, Fonction publique) et autant de secrétaires d’État (Handicap, Personnes âgées, Formation, Économie sociale). Cet équilibre un peu étrange est né du besoin de régulation plus important dans la sphère de la santé, alors que l’on aurait pu attendre que ce soit le cas des dossiers de Michel Sapin, singulièrement lourds dans le contexte économique et social du moment. Je réunis pour ma part en bilatéral les directeurs des cabinets concernés, sans esprit de doublon, mais dans la mesure où cela permet d’aller plus au fond des choses.

Cette harmonie entre les deux équipes tient bien sûr aux personnes : mes trois homologues successifs de Matignon, Christophe Devys, Gilles Gateau, Aurélien Rousseau, aussi différents que possible – le premier, discret, fin juriste, connaît surtout la protection sociale ; le deuxième jovial, est un homme de l’emploi ; le troisième, doté d’un humour ravageur, est un généraliste surdoué qui va se former sur le tas – sont de très grande qualité, et l’amitié, ancienne ou plus récente, fera le reste.

D’autres « pôles » fonctionnent ainsi, ce qui est plutôt satisfaisant. De fait, les réunions informelles de ce type sont bien plus productives que les interministérielles officielles, dont le rôle est plutôt notarial, dans la mesure où elles formalisent des décisions déjà prises, même celles présidées par le Premier ministre lui-même.

 

Il arrive fréquemment que, sur un dossier, ou une préparation d’événement (déplacement, discours, interview) concernant le président, nous convoquions une réunion à l’Élysée. Leur statut n’est jamais évident d’emblée, car nous ne pouvons tomber dans le « micro-management » et, en même temps, il ne peut être question que des sujets devenus présidentiels par « destination » soient traités en dehors de nous.

Les résultats sont en réalité assez personnes-dépendants : par exemple, toutes les rencontres au Palais avec les équipes chargées de la Culture, autour de conflits sociaux, comme ceux des intermittents du spectacle, de la distribution de la presse ou de la convention collective du cinéma, auront été de vrais moments de dialogue, d’analyse en commun et de décisions partagées.

 

Pour le reste, je retrouve les vicissitudes rencontrées dans le passé. La rétention d’information, qui reste pour certains un facteur de pouvoir, bien dérisoire à mes yeux, le cloisonnement presque sociologique des filières, notamment entre les financiers et les sociaux, cette plaie épargnant heureusement la Présidence grâce à la grande complicité qui y règne entre les deux sphères.

 

De ces dysfonctionnements, certains tout naturellement s’étonnent, d’autres se plaignent. Avec la sagesse des vieilles troupes, les anciens (notamment le regretté David Kessler, notre premier Monsieur Culture ou Marc Vizy, qui connaît tout de l’outre-mer) font, comme moi, avec. Je me remémore parfois cette phrase entendue un jour de la bouche de Pierre Bérégovoy : « il faut bien que tout le monde vive… ».

 

Le casse-tête de l’agenda

 

Toute l’activité tourne autour de l’emploi du temps présidentiel : c’est d’une grande logique et cela dure probablement depuis les débuts de la Vème République. Ce que fait le chef de l’État, qui il reçoit, où il se rend, tant en France qu’à l’étranger, scande naturellement la vie de l’Élysée. Or, avec François Hollande, le temps ne se dilate jamais, car il n’arrête pas un instant, nous surprenant par sa résistance physique et une capacité unique à passer d’un sujet et d’un interlocuteur à un autre, où que ce soit. Le temps des promenades sur les bords de Seine et chez les bouquinistes est bien révolu : à certains moments, il m’arrivera de penser que c’est plutôt dommage.

Les batailles internes sur le sujet sont aussi une tradition. Connaître l’agenda, c’est pouvoir peser sur des choix que l’on sait cruciaux, ne pas y accéder c’est rester réduit à un état de relative passivité. De même, on oscille en permanence, dans ces affaires, entre l’essentiel et l’accessoire, car il est bien difficile de démêler les choix de fond (« y aller ou pas »…), des aspects matériels et logistiques (la question du « quand » étant la plus redoutable).

 

Il se trouve que François Hollande, dans ces matières aussi et peut-être surtout, n’aime pas se sentir contraint. Ce qu’il pouvait accepter durant la course folle de la campagne, où il n’était pas question de trancher, mais de suivre le rythme échevelé des meetings et interviews, il n’entend plus se le faire imposer. Il fera ce qu’il veut, et à son idée, d’autant que les figures imposées ne manquent pas, cérémonies officielles, sommets européens et autres voyages d’État en tête. Et cela pourra aussi bien se traduire par des refus d’obstacle que la volonté de faire (de fer ?) contre l’avis de son cabinet. Sa tendance naturelle est plutôt de répondre favorablement aux sollicitations, quel que soit le niveau d’encombrement de son emploi du temps, de changer souvent d’avis sur le principe, sur le moment, sur le format. Notre devoir premier, c’est de nous adapter.

Sur ce dernier registre, j’ai en tête une improbable manifestation intitulée « la France des solutions », en octobre 2013, dans l’enceinte du Palais d’Iéna. Après de multiples réunions qui nous laissent tous perplexes (directrice de cabinet, chef de cabinet, équipe communication au diapason), le président confirmera son souhait de s’y rendre en dépit de nos communes réticences. Finalement l’événement, certes sans grand intérêt politique, se déroulera plutôt bien, même si le temps qu’il nous aura fallu pour le préparer n’aura au final que peu à voir avec la trace très éphémère de cette présence présidentielle.

 

Arbitrer

 

Dans les allées du pouvoir, disposer de l’information est un levier essentiel, ce qui conduit souvent à déployer des trésors d’imagination pour y parvenir et plus encore pour faire ensuite acte de rétention : pourquoi partager ce que l’on a eu tant de mal à capter…

 

Mais le sport de compétition ultime, c’est l’arbitrage. Ou plus exactement la recherche de l’influence. Dans une réunion, en général haut placée, il faut naviguer entre les deux rives, celle de la parole inutile et celle de l’incompétence. Se taire, ou plus encore admettre que l’on ne sait pas est une terrible ascèse. À la question « qu’en penses-tu ? », répondre « pas grand-chose » ou, mieux, « il faut que je réfléchisse », semble le plus souvent hors d’atteinte.

 

Certes, ce n’est pas l’apanage de l’appareil d’État que de susciter de tels comportements, dont toute grande organisation, entreprise incluse, est coutumière : le rapport au pouvoir crée nécessairement des tensions, des rivalités, des soifs de paraître. Le problème survient quand le résultat de toute cette alchimie dépasse la simple anecdote et peut retentir sur la décision finale. Entre les avis non autorisés qui s’expriment en général bruyamment et les avis plus autorisés qui craignent d’intervenir, à supposer qu’on les y ait conviés, les chausse-trappes ne manquent pas pour le décideur final.

 

Au vrai, l’Élysée de François Hollande m’a paru dans l’ensemble assez épargné de ce travers, sans en être tout à fait immunisé. Dans un tel contexte, seul vaut le degré de confiance accordée aux collaborateurs et la capacité à élargir la gamme des avis recueillis même en dehors d’eux.

 

Juste milieu

 

La « position de l’Élysée » n’est jamais une posture simple à adopter pour le conseiller concerné. Il est ainsi délicat pour lui de se prévaloir, sauf dans des cas précis, d’un avis, plus encore d’une conviction de son patron, notamment dans une réunion interministérielle.

Car, dès lors qu’elle se trouve exprimée, cette sentence « jupitérienne » doit en toute logique clore le débat, sauf à ce que l’autorité suprême se trouve contestée. Si elle ne l’est pas, au contraire, les acteurs du système peuvent se demander ce que pense l’Élysée, voire estimer de bonne foi que qui ne dit mot consent, voire que le silence gardé vaut manque d’intérêt pour le sujet.

Intervient ici, comme souvent l’équation personnelle : le conseiller expérimenté du président se heurtera moins, en général, à ce type de dilemme que ses cadets, à ceci près qu’avoir du poids dans le système peut aussi engendrer davantage de crispations, y compris chez certains ministres jaloux de leurs prérogatives. Bref, dans tous les cas, le fine tuning est la règle.

Une autre dimension de ce jeu subtil est la gestion des arbitrages. Un peu à l’image des paires de chaussettes qui se trouvent mystérieusement dépareillées au sein de chaque ménage, les décisions gouvernementales finissent souvent par errer dans des circuits inadaptés. Il peut ainsi arriver, soit à des sujets minuscules, de portée parfois individuelle, de mobiliser tout l’appareil d’État, qui plus est dans la durée, soit au contraire, que des dossiers importants cheminent « sous le radar », sans que l’on puisse savoir qui a décidé de quoi précisément.

 

De façon générale, une régulation finit par intervenir pour éviter le pire, mais pas toujours : combien de fois depuis 2012 aurai-je découvert un amendement à un projet de loi dont je m’occupe pourtant, ou un texte réglementaire venu de nulle part, à mes yeux ? Il faut faire bien sûr la part de la tactique, qui peut assez souvent conduire à se passer de l’avis de la Présidence, souvent perçue comme l’empêcheuse de tourner en rond, mais il peut s’agir d’une simple négligence, y compris au sein du Secrétariat général du gouvernement, le fameux SGG, dont la haute expertise juridique le conduit parfois à ignorer le rôle des cabinets ou du moins assurer un service minimum à cet égard. Au demeurant, les services experts du droit sont souvent au sein de l’État, enclins à énumérer les raisons de ne pas faire, plutôt qu’à rechercher activement les moyens adéquats d’avancer dans le sens voulu par le décideur politique.

À la réflexion, les dix ans de cohabitation ont aussi fait leur œuvre dans cette évolution que je ressens, par rapport à mon expérience passée. Les collaborateurs du gouvernement sont toujours brillants, plutôt jeunes, mais surtout inexpérimentés des affaires de l’État à ce niveau, le plus souvent ignorants de la scène politique de ses acteurs et surtout de ses pièges. Ou alors, leur connaissance de l’écosystème, notamment socialiste, se déploie parfois au détriment d’un fond qu’ils ne maîtrisent pas. Peu nombreux sont les titulaires de cette double compétence, de sorte que nos processus sont souvent excessivement technocratiques ou, au contraire, insuffisamment documentés. Car, au final, celui qui tranche est toujours seul. Surtout si la décision est de haute portée.

 

Bilan et héritage de la droite

 

On se souvient de la commission du bilan, voulue par le vainqueur de mai 1981. En 2012, on se contentera étrangement d’une note de la Cour des comptes pour tout viatique sur la situation du pays.

 

Je comprends évidemment le souci d’être fair-play, même à l’égard d’un adversaire vaincu qui ne le fut en rien. Et plus encore l’idée de tourner la page sans inquiéter à l’excès l’opinion, en évitant de prendre la France à témoin du désastre des finances publiques, advenu depuis 2007 (600 milliards de dette publique supplémentaire !), sans compter bien sûr la déréliction de notre outil industriel et le moral en capilotade des services publics, à commencer par l’École. Et a fortiori la volonté de ne pas assombrir par trop un moral national déjà chancelant.

Mais ce pari sur l’honneur va coûter bien cher dans les mois qui vont suivre l’alternance, car, qui les en blâmerait, les Français n’ont désormais plus cure des responsabilités de la droite, ils espèrent beaucoup de la gauche. Ces attentes exprimées au terme d’une campagne pourtant chiche en promesses, elles seront encore trop fortes sans doute, si l’on veut bien considérer la réalité. Or, à défaut de l’avoir qualifié, au risque certes du syndrome churchillien « du sang et des larmes », nous allons devoir très rapidement endosser l’héritage et son cortège de désillusions.

 

 

Que faire ?

 

La tâche est immense. Je remets la main sur une note écrite à la rentrée 2011, pendant la campagne des primaires socialistes, qui me semble toujours d’actualité et que je retrouverai en fin de mandat avec le sentiment de n’avoir pas visé trop à côté de la plaque :

 

« Je veux une société de confiance »

1/ les Français, se défient à juste titre du pouvoir en place :

– promesses non tenues : chômage, accès au logement, équité fiscale ;
– difficultés à vivre : profil des salaires, hausse des prélèvements et des tarifs publics ;
– crainte dans l’avenir, aggravée par les reculs du gouvernement : quel avenir pour les jeunes, les retraités, les personnes âgées ?
– perte des repères : remise en cause du pacte social, du « modèle » français d’intégration, des grands services publics, de la démocratie locale et de la démocratie sociale.

 

2/ Mais ils se méfient aussi des illusions :

– la société est ouverte et le restera : ils ne croient pas aux solutions de repli ;
– la décroissance n’est ni souhaitable ni envisageable, mais nous devons être prêts pour une croissance sobre et équitable, ce que les Français ont bien compris ;
– les finances publiques sont dans un état désastreux, aggravé par celui des finances sociales : les Français le savent et ont compris que l’on ne pourra ni tout faire ni s’épargner des efforts ;
– l’Europe peine à se gouverner, l’euro souffre, mais les Français ne plaident pas pour en sortir.

 

3/ Je propose de restaurer une société de confiance :

– confiance dans la possibilité d’un avenir pour tous : c’est tout le sens de la priorité absolue accordée au sort des jeunes : école, formation, emploi, logement ;
– confiance dans les droits fondamentaux des personnes et des individus : libertés publiques, réforme de la justice, « retrouver le goût du travail » (notamment en réduisant la pénibilité), réassurer la protection sociale, promouvoir une fiscalité plus juste, moderniser les administrations pour simplifier vraiment les démarches ;
– confiance dans la vie collective : affirmer clairement le rôle premier des acteurs et des partenaires sociaux, mais aussi des territoires, avec une nouvelle décentralisation ;
– confiance dans un destin national : proposer un projet mobilisateur pour la France et lui rendre la fierté de ses réussites, culturelles, scientifiques, économiques (rôle des entreprises) ;
– confiance dans nos capacités internationales : refonder le couple franco-allemand pour l’Europe, redonner à la France dans le monde une place enfin digne de son histoire.

Vaste programme…

 

Les bains de foule

 

Même si l’aimantation a sans doute un peu diminué depuis l’arrivée à l’Élysée, le contact est toujours chaleureux, recherché, jamais fui ou esquivé. Les officiels qui attendent le président en sont tous frappés.

Moins de sécurité autour de lui, plus de quartiers ou de zones en état de siège, comme pendant les déplacements de Sarkozy. Mais toujours du public que le président va saluer, une rangée, et puis l’autre, en arrêtant le cortège si nécessaire pour serrer encore des mains, faire des bises, se laisser prendre en photo sur une multitude de portables. Et cela vaut pour les badauds, touristes français et étrangers, ou scolaires qui stationnent régulièrement devant le Palais : on les voit, on les salue, on discute un peu, qu’il pleuve ou fasse soleil.

 

À Tulle, en Corrèze, chacun des déplacements sera l’occasion de le vérifier, même au plus fort de certaines crises : cet homme a le sens du contact chevillé au corps. Il nous arrivera même de froisser un peu de tôle lors d’un arrêt trop brusque en centre-ville, pour une ultime accolade, une « petite dernière pour la route » en somme.

 

Ainsi à Évry chez Supratech, dirigée par mon ami Jean-Marie Jestin, où je propose au président de se rendre dès la mi-juin 2012 pour visiter cette PME de l’Essonne déjà très impliquée dans le tutorat des jeunes par les anciens, anticipant en quelque sorte le contrat de génération. C’est d’ailleurs la première sortie du nouvel élu dans une entreprise. Au-delà du plaisir d’échanger avec une équipe de terrain motivée et qui ne dissimule pas sa joie face à l’honneur qui lui est ainsi fait, c’est la simplicité bonhomme de cette visite qui me frappe. Chacun prend la pose avec François Hollande, les poignées de main succèdent aux bises (dont celles de quelques dames récidivistes et qui ne s’en cachent pas).

Plus tard, quand l’euphorie de la campagne aura décliné et que des délégations syndicales se feront plus nombreuses sur les sites visités, l’ambiance, finalement, ne sera pas très différente : contact direct, aucune tentative de contourner « l’obstacle », pas de périmètre de sécurité quelques mois après qu’ait pris fin la détestable habitude des visites « Potemkine », où le public était sélectionné et le reste de la population tenu à bonne distance, seuls les militants UMP étant conviés à faire la claque.

 

Nous allons l’éprouver les 11 et 12 mars 2013, dates retenues pour le premier déplacement organisé en province sur deux jours, avec nuit sur place. Un programme dense de visites menées au pas de charge, mais surtout de multiples contacts avec les habitants, notamment lors d’une « déambulation » dans le quartier populaire des Grésilles, à Dijon, où l’on se presse autour du président, pour un salut, ou mieux une photo. Il se prête de bonne grâce à ce sympathique rituel, tout comme il sait trouver les mots justes devant chacune des autres jeunes femmes dont il va parrainer, à la Maison de l’Emploi, l’entrée dans le dispositif des emplois d’avenir. Et, si les militants socialistes sont souvent là pour l’acclamer, nous ne traversons pas des foules artificielles : ce sont bien les Français qui, souvent nombreux, viennent à la rencontre de François Hollande, en général souriants, parfois irrités, jamais agressifs.

 

Mais voilà, dès le début de la visite, trois ou quatre quidams isolés ayant donné de la voix ont entraîné une réaction ferme de la police locale, qui les extirpe du convoi : ce sont ces seules images fugitives qui feront la une des journaux du soir, annihilant l’essentiel des effets positifs de cette initiative de terrain. Manifestement, la peur de l’incident, qui obsédait tous les responsables de la sécurité lors du précédent septennat, s’est encore immiscée parmi les nouvelles règles : la simplicité a décidément du mal à prendre corps, s’agissant, il est vrai, de protéger le chef de l’État dans une période de tension avérée.

Pour le reste, où que nous soyons (de Bordeaux à Chelles, d’Orléans à Avignon, de Rennes à Marseille, de Quimper à Dunkerque, de Lorient à La Rochelle, en ce qui me concerne, au cours de ces premiers mois), quand le préfet, un élu, un policier non averti s’émeut, plaide le retard, on le rassure maintenant d’un air entendu : c’est le président qui dicte le tempo et personne d’autre, nul besoin de s’inquiéter.

 

Le dernier dimanche avant Noël 2014, le citoyen Hollande ira ainsi acheter ses cadeaux à la FNAC de la Rue de Rennes, flanqué d’un seul garde du corps, une prise de risque potentiellement très élevée qui se révélera une opération réussie, au terme d’une longue séquence d’autographes et de « selfies ». Comment trouve-t-il cette énergie pour aller vers chacun, inlassablement, comme mû par une force mystérieuse qui gommerait la fatigue accumulée ?

 

Accueillir le président

 

À la longue, les déplacements officiels se ressemblent, dans leur rythme : préparation, puis voyage en avion via la base aérienne de Villacoublay le plus souvent, salut du préfet et des élus au pied de la passerelle, cortèges, accueil républicain sur le site, visite de présentation, discours, point de presse impromptu…

Le jour J, le ballet des voitures et des motos dans la cour de l’Élysée, le savant placement dans le carré du Falcon, en fonction des personnalités présentes, la distribution des rôles de chacun (sécurité, presse, aide de camp, médecin, maquilleuse…), tout cela crée à la longue une habitude, plutôt sympathique d’ailleurs, car elle sécrète aussi beaucoup de cohésion, de réflexes, chacun ayant aussi la possibilité d’apprendre de son voisin. Un grand équipage en somme, où chaque poste compte.

 

Les variantes sont plutôt locales. Pour tout dire, on perçoit rapidement les préfets et leurs équipes aptes à éviter un double piège dans ce genre de contexte : l’excès de zèle, qui se traduit le plus souvent pas un déferlement de forces de police et donc de tensions (nous en aurons donc eu l’illustration à Dijon au printemps 2013) ; au contraire, un certain dilettantisme, qui s’alimente probablement à la bénévolence bien établie du président, d’autant plus qu’elle contraste avec les exigences de la période précédente : nous en serons victimes à La Roche-sur-Yon en août 2013, avec un petit monôme de la « Manif pour tous », qui réussira à se faire entendre au-delà de toute raison.

Tout en faisant la part des choses, puisqu’un voyage présidentiel, surtout en province, est toujours un événement et dès lors une source de stress assez générale, tout cela en dit long sur les hommes. Ce sera plus manifeste encore avec l’instauration de l’état d’urgence. C’est d’ailleurs assez rassurant que les procédures les mieux rodées ne soient, en définitive, que ce que le talent des responsables saura en faire.

Pour le reste, nous savons qu’à mesure du temps qui passe, le quinquennat se déroule comme s’écoule, inexorable, le sablier : avant que la croissance et l’emploi ne redémarrent vraiment, l’accueil local se fera plus exigeant, plus rude même, en fonction de l’actualité sociale, notamment dans les zones touchées par des fermetures d’entreprises ou des réductions d’effectifs : à la rentrée 2013, nous le constaterons, notamment à Cherbourg, Roanne, Saint-Étienne ou Chambéry.

Municipales : veillée d’armes et remaniement

 

Le premier tour des élections municipales se déroule le 23 mars 2014. Le 22 à midi, dans le bureau du chef de l’État, je ne le trouve pas pessimiste, mais fort circonspect. De fait, les résultats sont très mauvais, la droite, mais surtout le FN progressant fortement dans tout le pays, au point que nous vivons une réplique des élections de 1983, qui avaient sonné comme le premier grand désaveu de François Mitterrand.

 

Depuis plusieurs semaines déjà, les rumeurs de remaniement allaient bon train, après s’être calmées à l’automne précédent, au point que nos collègues de Matignon affichaient une certaine sérénité. Là, le jeu apparaît plus ouvert que jamais et l’entre-deux-tours, comme toujours en pareilles circonstances, ne va cesser de donner lieu aux rumeurs les plus diverses.

 

Le Président consulte beaucoup, mais reste mystérieux quoique souriant et disert sur toutes sortes de sujets, quand nous le croisons ces jours-là. Sa semaine est fortement entrecoupée par la visite du nouveau président chinois, marquée par une polémique stupide, après que la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, ait trouvé le moyen, surprise par un micro, de qualifier le dîner d’État de « dégueulasse » : pour y avoir assisté, cet événement prestigieux ne méritait vraiment pas une telle appréciation, au demeurant parfaitement déplacée.

En cette veille de second tour, où la gauche n’ambitionne que de sauver les meubles (Paris, Lyon, et plus difficilement Toulouse et Strasbourg), toute la classe politique a intégré que les lignes vont bouger, que le cap politique, et notamment le pacte de responsabilité vont être confirmés, mais pour le reste, ne sait en rien ce qui va advenir.

 

 

Le gouvernement Valls

 

Le second tour a été cataclysmique, amplifiant les effets du premier : la gauche perd 155 communes de plus de 9000 habitants. Ce n’est donc pas seulement la réplique de 1983, mais bien 1977 à l’envers.

 

Certes, le PS conserve Paris (certains parmi nous ont même craint le pire, dans le climat du moment), mais aussi Strasbourg et arrache Avignon. Pour le reste, la France a viré au bleu. En cette année du centenaire de la Grande Guerre, on se prend à penser à la Chambre bleu horizon de 1919.

 

Je me suis rendu à l’Élysée vers 19 heures pour ne pas rester à l’écart de ce moment charnière. Nous faisons la navette entre le bureau présidentiel et celui du secrétaire général, séparés par le « salon vert », où sont installés téléviseurs et terminaux reliés au ministère de l’Intérieur, permettant de suivre en direct tous les résultats.

L’ambiance est lourde. Pour la première fois, je sens François Hollande sonné par la salve des mauvaises nouvelles, dont certaines l’atteignent sans doute plus encore que les autres : l’ami Poignant est éjecté de Quimper, Brive et Limoges sont perdues, comme toute la Corrèze, où seule la réélection de Bernard Combes à Tulle dès le premier tour a permis de sauver l’honneur du fief. Le président appelle les uns et les autres, plutôt pour compatir que pour féliciter, tant les lauriers sont rares.

En quittant le palais vers minuit, j’ai la conviction que Jean-Marc Ayrault va partir, mais que le président, qui en est le premier conscient, va avoir grande peine à s’y résoudre. De fait, le lendemain, les conciliabules vont bon train et ce n’est qu’à 17 h 30 que la télévision (BFM) diffuse la nouvelle du changement de Premier ministre.

Quelques instants plus tard, je vois arriver le jeune Emmanuel Grégoire, chef de cabinet à Matignon, fils d’un de mes vieux amis trop tôt disparus, qui est discrètement venu porter la lettre de démission de son patron. Nous devisons à trois dans le bureau de Pierre-René Lemas, puis ce dernier va porter le pli cacheté à son destinataire, qui la reçoit non sans émotion. Les dés sont jetés.

La suite va aller relativement vite. Le gouvernement sera annoncé le mercredi matin, après des tractations somme toute assez classiques dans ce genre de moment. Nous comprenons, en grande partie grâce à la presse, que le « casting » bute assez longuement sur le choix du ministre de l’Intérieur, qui échoit à un fidèle du chef de l’État bien accepté par Manuel Valls. Dès lors Michel Sapin est promis à Bercy, dont il ne voulait pas, préférant se consacrer au Travail.

 

Pierre-René Lemas dispose enfin de la liste, dont il va donner lecture sur le perron trente minutes plus tard : il n’a manifestement guère pesé sur les choix qu’il découvre pour l’essentiel avec les quelques-uns qui l’entourent, dont je suis. La sphère sociale reste partagée, entre Marisol Touraine aux affaires sociales (dont bizarrement le titre élude dans un premier stade le thème clé de la Santé, ce qui va faire réagir avant que n’intervienne une correction) et François Rebsamen, nouveau venu qui remplace Sapin.

Mieux encore, les équipes se mettent en place dans la continuité. L’excellent Gilles Gateau devient le numéro 2 du cabinet Valls, et conserve le social, son ancien adjoint montant d’un cran et prenant donc la direction du cabinet Rebsamen. J’ai pesé en ce sens, et le message passé est bien accueilli, notamment par la CFDT, dont le patron m’avait immédiatement fait part de sa grande inquiétude à l’annonce d’un remaniement. Plus que jamais en effet, le choix des individus est décisif, tant le dialogue social va aborder, rapidement qui plus est avec le Pacte de responsabilité, des échéances lourdes et décisives.