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Il y a eu des grands acteurs belges de cinéma avant Benoît Poelvoorde. Mais ils étaient obligés de se fondre dans le moule du cinéma français. Benoît, lui, a déboulé au Festival de Cannes en 1992 avec une bombe, « C’est arrivé près de chez vous », pseudo-reportage délirant dans lequel il incarne un truculent tueur à gages... D’emblée, il a imposé un humour belge irrésistible et un tempérament d’acteur inimitable. En près de vingt-cinq ans de carrière, il a incarné une gamme étonnante de personnages : du guide autoritaire (« Les randonneurs ») au sosie de Claude François (« Podium ») en passant par le vétérinaire serial killer (« Entre ses mains »)... Sans oublier Dieu en personne ! (« Le tout nouveau testament » de Jaco Van Dormael) Le résultat : Poelvoorde est une vraie star, populaire, généreuse, démesurée. Grâce à lui, le Belge est devenu « tendance », et plus seulement la victime des blagues de Coluche... Un exploit !
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Seitenzahl: 225
Veröffentlichungsjahr: 2015
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HuguesDayez
POELVOORDE
L'INCLASSABLE
Entretiens(1992-2015)
Avenue du Château Jaco, 1 - 1410 Waterloo
www.renaissancedulivre.be
fb: Renaissance du Livre
tw: @editionsrl
Couverture : [nor]production
www.norproduction.eu
Photo Première de couverture : (c) Eddy Brière
Corrections : Christelle Legros /La Plume alerte
ISBN : 978-2-50705-3-734
© Renaissance du livre, 2015
Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.
POELVOORDE L'INCLASSABLE
Entretiens(1992-2015)
avant-propos
Régulièrement, on me pose la question : « Vous qui avez déjà rencontré tellement de stars dans votre carrière, lesquelles vous ont le plus impressionné ? » Selon mon humeur, je réponds Audrey Hepburn ou Cate Blanchett, Steven Spielberg ou Dustin Hoffman, Jeanne Moreau ou Fabrice Luchini… Depuis plus de vingt-cinq ans que je pratique ce singulier métier de journaliste et critique de cinéma, la liste est forcément longue.
Mais, dans cette liste, Benoît Poelvoorde occupe une place unique. Parce que j’ai vu débouler, sans crier gare, ce grand gaillard un jour de mai 1992 sur la Croisette et que, tout excité par sa performance dansC’est arrivé près de chez vous, j’ai réalisé la toute première interview de sa carrière. Il ne l’a jamais oubliée, moi non plus.
Depuis ce moment, nos routes se sont croisées un nombre incalculable de fois. Très complice avec mon ami Rudy Léonet, Benoît est venu régulièrement dans son émission « 5 Heures » où j’ai pu assister à des délires radiophoniques inoubliables. En 1998, Benoît et moi avons fait partie du jury du Festival de la bande dessinée d’Angoulême, présidé par le génial dessinateur Daniel Goossens, et je me souviens avec quelle conviction Poelvoorde s’est fait l’avocat passionné du talent de Nicolas de Crécy, pour lui faire obtenir l’Alph-Art du meilleur album.
Généreux de son temps et de son talent, Benoît Poelvoorde est venu ensuite à plusieurs reprises me prêter main-forte sur des projets inhabituels : une émission de prestige sur Bruxelles pour TV5, un face-à-face avec le cinéaste belge Alain Berliner devant une salle noire de monde dans le cycle des « Grandes conférences catholiques »… Quoique de plus en plus sollicité par les médias, Benoît trouvait toujours le temps de participer à ces rendez-vous en marge de ses « tournées promo ».
Par ailleurs, en tant que « Monsieur Cinéma de la RTBF », je rencontrais bien évidemmentaussil’acteur belge lors de ces tournées, et, à chaque fois, nous avions le sentiment de reprendre tout naturellement le fil d’une conversation interrompue quelques mois plus tôt. Mais, s’il y a une véritable connivence entre nous, il n’y a pas pour autant de complaisance : Benoît sait que je n’ai pas été tendre avec certains de ses films, et l’accepte toujours avec un total fair-play.
Au fil du temps, je me suis rendu compte que les hasards de la vie avaient fait que j’étais sans doute le journaliste qui avait suivi de plus près la carrière de Benoît Poelvoorde. Je n’ai pas pour autant la prétention d’écrire sa biographie : lors de nos entretiens, je me suis toujours gardé de lui poser la moindre question sur sa vie privée, sans doute parce que ce genre de journalisme n’a jamais été le mien… Par contre, j’ai eu envie de réécouter et de retranscrire les entretiens les plus significatifs que nous avions eus ensemble. Car l’évolution de son discours sur le cinéma en général et le métier d’acteur en particulier est révélatrice d’un artiste qui se pose en permanence des questions. Le « vrai » Benoît Poelvoorde se révèle-t-il dans ces entretiens ? Je n’ai pas la prétention de l’affirmer, mais je sais que le profil qui s’en dégage est loin de l’image d’« amuseur public » derrière laquelle il aime parfois se réfugier…
Que vous souhaiter, si ce n’est « Bonne lecture » ?
Hugues Dayez
Août 2015
C’est
arrivé
près de
chez vous
1992
Une
naissance-surprise
dans le cinéma
Le Festival de Cannes, c’est un iceberg. La partie la plus visible, la plus médiatisée, c’est évidemment la compétition de la Sélection officielle. Mais la partie la plus imposante, ce sont les innombrables sections parallèles : « Un Certain Regard », « Cannes Classics », « La Quinzaine des Réalisateurs » (sorte de festival off né après Mai 68)… Sans compter les projections du Marché du Film, où producteurs/vendeurs et distributeurs/acheteurs négocient des films du monde entier.
Enfin, il y a une section discrète, mais très prisée, « La Semaine de la Critique ». Comme son nom l’indique, c’est une sélection de films inédits opérée par des critiques de cinéma. Leur philosophie ? Programmer peu de films – sept longs-métrages en tout et pour tout – pour pouvoir bien les défendre pendant le marathon cannois. En mai 1992, la 31e édition de la Semaine de la Critique a sélectionnéC’est arrivé près de chez vousde Rémy Belvaux, Benoît Poelvoorde et André Bonzel. Les deux premiers sont des Namurois, copains d’enfance, le troisième est Français. Rémy et André ont étudié ensemble à l’INSAS, une école de cinéma bruxelloise. Benoît, fils d’une épicière et d’un routier décédé alors qu’il était enfant, a, quant à lui, intégré l’ERG, l’École de recherche graphique à Bruxelles, pour s’orienter vers l’illustration pour enfants.
Tourné en noir et blanc avec des moyens dérisoires,C’est arrivé près de chez vousse présente comme un pseudo-reportage ; une équipe de télévision suit les agissements d’un tueur en série, Ben, incarné par Poelvoorde. Face à la caméra, avec un bagou digne de l’entraîneur de football Raymond Goethals, Ben explique comment il choisit ses victimes, comment il opère, et passe volontiers à l’action devant l’objectif complice de ses nouveaux amis reporters… Le film démarre au quart de tour, maniant un humour noir irrésistible, pour ensuite glisser vers un carnage de plus un plus « gore ». Ce changement de ton ne plaira pas à tout le monde, mais qu’à cela ne tienne : « C’est arrivé » est un véritable ovni cinématographique qui suscite une curiosité énorme dès ses premières projections publiques dans une petite salle de cinéma attenante à l’hôtel Miramar. Autrement dit, le film « fait le buzz » – même si l’expression n’existait pas à l’époque.
À la « fête des Belges » – cocktail organisé sur une plage de la Croisette par les promoteurs officiels du cinéma belge francophone –, le trio débarque. Rémy et André ont des longs cheveux rebelles, Benoît, la coupe presque militaire. Mon cameraman place trois chaises côte à côte sur le sable ; je les invite à s’asseoir pour répondre à la première interview de leur carrière…
Pour commencer, une question toute simple :
qui a eu cette idée de faire un pseudo-reportage
sur un tueur ?
Rémy :L’idée vient de moi. Et pour résumer, le principe était de faire une sorte de critique des reality-shows actuels. Comme nous adorons le cinéma, nous étions prêts à tout pour faire un film et les gens sont prêts à tout pour passer devant la caméra. Donc, c’est assez facile de faire un film ! Haha !
Sur le plan stylistique, le film est aussi
une critique du langage de « Strip- tease »
et de ce genre d’émission ?
Rémy :Oui, évidemment, nous nous sommes beaucoup inspirés de tout ce qu’on pouvait voir à la télévision comme « Strip-tease »… Mais nous avons nous-mêmes fait des reportages, et nous connaissons un peu le jeu de la manipulation des images, donc…
Benoît, je crois que le film s’est tourné en plusieurs phases, par petites étapes, vu son budget assez ridicule… Dans ces conditions, comment conserver
la cohérence de ce personnage ?
Benoît :D’abord, nous revisionnions souvent les rushes de ce que nous avions déjà tourné, car il y avait effectivement des périodes de creux ; nous restions parfois trois mois sans tourner ! Ensuite, avec Rémy, nous avons trouvé un truc, ne fût-ce que pour l’accent – car le personnage a un accent qui n’est pas vraiment identifiable –, nous avions défini des positions de la bouche pour le retrouver assez vite, en fait ! C’est cet accent qui m’a le plus ennuyé. Sinon, en ce qui concerne l’esprit – même du personnage, il est resté là en permanence.
Le fait que le film soit à très petit budget, est-ce que cela comporte aussi des avantages ?
Rémy :Oui, bien sûr, car nous sommes nos propres producteurs ! Ça, c’est très avantageux !
André :Le fait d’avoir pu arrêter le tournage… Nous n’avions pas d’argent, mais nous avions du temps, et comme nous étions nos propres producteurs, nous avions la liberté de faire ce que nous voulions ! Il n’y avait personne pour nous dire « Ça, ça ne va pas » ; nous n’avions de compte à rendre à personne, et ça, c’est plus précieux que tout ! Surtout pour ce genre de film ! Nous aurions eu un producteur, c’est sûr qu’il y a des séquences où il aurait dit : « Ça, non ! »
Certains moments dans le film sont d’un humour noir terriblement féroce… Vous allez jusqu’au bout
de l’humour noir avec des séquences d’un mauvais goût assumé… Vous êtes-vous demandé jusqu’où
on peut aller ?
Rémy :En fait, nous, on trouve que tout ce qu’on voit dans les reality-shows, « La nuit des héros » et tout ça, c’est beaucoup plus impudique…
Benoît :Oui, c’est beaucoup plus vulgaire que ce nous avons fait, je suis d’accord avec Rémy ! Et je trouve qu’on pouvait aller très loin parce que, dans la mesure où on prend un tueur pour faire un reportage sur lui, c’est déjà tellement absurde en soi qu’on pouvait le mettre dans des situations terribles et lui faire dire des choses énormes, puisque son métier, déjà en soi, est quelque chose d’énorme et d’impensable ! On ne laisse pas en liberté un mec qui tue froidement trente personnes ! Donc, on pouvait lui faire dire tout ce qu’on voulait et cela nous a permis naturellement d’aller très loin dans le sordide et le mauvais goût !
Le film a un côté surréaliste, tout comme votre aventure à Cannes : ce film n’a pas de producteur, n’a pas encore de distributeur en Belgique, c’est vraiment un ovni et il arrive dans une sélection assez prestigieuse sur la Croisette ! Ça mérite un petit mot d’explication…
Rémy :Eh bien, au moment du montage, nous avons rencontré des gens à Paris qui nous ont persuadés de tenter le coup et de nous présenter à « La Semaine de la Critique ». Là, le comité de sélection a tout de suite bien aimé le film… Après, ça a été très très vite ; nous avons dû finir le mixage à toute vitesse, nous étions sur les genoux… En arrivant, nous avons découvert les journalistes, les distributeurs…
Justement, comment décrire le parcours du combattant à Cannes ?
Benoît :Très éprouvant !
Rémy :Ah, ça fait deux jours que ça dure, et on est vannés !
Comment voyez-vous ce festival ? Comme une usine ou comme un rêve ?
Benoît :Ça a encore un aspect « rêve », mais, vu de notre côté, c’est quand même très difficile ! Il faut être blindé et avoir un foie en béton !
Quelques jours plus tard, délaissant brièvement la compétition officielle et le jury, présidé cette année-là par Gérard Depardieu, je fixe rendez-vous avec nos trois compères pour faire le point sur l’évolution de la carrière de leur film sur la Croisette. Je les retrouve au quartier général de « La Semaine de la Critique ». Ils ont le sourire aux lèvres, mais on sent la fatigue qui s’accumule…
Rémy :En fait, pour le moment, nous sommes complètement dépassés : entre les journalistes, les gens que nous rencontrons, les distributeurs étrangers qui s’intéressent au film… Nous avons déjà dû faire une bonne trentaine d’interviews…
Benoît :Télévision, presse écrite, radio… En plus, on court de droite à gauche : quand c’est pour la télé, on doit courir d’un hôtel à l’autre…
Rémy :Ce qui est marrant, c’est qu’il y a eu des émeutes pour rentrer dans les salles ! Elles sont archicombles, les vigiles doivent rentrer dans les salles…
Benoît :La réalité du film a dépassé la fiction : les spectateurs se sont battus pour rentrer !
André :Au fur et à mesure des projections, le nombre des spectateurs a augmenté. Et le deuxième jour, lors de la dernière projection, le soir à 22 h 30, ils ont refusé du monde.
Vous allez assister aux projections ?
Rémy :Non ! On a la trouille !
Benoît :Nous n’avons jamais le temps d’en voir une ! À la toute première, nous sommes sortis dès le début et, après, nous n’avons plus jamais eu le temps ! Nous avons assisté à la fin d’une projection parce qu’il y avait un « face au public » qui s’est plutôt bien passé, mais, sinon, on ne voit jamais les séances. Donc, s’il y avait une couille pendant celles-ci, on ne le saurait même pas.
Il y a beaucoup de critiques négatives, positives ? Comment est-ce que ça réagit ?
Benoît :On a une critique négative dansL’Humanité… C’est-à-dire qu’ils disent exactement la même chose que ce que les autres disent, mais ils n’aiment pas le film.
Rémy :Ils disent exactement ce qu’on dit dans notre film, mais ils ne le comprennent pas.
Benoît :Sinon, pour l’instant, on n’a que du positif.
Vous avez déjà vendu le film dans plusieurs pays ?
André :Dans quelques-uns, oui ! Mais bon, il y a encore pas mal de tractations en cours…
Rémy :Ce qu’on peut dire, c’est qu’on est invités au Festival de Tokyo.
Vous allez pouvoir vous acheter des gros cigares ?
Benoît :Mais nous avons déjà nos cigares ! Nous avions dit que nous les fumerions après Cannes ! Cigares, lunettes de soleil, femmes superbes à gros seins…
Rémy :… et panamas !
Benoît, il y a beaucoup de spectateurs qui se demandent si vous êtes vraiment un acteur, si vous avez l’accent de Ben le tueur dans la vie… Cette interview est l’occasion pour vous de mettre les choses au point !
Benoît :Ah oui, je n’ai absolument aucun rapport avec ce dérangé, avec ce « monstre » – comme l’a appelé une journaliste italienne ! Je pense que, si j’étais le monstre, elle ne me l’aurait pas dit en face !
Il y a vos mères qui jouent dans le film…
Vos mères sont au courant de votre parcours ici à Cannes ? Est-ce que vos mères ont vu le film ?
Rémy :Moi, ma mère a vu le film. Elle est même venue à Cannes pour le voir. Je crois qu’elle a été très surprise et qu’elle s’est souvent caché les yeux, quoi ! Elle a traité Benoît de salaud !
Conflit de générations ?
Rémy :En quelque sorte !
Benoît :Pour ma part, la mienne ne l’a pas vu, et maintenant, je vais bien être obligé de le lui montrer ! J’avais prévu au départ de ne pas le lui montrer, pensant que ça ne ferait pas trop de bruit, que ce serait une petite sortie discrète dans une petite salle en Belgique… Maintenant, avec tout le bazar qu’il y a autour de nous, c’est impossible que je lui dise : « Ne viens pas le voir ! » Donc, elle devra bien le voir… Au départ, nous avions pensé couper certaines scènes, l’édulcorer pour nos parents ; à présent, ce n’est plus possible !
Sincèrement, comment accueillez-vous le phénomène à Cannes ? Vous êtes contents, soulagés, anxieux ?
Rémy :En fait, c’est tout à la fois !
Benoît :Oui, c’est ça !
Rémy :C’est vraiment le stress ! Nous sommes contents, mais nous n’avons pas le temps de profiter, nous n’avons pas le temps de laisser décanter un peu… C’est fou !
André :Oui, parce que ça prend une telle ampleur… Quand nous allons quelque part, nous en entendons parler derrière notre dos ou dans d’autres langues…
Rémy :Parfois, on se fait insulter…
Benoît :Ou bien je me fais photographier à côté de quelqu’un qui tend son appareil à bout de bras ; on vient me féliciter dix fois en disant : « Vous êtes fous ! » Quelque part, c’est amusant, ça fait plaisir, on en a tous rêvé, mais, en même temps, ça fait très peur, on a parfois l’impression qu’ils n’ont pas vu le même film ! On se dit : « Ils vont peut-être se rendre compte que ce n’est pas le nôtre ! » Et puis non, c’est toujours le même titre, hahaha !
André :En fait, le film nous échappe. C’était un truc fait artisanalement, entre nous, pour rigoler…
Rémy :Comme carte de visite…
André :Oui, c’est ça, nous pensions que ça marcherait bien auprès des cinéphiles, mais là, ça nous échappe complètement, ce n’est plus nous qui nous en occupons, c’est dans les mains d’autres personnes…
Est-ce que, dans la manière de percevoir le film, il y a beaucoup de gens qui se rendent compte de la dimension caustique, de votre critique des reality-shows, ou bien il est plus souvent perçu comme une pochade, voire un film violent au premier degré ?
Rémy :Du côté des critiques professionnels, là, ils perçoivent assez vite – à partL’Humanité– la critique des reality-shows. Je crois, par contre, que, du côté du public, c’est moitié-moitié : il y a des gens qui ont du mal à l’avaler !
Benoît :Ce qui nous surprend beaucoup aussi, c’est que beaucoup de gens le voient – dont beaucoup de jeunes (on a fait la projection au Studio 13, avec le face à la presse, il y avait énormément de jeunes dans la salle) – et eux s’en foutent un peu de la critique de la télévision induite dans le film, ils le voient comme un truc où ils se fendent la gueule… Ils se disent : « Waw, enfin des gens qui osent ! »… Ils ne nous posent jamais des questions du style « Vous critiquez ceci ou cela », non, ils nous félicitent : « Bonne idée d’avoir fait ça ! Enfin quelque chose qui bouge ! » C’est plus le mouvement que représente le film que son fond qui plaît aux adolescents. C’est plutôt avec les adultes qu’il peut y avoir de la polémique.
André :Ce qui se passe, c’est que les gens rient beaucoup et ensuite, ils culpabilisent parce qu’ils réalisent de quoi ils ont ri ! La chaîne CANAL + est allée réaliser des micros-trottoirs à la sortie des salles et les gens avaient beaucoup de mal à dire : « Oui, j’ai rigolé », ils avaient du mal à l’admettre parce qu’ils avaient le sentiment de s’être un peu fait piéger.
Donc, ce qui fait la force du film, c’est d’abord son ambiguïté…
Rémy et André :Ah, c’est sûr !
Benoît :C’est ce qu’on voulait ! On ne voulait pas que le film soit simplement une parodie de la télévision avec un tueur. On voulait que ce soit comique et puis que ça bascule et que ça mette les gens mal à l’aise au moment où ça bascule ! Et là, on a réussi notre coup parce qu’il y a des gens qui sont favorables au basculement et puis d’autres qui ne l’acceptent pas du tout ; ils auraient préféré qu’on continue à rire… À la limite, ceux-là auraient demandé une suite : « Encore ! Encore ! Faites changer de pays à Ben ! », etc.
André :Or la violence et les scènes difficiles contribuent à la force du film et à son impact. Sans cela, il passerait beaucoup plus inaperçu, à mon avis…
Rémy :Oui, ce serait plus mou…
Est-ce que vous, comme spectateurs, il vous met parfois mal à l’aise ?
Benoît :Oui, moi, la scène du viol par exemple, je ne sais toujours pas la regarder ! Il n’y a rien à faire, d’autant que c’est moi, le violeur… Enfin, on passe tous dessus, mais j’ai toujours le sentiment que c’est moi le plus sale dans cette scène.
Rémy :On parle souvent du viol, on parle souvent du gosse, par contre, tout le monde semble accepter la scène du petit Grégory qui remonte en olive dans un cocktail… Or je trouve cette scène parfaitement ignoble et pourtant elle passe beaucoup plus facilement, c’est très bizarre !
Vous sentez parfois comme il est difficile
de commencer une carrière dans le cinéma avec un film aussi « à part » ? Parce que ce n’est pas un coup qui se réédite…
Benoît :Ça fait partie des choses qui font peur !
Rémy :Et le suivant, ce ne sera plus avec les mêmes moyens de production… À moins qu’on le veuille, quoi !
Dernière question : vous attendez le palmarès de la Caméra d’or avec impatience ?
Rémy :le mixeur du film nous a dit très justement que la Caméra d’or, ce serait la cerise sur le gâteau… Nous sommes déjà comblés, en fait !
Benoît :Nous sommes comblés, nous avons vendu le film, il est distribué, on va pouvoir le passer partout. Pour nous, c’est le plus beau succès que nous pouvions avoir : nous n’avions rien, et nous avons tout ça ! On va peut-être pouvoir en faire un autre sans problème… La Caméra d’or, oui, ce serait magnifique, mais nous n’y songeons pas trop, sinon, nous allons êtredéçus.
C’est arrivé près de chez vous ne remportera pas la Caméra d’or ; le prix du meilleur premier film du Festival de Cannes ira àMac de l’acteur américain John Turturro. Mais le film de Bonzel, Belvaux et Poelvoorde décrochera quand même le prix de la SACD, la célèbre société des auteurs. Et même si le film divise la critique, il fait d’ores et déjà partie des vraies sensations de ce « Cannes 1992 ». Le public belge doit attendre l’automne pour découvrir le film en salles. Histoire de varier les plaisirs, pour annoncer cette sortie par un nouveau reportage, je décide d’emmener Benoît Poelvoorde sur « les lieux du crime », autrement dit sur le décor extérieur d’une des premières scènes du film, celle où Ben se déguise en facteur…
La scène du facteur a été tournée ici
rue de la Tulipe, à Ixelles…
Le choix des lieux était indifférent
ou répondait à une raison précise ?
Ici, dans le cas présent, ça va vous paraître un peu décevant, car nous avions pris cet endroit-ci tout simplement parce que Rémy « kotait » à cinquante mètres, et comme c’est nous qui transportions le matériel et que nous le stockions chez Rémy, c’était beaucoup plus simple de choisir un endroit tout près de chez lui.
Sinon, le film a des allures de reportage,
mais tout était en réalité très préparé,
très pensé…
Ah oui, les gens ont du mal à le croire, mais c’était très préparé ! Il y a même eu des dessins préparatoires pour certaines séquences.
Cet ancrage dans Bruxelles lui donne une couleur particulière, selon vous ?
Moi je pense ! Mais il n’y a pas seulement Bruxelles, il y a Namur, il y a Mons… On adore les décors belges ; nous avons toujours vécu ici, nous avons fait nos études à Bruxelles, nous sommes nés à Namur, à Philippeville ou à Couvin, dans le cas de Rémy… Ce sont des décors qu’on connaît et qu’on apprécie ; c’était inutile pour nous d’aller les chercher dans des villes qu’on connaît moins bien, et puis je trouve aussi que ça répond à la réalité des gens et du personnage du film.
D’un point de vue plus personnel, est-ce que ce personnage de Ben le tueur est embarrassant à porter depuis que le film est sorti ?
Pas embarrassant, mais… C’est-à-dire que, depuis que le film est sorti, les gens n’arrivent pas à concevoir parfois qu’on a ÉCRITle texte ! Donc, quand on m’accoste dans la rue pour me demander si j’ai mon flingue, ou quand les gens rigolent avec moi s’attendant à ce que je sorte une grande phrase comme dans le film, comme si je les avais pondues comme ça, naturellement ! Et je ne trouve jamais de phrase suffisamment drôle pour qu’ils reconnaissent le personnage, ce qui fait qu’en général, ils sont déçus ! Ce n’est pas embarrassant, simplement, je suis plutôt ennuyé de ne pas être capable de répondre à ce qu’ils attendent de moi.
Est-ce que le film vous apparaît
aussi comme difficile pour une suite
de carrière ? Parce que le rôle
est tellement fort…
Non, ça ne me gêne pas… Quant à savoir si les gens vont me cataloguer dans un type de rôle ? Je ne crois pas, car j’ai déjà eu des propositions, et ce sont des rôles d’intello ou des trucs tout à fait cérébraux… Donc je ne crois pas que ça va me lier à des rôles d’action… Je n’ai pas vraiment le physique, je ne suis pas Mel Gibson !
Modèle déposé
1994
Le
détour
par le théâtre
Rapidement,C’est arrivé près de chez vousdevient un film « culte » auprès de la jeune génération ; certains spectateurs connaissent par cœur des répliques de Ben le tueur (« Cinéma, cinémaaa ! », « Gamin, reviens ! C’était pour rire »…) et attendent avec impatience de revoir Benoît Poelvoorde dans un deuxième film. Surprise ! C’est sur les planches qu’il décide de poursuivre son trajet de comédien. Début 1994, dans la ville universitaire de Louvain-la-Neuve, il monte un one-man-show intituléModèle déposé avec la complicité de Bruno Belvaux, le frère aîné de Rémy, et de Jean Lambert.
Petites lunettes rondes, cheveux coupés ras, engoncé dans un pull à col roulé et un imperméable couleur mastic, Benoît Poelvoorde est René Altrus, un chercheur qui s’installe dans un café pour y attendre sa femme. Très vite, René apostrophe les clients du café – autrement dit, les spectateurs dans la salle – pour leur confier son amertume : sa dernière invention, destinée aux aveugles, n’a pas remporté le succès escompté alors que sa femme Mélissa est en train de faire un tube avec un quarante-cinq tours intituléJe m’en vais… Un titre prémonitoire.
Je retrouve Benoît Poelvoorde dans sa loge à l’issue du spectacle, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
Tout le monde vous attendait sur les écrans dans un deuxième film et vous arrivez au théâtre avec, comme pour C’est arrivé près de chez vous, un projet totalement original sous forme de « one-man-show »… Comment s’est instaurée cette idée-là ?