Pour ne pas céder - Razika Adnani - E-Book

Pour ne pas céder E-Book

Razika Adnani

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Beschreibung

Pour ne pas céder, textes et pensées est un recueil de textes de Razika Adnani. Il rassemble le fruit de ses réflexions et travaux de recherche sur l’islam, son sujet principal, traite de questions de philosophie essentielles ainsi que de sujets de société… la promesse d’heures de réflexion et de consciences agitées !

La religion musulmane, Razika Adnani en analyse les défis pour les sociétés actuelles, avec la distance qu’exige la philosophie : argumentation et rationalité s’unissent pour étudier, comprendre, expliquer les débats et la crise qui agitent l’islam. Le tout est présenté avec une clarté qui permet au lecteur de saisir sans peine la complexité de sujets brûlants comme le voile, la raison, la liberté, la laïcité ou le terrorisme. Spécialiste des textes religieux et de l’histoire de la pensée musulmane, elle oriente son regard vers l’avenir en quête d’un destin commun pour l’Humanité et davantage de maturité.

Femme de convictions, elle ignore les modes et ne craint pas d’aller à contrecourant d’idées reçues. Positive, elle nous donne des clefs pour relever les défis d’un monde en ébullition.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Razika Adnani est écrivain, philosophe et islamologue. Elle débute sa carrière en tant que professeur de philosophie. Elle publie en 2001 et 2003 El Kafi fi el Falsafa, deux précis de philosophie destinés aux lycées, suivis chacun d’un dictionnaire de philosophie. En 2005, elle quitte l’enseignement pour se consacrer définitivement à la réflexion et à la recherche. En 2013, elle publie La nécessaire réconciliation, essai sur la question de la violence, de la relation à l’autre et à soi...Cet ouvrage a aussi été publié en France par Upblisher. Razika Adnani est aussi l’auteur de nombreux articles et la présidente fondatrice des Journées internationales de philosophie d’Alger.

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Razika Adnani

Pour ne pas céder

Textes et pensées

UPblisher.com

Les œuvres de Razika Adnani aux Éditions UPblisher

Ses essais(versions électronique et imprimée)

La nécessaire réconciliation2e édition 2017

Islam : quel problème ?Les défis de la réforme2017

Autres ouvrages de Razika Adnani

Laïcité et islam, mission possible ?(Entretiens avec José Lenzini : Razika Adnani, Jean-Louis Bianco, Latifa ibn Ziaten)L'Aube - France 2019

Le blocage de la raison dans la pensée musulmaneÉditions Afrique Orient - Maroc 2011

El Kafi fi el Falsafa, RaïhanaAlger 2004

El Kafi fi el Falsafa, RaïhanaAlger 2001

Textes et pensées

Pour ne pas céder, textes et pensées est un recueil de textes que j’ai écrits entre août 2010 et novembre 2020. J’ai commencé à les rédiger à une période où l’Algérie sortait d’un terrorisme islamique plus meurtrier et inhumain que jamais. Les deux derniers attentats à la voiture piégée qui ont secoué Alger ont eu lieu pas loin de chez moi. C’était le 11 décembre 2007.

J’étais à ce moment-là sur le point de terminer l’écriture d’un livre en langue arabe dans lequel j’analysais la question du blocage de la raison dans la pensée musulmane que les innombrables contradictions caractérisant le discours religieux m’avaient amenée à aborder. J’étais interpellée par le fait que les musulmans ne manifestaient pas la moindre gêne vis-à-vis de ces incohérences comme si leur faculté de discernement et de raisonnement était bloquée. J’ai voulu exposer les résultats de mes recherches dans un livre afin de permettre une prise de conscience de ce problème d’autant plus qu’écrire était le seul moyen de m’exprimer et de pouvoir construire une argumentation sans être interrompue, notamment lorsque le sujet était l’islam. En matière de religion, les Algériens se voulaient tous des savants et rares étaient ceux qui prenaient la peine d’écouter l’autre.

C’était une période particulière dans l’histoire de l’Algérie, car, si nous étions contents que l’Armée ait réussi à vaincre le terrorisme, nous avions très vite réalisé que le fondamentalisme avait gagné la société en profondeur et que le fanatisme galopait. J’ai eu le sentiment que la situation pressait alors que l’édition d’un livre prend toujours beaucoup de temps. J’ai décidé d’adopter un autre moyen d’expression plus rapide et capable de toucher le plus grand nombre de personnes. J’ai pensé écrire des textes courts dans lesquels j’aborderais des questions importantes sur l’islam et les publierais dans des journaux. Les articles sont dans la plupart des cas suscités par l’actualité. L’émotion que celle-ci provoque peut rendre l’esprit plus attentif et prêt à recevoir l’information. J’ai souhaité profiter de ces moments de concentration pour remettre en question certaines idées reçues et provoquer la réflexion concernant la religion musulmane et les sujets qu’elle soulevait et qui traversaient la société algérienne.

Mon intérêt pour l’islam, en tant que sujet de recherche, avait au départ un seul objectif : me protéger contre le fondamentalisme et son discours fanatique et obscurantiste qui se propageaient autour de moi comme une traînée de poudre ; nombre de mes amis, cousins et cousines, voisins et voisines, puis collègues et élèves étaient à tour de rôle emportés. Il fallait que je résiste à la pression qu’ils exerçaient sur la population. Il fallait que je trouve un moyen de ne pas céder à la confiscation de l’intelligence par ceux voulaient imposer leur vérité et refusaient à la pensée le droit de la discuter.

Le discours des islamistes me paraissait insensé et leurs arguments totalement absurdes. Cependant, ceux qui étaient pris dans leurs filets étaient imperméables à tout autre propos hormis celui de la religion. Parler philosophie ou science était, pour eux, hérésie et ignorance. Les plus gentils nous prenaient de haut. Il fallait être capable de leur répondre avec leur langage, celui de la religion, le seul qui pouvait les mettre en difficulté. Je me suis ainsi penchée sur l’islam. J’étais à la recherche de tout ce qui pouvait me permettre de contester et de contredire le discours fondamentaliste islamiste notamment lorsque j’étais en classe et qu’il était tenu par des élèves. Et plus j’explorais, plus je voulais connaître les raisons de la situation de la pensée qui font qu’elle ne détecte ni les erreurs ni les contradictions. L’état de la pensée des musulmans demeure au centre de ma réflexion.

Quand j’ai achevé la rédaction de mon ouvrage que j’ai intitulé Le blocage de la raison dans la pensée musulmane, j’ai décidé de ne pas me limiter à l’étude de l’islam et des questions qu’il soulevait. Je voulais parler encore de philosophie, m’exprimer sur l’art et l’histoire malgré le retour en force du religieux ; entre ceux qui voulaient imposer leur islam et ceux qui se défendaient, il y avait de moins en moins de place pour d’autres sujets. L’islamisme réussit dès lors qu’il s’empare de la pensée, l’habite et fait en sorte qu’elle ne pense qu’islam ou à travers l’islam. Je ne voulais pas céder à cette emprise sur l’esprit.

La violence était depuis plusieurs années une des questions qui me préoccupaient. Non seulement celle du terrorisme, mais encore la violence au quotidien. Les Algériens s’exprimaient avec une grande violence, qu’ils subissaient en même temps et qui leur provoquait d’énormes souffrances. Les contacts que j’ai eu la chance d‘avoir avec d‘autres cultures et d’autres populations m’ont permis de réaliser que ce n’était pas une fatalité et qu’il y avait même des sociétés où l’on pouvait sortir et se promener sans avoir peur pour sa sécurité notamment quand on était une femme. Pour moi, il n’y avait pas de doute, la violence s’exprimait là où l’humain manquait de maturité.

J’ai fini par consacrer au phénomène de la violence un ouvrage que j’ai intitulé La nécessaire réconciliation, une réflexion qui a pour objet la connaissance des causes permettant de couper son fil de transmission et ne plus céder à sa tyrannie. Cette réflexion m’a amenée à aborder d’autres thèmes qui sont tous liés à celui de la violence et l’expliquent, tels que la provocation, le beau, la modernité, les traditions, autrui, l’histoire et l’identité.

Le problème identitaire au Maghreb est fondamental et ancestral. Depuis des siècles, les peuples de cette partie du monde sous-estiment leurs origines, dénigrent leur histoire et préfèrent se dire Arabes et encore mieux prétendre avoir des liens de sang avec le prophète. Ce problème qu’on retrouve y compris au sommet des États, a non seulement beaucoup à voir avec le phénomène de la violence, mais il est aussi un des obstacles qui empêchent ces peuples de se construire. Je suis convaincue que la réconciliation des Algériens, tout comme des autres peuples du Nord de l’Afrique avec leur histoire et donc avec eux-mêmes est primordiale pour sortir leurs pays de leur blocage et ainsi pour vivre en harmonie avec les autres.

Plus je réfléchissais à toutes ces questions de société, plus je réalisais qu’elles convergeaient toutes vers celle de l’islam, ce qui n’était pas étonnant, étant donné qu’il organise tous les domaines de la vie des musulmans et détermine le fonctionnement des facultés intellectuelles de l’individu. Ainsi, s’affirmait l’idée que, directement ou indirectement, il était impossible d’envisager l’avenir d’une société où la religion musulmane était importante ou majoritaire sans penser l’islam.

Lorsque la France a été frappée en 2015 par un ensemble d’attentats et notamment celui contre Charlie Hebdo, j’ai été sous le choc, sidérée par l’ampleur de la violence et j’ai réalisé à quel point le pays était rattrapé par le fléau de l’islamisme et du salafisme. J’étais pourtant consciente qu’il était comme une vague qui avançait et que la France, où je vivais depuis février 2011, ne serait pas épargnée ; je constatais des changements dans les comportements y compris linguistiques.

Les différents experts qui se relayaient sur les chaînes de télévision et les ondes de radio pour expliquer aux Français que les fondamentalistes et les terroristes n’étaient que des victimes du problème d’intégration me révoltaient. Cette façon de vouloir trouver une légitimité au terrorisme et à l’obscurantisme et de les dissocier de leurs éléments historiques et théologiques, cette arrogance de vouloir dire : « ce qui se passe chez nous n’a rien à avoir avec ce qui se passe ailleurs » m’était inacceptable. Je me suis exprimée dans un ouvrage Islam : quel problème ? Les défis de la réforme pour expliquer les facteurs liés à l’islam : son histoire et la manière de le penser et de le concevoir qui font que cette religion pose problème aujourd’hui.

Mon premier article dans la presse française a été publié le 19 janvier 2015, quelques jours après les attentats meurtriers contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Il a été suivi de beaucoup d’autres. L’actualité française était rythmée par des questions liées à l’islam, notamment celle la laïcité, de la violence, de la liberté de conscience et d’expression et du port du voile.

Je n’ai pas cessé d’examiner dans mon esprit l’idée de la réforme de l’islam. J’ai écouté ceux qui disaient que la religion musulmane n’était pas réformable ou qu’une telle idée était une utopie et qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de tourner la page. J’ai compris parfaitement les raisons qui les poussaient à une telle affirmation et ce qui les avait amenés à quitter l’islam. Cependant, les musulmans qui quittent leur religion, cela a toujours existé y compris lors des premiers siècles de son histoire sans pour autant que cela ne règle les problèmes ou réponde aux questions que pose l’islam. Dans les sociétés musulmanes, les renégats soit gardent leur apostasie en secret, soit sont persécutés voire tués et, pour les plus chanceux, réussissent à quitter leur pays. L’acharnement des fondamentalistes et la ténacité des musulmans sont tels qu’ils font tout pour imposer leur vision de l’islam et empêcher toute sortie de l’individu des rangs de la communauté. J’écris cela en pensant fortement à mon élève qui m’avait confié en 2004 qu’il était persécuté par toute sa famille parce qu’il doutait de l’existence de Dieu.

Un autre élément à prendre en considération est le lien affectif qui existe entre les musulmans et leur religion qui fait qu’ils n’imaginent pas leur existence sans appartenir à l’islam. Ne pas leur proposer une autre façon d’être musulman qui soit cohérente avec leur époque et la modernité revient à affirmer que seule la version fondamentaliste et islamiste est recevable et les livrer ainsi au conservatisme et à l’obscurantisme. Comment peut-on envisager dans ce cas l’avenir de l’humanité vu le nombre très important de musulmans dans le monde ? Comment penser le futur alors que l’islam tel qu’il est conçu et pratiqué s’oppose à la liberté et l’égalité et qu’il ne peut exister qu’en les détruisant ? Les islamistes ont fait échouer le projet de modernisation des sociétés musulmanes, sans la réforme de l’islam c’est l’humanité qu’ils ramèneront des siècles en arrière.

Il y a évidemment beaucoup de personnes de culture musulmane, y compris celles vivant dans les sociétés à majorité musulmane, qui veulent vivre profondément dans leur époque et revendiquent la modernisation de leur société. Qui peut oublier les belles images des Algériens, des femmes et des hommes, marchant ensemble tous les vendredis pour réclamer une Algérie nouvelle et moderne ? J’en ai été plus que fière. L’inquiétude a cédé la place à la fierté était le titre du premier texte que j’ai écrit à ce sujet tout en étant consciente que ce beau mouvement portait en lui des éléments de fragilité et était surtout confronté à beaucoup de menaces. La première était celle des islamistes susceptibles de riposter comme ils l’ont toujours fait dans le passé ainsi que partout dans les autres pays musulmans où la population avait rêvé de liberté et d’égalité. Mes craintes n’ont pas mis beaucoup de temps à s’avérer légitimes.

Cependant, ce qui réconforte et donne de l’espoir c’est le nombre d’Algériens, comme c’est le cas dans d’autres pays musulmans, qui continuent de croire au changement et à la modernité et qui sont eux aussi dans la lutte pour ne pas céder à ceux dont l’esprit est prisonnier de l’Arabie du VIIe siècle.

Razika Adnani Paris, 31 janvier 2021

Islam

« Mohamed approchait de sa quarantième année lorsqu’il entendit pour la première fois l’appel divin. Selon la biographie traditionnelle du prophète, l’ange Gabriel lui apparut, une nuit du mois de ramadan, alors qu’il dormait solitaire sur le mont de Hira, et lui dit : « Récite » Mohamed hésita et dit finalement, après que, par trois fois, l’ange l’eut serré dans ses bras : « Que dois-je réciter ? » - « récite au nom de ton seigneur […] »

Bernard Lewis, L’islam

Islam en société

« Aujourd’hui, le mouvement intégriste reprend le flambeau de l’ancien conservatisme zitounien avec la même référence, la religion telle qu’elle était comprise il y a mille ans, les mêmes mots d’ordre : opposition à l’émancipation des femmes et à la modernisation de la société, attachement à l’arabité et renfermement culturel. Mais avec un autre type de dirigeants et d’autres méthodes d’action. »

Mohamed Charfi, Islam et liberté

Charlie Hebdo : face à la violence il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce

Dans un communiqué publié le mercredi 2 septembre, l’observatoire d’al-Azhar, la plus haute institution de l’islam sunnite, a réagi à la nouvelle publication des dessins de Charlie Hebdo qu’il a qualifiée de crime. Pour lui, les dessins portent atteinte au prophète de l’islam et exacerbent le ressentiment religieux des musulmans. Il exhorte la communauté internationale à prendre une position ferme contre les atteintes aux symboles sacrés de l’islam. Certes, le communiqué a condamné les attentats de 2015. Cependant, quel est l’intérêt de le faire s’il considère que cette nouvelle publication des caricatures est un crime et s’il attribue une légitimité au massacre ? Comment peut-on lutter contre la violence si l’on pense que le méchant c’est toujours l’autre et si l’on lui demande de renoncer, dans son propre pays, à ses valeurs comme condition pour une paix possible ?

Les manquements de l’institution religieuse

Quand on ressent le désir de changer et d’évoluer, on use de tout ce dont nous disposons pour trouver les arguments qui nous permettent de le faire.

À travers ce communiqué, l’observatoire d’al-Azhar n’exprime aucun effort dans le sens d’apaiser les esprits. Sinon, il aurait dit aux musulmans que recourir à la violence pour défendre leur prophète ne s’imposait pas s’ils étaient convaincus de ses qualités. Il aurait pu leur dire que ces caricatures ne pouvaient pas ébranler leur foi ni leur donner le sentiment d’être menacés s’ils étaient sûrs de leurs sentiments pour le prophète. Il aurait pu leur dire qu’il ne s’agissait pas d’une attaque contre l’islam, car Charlie caricaturait les trois religions monothéistes.

Il aurait pu, en tant qu’institution religieuse, aller plus loin pour dire aux musulmans qui les écoutent qu’ils n’auraient pas à défendre le prophète, car c’est Dieu qui le protège comme le précise le verset 196 de la sourate 7, les Murailles : « Mon protecteur (walii) est Dieu ». Walii signifie mon allié, mon protecteur selon les commentateurs, tels qu’al-Kortobi et al-Tabari. Il en est de même pour le Coran. Le verset 9 de la sourate 15, la Vallée des pierres, déclare : « Nous avons fait descendre le rappel (le Coran) et c’est nous qui le protégeons ». Pourquoi les institutions religieuses ne mettent-elles pas ces versets en avant pour tenir un réel discours de paix et contrer la violence ? Certes, il y a d’autres versets qui incitent à la violence. Cependant, quand on est dans une posture de paix et d’amour de son prochain, quand on ressent le désir de changer et d’évoluer, on use de tout ce dont nous disposons pour trouver les arguments qui nous permettent de le faire.

Les institutions religieuses auraient pu rappeler le verset 105 de la sourate 5 recommandant clairement à chaque musulman de s'occuper, avant tout, de ses propres affaires : « Ô les croyants  vous êtes responsables de vous-mêmes celui qui s’égare ne vous nuira point si vous vous avez pris la bonne voie ». Elles auraient pu l’utiliser comme appui pour appeler les musulmans à respecter le principe de la liberté individuelle, dont fait partie la liberté d’expression.

Le problème, c’est que ce verset fait partie de ceux que les musulmans ont négligés ou abrogés. Ils ne l’ont pas supprimé du Coran, mais ils n’en parlent pas et ne s’y réfèrent pas, car il s’oppose à d’autres versets et à d’autres règles telle celle recommandant de « dénoncer le mal et ordonner le bien » qui est à l’opposé de la notion de la liberté individuelle. Le discours religieux préfère même le hadith du prophète dans lequel il aurait recommandé à chacun d’intervenir s’il voit le mal pour le changer avec la main, ou avec la parole sinon avec le cœur, et c’est le degré le plus faible de la foi.

Islam et modernité

Cependant, une question se pose, s’il s’agit d’un choix, pourquoi alors ne pas faire aujourd’hui d’autres choix ? Pourquoi les musulmans ne choisissent-ils pas les versets qui leur permettraient de vivre en accord avec les valeurs de la modernité et en bonne harmonie avec les autres ? Même si cela nécessite de les réinterpréter à l’aune des nouvelles valeurs. Pourquoi ne déclarent-ils pas l’abrogation des versets qui posent problème étant donné que cette pratique est connue en islam ?

La modernité dont la liberté d’expression est un fondement est certes née en Occident, mais elle est un acquis de l’humanité, un signe de son évolution et de sa maturité. C’est donc aux adeptes de l’islam d’aller vers cette modernité au lieu de demander aux autres d’y renoncer.

Mon propos a comme objectif de démontrer que le problème réside moins dans les textes que dans le manque total de volonté dans le discours religieux de changer ou d’évoluer. Aucun texte ne peut obliger une personne à tuer si elle ne veut pas tuer. L’être humain est capable d’être le maître de ses actes. Ainsi, si les adeptes de l’islam avaient le désir, car la volonté naît du désir, de réformer l’islam et d’adapter leur discours et leurs comportements aux nouvelles circonstances et aux valeurs universelles, ils auraient trouvé des éléments qui leur permettent de légitimer leur démarche y compris au sein du Coran.

Face à la violence, il ne suffit pas d’affirmer que l’islam la dénonce. Il faut reconnaître l’existence de textes qui y appellent pour ensuite les déclarer caduques. Il ne suffit pas non plus de demander aux musulmans de France d’ignorer les caricatures de Charlie comme l’a fait le CFCM. C’est certainement une façon d’agir importante pour éviter les actes de violence. Cependant, il faut d’adhérer au principe de la liberté d’expression comme valeur dont le droit au blasphème fait partie. Y adhérer ne signifie pas être d’accord sur tout ce qui se dit ou se fait, ce serait aller à l’encontre de cette même liberté, mais défendre la liberté d’expression pour que tous puissent exprimer leurs idées. La liberté d’expression, c’est l’affrontement des idées et non des personnes.

Des obstacles psychologiques forts qu’il est nécessaire de dépasser

Qu’est-ce qui empêche ce désir de se faire sentir ? Est-ce la crainte que l’adhésion à la modernité signifie la reconnaissance de l’Occident comme porteur de valeurs alors que le discours religieux s’est construit depuis plus d’un siècle sur sa diabolisation ? Est-ce parce que cela comporte le risque d’anéantir chez les musulmans un autre désir qui consiste à répandre l’islam, ce qui compromettrait l’idée que toute l’humanité à la fin des temps deviendrait musulmane ? Est-ce parce que la pensée est incapable de s’émanciper du passé ? Ce sont en effet des obstacles psychologiques forts qu’il est nécessaire de dépasser.

10 septembre 2020

Des violences à cause de la « sourate corona », le Coran n’interdit pourtant pas l’imitation

Deux jeunes filles, une Algérienne, Sanaa Bendimerad, et l’autre Tunisienne, Amna Chargui, sont menacées de violence et de mort par plusieurs individus sur les réseaux sociaux pour avoir partagé un texte qui porte le titre de « sourate corona » dont elles ne sont pas les autrices.

Pour leurs agresseurs le texte en question est une atteinte au Coran. Or, sa lecture permet de constater qu’il ne s’agit en aucun cas d’une déformation d’une sourate ou d’un verset coranique. Il évoque le coronavirus et comment s’en protéger, un sujet qui n’a rien à avoir avec le Coran. En aucun moment dans le texte, Dieu, le prophète, le Coran ou les musulmans ne sont mentionnés. Le texte n’est pas non plus attribué à Dieu. On ne peut donc pas parler d’atteinte à Dieu ou de diffamation du livre fondateur de l’islam. En revanche il a repris les codes du texte coranique et son style littéraire, ce que certains ont considéré comme une imitation du Coran, donc une violation de sa sacralité.

Le Coran n’interdit pas l’imitation de ses sourates ou de ses versets

Même si l’on considère qu’il s’agit réellement d’une imitation des sourates du Coran, celui-ci n’interdit pas de le faire. Bien au contraire, il exhorte dans plusieurs versets le prophète à demander, dans une forme de défi, aux non-croyants d’essayer de formuler ou d’imiter ses sourates. Pour le Coran, cela leur permettra de se rendre compte de l’inimitabilité des textes coraniques et sera pour eux une preuve de leur erreur et de la véracité du message coranique.

Parmi ces versets, nous pouvons citer le numéro 88 de la sourate 17, Voyage nocturne : « Dis même si les humains et les djinns s’unissaient pour obtenir un Coran pareil ils ne le pourraient même s’ils se soutenaient les uns les autres ». Le numéro 23 de la sourate 2, la Vache : « Si vous doutez de la véracité du message que nous avons révélé à notre serviteur donnez en une sourate semblable et faites venir vos témoins autres que Dieu si vous êtes véridiques ». Le verset 38 de la sourate 10, Younes : « S’ils disent quand même il l’a inventé dis apportez donc une sourate qui lui soit semblable et invoquez qui vous pouvez en dehors de Dieu si vous êtes véridiques ». Le verset 13 de la sourate 11, Houd : « Ils diront il l’a inventé dis-leur apportez seulement une dizaine de sourates semblables et demandez l’aide de qui vous pouvez en dehors de Dieu si vous êtes véridiques ».

Ainsi, le Coran invite à l’imitation des sourates comme un chemin qui mène à davantage de réalisation de son message. Le dogme de l’inimitabilité (iadjaz) du Coran n’a été établi qu’au IXe siècle et l’histoire de l’islam n‘est pas dépourvue de textes qui imitent les sourates du Coran et son style. Certains sont connus comme la sourate de « l’éléphant » et celle de la « grenouille » et sans doute le plus célèbre de notre époque est celle du cheikh el-Arifi qu’il a intitulée « la sourate la pomme ». Ce dernier est pourtant un prédicateur qui continue de s’adresser aux musulmans.

Une question se pose donc : si le Coran n’interdit pas l’imitation ou la tentative d’imiter une sourate coranique et que bien au contraire il invite à le faire, pourquoi les musulmans considèrent-ils cela comme une offense à l’islam ? D’aucuns pourront dire que le Coran a permis une telle chose uniquement aux non croyants alors que ces deux jeunes filles sont censées être des musulmanes. De ce fait, celui qui le fait est considéré comme apostat. Dans ce cas, ce n’est pas l’imitation du Coran qui pose problème mais l’apostasie, autrement dit la liberté de conscience. Sur ce sujet, il y aurait aussi beaucoup de choses à dire. La première qui est à souligner, lorsqu’on aborde la question de l’apostasie, est le nombre de versets attestant la liberté de croire ou de ne pas croire.

Les musulmans et la liberté de conscience

Cependant, les musulmans ont décidé que cette liberté de conscience ne devait concerner que les non musulmans qui sont libres d’adhérer à l’islam ou de ne pas y adhérer. Ainsi, le principe coranique souvent mis en avant : « il n’y a pas de contrainte dans la religion » ne concerne finalement pas les musulmans, qui n’ont pas le droit de quitter leur religion au risque d’être accusés d’apostasie. Cela explique pourquoi les lois dans les pays musulmans stipulent la garantie de la liberté de conscience, mais interviennent pour punir les individus au nom de la violation du sacré.

Les « docteurs » de la religion expliquent cela par le fait que l’apostasie nuit à la communauté musulmane. Le Libanais Mohamed Hassan al-Amine affirme à ce propos que « l’athéisme n’est pas puni par la charia, ce qui est puni c’est le fait de l’exprimer ». Le problème est donc moins un souci de foi ou de respect du Coran mais plutôt de politique qui veut veiller à ce que tous les membres de la communauté aient les mêmes comportements. Selon cette logique, la personne n’a pas à avoir peur de Dieu, mais de celui qui dispose de l’autorité politique ou sociale. Les individus peuvent donc faire semblant d’être musulmans, être hypocrites à leur aise sans que cela ne dérange, tant qu’ils ne gênent pas la communauté. C’est un phénomène qui est très répandu dans les sociétés musulmanes.

On en déduit donc que la conception que les musulmans ont de l’islam et leur manière de le pratiquer répondent à leurs valeurs morales et sociales et à leur conception de la société et de la politique. Pour cela ils ont, d’une part, interprété les textes selon ces critères socio-politiques et, d’autre part, mis en pratique ceux qui les intéressaient en négligeant d’autres. Par exemple, pour justifier et légitimer la violence, ils mettent en avant des versets du Coran tel le numéro 33 de la sourate 5, la Table servie : « La seule récompense à ceux qui font la guerre à la religion de Dieu et à son prophète et qui provoquent le désordre sur terre est qu’ils soient mis à mort ». En revanche, ils négligent le verset 125 de la sourate 16, les Abeilles, invitant à l’échange et à la discussion : « Discute avec eux de la meilleure façon car ton Seigneur est très au courant sur celui qui a perdu son chemin comme il est le plus informé sur ceux qui ont pris le droit chemin », et le verset 105 de la sourate 5, la Table servie, recommandant à chacun de s’occuper de ses propres actes : « Ô les croyants vous êtes responsables de vous-mêmes celui qui s’égare ne vous nuira point si vous, vous avez pris la bonne voie ».

Sacralité du Coran et sacralité de l’humain

Le fait que la police soit intervenue en Algérie pour se saisir de l’affaire de la publication de la « sourate corona » et qu’en Tunisie la brigade de la protection sociale ait convoqué Amna pour l’interroger sur le sujet signifie que dans ces deux pays, au lieu de veiller à la sécurité des individus et notamment lorsqu’ils subissent des violences, l’État protège la sacralité d’un texte religieux. Au lieu que les individus soient égaux devant la loi, celle-ci se met au service d’une catégorie de la population qui revendique un islam conservateur. Le problème se pose en réalité dès lors que l’État se présente comme protecteur de la religion, car cela implique immédiatement : quelle religion ? Et quel islam ? Étant donné qu’au sein de la société il y a plusieurs religions et plusieurs islams.

Or, le premier article de la constitution algérienne précise que l’Algérie est une République et de même pour la Tunisie. Cependant, l’Algérie précise dans l’article 2 que l’islam est la religion de l’État et la Tunisie affirme dans l’article 1 de sa constitution que l’islam est sa religion et dans l’article 6 que l’État protège la religion. Ces ambiguïtés au sein des institutions de l’État de beaucoup de pays musulmans sont dues au fait que les musulmans n’arrivent pas à séparer la religion de la politique. Or, soit l’islam est une politique et à ce moment-là il tombe dans le domaine du profane et l’État n’intervient plus pour punir au nom de la sacralité du texte coranique. Soit il est une religion alors il faut le séparer de la politique.

Pour conclure, il est important de rappeler que le Coran est certes sacré pour les musulmans, ce que personne ne remet en question. Cependant, au XXIe siècle, la vie de l’être humain, sa liberté d’expression et de conscience sont également sacrées pour tous.

14 mai 2020

Le problème que pose l’islam n’est pas uniquement une question d’interprétation

L’une des idées qui revient très souvent chez les intellectuels musulmans qui veulent se démarquer des fondamentalistes est celle qui nie toute responsabilité aux textes dans les problèmes que pose l’islam dans les sociétés actuelles. Pour eux, ces problèmes sont dus aux interprétations erronées ou médiévales qui n’ont pas évolué.

Ce discours, séduisant pour beaucoup de musulmans, présente le commentaire comme le seul responsable d’un sens dérangeant et nie ainsi au texte son rôle dans le commentaire qu’ils présentent comme totalement dépendant de la subjectivité du commentateur, contrairement aux littéralistes qui nient le rôle du lecteur et croient obtenir un commentaire tout-à-fait objectif.

Or, la pratique herméneutique ou l’acte d’interpréter est un processus intellectuel qui se réalise entre deux acteurs qui sont le lecteur et le texte. Exclure le rôle du texte, revient à dire qu’on est devant un autre texte qui ne peut être qualifié de commentaire. Dans le commentaire, on ne peut certainement pas nier le rôle du lecteur, mais on ne peut pas non plus nier le rôle du texte. Concernant l’islam, croire à une telle idée signifie que ce que les musulmans connaissent de leur religion et pratiquent n’a rien à avoir avec l’islam qui est dans les textes.

En islam, les règles de la charia sont celles qui posent davantage de problèmes. Les premiers juristes ont œuvré à un travail d’interprétation pour mettre en place ce corpus législatif mais ne l’ont pas inventé. L’idée que les textes coraniques ne représentent aucun problème implique que les musulmans doivent, sans se poser aucune question, appliquer leurs recommandations non seulement à l’époque actuelle mais également à celles à venir. Cela revient à dire placer le Coran, encore une fois, en dehors du temps et affirmer ainsi la théorie du Coran incréé. Or, le Coran atteste avoir parlé aux Arabes qui l’ont réceptionné avec le langage qu’ils comprenaient : « Nous n’avons envoyé aucun messager qui n’ait parlé la langue de son peuple afin de les éclairer […] », (verset 4 de la sourate 14, Abraham) ; le Coran lui-même affirme que son message s’inscrit dans son époque.

Les néo-islamistes

Cette position qui considère que seules les mauvaises interprétations posent problème est répandue chez certains musulmans qui se veulent favorables au changement et même à la modernité. Cependant, ils prétendent que tout ce qu’ils revendiquent est issus de l’islam et précisément des textes. Ces modernistes islamistes, dont le nom le plus connu est celui de Mohamed Shahrour (1938-2019) se sont finalement égarés dans des interprétations et contre interprétations interminables.

Cependant, leur discours a trouvé beaucoup d’échos chez les néo-islamistes. Ils l’utilisent, sans être forcément intéressés par une quelconque réinterprétation, pour se démarquer des islamistes traditionalistes tout en ayant le même objectif : construire un État soumis aux règles de la charia. Pour rassurer les musulmans épris de changement, ils leur répètent qu’il « faut avoir peur des mauvaises interprétations de l’islam, mais pas de l’islam en lui-même ».

Ainsi, si les néo-islamistes prétendent être pour la démocratie et même pour l’égalité et la liberté, cela n’est pas suffisant pour les considérer comme des modernistes qui sont aptes et prêts à construire un État démocratique et moderne ; beaucoup d’Algériens en rêvent aujourd’hui. Ils usent certes d’une terminologie nouvelle, mais leur vision de la société ne va pas au-delà des paroles et des jolis mots. La preuve en est que, dans la « Déclaration Islamique Universelle des droits de l’homme » de 1981 ou celle de 1990, non reconnue par l’ONU, les droits de tous à l’égalité et la liberté sont rappelés, mais… en précisant toujours que cela doit s’exercer dans les limites de la charia alors que celle-ci est fondée sur le principe de l’inégalité et ne reconnaît aucune liberté à la personne. Beaucoup d’intellectuels algériens sont dans ce double discours qui crée une confusion intellectuelle responsable en grande partie de l’impasse politique dans laquelle se trouve notre pays.

La crise politique que traverse l’Algérie depuis 1962 est certainement due à une mauvaise gestion de la chose politique. L’utilisation de la religion dans le domaine politique au point de ne pas pouvoir distinguer le discours religieux du discours politique fait partie de cette mauvaise gestion de la politique. Les Algériens n’ont pas d’autre choix. Soit ils reconnaissent la dimension historique des textes coraniques, acceptent que les règles de la charia, conçues au VIIe siècle, ne sont pas compatibles avec leur époque et admettent que le rôle de la religion n’est pas de gérer les affaires de l’État, soit ils préfèrent nier le problème et ainsi non seulement ils ne le régleront jamais mais ils le compliqueront davantage. Ils continueront à rêver d’une nouvelle Algérie qu’ils ne réaliseront jamais.

30 avril 2020

Ce coronavirus qui accule le discours religieux

Le coronavirus s’est invité dans le monde sans prévenir. Il a bouleversé tous nos systèmes et a transformé notre vie. Les incertitudes se multiplient et les questions tourmentent les esprits. Comment demain sera-t-il fait ? Comment sera notre façon de faire l’économie et la politique, notre relation à la nature, à l’autre, à notre corps et à la vie. Les chamboulements sont nombreux et les discours religieux n’ont pas été épargnés. Ils ont vu eux aussi leurs dogmes bouleversés. Concernant les musulmans, tout semblait pourtant se dérouler comme ils le souhaitaient. Ils ont fait échouer le projet de modernisation des sociétés musulmanes lancé à fin du XIXe siècle. Le retour aux traditions est spectaculaire et la prédominance de la pensée religieuse dans tous les domaines est frappante. De plus en plus, les musulmans ne parlent qu’islam et ne pensent qu’à travers la religion et le phénomène se répand même en Occident.

Parmi les éléments sur lesquels a misé le discours religieux et qui se retrouve très secoué par le coronavirus, il y a la diabolisation de l’Occident. Pendant presque un siècle et sans relâche, les conservateurs et les islamistes, pour imposer leur discours et leur vision du monde, ont présenté l’Occident, sa culture et ses valeurs comme néfastes. Le principe de liberté, et notamment la liberté de penser et la valorisation de la raison, sont les causes premières de cette présentation négative de la civilisation occidentale. Pour le discours religieux tout acte de penser en dehors des cadres tracés par l’islam est synonyme d’incrédulité.

Une autre idée importante sur laquelle est fondé le discours religieux est celle de Dieu. Un Dieu qui surveille les comportements des femmes et des hommes, châtie les mécréants et intervient dans le monde en balayant le principe de causalité et toute rationalité. Ce discours a eu beaucoup d’impact sur les populations musulmanes influencées par le mysticisme notamment d’al-Ghazali (1058-1111) pour qui le médicament n’est pas la cause de la guérison, car Dieu peut guérir la maladie sans médicament comme il peut ne pas la guérir malgré la prise du médicament. Dans les sociétés maghrébines d’aujourd’hui, la superstition et l’esprit mystique n’ont épargné aucun domaine. Il arrive même qu’un médecin conseille à ses patients la « médecine parallèle » comme la rokya ou la hidjama. Le discours religieux a réussi à faire triompher la foi sur la raison, la superstition sur l’esprit scientifique, les traditions sur la modernité, le passé sur le présent et l’avenir.

Les religieux jamais trouvés en pareille difficulté

La première secousse que le coronavirus a provoquée a concerné les mosquées. Une fois fermées, les populations ont regardé autour d’elles et c’est le choc. La très grande majorité des pays musulmans ne possèdent pas d’hôpitaux capables de faire face à la pandémie et aucun ne dispose de centres de recherche qui puissent donner l’espoir de trouver un traitement pour vaincre le virus. Les Algériens qui ont investi, pendant presque 60 ans, dans la construction d’innombrables mosquées pour que Dieu soit satisfait d’eux et dans l’attente d’avoir des hassanates dans l’au-delà, se sont interrogés sur l’intérêt pour un pays d’avoir autant de mosquées s’ils n’ont pas d’hôpitaux pour soigner leurs malades et de centres de recherche pour trouver des remèdes ? Quel est le but de vouloir être bon envers Dieu si on n’est pas capable de soulager la souffrance de l’humain ni de sauver sa propre vie ?

Les regards se sont alors tournés vers l’Occident. Celui-ci tant diabolisé par le discours religieux est devenu le sauveur, celui qui est apte à donner de l’espoir pour combattre le coronavirus ; leur vie et celle de leurs proches en dépendent. La Covid-19 a valorisé la civilisation occidentale et par la même, il a réhabilité la raison et la liberté. Cette civilisation rejoint par la Chine désormais.

Les fondamentalistes ont crié au scandale. Ils ont exigé que les mosquées restent ouvertes. Certains ont voulu convaincre que, si le coronavirus tue, la mosquée est le meilleur endroit pour mourir. Pour d’autres, elle est le lieu où il faut implorer Dieu pour les sauver de la maladie. Cependant, les populations qui suivent l’actualité du monde sont conscientes du danger et ne veulent plus les écouter. Elles jugent leurs propos en déphasage avec ce que la situation sanitaire exige. Le fait que le coronavirus soit une pandémie et que de grands scientifiques et des spécialistes de médecine se penchent dessus pour trouver un médicament ou un vaccin pour le combattre, a fait oublier à beaucoup d’entre-deux les pratiques de la superstition, la rokya et la hidjama. Comme si subitement et devant le spectre de la mort, ils réalisaient l’intérêt de la science et du principe de causalité.

Certains qui sont dans la pratique rigoriste sont sortis implorer Dieu dans les rues pour le remettre au centre de la vie des croyants craignant que la science l’ait bousculé ; la façon avec laquelle ils criaient indiquait paradoxalement qu’ils manifestaient leur impuissance devant un virus qui les décrédibilisait. Hani Ramadan, quant à lui, a sorti la grande artillerie. « C’est la fornication et l’adultère qui ont créé le coronavirus », a-t-il déclaré selon Le Point. Le frère de Tariq Ramadan a ajouté une bourde qui laisse sceptiques même les plus pieux : pourquoi Dieu qui intervient pour mettre de l’ordre dans le monde ne met-il pas de l’ordre dans ses propres actes afin de ne pas frapper sans distinguer entre les coupables et les innocents ? Si Dieu a réagi pour punir une société occidentale dépravée, pourquoi la maladie ne s’arrête-t-elle pas aux frontières des pays musulmans ? Pourquoi frappe-elle au sein de la grande mosquée de la Mecque ou la Mosquée Sacrée ?

Comme pour les autres religions, les conservateurs musulmans peinent à convaincre même les plus attachés à la religion. La Covid-19 ébranle leurs idées et leurs certitudes ; le choc qu’il est en train de produire n’est pas uniquement sanitaire.

Le coronavirus est-il capable de changer la trajectoire de l’histoire des musulmans ?

Peut-on croire à un coronavirus capable de changer la trajectoire de l’histoire des musulmans comme l’a fait l’arrivée de Bonaparte en Égypte à la fin du XVIIIe siècle ? Elle a suscité le surgissement de la Nahda ou l’âge libéral selon Albert Hourari qui a, en très peu de temps, transformé le monde arabe et le monde musulman. La prise de conscience que ce virus a suscitée est-elle suffisante pour réaliser ce que Abou Zayd, Arkoun et Nawel el-Sadaoui et beaucoup d’autres qui ont passé leur vie à lutter contre l’obscurantisme islamique n’ont pas réussi ? La Covid-19 sera-t-il le pont qui permettra à la Nahda de poursuivre son chemin ?

Ce sont des questionnements qui sont très intéressants et séduisants. Cependant, si les religieux, non seulement en islam, sont mis en difficulté, ils ont décidé de ne pas baisser les bras. Ils sont dans une coriace course pour retourner la situation à leur profit.

Dans les pays musulmans, les islamistes et les fondamentalistes ont toujours su profiter des détresses politiques et sociales des peuples et de la faiblesse des États pour s’imposer. Ainsi, lors des défaites des armées arabes contre Israël en 1967 et en 1973, ils ont bien su, notamment les Frères musulmans en Égypte, comment utiliser le sentiment d’humiliation des populations pour les attirer vers leur cause. Le discours religieux dispose également de beaucoup de réserves psychologiques et historiques.

Au Maghreb, l’excès de zèle dans la pratique de l’islam que l’historien et sociologue ibn Khaldûn avait déjà souligné au XIVe siècle comme un critère chez des Berbères n’a pas disparu et continu d’orienter les comportements. La preuve en est que les fondamentalistes sont sortis implorer Dieu dans les rues de Fès, Tanger et Oran. Sans oublier qu’en cas de grande catastrophe sanitaire le risque existe que les individus se réfugient davantage dans la religion pour se réconforter. Pour que le coronavirus puisse changer la trajectoire de l’histoire du Maghreb où cette prise de conscience est, paradoxalement, fortement ressentie, il est indispensable qu’elle soit suivie de décisions politiques capables de créer les conditions favorables au développement de l’esprit critique, de l’intelligence et la raison.

La Nahda n’aurait jamais eu lieu sans Mohamed Ali (1760- 1849) vice-roi d’Égypte qui a décidé de moderniser son pays. Il faut que l’État en tant qu’institution soit le premier à s’affranchir du discours religieux pour pouvoir lutter contre le déclin de la pensée et permettre à l’humain de sortir de sa minorité selon l’expression d’Emmanuel Kant.

13 avril 2020

L'affaire Mila, une défaite pour la République

Mila, une jeune fille de 16 ans, a été harcelée par des menaces de violences et de mort parce qu’elle a critiqué l’islam. C’est inacceptable mais aussi très inquiétant. Les jeunes qui ont proféré ces menaces sont des Français. De jeunes Français pensent donc que l’islam, leur religion, prime sur les valeurs et les lois de la République qui garantissent la liberté de s’exprimer et de blasphémer. En appelant à la violence et au meurtre, ils veulent se faire justice eux-mêmes et ainsi se substituer au droit. Le problème est plus grave encore étant donné que des non-musulmans trouvent que Mila mérite ce qui lui arrive, car elle a provoqué par ses propos. De plus en plus la provocation revient dans les discours pour justifier les agressions et les violences. Ainsi, certains trouvent normal que la liberté de s’exprimer soit bafouée ou que les individus se substituent à la justice et que chacun punisse lui-même celui qu’il estime lui causer du mal. Voilà pourquoi cette affaire n’est pas seulement une menace contre Mila, elle est également une menace contre la République.

L’influence fondamentaliste

Quand bien même Mila aurait commis une erreur ou offusqué certains, dans une société civilisée les individus ne punissent pas les autres individus. Personne n’a le droit de tuer ou d’appeler au meurtre parce qu’il n’apprécie pas ce qui se dit ou se fait. Cela n’empêche pas d’exprimer son désaccord, de critiquer ce qu’on n’aime pas à condition que cela se fasse dans le débat argumenté et l’échange fondé sur le respect de l’autre. Cela n’empêche pas non plus de dénoncer ce qu’on considère comme injuste, de saisir même la justice tout en laissant la loi faire son travail.

Dans une société, les individus n’ont jamais tous les mêmes goûts, les mêmes intérêts, les mêmes convictions ni les mêmes idées. Si tout ce qui provient de l’autre et qui ne nous plaît pas est considéré comme une provocation cela revient à dire que vivre en société, c’est être constamment en situation de provoquer ou d’être provoqué. « Si la provocation justifie la violence, le monde dans lequel nous vivons sera un monde de violence de tous contre tous. »[1]

Le problème réside donc moins dans les textes que dans ce qu’on en fait

Les jeunes qui croient qu’il est permis de violenter ou de tuer une personne parce qu’elle a critiqué leur religion sont influencés par un discours fondamentaliste qui prône des normes d’organisation sociale remontant au VIIe siècle, une époque où les valeurs sociales et politiques modernes n’étaient pas connues. Dans tous les pays où le fondamentalisme islamique et islamiste s’est installé, sa stratégie a consisté à affaiblir le droit et le faire reculer pour imposer sa propre loi.

Le fondamentalisme islamique et islamiste menace les fondements de l’État moderne. Hier, il a fait échouer le projet de construction d’États modernes dans les pays arabes et au Maghreb. Ce qui s’est passé avec Mila, et avant elle Hugo et beaucoup d’autres, révèle l’ampleur de l’influence de ce courant dans la société française ; la République et par la même la modernité sont mises à mal. Le phénomène touche notamment l’école qui n’arrive plus à transmettre les valeurs de la modernité et de l’humanisme, principes de la République. Le discours religieux met en avant des versets du Coran qui appellent à la violence tel le verset 33 de la sourate 5, la Table servie : « La seule récompense à ceux qui font la guerre à la religion de Dieu et à son prophète et qui provoquent le désordre sur terre est qu’ils soient mis à mort », ou encore le verset 191 de la sourate 2, la Vache : « Tuez-les où que vous les rencontriez et chassez-les d’où ils vous ont chassés l’association est plus grave que le meurtre ».

En revanche, il néglige le verset 125 de la sourate 16, les Abeilles, invitant à l’échange et à la discussion : « Discute avec eux de la meilleure façon […] », et le verset 105 de la sourate 5, la Table servie, recommandant à chacun de s’occuper de ses propres actes : « Ô les croyants Vous êtes responsables de vous-mêmes Celui qui s’égare ne vous nuira point si vous vous avez pris la bonne voie ». Ce choix est déterminé par la relation que ses adeptes entretiennent avec l’autre et la représentation qu’ils se font de lui. Dans une culture où l’autre est respecté, où sa dignité et sa liberté de s’exprimer sont des valeurs incontournables, on ne peut que choisir les derniers versets. En revanche, dans celle où l’autre n’a aucune valeur, où il est un ennemi méritant tous les mauvais traitements, on choisit inévitablement les premiers. Le problème réside donc moins dans les textes que dans ce qu’on en fait.

Pour en finir, ceux qui veulent imposer le respect de leur religion par la terreur, qui préfèrent les lois de la jungle à celles de la République, doivent se rappeler que ce sont ces dernières qui les protègent et leur permettent d’être des citoyennes et des citoyens à part entière. Ils doivent être les premiers à défendre la République, ses lois et ses principes. Les attaquer, vouloir les affaiblir, c’est scier la branche sur laquelle ils sont assis.

29 janvier 2020

L'absurdité du jour : la Ligue islamique mondiale à Paris pour dénoncer le fondamentalisme

J’ai reçu le 9 septembre 2019 de la part de la Fondation de l’Islam de France un mail m’invitant à assister à la Conférence Internationale de Paris pour la paix et la solidarité que la Fondation co-organisait avec La Ligue islamique mondiale sans que j’aie été, en tant que membre du conseil d’orientation de la Fondation, mise au courant d’une telle organisation. Les contacts que j’ai eus avec d’autres membres du conseil d’orientation de la Fondation m’ont confirmé que je n’étais pas la seule à ne pas être au courant. L’événement engage pourtant tous les membres de la Fondation vue notamment la particularité de son co-organisateur.

Le double jeu des Wahhabites

Comme tout le monde peut le savoir La Ligue islamique mondiale est une organisation saoudienne basée à la Mecque. C’est donc une ligue wahhabite dont idéologie n’est pas à présenter. Les principes du wahhabisme et ses conséquences sur le monde et notamment le monde musulman ne sont un secret pour personne. Il est donc difficile d'admettre, malgré les efforts du Président de la Fondation de l’Islam de France, que les Wahhabites sont subitement devenus des gens qui prônent un discours de paix et de solidarité, qui dénoncent le terrorisme et l’obscurantisme islamiques au point de devenir un exemple à suivre et surtout de venir en parler en France et de montrer aux Français musulmans le chemin à suivre pour vivre en harmonie avec leur société.

Si la Ligue islamique mondiale dénonce le terrorisme, comment expliquer que des hommes et des femmes sont décapités sur la place publique en Arabie Saoudite ? Pourquoi des êtres humains sont-ils condamnés à des coups de fouets parce qu’ils ont des opinions au sujet de l’islam et de la société différentes de celle des wahhabites ? Celui qui condamne le terrorisme au nom de la dignité humaine ne peut admettre ce genre de pratiques à l’encontre des êtres humains. Sauf si pour la Ligue, lorsqu’il s’agit de musulmans cela ne fait pas partie de la terreur mais de l’application de la charia. Si la Ligue islamique mondiale œuvre pour l’ouverture sur l’autre, pourquoi continue- t-on en Arabie de traiter les femmes comme des sous-êtres humains et pourquoi les non-musulmans n’ont-ils pas le même statut que les musulmans ? Et je n’oublie pas le silence de la Ligue islamique mondiale lorsque des Algériens dans les années 90 se faisaient égorger au nom de l’islam.