Quatrième Reich - André Riel - E-Book

Quatrième Reich E-Book

André Riel

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Beschreibung

Au cœur d’une Europe néo-féodale, édifiée sur les décombres de la troisième guerre mondiale et régie par l’intelligence artificielle, Emma, jeune officier de la Surveillance Sociale, est hantée par un désir irrépressible de révolte et de sédition. Alors que le "Quatrième Reich" soumet chaque citoyen à une implacable surveillance, la soif de justice et de liberté ne cesse de grandir. Le renversement du nouvel ordre, espéré par certains et craint par d’autres, est au cœur de la révolte qui gronde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Auteur de plusieurs essais socio-économiques, socio-politiques et géopolitiques, André Riel analyse notre monde, traque les fractures qui s’y font jour et dessine des pistes pour échapper aux dangers qui nous menacent. Par ce premier roman, il nous alerte sur le péril d’une société de surveillance plus que jamais d’actualité.

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Seitenzahl: 206

Veröffentlichungsjahr: 2025

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André Riel

Quatrième Reich

Roman

© Lys Bleu Éditions – André Riel

ISBN : 979-10-422-6229-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mon frère Bruno,

qui me donna l’idée de ce titre

Prologue

Le Quatrième Reich en perspective

Peu de temps avant de se suicider et de s’être entretenu longuement avec Goebbels dans le bunker qui cacherait pour toujours les circonstances exactes de sa disparition, Hitler laissa un testament politique qui ne fut jamais trouvé.

Il se terminait par trois courtes phrases prophétiques qui disaient en quelques lignes :

Le Troisième Reich s’effondre, mais bientôt surgira un Quatrième Reich, bien plus puissant, dominateur et absolu que celui qui disparaît aujourd’hui.

Il ne sera plus nécessaire de galvaniser les foules ni de les abreuver de discours politiques.

La Providence se chargera de transformer les masses avides de directives en des troupes disciplinées soumises à la rigueur de technologies inédites.

Un siècle après, la magie du numérique et de l’intelligence artificielle soumettrait les citoyens d’une Europe dévastée par une troisième guerre mondiale à la rigueur des algorithmes qui régiraient ce nouvel ordre impérial.

***

Un réveil contraint

Lorsque Emma se réveilla, en ce matin glacial d’hiver, le ciel était gris et tranchant comme de l’acier. Nul bruit ne parvenait du dehors, hormis le sifflement du vent qui allait et venait en un souffle glacé. Nul chant d’oiseaux a fortiori ne se faisait entendre puisqu’ils avaient de longue date tous fui la ville. Le silence, entrecoupé seulement par les rafales du vent, baignait tout entier son studio. Encore absorbée par son rêve du petit matin, Emma ne bougeait pas. Elle se sentait merveilleusement bien et n’avait aucune envie de se lever.

Pourtant, une voix ferme et métallique, dénuée de toute émotion, s’était fait entendre trois minutes plus tôt pour lui demander de se lever :

« Réveille-toi, Emma, lève-toi ! Nous sommes lundi 11 janvier de l’an 31 de l’ère de la Renaissance, précisa-t-elle. »

Emma n’avait toutefois pas bougé, faisant la sourde oreille, comme si son silence la mettait à l’abri des récriminations qui ne tarderaient pas à venir. Elle pestait au fond d’elle-même contre cette machine qui voulait l’extraire du merveilleux rêve où elle cheminait en silence :

Elle évoluait dans un magnifique paysage, fait de monts et de vallées aux pentes luxuriantes, où alternaient forêts sauvages et prairies verdoyantes, égayées çà et là par des boqueteaux aux couleurs chatoyantes. Le ciel était d’un bleu vif, à peine voilé par quelques nuages accrochés aux cieux, et le soleil d’été chaud, sans être brûlant, juste assez tiède pour vous caresser la peau. Quelques chevreuils broutaient çà et là pousses et bourgeons, parcourant nonchalamment cette nature vierge et inoffensive. Des oiseaux criaient à tue-tête, en un concert sans fin. Nulle ville n’obscurcissait l’horizon de ce paysage enchanteur. Emma se sentait profondément heureuse et libre dans ce cocon paradisiaque.

Le rêve se dissipant, elle fut brutalement ramenée à la dure réalité de ce qui lui tenait de logement : une vaste pièce confortable, mais irrémédiablement froide. La voix reprit avec une insistance programmée l’invitation qui lui avait été faite trois minutes plus tôt :

« Lève-toi, Emma, autrement je devrai dénoncer ton comportement ! dit-elle sans faire preuve, ce faisant, d’une quelconque mansuétude. »

La voix était dure et pénétrante, ne provenant d’aucune source identifiable dans la pièce : une injonction en stéréo – comme on l’aurait qualifiée autrefois – qui émanait de tous les recoins de son studio et qui vous prenait aux tripes lorsqu’elle devenait impérative.

« Lève-toi, Emma ! reprit la voix. Tu as dépassé le temps réglementaire. »

Entre-temps, tous les murs du studio s’étaient illuminés, murs faits d’immenses écrans plats reproduisant des scènes, des sons et des propos propres à stimuler ou à calmer votre esprit : provocants, lorsqu’il s’agissait de vous aiguillonner, apaisants lorsqu’il était question de vous tranquilliser, avec toute une gamme de fonctions intermédiaires adaptées à votre personnalité telle qu’appréhendée lors de vos échanges sur les réseaux sociaux. C’étaient des invitations et des injonctions faites sur mesure, pour que vous contribuiez au mieux au fonctionnement de la Cité.

Emma se leva tant bien que mal, à moitié endormie, se dirigeant vers le frigo pour y dénicher une boisson fraîche, car elle s’était réveillé la gorge sèche. Elle se planta devant l’appareil, lui enjoignant de vive voix de s’ouvrir, sans succès malgré plusieurs sommations. Cela l’énerva, mais rien n’y fit. Elle avait simplement oublié que l’appareil programmé ne s’ouvre qu’entre 7 h et 7 h 30 le matin pour la séquence « petit déjeuner », alors qu’il n’était que 6 h 45. Impossible dès lors de l’ouvrir en dehors des heures programmées. Il lui aurait même fallu en cas de panne faire appel à un service de dépannage toujours surchargé, ce qui heureusement n’arrivait pas trop souvent.

Emma décida donc de se préparer pour la journée en attendant que le frigo daigne s’ouvrir et se dirigea tout droit, entièrement nue, vers sa salle de bain. Son corps était diablement attirant, à la fois souple, galbé et musclé, en raison de l’exercice qu’elle pratiquait régulièrement en salle de sport. Son visage n’était pas en reste : au teint clair, légèrement hâlé, avec des yeux d’un vert émeraude, un nez discrètement retroussé, des lèvres légèrement ourlées et des cheveux châtains coupés mi-longs. Nul n’aurait pu se douter, à première vue, que cette jeune femme d’une trentaine d’années, au corps d’une sensualité envoûtante, exerçait un métier redouté de tous : celui d’agent de la Surveillance Sociale.

Une fois dans la salle de bain, Emma s’empara de sa brosse électrique pour se nettoyer les dents, une brosse programmée sur trois minutes, le temps jugé nécessaire pour se brosser les dents. Sa douche était par ailleurs programmée sur sept minutes, le temps de se savonner et de se rincer. Impossible en ce qui concerne ces appareils de réduire ou d’allonger les temps. Comme tous les « objets connectés » qui peuplaient son studio, ces deux appareils étaient branchés sur le « Wi-Fi », une technologie sans fil datant d’avant la troisième guerre mondiale, permettant de connecter toutes sortes de dispositifs à distance et de les mettre en route à des heures programmables, qu’il s’agisse de l’allumage ou de l’extinction des lumières, de la mise en marche des robots nettoyeurs ou encore du réglage des thermostats réglant la température des pièces. En fait de « programmables », ces appareils et dispositifs étaient tous « programmés » à distance par l’ordinateur central, une programmation centrale jugée nécessaire pour le bon fonctionnement de la Cité. Seul le verrouillage de la porte d’entrée de son studio n’était pas programmé, car cela aurait été trop compliqué d’administrer « à la carte » toutes portes de la ville. Mais la fermeture à distance de toutes ces portes, par secteur, finalité ou mode d’utilisation restait possible, si cela était jugé nécessaire par les administrateurs de la Cité.

Emma se dirigea ensuite vers son placard mural pour y choisir la tenue qu’elle porterait ce jour-là. À vrai dire, les choix étaient très limités. Elle devait porter en semaine l’uniforme de sa catégorie fonctionnelle, agrémenté le cas échéant par des accessoires vestimentaires mineurs, tels que des gants, des lunettes, des foulards ou encore des pinces et bandeaux décoratifs pour les cheveux, les seuls autorisés par les règlements la concernant. Sa tenue de fonction était noire, portant ostensiblement un double S sur sa poitrine, soit SS pour « Surveillance Sociale » (sans connotations historiques, car ses contemporains ignoraient tout du passé). Elle portait par ailleurs trois barrettes dorées aux épaulettes, signe de son rang comme officier de la Surveillance Sociale, un département public chargé de la surveillance des individus et de la détection des comportements déviants. Les soirs ou les week-ends, en revanche, elle était autorisée de s’habiller à sa guise, ce dont elle ne se privait pas.

Finalement, prête à 7 h 45, elle enfila son manteau et sa casquette de fonction, puis se dirigea vers la porte de son studio, quand la voix la rappela à l’ordre :

« Signale ta sortie, Emma, comme le veut le règlement ! Ce qu’Emma exécuta mécaniquement, en tapant son code d’identification personnel sur le boîtier de déverrouillage de la porte »

Puis la voix s’adressa de nouveau à elle lorsqu’elle franchit l’encadrement de la porte :

« À ce soir, Emma, la Cité te souhaite une excellente journée ! »

Sitôt dans la rue, après avoir croisé dans l’ascenseur et dans le hall d’entrée divers voisins aussi pressés qu’elle, Emma s’avisa de prendre le tram express qui la mènerait vers son lieu de travail, non sans emprunter un écheveau de tapis et d’escaliers roulants qui n’avaient plus de secrets pour elle. Se rendre au travail n’était pas compliqué en sa qualité de citoyenne de la Zone 2, espace entourant tel un anneau le cœur de la cité et isolant ce dernier de la périphérie de la ville. Les navettes du tram express sur coussin d’air circulaient à grande vitesse tout du long de leur parcours circulaire, menant en un clin d’œil ses usagers d’un point à un autre de l’anneau périphérique. Les tapis et les escaliers roulants, le plus souvent couverts, desservaient les arrêts du tram, menant ainsi aux lieux de travail, aux services publics, ainsi qu’aux centres commerciaux et aux lieux de loisirs.

Une fois arrivée devant l’imposant immeuble du Centre de la Surveillance Sociale, Emma franchit le portail automatique, commandé par des capteurs et surveillé par des caméras, toutes reliées au réseau central de surveillance. Une nouvelle journée de travail commençait alors pour elle. Une journée qui ne serait cependant pas comme les autres.

La Surveillance Sociale

Sitôt arrivée dans le hall du vaste immeuble, Emma s’engouffra dans le large ascenseur qui la mènerait au septième étage, celui où elle travaillait comme superviseure des personnels de police. Toutes les catégories socioprofessionnelles de la Cité étaient soumises à la Surveillance Sociale, qu’il s’agisse des personnels d’encadrement, des techniciens supérieurs et des professions libérales de la Zone 2, ou bien des employés, des travailleurs et des agents de la Zone 3, celle formant la périphérie de la ville. Seuls les citoyens de la Zone 1, qui dirigeaient la Cité sous tous ses aspects, échappaient à la vigilance du CSS (le Centre de la Surveillance Sociale). Mais la rumeur courrait qu’une unité de surveillance spéciale dédiée aux dirigeants de la Cité officiait en Zone 1, au cœur même de la ville, si bien que les dirigeants de la Cité se surveillaient mutuellement. Le service au sein duquel travaillait Emma surveillait, en ce qui le concerne, les personnels de police et la section placée sous sa supervision directe, les policiers chargés de la répression des comportements déviants, si bien que ceux chargés de réprimer les citoyens aux conduites hors norme étaient eux-mêmes surveillés. Même les personnels de la Surveillance Sociale n’échappaient pas à cette vigilance, exercée par une unité spéciale au sein du CSS.

Une surveillance de cette ampleur aurait exigé en d’autres temps des moyens gigantesques en personnels formés et en équipements spécialisés. Cependant, grâce aux miracles d’une technologie qui avait survécu aux affres de la troisième guerre mondiale, cette surveillance de masse, entièrement informatisée et régie par l’intelligence artificielle, n’exigeait que des moyens limités en personnels dédiés à cette tâche. La ville était truffée de capteurs, de senseurs, de micros, de systèmes d’écoute et de caméras de surveillance dotées de la reconnaissance faciale, si bien que nul ne pouvait se déplacer d’un point à un autre, ni émettre une opinion sur un quelconque sujet, et encore moins entreprendre une quelconque action « hors normes », sans que ces informations soient captées et analysées en temps réel. Les conversations directes et les échanges sur les réseaux sociaux, et même les expressions corporelles qui pouvaient en tenir lieu, étaient tous enregistrés et analysés à travers les filtres du comportement social. Une suite d’algorithmes savamment agencés faisaient tout le travail. Seuls les comportements déviants, caractérisés comme « hors normes », étaient signalés et analysés, si bien que le travail des agents du CSS se limitait à surveiller un petit nombre d’individus considérés a priori comme suspects.

Emma entra sans hésiter dans la salle de surveillance qui lui était assignée : une grande salle, sans divisions, dotée d’une dizaine de bureaux, tous équipés d’ordinateurs, avec en sus, sur les murs, une profusion d’écrans plats permettant de suivre les déplacements des individus surveillés sous la forme de spots lumineux sur les cartes topographiques et d’hologrammes tri-dimensionnels pour les déplacements en réalité augmentée. Une demi-douzaine d’agents de sa section analysait attentivement les données qui leur parvenaient. Ils se levèrent tous à son arrivée dans la salle et se dirigèrent tous vers la grande table ovale destinée aux réunions pour le « briefing »du matin. Emma les salua et leur demanda de rendre compte tour à tour de leurs activités. Ce rituel matinal, accompagné d’un café, soudait en quelque sorte son équipe. Elle n’éprouvait aucun orgueil à les voir attentifs, voire déférents. Cela faisait partie de ses fonctions et de son grade.

Le premier à prendre la parole fut son adjoint, Karl, qui se livra à un topo détaillé des activités de leur section. En cette matinée du 11 janvier de l’an 31, trente-six policiers de la répression des comportements déviants étaient sous surveillance régulière, dont cinq officiers et trente et un agents de ce département de police. Il s’agissait là d’une surveillance routinière, sans but précis à ce stade, déclenchée par des signaux anodins tels que des absences ou des retards répétés au travail, un manque de zèle dans l’exercice de leurs fonctions, voire un certain laxisme ou de l’indulgence dans la répression des comportements déviants ou encore de bribes de commentaires laissant présager des doutes sur le bien-fondé de leur travail ou, pire encore, sur la finalité ou de légitimité de l’ordre établi. Rien de précis ne leur était reproché à ce stade. Seuls des soupçons sur leur attitude ou leur comportement, ce qui avait conduit la section placée sous l’autorité d’Emma à les ficher dans la catégorie S (à « Surveiller ») : celle d’agents susceptibles de comportements déviants.

Prirent ensuite la parole les agents Luigi, Solène, Erik, Christèle, Maria et José, rendant compte de leurs activités de surveillance respectives, qui n’avaient rien ce matin-là d’exceptionnel, hormis un cas de déviance insoupçonnée jusque-là et clairement identifié. Il s’agissait en l’espèce d’un sous-officier de la répression de comportements déviants, qui venait soudainement d’apparaître dans les radars de la section d’Emma de façon anodine, mais évidente, à l’occasion de l’interrogatoire d’un jeune homme ciblé pour activités subversives. Le jeune homme en question avait été catalogué par le CSS comme élément manifestement subversif et arrêté par la police de la répression des comportements déviants, à la suite de la diffusion de messages appelant à la désobéissance civile. Le sous-officier qui avait conduit l’interrogatoire avait volontairement passé sous silence certaines révélations du jeune homme et même soustrait des preuves tendant à son inculpation pour sédition. Ce faisant, il s’était rendu complice de ce dernier et était tombé dans les mailles du filet de surveillance automatisé. Emma écouta attentivement le compte rendu que lui fit Erik et ordonna de ficher le sous-officier dans la catégorie D (pour « Déviant ») – celle des suspects aux comportements déviants –, demandant qu’on lui remette immédiatement le rapport sur cette affaire pour l’examiner en détail.

L’affaire était sérieuse, car si des gradés de la police en venaient à couvrir des comportements subversifs, il en allait de la sécurité même de la Cité. Intriguée par l’affaire Emma se demandait ce qui avait pu conduire un sous-officier de police à agir de la sorte :

Le sous-officier de police incriminé avait-il auparavant nourri des sympathies pour la dissidence, passées inaperçues lors de son recrutement ? Ou ce comportement, gravement déviant, était-il né au cours de sa carrière, à la suite de contacts et de révélations qui l’auraient fait basculer ?

Cette énigme la fascinait d’autant plus qu’elle en était venue, parfois, à s’interroger elle-même sur le bien-fondé de sa mission. Emma se mit donc à examiner ce matin-là les rapports concernant tant le jeune homme accusé de subversion que le sous-officier de police qui semblait le couvrir.

Le jeune homme accusé de comportement subversif était un étudiant de 21 ans issu de parents qui n’avaient à aucun moment exprimé une quelconque réticence ou même aversion à l’encontre de la Cité et de l’ordre établi. Il était issu d’une famille tranquille et rangée – pourrait-on dire – de la Zone 2 qui ne le prédisposait aucunement à contester l’ordre social. Marc Durand, de son nom, avait passé avec succès tous les examens sanctionnant ses études primaires et secondaires et suivait en ce moment sa troisième année de sociologie appliquée, avec comme perspective la possibilité d’accéder plus tard aux échelons supérieurs de l’administration de la Cité.

Comment ce garçon en était-il venu à prôner la désobéissance civile ? Que s’était-il passé au cours des deux ou trois dernières années pour qu’il rejoigne la dissidence ? Quelles lectures ou fréquentations l’avaient poussé dans cette voie ?

Telles étaient les questions et le mystère à résoudre, auxquels Emma entendait fermement s’attaquer.

Il en allait de même pour Rudolf Schmidt, le sous-officier de police pris en flagrant délit de complicité avec la dissidence. L’agent en question avait jusque-là mené une carrière exemplaire, arrêtant sans ménagement les suspects aux comportements déviants, les interrogeant jusqu’à obtenir des aveux et les remettants sans hésitation à l’autorité judiciaire. Bien noté par ses supérieurs hiérarchiques, il menait, par ailleurs, une existence paisible aux côtés de sa jeune épouse et de leur fille unique. Rien qui ne le prédispose à prêter l’oreille à des dissidents et encore moins à les couvrir en passant sous silence des révélations ou même en cachant des pièces à conviction.

Que s’était-il donc passé dans la tête de ce sous-officier de police, si zélé et si exemplaire ? Qu’est-ce qui avait déclenché ce vent de révolte jusque-là inaperçu ? Qu’avait-il vu ou entendu pour en venir là ?

Telle était l’autre facette du mystère qu’Emma espérait déchiffrer.

Au plus profond d’elle-même, ce faisant, Emma s’interrogeait depuis longtemps sur le sens de son travail. En fait, depuis son entrée au CSS. Après de brillantes études primaires et secondaires, Emma avait passé le concours d’officier de police et suivi avec succès une formation au sein de l’Académie de police de la Cité. Curieuse d’approfondir les concepts de maintien de l’ordre et de déviance sociale, elle avait suivi en parallèle, à l’université, une formation en psychologie appliquée. Elle était de ce fait l’un des officiers les plus brillants et les mieux formés du CSS, raison pour laquelle on l’avait affectée à la surveillance des policiers en charge de la répression des comportements déviants, un rouage particulièrement sensible de la préservation de l’ordre dans la Cité. Sa culture et ses idées, cependant, ne tournaient pas toutes autour du maintien ou de la préservation de l’ordre social. Ses parents et son environnement culturel lui avaient ouvert dès l’enfance bien d’autres horizons et aspirations.

Née d’un père d’origine française et d’une mère d’origine allemande, le premier juriste au service de la Cité et la seconde médecin pratiquant en milieu hospitalier, Emma de Clermont avait dès son enfance évolué dans un milieu multiculturel ouvert, propre à développer chez elle une curiosité insatiable sur le monde qui l’entourait, et des aspirations culturelles et sociales non moins insatiables. Le séjour de leur appartement abritait une grande bibliothèque où figuraient toutes sortes de livres, allant bien sûr du droit public à la médecine générale, mais aussi de la philosophie antique à l’histoire contemporaine, sans négliger pour autant nombre de romans et de recueils de poèmes, sous toutes sortes de reliures et d’illustrations. Cette bibliothèque était comme une relique du passé, car le livre digital avait de longue date évincé les ouvrages en papier. C’était comme un petit musée auquel ses parents étaient très attachés, car elle permettait de se plonger dans un passé que le monde numérique avait quasiment effacé. Il en était de même pour les enregistrements de chansons, de concerts, d’opéras ou encore de films et de documentaires que ses parents gardaient jalousement sur leurs supports d’antan, car la télévision holographique et les journaux d’information ne diffusaient plus que des contenus insipides, teintés d’une propagande subliminaire.

À l’époque, conserver de telles reliques du passé n’était pas encore considéré comme suspect. Emma avait donc eu accès, avec son frère cadet Yann, jusqu’à leur adolescence, à une forme de culture considérée désormais comme subversive. La perte de leurs parents, emportés par la grande pandémie virale de l’an 15 de la nouvelle ère, les avait tous deux privés de ce cocon culturel. Placés d’office à l’époque dans l’orphelinat de la Cité, ils avaient été contraints de s’engager dans des filières de formation courtes, garantissant un emploi dès l’achèvement de leurs études. L’entrée dans l’Académie de police s’était tout naturellement imposée à Emma, comme offrant une carrière lui assurant dès le départ un avenir. Depuis sa sortie de l’Académie, elle officiait dans la Surveillance Sociale, le maillon le plus prestigieux et le plus craint du maintien de l’ordre dans la Cité. Nourrie d’humanités dès son plus jeune âge et dotée d’une ouverture d’esprit léguée par ses parents, Emma n’en conservait pas moins un esprit libre et critique. C’est ce qui la conduirait bientôt à basculer dans la dissidence.

L’ère de la renaissance

En ce jeudi 27 mars de l’an 31, la Cité tout entière fêtait le trente et unième anniversaire de la nouvelle ère, appelée désormais « ère de la Renaissance ». Ces festivités n’étaient pas propres à la Cité, car cet anniversaire était célébré dans toutes les cités de la Confédération carolingienne, également baptisée « Quatrième Reich » par ses dirigeants, en souvenir des empires qui l’avaient précédé dans cette partie de l’Europe. À vrai dire, cette référence à Charlemagne et aux empires qui lui avaient succédé avait surtout une valeur symbolique : celle du rattachement des différentes nations qui constituèrent jadis l’Europe à un « Reich » intemporel, les citoyens de cette entité géographique et culturelle n’ayant toutefois aucune idée de ses origines, l’histoire n’étant plus enseignée depuis belle lurette dans les établissements scolaires. Le territoire de la Confédération s’étendait sur ce qu’était jadis la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche, le nord de l’Italie et les marches d’Espagne. Partout ailleurs régnait la barbarie, fruit des destructions et des désordres causés par la troisième guerre mondiale.

Les origines du Quatrième Reich remontaient à la fin de la troisième guerre mondiale, un conflit dévastateur qui avait pris corps dans un pays qui s’appelait l’Ukraine et qui avait été envahi par la Russie, deux États rayés depuis de la carte par suite des affrontements qui les avaient opposés. Entraînant dans la guerre la plupart des États européens – regroupés en majorité dans ce que l’on appelait l’Union européenne –, puis les États-Unis d’Amérique – par le biais de l’alliance dite atlantique –, ce conflit de cinq ans s’était soldé à l’Ouest par la désintégration de l’Union européenne, un isolement total des îles britanniques et un inexorable repli des États-Unis sur leur lointain continent. À l’Est, en revanche, tout ce qui avait été autrefois rattaché à la Russie et à son vaste empire avait pratiquement disparu, par suite de sa défaite militaire et de la disparition du chapelet d’États plus ou moins inféodés qui lui étaient rattachés. Cette guerre ne s’était cependant pas limitée au continent européen. Face à une Chine qui n’avait cessé de croître en termes de puissance économique et militaire, les États-Unis s’en étaient pris directement à ce pays de crainte qu’il ne les surpasse un jour et ne s’allie contre eux avec la Russie. Des incidents répétés en mer de Chine et autour de l’île de Formose avaient dégénéré en un conflit ouvert dans la zone de l’Indopacifique, puis en une catastrophe planétaire par suite de l’utilisation mutuelle de missiles intercontinentaux dotés de charges nucléaires.